Dans ces conditions, quelle approche pouvons-nous retenir ?
Il s’agit de rechercher une voie plus réaliste et plus crédible vers le très haut débit, en associant un mix de technologies additionnant FTTH, montée en débit, radio et 4G, et en « prenant la main » sur l’aménagement numérique, avec pour ambition de déclencher un effet de levier et de reconfigurer l’écosystème de l’aménagement numérique.
Quel scénario d’action pouvons-nous retenir, par ordre croissant d’interventionnisme dans le temps ?
La première hypothèse, privilégiée par certains pour le moment, est de ne rien faire, de « laisser faire », et donc de laisser monter le mécontentement. Il n’y aura alors aucun investissement privé, compte tenu des « engagements » en zones denses. C’est évidemment inenvisageable pour les élus des territoires, en raison des enjeux économiques – les entreprises se tournent vers eux –, des usages des services publics et des besoins des foyers. Les collectivités sont donc en quelque sorte contraintes d’agir.
La deuxième hypothèse consiste à agir en complémentarité, c’est-à-dire en complémentarité du réseau de l’opérateur historique, seul présent en ruralité.
La collectivité densifie alors le réseau optique de collecte - et uniquement celui-là - et améliore les infrastructures existantes par l’opticalisation de nœuds de raccordement d’abonnés, les NRA, l’effacement de multiplexeurs et l’installation, à ses frais, de nœuds de raccordement d’abonnés-point de raccordement mutualisé.
Ce scénario a cela de singulier qu’il est très favorable à l’opérateur historique en territoire rural, car, sans investir, celui-ci prescrit les évolutions, garde sa clientèle sur un réseau captif – c’est ce que l’on constate partout aujourd’hui - et prolonge durablement la vie du réseau de desserte en cuivre, lequel reste très lucratif et rentable, ce qui permet ensuite à l’opérateur d’investir ailleurs.
En revanche, ce scenario n’est pas favorable aux opérateurs alternatifs : ils ne viendront pas davantage sur ce réseau, car les conditions économiques, quasi inchangées, restent pénalisantes – tous les tarifs le prouvent.
Quant à l’objectif de résorption des zones blanches et de montée en débit, il n’y a pas d’ambition THD ou FTTH. À ce jour, il n’existe pas de stratégie FTTH ou 4G chez l’opérateur historique, en dehors des zones AMII, c’est-à-dire d’appel à manifestations d’intentions d’investissement.
On n’apporte pas non plus de réponse aux besoins en THD des services publics – universités, hôpitaux, grosses collectivités – ou de certaines entreprises, qui demandent un catalogue de services plus large et des prestations moins chères. En tant qu’élus, nous sommes, chaque semaine, confrontés à ce genre de questions.
Pour résumer la situation actuelle, cette solution maîtrisée permet de répondre à l’urgence dans les zones blanches du haut débit, mais sa portée et son ambition sont limitées, de sorte qu’elle ne tiendra pas dans le temps.
La troisième hypothèse consiste à aller plus loin et de « prendre la main » pour piloter les évolutions du schéma directeur territorial d’aménagement numérique, le SDTAN.
Dans ce cas, la collectivité devient opérateur d’infrastructures par la construction de réseaux de collecte et de desserte et la location longue durée de fourreaux ou de fibres, principalement à France Télécom et, occasionnellement, à Réseau ferré de France ou à des gérants de sociétés d’autoroutes, sous réserve de l’existence de capacités suffisantes.
Elle peut offrir à des opérateurs de services alternatifs des conditions économiques intéressantes en termes de prix de location ou de couverture.
Dans cette hypothèse, différentes préoccupations doivent être prises en compte.
On peut ainsi retenir un scénario en « complémentarité », c’est-à-dire ne pas prévoir de construction lorsqu’une infrastructure existe et est disponible : quand on n’a pas les moyens de faire, autant se limiter au strict nécessaire.
On peut également poser la question des moyens des collectivités pour mettre en œuvre leur stratégie THD et FTTH sur la collecte et la desserte fixe et mobile. On peut aussi poser la question des moyens pour les opérateurs alternatifs ; élaborer des offres de services THD à des administrés par des opérateurs ; enfin, élaborer des stratégies de couverture radio, voire 4G, lesquelles sont développées par un autre opérateur que je n’ai pas cité jusqu’à présent.
Mais que faut-il constater ?
La collectivité joue alors un rôle d’« éclaireur » de marché et n’a aucune garantie de succès a priori : des opérateurs loueront-ils des fibres ? Elle ne le sait pas ! Des entreprises feront-elles confiance à ces nouveaux opérateurs ? Elle ne le sait pas !
De surcroît, la collectivité peut avoir à acquérir des compétences, ce qui se révélera peut-être difficile et même très coûteux.
Il est également difficile de concevoir que, en 2012, la collectivité doive louer en permanence à l’opérateur historique des infrastructures pour une bonne partie financées par le contribuable dans les années soixante-dix et quatre-vingt, et ce pour pallier l’absence de programme THD des opérateurs privés en zones non denses.
Enfin, le risque n’est pas nul de devoir supporter la concurrence de France Télécom-Orange, puisqu’il me faut le citer, qui réagira a posteriori par une baisse de ses tarifs pour concurrencer le nouveau réseau et garder ses parts de marché.
Voilà l’équation incertaine à laquelle sont confrontés les territoires ruraux, et tout particulièrement les conseils généraux, qui se trouvent au cœur des solutions en préparation, sans avoir la certitude de disposer des moyens financiers permettant d’assurer les orientations qui leur sont imposées.
Vous le voyez, mes chers collègues, l’avenir du déploiement du très haut débit dans les zones rurales de notre pays suscite de très nombreuses interrogations !