Intervention de Annie David

Réunion du 16 février 2012 à 9h00
Licenciements boursiers — Rejet d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Annie DavidAnnie David :

Ces licenciements, qui ont été présentés comme économiques, sont en fait la conséquence d’une délocalisation en Tunisie. Déboutés, les salariés concernés – ils ont souvent « des années de maison », pour reprendre leur expression –peineront à retrouver un emploi. Alors que le conseil de prud’hommes rendait voilà peu sa décision, l’avocat des plaignantes, Me Emmanuel Giroire-Revalier, analysait ainsi la situation : « C’est choquant : Aubade fait beaucoup de bénéfices ; plus il y a de licenciés, plus les actionnaires suisses font des bénéfices ».

Je voudrais que vous vous souveniez également, comme je m’en suis souvenue, de la situation dramatique des salariés de l’entreprise LU, filiale du groupe Danone. Il aura fallu dix ans, dix longues années de combat syndical et juridique, pour que leurs droits soient enfin reconnus et pour que le motif économique, avancé par l’employeur, soit au final écarté par les juges. Les salariés pourront donc bénéficier d’une indemnisation au titre d’un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse. C’est une maigre consolation quand on mesure que beaucoup d’entre eux n’ont pas retrouvé d’emploi et qu’ils n’en retrouveront pas dans le contexte actuel, marqué par l’inscription quotidienne de 1 000 chômeurs nouveaux à Pôle emploi !

Je voudrais que vous gardiez également en mémoire le cas des 362 employés de l’entreprise Gemalto, dans le secteur de la sécurité numérique intégrée, licenciés en 2007, prétendument, là encore, pour motif économique. Le groupe réalisait pourtant, au moment des faits, 791 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit une progression de plus de 30 millions d’euros par rapport à l’année précédente au cours de laquelle l’entreprise « n’avait » réalisé « que » – si je puis dire – 760 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Seuls 34 salariés, militants syndicaux pour la plupart, ont osé contester le caractère économique de ces licenciements. La chambre sociale de la cour d’appel d’Orléans leur a donné raison en novembre dernier, leur octroyant 570 000 euros d’indemnisation. Si cette indemnisation ne règle pas tout, tant s’en faut, elle a cependant une portée symbolique pour les salariés : elle est la preuve que leur vie a été sacrifiée non par nécessité économique, mais par stratégie financière, pour l’appétit sans cesse grandissant des actionnaires !

Comble de l’ironie, l’année suivante, la chaîne d’information économique Business FM attribuait à la société Gemalto le prix de la meilleure performance boursière. Qu’importe alors que, sur les 34 plaignants, seuls 11 aient retrouvé un CDI et que 5 d’entre eux n’aient retrouvé aucun emploi ! Ce qui compte, c’est la stratégie de court terme, la rentabilité et, au-delà même de la rentabilité, le maintien, voire l’augmentation constante des dividendes.

Souvenez-vous encore des 20 000 salariés de Caterpillar – dont 733 dans le département de l’Isère –, que la direction a privés d’emploi en 2009 alors que l’entreprise affichait un bénéfice de plus de 3, 5 milliards d’euros pour l’année 2008. « Une année horrible », affirmait alors le P-DG de Caterpillar France : mais horrible pour qui ? Visiblement seulement pour les salariés, les actionnaires ayant eu, à travers ces suppressions, la garantie d’une augmentation de 17 % de leur dividende !

Horrible oui, le choix de la direction d’accroître la fortune de quelques privilégiés au détriment de milliers de familles !

Passés la stupeur et l’émoi, l’indignation et la colère ont pris le pas chez les salariés de Caterpillar comme de Moncler, ou encore de Yahoo dans mon département, et bien d’autres, tels les salariés de Molex près de Toulouse, qui ont mené une lutte exemplaire pour préserver leur emploi et la pérennité des sites industriels.

Toutes ces entreprises ont un point commun : elles ont licencié massivement alors qu’elles ont engrangé des profits et distribué des dividendes !

C’est à cette situation scandaleuse et, j’ose le dire, inhumaine que les membres de mon groupe souhaitent s’attaquer. L’heure n’est plus à une éventuelle moralisation de l’économie : le temps est venu d’apporter aux salariés de notre pays plus de justice sociale.

Les sénatrices et sénateurs communistes républicains et citoyens refusent la logique de la fuite en avant vers une économie qui serait toujours plus financière et toujours plus inhumaine. Nous refusons une économie dans laquelle les femmes et les hommes seraient réduits à n’être que des variables d’ajustement, où des vies devraient être broyées pour que d’autres accumulent encore et toujours plus de richesses.

