Intervention de Claude Bérit-Débat

Réunion du 29 février 2012 à 21h30
Majoration des droits à construire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Claude Bérit-DébatClaude Bérit-Débat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France compte aujourd'hui 3, 6 millions de personnes non logées ou très mal logées, tandis que près de 10 millions de Français sont en situation de fragilité à cet égard.

La crise du logement est notamment due à la hausse exponentielle des prix depuis près d’une décennie – dans l’ancien, ils ont augmenté de 117 % entre 2000 et 2011 –, ainsi qu’au manque chronique de logements sociaux. Se loger est de plus en plus difficile et coûte de plus en plus cher. Jamais le logement n’a occupé une telle place dans le budget des Français.

Eu égard à cette situation catastrophique, nous avons non pas une obligation de moyens, mais une obligation de résultat. Cela étant posé, reste à savoir comment agir efficacement.

Il n’y a pas de recette miracle. Une loi ne résout rien si elle ne s’appuie pas sur une politique publique cohérente. Or une telle politique ne s’élabore pas en quelques jours : elle est le fruit d’un intense travail de concertation, de réflexion et de coopération entre tous les acteurs concernés.

Au lieu de cela, on nous présente un texte qui ne permettra pas du tout de résoudre les problèmes. Ce projet de loi est l’exemple type, monsieur le ministre, de la fausse bonne idée.

Tout d’abord, son examen intervient dans un contexte particulier, vous le savez bien. Sur un sujet aussi sensible et complexe que le logement, on aurait pu s’attendre à un débat serein, plutôt qu’à la discussion à marche forcée et en urgence d’un projet de loi parcellaire et redondant.

Ensuite, ce texte clôture de la pire des manières cinq années d’échec en matière de logement. Il y a cinq ans, on nous avait promis une France de propriétaires : où est-elle ? Nous avons également eu droit à des réformes, suivies de contre-réformes, de l’accès au crédit : quels ont été leurs effets ?

Voici maintenant que l’on nous soumet, à quelques jours de l’élection présidentielle, un texte qui méconnaît ou même piétine les politiques d’urbanisme mises en place par les collectivités, qui introduit une insécurité juridique patente et qui, surtout, ne répondra pas aux besoins des Français.

Ce projet de loi repose sur un principe en apparence si simple, si évident, que l’on se demande bien pourquoi le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, n’y a pas pensé plus tôt !

La vérité, c’est que ce texte a pour finalité d’habiller juridiquement une annonce de campagne du président sortant. Je trouve donc particulièrement malvenu, sur un sujet aussi sensible que celui du logement, que le Gouvernement agisse avec une telle précipitation et dans une telle improvisation. Ce texte a été si mal préparé que tous les acteurs du secteur du logement s’accordent à considérer qu’il n’améliorera en rien la situation existante.

En effet, ce projet de loi n’est tout simplement pas en résonance avec les besoins actuels. Pis, il n’est qu’une accumulation de vices de construction – permettez-moi cette formule – qui le rendent inopérant.

La France a besoin de beaucoup plus de logements sociaux, nous le savons tous. Aujourd’hui, des dérogations en matière de majoration des droits à construire, à hauteur de 50 %, sont déjà en vigueur pour favoriser la réalisation de ce type de logements, et les collectivités, qu’il s’agisse des communes ou des intercommunalités, font déjà de gros efforts dans ce domaine, on ne peut le nier. Qu’apportera donc de plus la majoration des droits à construire de 30 % prévue dans le présent projet de loi ? Rien, ou si peu ; en tout cas, elle ne favorisera pas la construction de logements sociaux.

Que dire aussi de l’absence de prise en considération des dérogations déjà accordées pour la construction et les équipements « verts » ? Votre texte vient les concurrencer très directement, monsieur le ministre, réduisant d’autant l’incitation à la construction écologique, en totale contradiction avec la Charte de l’environnement.

Enfin, que penser de la procédure retenue et du calendrier proposé ? Une fois de plus, vous compliquez la tâche des collectivités locales au-delà de toute logique, et au mépris de l’une de leurs compétences fondamentales, l’urbanisme.

Les communes et les intercommunalités ont fait beaucoup d’efforts, vous le savez, pour mettre en place des plans locaux d’urbanisme cohérents, lesquels dessinent, avec les SCOT et les PLH, les contours futurs de leurs territoires, dans le respect des exigences de développement durable, de développement de l’habitat et de renforcement des services et des transports. Or voilà que vous proposez une mesure dont l’application sera limitée dans le temps, qui mettra à mal la cohérence de ces projets urbains patiemment élaborés, et ce sans que les premiers acteurs concernés, les communes et les intercommunalités, puissent véritablement en débattre dans des conditions sereines. Ce n’est pas acceptable !

La procédure envisagée est inadmissible, parce qu’elle va à l’encontre de l’action des collectivités, en ouvrant de plus une brèche dans les politiques menées par les EPCI qui exercent la compétence d’urbanisme. Les collectivités n’auront plus qu’une seule liberté, celle de refuser d’appliquer la majoration des droits à construire. C’est là une bien curieuse liberté, on en conviendra : si elles refusent d’appliquer la majoration des droits à construire, les collectivités se verront accusées de ne pas vouloir bâtir et seront alors considérées comme responsables de la crise du logement…

Ce projet de loi constitue donc un contresens. La mise en œuvre de son dispositif risque même d’aboutir à l’effet inverse de celui qui est escompté, puisque le nombre de logements construits grâce à lui sera toujours insuffisant. Autrement dit, il y aura peut-être un peu plus de logements, mais certainement pas de baisse significative des prix !

Au final, on constate que, une fois de plus, le Gouvernement mène une politique en contradiction totale avec les besoins des Français.

Pour sa part, M. Repentin propose un dispositif visant à développer la réalisation de logements, notamment sociaux, grâce à la cession avec décote d’immeubles bâtis ou non bâtis appartenant à l’État. Je ferai observer à M. Dallier, qui s’inquiétait du coût d’un tel dispositif pour les finances publiques, que nombre de communes sont déjà obligées de céder gratuitement des terrains pour permettre la construction de logements sociaux. Elles vont même jusqu’à assumer les surcoûts engendrés par le respect de normes de qualité exigeantes, notamment sur le plan thermique, afin de réduire le poids des charges pour les locataires. J’estime donc que l’État pourrait très bien consentir le même effort que les collectivités.

Cette solution, assez simple, aurait pour effet de libérer du foncier, ce dont les collectivités ont véritablement besoin. Elle devra bien entendu s’inscrire dans un cadre plus global, comme l’exige la problématique du logement, mais, contrairement à votre proposition, monsieur le ministre, elle présente d’ores et déjà l’avantage de répondre aux problèmes actuels des Français, ce qui est beaucoup.

En conséquence, je voterai, comme l’ensemble des membres de la majorité sénatoriale, en faveur de l’adoption des propositions de M. le rapporteur. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion