Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’économie numérique représente un formidable levier de croissance pour notre pays. Elle constitue un enjeu majeur de compétitivité, d’aménagement et d’attractivité de nos territoires et de nos PME. On ne peut négliger, particulièrement en période de crise, le potentiel de croissance non négligeable qu’elle possède.
Aussi, le texte porté par MM. Hervé Maurey et Philippe Leroy nous donne l’occasion de débattre de ce sujet d’importance majeure pour l’avenir de nos territoires.
Une étude réalisée par le cabinet McKinsey en mars 2011 fait état de la création de 700 000 emplois dans ce secteur depuis l’année 2000 et prévoit 450 000 créations nettes d’emplois directs ou indirects à l’horizon 2015, ainsi que vous l’avez rappelé tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État.
L’accès au haut et au très haut débit sur l’ensemble du territoire, quelle que soit la technologie utilisée, est un défi que nous devons relever, afin de résorber les effets d’une fracture numérique devenue une réalité de plus en plus difficile à vivre pour ceux qui la subissent.
Examinons en effet l’état des lieux.
Selon les derniers chiffres publiés par l’ARCEP en septembre 2011, le nombre d’abonnements à Internet en haut et très haut débit sur réseaux fixes atteint aujourd’hui 22, 4 millions, soit un accroissement net de 1, 5 million d’abonnés sur un an.
Mais l’examen détaillé de ces chiffres révèle une situation contrastée, car 21, 8 millions sont des abonnements à haut débit. Or le haut débit recouvre une multitude de situations. En effet, comment comparer un accès en haut débit permettant une connexion de 512 kilobits par seconde et un autre établissant une connexion de 8 mégabits par seconde ? Les services fournis ne sont pas les mêmes, notamment les possibilités d’accès aux offres triple play.
Par ailleurs, 175 000 abonnements à très haut débit sont du « Fiber to the home », ou FTTH – c'est-à-dire de la fibre optique au domicile –, et 425 000 en double système, avec un accès en fibre optique et une terminaison en câble coaxial. Difficile, là encore, de comparer la qualité d’un accès en très haut débit par le réseau « cuivre », et un accès en très haut débit par le réseau « fibre optique ».
Au regard du développement aujourd'hui embryonnaire de la fibre sur notre territoire, il est permis de s’étonner de la satisfaction affichée par le Gouvernement, qui se félicite des initiatives mises en place dans le cadre du programme national du très haut débit, le PNTHD.
L’Autorité de la concurrence, en janvier dernier, qualifiait le PNTHD de « choix d’opportunité ». Ce choix, nous ne le partageons pas. Avec le PNTHD, le Gouvernement a en effet décidé de favoriser l’initiative privée dans les zones « denses », là où une rentabilité est attendue, et de cantonner l’initiative publique aux zones dites « peu denses », c'est-à-dire là où, bien entendu, les opérateurs privés ne veulent pas intervenir.
Les appels à manifestations d’intentions d’investissement ont permis aux opérateurs privés de préempter et de geler les territoires qu’ils estiment rentables, sans aucune sanction en cas de non-respect de leurs engagements.
Aucune péréquation n’est donc possible pour les collectivités territoriales qui souhaitent investir dans l’aménagement numérique de leur territoire pour l’équilibrer, même dans le cadre de projets intégrés.
Pis encore, la mise en place du PNTHD a figé des projets régionaux programmés, qui prévoyaient un système de péréquation entre départements.
Enfin, la logique de l’écrémage, parfois même à l’intérieur de zones denses, met à mal la continuité du déploiement.
Au final, ce « choix d’opportunité » traduit un schéma libéral qui se résume en la privatisation des profits et la socialisation des pertes. Je ne vois là aucune réelle ambition nationale de déploiement de la fibre optique.
Il s’agit ici non pas de se livrer à une critique aveugle et infondée des opérateurs privés, mais de mesurer les conséquences et les effets pervers sur nos territoires, et notamment les plus ruraux d’entre eux, de choix gouvernementaux particulièrement discutables en matière d’aménagement du territoire.
D’ailleurs, l’Autorité de la concurrence estime que les pouvoirs publics devraient « exiger des opérateurs la plus grande précision dans leurs intentions de déploiement » et « veiller de manière régulière à leur strict respect ». Le simple « rappel à l’ordre », prévu par le Gouvernement en cas de non-respect des engagements, n’est absolument pas suffisant, nous le savons tous.
Elle va plus loin encore en estimant nécessaire que, « pour la crédibilité du dispositif [...], dans l’hypothèse où les projets d’investissement devraient s’écarter de la trajectoire initialement prévue, le Gouvernement envisage sérieusement de revoir en profondeur la logique du PNTHD ».
