Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 19 décembre 2011 à 15h00
Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais faire plusieurs observations sur ce projet de loi organique.

Ma première observation porte sur l’objet même de ce texte. Une loi organique est nécessaire pour étendre aux magistrats l’accélération du calendrier de relèvement, en 2017 au lieu de 2018, à 62 ans de la limite d’âge de départ en retraite, adoptée dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Nous avons voté contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale et, bien sûr, contre cette mesure : nous voterons donc contre l’application de cette disposition aux magistrats. Il n’est pas nécessaire que j’apporte des explications supplémentaires, elles ne feraient qu’allonger inutilement nos débats.

Ma deuxième observation concerne les magistrats placés. À l’époque, le Conseil constitutionnel n’avait pas fait beaucoup d’observations. Pour ma part, j’y ai toujours été opposé, notamment pour les magistrats du siège, car ce régime me semble incompatible avec le principe de l’inamovibilité des magistrats. En effet, ces magistrats nommés à la sortie de l’école sont placés soit comme magistrats du siège soit comme magistrats du parquet auprès du premier président ou du procureur général de la cour d’appel. Ils sont chargés de remplacer des magistrats sur des postes vacants, de pallier la pénurie de personnel dans les tribunaux, et sont en quelque sorte laissés à la discrétion des chefs de cours pour remplir telle ou telle fonction.

Le Conseil d’État avait précisé que les magistrats placés devaient bénéficier en priorité d’emplois correspondant à leurs fonctions s’ils en faisaient la demande et si ces emplois étaient vacants. Il a, par ailleurs, fortement encadré la durée pendant laquelle ces magistrats étaient ainsi mis à la disposition des chefs de cour.

Votre texte, monsieur le ministre, revient sur cette jurisprudence. Il tend à prévoir que les magistrats placés pourraient faire une grande partie de leur carrière dans ces conditions puisqu’il autorise le maintien à ce poste durant six années consécutives, pour une durée maximale de douze années au total. Or, on le sait bien, les magistrats placés sont, en termes de carrière et d’avancement, toujours quelque peu laissés pour compte.

C'est la raison pour laquelle nous sommes totalement opposés à ce dispositif.

Ma troisième observation est relative à une vieille affaire, celle des décorations. Avec François Colcombet, un ancien magistrat comme moi, j’avais déposé, dans le cadre d’un projet de loi présenté par Mme Lebranchu, un amendement prévoyant un dispositif similaire à celui de l’article 3. À l’époque, le Gouvernement s’en était remis à la sagesse de l'Assemblée nationale, qui avait voté cet amendement, par la suite rejeté au Sénat.

J’entends dire ici ou là que les magistrats judiciaires sont des agents publics. Certes ! Mais ils sont différents de tous les autres, y compris des magistrats de l’ordre administratif ou des magistrats financiers. En effet, la garantie de leur indépendance est statutaire. Ils n’ont plus aucun lien avec le pouvoir exécutif, particulièrement depuis la réforme de la Constitution intervenue en 2008 : l’exécutif, en l’occurrence le garde des sceaux, ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature.

Il ne serait pas bon d’autoriser les magistrats du siège à recevoir une décoration accordée par le pouvoir exécutif. Je rappelle que, en l’espèce, ils sont soumis au régime de droit commun et que, pour certaines décorations comme la Légion d’honneur, il faut qu’ils en fassent la demande.

C'est la raison pour laquelle je pense très sincèrement que les magistrats du siège ne doivent pas recevoir de décoration du pouvoir exécutif pendant l’exercice de leurs fonctions. Je connais de nombreux magistrats du siège qui, jusqu’à la Cour de cassation, ont décliné toute décoration, terminant leur carrière « la robe vierge », si vous me permettez cette expression, de toute récompense. Cette règle devrait être applicable à tous les magistrats du siège. Je m’abstiendrai de dresser ici la liste des magistrats du siège – ceux auxquels je pense sont d’ailleurs aujourd'hui décédés – qui ont été récompensés pour services rendus…

En revanche, j’ai déposé un amendement relatif aux magistrats du parquet. Pour eux, la situation est totalement différente : ils n’ont pas les mêmes garanties d’indépendance, même s’ils les réclament aujourd'hui très largement. Dernièrement, de nombreux procureurs de la République ont demandé au garde des sceaux d’avoir le même statut que les magistrats du siège au moins pour les nominations et les règles disciplinaires. On demande depuis des années au Gouvernement de procéder à cette réforme, mais il continue d’y être hostile et de résister. Il en a été ainsi lorsque s’est posé le problème de la garde à vue et du rôle des magistrats du siège ou du parquet lors de la présentation par Mme Alliot-Marie de l’avant-projet de réforme de la procédure pénale. Rien n’y fait, le pouvoir reste absolument sourd à ces revendications.

Les magistrats du parquet sont soumis à l’autorité hiérarchique du garde des sceaux. Ils rendent souvent d’éminents services, notamment dans les grands tribunaux ; je n’insisterai pas sur certaines réquisitions récentes, manifestement inspirées par la chancellerie et prononcées par des procureurs de la République très connus, qui ont ensuite été désavoués par les décisions des magistrats du siège… Ils peuvent donc recevoir toutes les décorations qu’ils veulent et qu’on veut bien leur remettre tant qu’on ne modifie pas la Constitution, comme ils le souhaitent, pour enfin prévoir un régime similaire à celui des magistrats du siège – avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations et l’avancement et alignement des régimes disciplinaires.

Lorsqu’il n’y aura plus de lien avec le pouvoir exécutif pour la carrière ou le statut, même s’il reste un rapport hiérarchique en ce qui concerne l’application de la politique pénale, les magistrats du parquet ne devront plus pouvoir recevoir de décorations.

Voilà les observations que je souhaitais faire. J’ajoute que j’ai déposé un amendement, qui va dans le sens du Gouvernement – je m’en expliquerai tout à l’heure –, pour modifier l’intitulé de cette loi organique, afin d’éviter que le Conseil constitutionnel ne trouve un cavalier législatif dans la loi, ce qui est préjudiciable à l’autonomie du Parlement.

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