Cette mesure présentée dans la précipitation rappelle d’autres effets d’annonce. Chacun ici se souvient des maisons à quinze euros par jour de Mme Boutin, qui ont connu le succès que l’on sait, ainsi que des maisons à 100 000 euros de M. Borloo, dont le nom rime malheureusement avec fiasco !
On dit, monsieur le ministre, que vous êtes l’inspirateur de la version initiale du texte dont nous discutons ce soir. Cela vous épargne d’aller chercher trop loin des arguments pour défendre cette initiative hasardeuse d’un Président de la République qui, manifestement, ne connaît pas les problèmes urbains ! Votre projet de loi suscite le scepticisme et recueille des avis mitigés de la part des professionnels. Ceux qui ont été consultés sont pour le moins dubitatifs. Ils redoutent surtout les effets d’une mesure technocratique qui méconnaît les réalités de l’urbanisme et des politiques d’aménagement du territoire.
Les maires, les adjoints chargés de l’urbanisme, les équipes municipales qui ont engagé un travail de deux ou trois ans afin d’aboutir à l’approbation d’un PLU estiment que l’on se moque d’eux, une fois de plus. Ils admettent mal de voir leurs prérogatives remises en cause.
Prenons l’exemple d’un quartier d’une petite ville faisant l’objet d’une politique d’intégration urbaine. Il s’agit du projet majeur du mandat municipal, bien évidemment. Tout a été mis en œuvre pour le mener à bien, y compris sa présentation aux riverains et plus largement à l’ensemble de la population, ainsi qu’aux services de l’État. Le projet adopté est conforme au PLU pour l’implantation, au programme local de l’habitat pour l’évolution du nombre de ménages. Si l’on prenait votre texte à la lettre, il faudrait réviser les gabarits, la hauteur des immeubles, l’emprise au sol du projet en question : ce n’est pas possible, monsieur le ministre ! Sa conception globale est cohérente : il prend en compte la mixité sociale, les normes environnementales et autres, les espaces publics, les besoins en places de stationnement, sans parler de la planification scolaire, des structures de multi-accueil, des déplacements et des réseaux.
Dans ces conditions, comment voulez-vous augmenter de 30 % le nombre de logements en surélevant, en agrandissant ou en densifiant les constructions ? Les structures des immeubles ne le permettent pas toujours.
Quant aux clients du programme, comment accepteraient-ils une modification aussi substantielle du projet sur lequel ils se sont engagés financièrement ? Quel maire réunira la population et les riverains pour annoncer, après un simulacre de concertation, que, finalement, il modifie le projet afin de répondre aux exigences fixées par ce texte, à deux ans de la fin de son mandat ?
Les associations d’élus ne sont pas en reste. Comme leurs représentants, je regrette la méthode employée pour annoncer le dépôt de ce projet de loi. L’absence de concertation préalable inquiète les organisations professionnelles, qui se sentent mises à l’écart. Le rapporteur de la commission de l’économie a déploré, à juste titre, que ce texte soit examiné par le Parlement dans une telle précipitation.
Je voudrais insister sur la question de la densité. Celle-ci se détermine à l’issue d’un long processus d’évaluation des PLU, et non en six mois, sans enquête publique. La méthode proposée n’est-elle pas largement dérogatoire à la procédure classique de modification des PLU ? Je m’interroge sur les risques juridiques qu’elle pourrait comporter.
Par ailleurs, même si les élus cédaient à cette facilité, agrandir la maison familiale ne crée pas un logement supplémentaire : c’est simplement, pour certains, une bonne occasion à saisir. Votre texte offre des droits à construire à ceux qui auront les moyens d’en profiter. Son application entraînera une augmentation des prix des terrains. Les professionnels voient les négociations stoppées, au mieux prolongées, y compris après la conclusion d’un accord amiable. Les propriétaires fonciers sont ravis : en l’absence de compromis, leurs terrains sont 30 % plus chers ! Leurs exigences en matière de constructibilité sont également à la hausse, alors qu’il faudrait pouvoir disposer de lots à des prix raisonnables.
Lors de votre audition par la commission, mercredi dernier, vous avez affirmé, monsieur le ministre, que le coût du foncier augmenterait, mais pas forcément celui de l’opération, grâce à l’augmentation de la densité. Ce ne sont là que des mots, j’en suis certain : je relève que le prix des maisons individuelles a augmenté de 52 % entre 2000 et 2010.
Tout cela ne « colle » pas, d’autant que, dans un lotissement datant de moins de dix ans, l’autorisation des autres propriétaires est nécessaire pour procéder à un agrandissement.