Nous devons nous rendre à l’évidence. Le modèle et le cadre juridique actuels ne peuvent répondre aux besoins de financement colossaux – ils sont estimés entre 20 milliards et 30 milliards d’euros – indispensables au déploiement de la fibre.
La loi pour la confiance dans l’économie numérique, modifiée en 2006, créait les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, les SDTAN, en leur donnant une valeur seulement indicative.
La loi Pintat, adoptée en 2009, avait prévu la mise en place du FANT. Elle fixait des objectifs ambitieux, afin de réduire une fracture numérique déjà constatée. Quelque quatre années plus tard, ce fonds n’est toujours pas alimenté, et les conditions d’éligibilité des projets sont à revoir. Nous nous interrogeons par ailleurs sur la coexistence de ce fonds fantôme avec le Fonds national pour la société numérique, le FSN, insuffisant au regard de la demande et des perspectives d’investissement que les acteurs publics et privés ont à réaliser.
Il est temps, en effet, de passer des paroles aux actes, selon la formule du rapporteur Hervé Maurey.
Je salue donc le travail que nous avons réalisé en commission avec le rapporteur pour améliorer ce texte, qui nous permet de prendre acte des insuffisances actuelles et de proposer un cadre plus efficace.
Tout d’abord, en reconnaissant que l’aménagement numérique du territoire revêt un caractère d’intérêt général, nous avons souhaité réaffirmer la nécessité d’un aménagement équilibré du territoire, d’une véritable solidarité territoriale.
Par ailleurs, il nous semblait nécessaire de renforcer le cadre juridique actuel, en rendant les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique obligatoires et en leur annexant les conventions signées entre les collectivités territoriales et les opérateurs.
Compte tenu du nouveau statut des SDTAN et des conventions, Hervé Maurey a très justement supprimé le lien entre les engagements des opérateurs dans le cadre des zones « appel à manifestations d’intentions d’investissement », ou zones AMII, et ceux qui sont reportés dans ces schémas.
Si les obligations des opérateurs ont été renforcées, les engagements des collectivités seront clairement affichés, afin d’instaurer une relation plus fiable entre les différentes parties prenantes au déploiement de la fibre, ce que nous saluons.
La proposition de loi favorise par ailleurs le déploiement prioritaire du très haut débit dans les zones rurales, en commençant par les zones d’activités et les services publics.
L’attente en faveur du haut et très haut débit est très forte en milieu rural. La proposition de loi renverse de manière audacieuse la logique actuelle de déploiement dans les zones denses, où la demande est moins forte du fait de la présence du haut débit, pour la prioriser dans les zones rurales, dans lesquelles la demande est importante.
La priorisation sur ces zones rurales, sur les bassins d’activités et sur les services publics est une excellente chose.
Enfin, le texte qui nous est proposé nous a donné l’occasion de nous interroger sur l’éligibilité des projets au FANT et sur son financement. Nous sommes convaincus de l’absolue nécessité de pouvoir alimenter de manière pérenne le Fonds d’aménagement numérique du territoire.
Nous proposons qu’en cas de non-respect par les opérateurs des conventions conclues dans le cadre des SDTAN, le produit des sanctions financières, prononcées par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, soit reversé au FANT. Bien sûr, nous savons que ce financement ne sera pas suffisant pour couvrir les besoins, mais il s’agit d’un premier pas vers la recherche de ressources pérennes.
Compte tenu de toutes ces avancées, les membres du groupe socialiste voteront la proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de la commission et présentée par M. le rapporteur.
Mais si ce texte a le mérite de relancer le débat, il ne résout pas le problème de fond.
Il nous faudra demain changer de « paradigme », selon le terme du président de l’ARCEP. Il nous faudra proposer une vision différente de l’aménagement numérique du territoire, en articulant les initiatives publiques et privées, en donnant une vraie place aux collectivités territoriales et en créant un système pérenne de financement accompagné d’une véritable péréquation. Dans le modèle actuel, les opérateurs privés mènent le jeu. Ils interviennent en zone très dense, un peu en zone moyennement dense et pas du tout en zone peu dense, au regard de la rentabilité estimée du territoire.
Mais la notion même de rentabilité d’un territoire devrait nous inciter à la réflexion. Nous sommes-nous interrogés sur la rentabilité des territoires lorsqu’il s’agissait d’y amener l’eau et l’électricité ? Nous sommes-nous interrogés sur la rentabilité des territoires lorsque nous avons bâti les routes qui maillent nos départements et nos régions ?
Chaque époque a ses besoins, ses grandes politiques d’aménagement du territoire. Aujourd’hui, il nous appartient de bâtir des nouvelles routes, celles de l’information et de la communication, celles du très haut débit.
Ce texte nous donne l’occasion de réaffirmer un message essentiel : l’accès au très haut débit est un enjeu primordial d’aménagement de notre territoire bénéficiant à tous, et pas un enjeu de rentabilité profitant à quelques-uns.