Nous ne voulons plus revivre la triste situation observée en septembre 1999 : le cours de l’action Michelin avait alors fait un bond considérable de 12 % à la suite de l’annonce d’un plan social massif, sans précédent dans l’histoire de l’entreprise. Et que l’on ne s’y méprenne pas, il s’agissait là non pas d’un simple hasard, mais bien d’une concomitance aussi volontaire que choquante entre l’annonce de plusieurs centaines de licenciements, d’un côté, et la notification des réussites trimestrielles et annuelles, de l’autre.

L’explosion du cours de l’action constituait bien, en réalité, la réaction immédiate des actionnaires à l’annonce de ce plan social, la bourse se réjouissant de cette mesure non parce qu’elle rendait l’entreprise rentable – elle l’était déjà, monsieur le ministre ! – mais parce qu’elle garantissait aux actionnaires une hausse considérable de leur rétribution, via les dividendes qu’ils percevraient.

Pour autant, bien que ces licenciements se soient multipliés depuis des années, le code du travail, dernière protection collective des salariés – et c’est une protection que mes collègues du groupe UMP aimeraient bien voir disparaître… –, n’en fait pas mention, laissant aux juges le soin d’apprécier si le licenciement est économique ou non. Autant dire que le sort des salariés dépend aujourd’hui d’une décision de justice, laquelle, dans le silence des textes, est nécessairement variable.

À cette situation, génératrice d’instabilité pour les salariés, nous préférons l’état de droit, c’est-à-dire l’existence d’une situation juridique claire, de règles tangibles et durables, dont chacune et chacun pourraient se prévaloir.

Si nous constatons que, depuis un an, sans doute face à l’ampleur de la crise économique et sociale, les tribunaux français deviennent plus protecteurs pour les salariés que par le passé, nous ne pouvons cependant pas nous satisfaire de cela. D’une certaine manière, la jurisprudence est en avance sur le droit positif. Pour autant, dans cette situation, les salariés ne sont pas à l’abri d’un revirement de jurisprudence. Il convient donc de renforcer la base légale de ces décisions de justice. C’est l’ambition de notre proposition de loi, qui s’inscrit dans la continuité de ces décisions et tend à les renforcer.

Mais avant d’en venir à la présentation de ce texte, je voudrais illustrer mes propos par deux décisions récentes : l’une rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation, et l’autre par la cour d’appel de Paris.

Ainsi, le 12 mai 2011, la deuxième chambre sociale de la cour d’appel de Paris, saisie par le comité d’entreprise de la société Viveo France – celui-ci contestait la validité du plan social soumis par les dirigeants dans le cadre d’une procédure de licenciement pour motif économique –, n’a pas hésité à innover.

Profitant de la saisine sur la validité du plan social, la cour s’est prononcée sur la non-réalité du motif économique du licenciement. Bien que l’article L. 1235-10 du code du travail n’autorise le comité d’entreprise à engager une action en « nullité » qu’en cas de défaut de présentation du plan de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, les juges prud’homaux, le 16 avril 1996, lui avaient reconnu une nouvelle faculté, celle de dénoncer l’insuffisance des plans sociaux.

La cour d’appel de Paris est allée encore plus loin en reconnaissant le droit au comité d’entreprise de contester l’existence même des difficultés économiques, de la réalité du besoin de mutation technologique, ou encore de la nécessité de réorganisation de l’entreprise.

Comme l’a rappelé Frédérique Marron, avocat-conseil en droit social à Lyon, dans la Gazette du Palais du 18 juin 2011, « la cour affirme que l’absence de motif économique rend par nature la procédure de licenciement économique sans objet. Le défaut de motif économique constituerait en quelque sorte un vice privant ainsi de base légale le projet de licenciement ».

La cour en a ainsi déduit que le plan social devait être réputé « nul », c’est-à-dire n’avoir jamais existé, puisque le motif économique invoqué était lui-même inexistant ! Cette interprétation du droit, que certains juristes n’ont pas hésité à qualifier d’« osée », puisqu’elle contredit le principe général du droit selon lequel « il n’y a pas de nullité sans texte », témoigne de cette volonté de protéger les salariés placés face à des licenciements non économiques, mais d’économie.

Comme le concluait Frédérique Marron, « la juge judiciaire, à la demande d’un comité d’entreprise, serait en effet à même de contrôler la réalité du motif économique avancé par l’employeur ». Il est donc nécessaire d’exclure les licenciements boursiers du champ des licenciements pour motif économique, qui servent trop souvent de prétexte.

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