Décidément, ce texte ne constitue en rien une réponse à la crise du logement. Il fallait faire respecter la loi SRU, adoptée en 2000, particulièrement son article 55 : pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Vous auriez dû convaincre les communes récalcitrantes, afin qu’elles respectent les objectifs fixés : par exemple, construire en vue de garantir la mixité sociale, pour que chacun puisse se loger décemment sans se ruiner dans les villes où les logements manquent. Observons tout de même que l’avancée opérée par la loi SRU a permis la construction d’environ 300 000 logements sociaux en dix ans.
Dans son rapport, Thierry Repentin préconise en fait de ne pas en rester à votre proposition et de passer à autre chose. L’amendement qu’il a présenté et que la commission a adopté va à l’essentiel : l’État doit fournir de nouveaux espaces pour la construction de logements sociaux. Une telle mesure permettrait de construire mieux, à des prix modérés, là où les besoins, qui restent considérables, sont les plus vifs.
En outre, pourquoi réduire les moyens de l’État ? En effet, les subventions destinées à la réalisation de logements sociaux sont en voie d’extinction. Vous-même, lors de votre audition portant sur le projet de loi de finances pour 2012, aviez déclaré être favorable à un nouveau modèle économique. §Monsieur le ministre, vous y êtes presque ! Ainsi, l’État ne participe qu’à hauteur de 4 % au financement de la réalisation d’un immeuble HLM. Les crédits destinés à la construction locative et à l’amélioration du parc ont fondu : depuis 2007, ils sont passés de 827 millions d’euros à 322 millions d’euros. C’est le parc social qui en subit les conséquences. Le Gouvernement pratique le double langage, une fois de plus ! Une autre réponse aurait pu consister à réhabiliter les 2 millions de logements vacants.
Monsieur le ministre, les élus de la République veulent construire, et ces contradictions les désespèrent. Ils veulent bâtir, y compris dans les plus petits villages. Vous ne pouvez pas l’ignorer. Le monde rural a changé : pourquoi vos services s’opposent-ils à ce que quelques parcelles situées à proximité immédiate du centre-bourg soient déclarées constructibles ? Pour un maire, les lotir au cours de son mandat représente une ambition raisonnable, modeste au regard des besoins. Néanmoins, cela insufflerait un surcroît de dynamisme. La construction joue un rôle à cet égard. Nous en revenons naturellement au problème prioritaire du foncier disponible.
L’amendement présenté par Thierry Repentin va dans le bon sens. Nous attendons tous la grande loi foncière en faveur du développement de l’offre de logement abordable réclamée par le mouvement HLM.
Elle permettrait de lutter contre la hausse des prix des terrains, de décourager la rétention foncière par la mise en place d’une fiscalité progressive sur les terrains constructibles laissés nus. Chacun le déplore, la rareté des terrains entretient la spéculation. Dans cet esprit, il conviendrait aussi de s’appuyer sur d’autres mesures, comme la remise en location des logements vides et la taxation des logements vacants là où l’offre ne permet pas de répondre à la demande.
La crise du logement touche 10 millions de personnes dans notre pays : 3, 6 millions de nos concitoyens sont mal logés, 1, 2 million de ménages sont inscrits sur des listes d’attente et vivotent en espérant accéder un jour à un logement social décent. Nous le voyons dans nos communes : les familles peinent, le nombre des impayés de loyers ne cesse de progresser et les menaces d’expulsion locative se multiplient.
Selon le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre, la situation est devenue dramatique. Elle l’est non seulement pour les ménages les plus modestes, les personnes isolées, les jeunes, les femmes seules avec enfants, mais aussi – c’est un phénomène récent – pour les classes moyennes, et pas seulement dans les zones tendues. La part des ressources des ménages consacrée au logement atteint un niveau historique, représentant souvent un quart de leur budget. Le loyer peut même s’élever à 50 % de celui-ci pour un couple avec deux enfants gagnant 1, 5 fois le SMIC et se logeant dans le privé.
Le président sortant n’avait-il pas promis que plus personne ne coucherait à la belle étoile d’ici à la fin de son mandat ? Le soir, lorsque je quitte le Sénat pour rejoindre l’hôtel, je vois des personnes allongées à même le sol. Elles dorment dans le froid, se protégeant tant bien que mal des courants d’air. Nous sommes bien loin des engagements de 2007 ! Votre proposition ne fera pas davantage évoluer cette situation que ne l’a fait la politique terriblement inhumaine que vous avez conduite depuis cinq ans, monsieur le ministre.