Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale, l’article 10 est une disposition importante. C’est, en quelque sorte, la clef de voûte de cette proposition de loi. Je voudrais répéter les raisons pour lesquelles j’y suis opposé.
Tout d’abord, sur le plan juridique, nous connaissons bien la procédure qui permet aux collectivités d’utiliser les SIEG, les services d’intérêt économique général. Dans son avis, l’Autorité de la concurrence a été assez claire, mais elle nous invitait, dans le même temps, à être prudents, en citant le cas des Hauts-de-Seine, un département qui a fait l’objet d’une contestation devant le tribunal de la Cour de justice de l’Union européenne.
Si une collectivité veut établir un SIEG sur son territoire, elle doit répondre au critère d’universalité, ce qui signifie qu’une couverture totale du territoire doit être assurée. Sinon, cela devient un nid à contentieux !
Ensuite, cet article soulève une difficulté d’ordre économique. Il témoigne bien de la volonté de la commission de s’engager dans une démarche de rupture par rapport au cadre établi depuis quatre ans, puisqu’il tend clairement à encourager les collectivités à travailler là où les opérateurs ont déjà déployé leurs réseaux, et ce de façon très extensive. En effet, les zones rentables, dans lesquelles les collectivités pourront agir, sont entendues comme « les zones dans lesquelles des opérateurs privés ont déjà déployé leur propre réseau ».
Il ne s’agit donc pas seulement des zones AMII, c'est-à-dire « appel à manifestations d’intentions d’investissement ». Bien au contraire, toutes les zones sont concernées !
Je vous rappelle que le cadre actuel prévoit, dans les 148 zones très denses, la concurrence par les infrastructures – à savoir l’existence de plusieurs réseaux d’opérateurs –, le marché permettant de soutenir cet écosystème, ainsi que, dans les zones un peu moins denses, le principe du co-investissement – les quatre opérateurs nationaux ont d'ailleurs signé des accords en la matière. Enfin, le cadre actuel prévoit la complémentarité pour les collectivités.
Je pense que, si l’on encourage les collectivités à investir là où la fibre est déjà déployée, on multipliera les dépenses. Et ce n’est pas 24 ou 25 milliards d’euros qu’il faudra : c’est beaucoup plus de 30 milliards d’euros !
La mutualisation est sans doute, pour un très grand nombre de départements et pour beaucoup de régions, une fausse bonne idée ; je m’en suis déjà expliqué. Certes, elle permet de réduire le coût unitaire de la prise, la moyenne du coût entre une zone peu rentable et une zone plus rentable.
Toutefois, ce qui compte pour les collectivités, c’est la charge nette. On constate ainsi, notamment en Auvergne, en Seine-et-Marne ou dans les Hauts-de-Seine, que j’ai citées tout à l'heure, que le choix de la redondance des réseaux – plutôt que de la seule complémentarité, conformément au cadre actuel – est défavorable à la collectivité, la mutualisation ne permettant pas à cette dernière de bénéficier in fine d’un coût moindre.
Au stade actuel, on n’a donc pas intérêt à changer fondamentalement le cadre existant, ni à encourager les collectivités à s’engager dans une mauvaise voie, qui ne pourra que conduire à des gaspillages d’argent public et privé.
Mes chers collègues, quand une même zone sera couverte par deux réseaux, croyez-vous que les opérateurs choisiront le réseau public ? Bien au contraire, ils choisiront le réseau privé !