Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 19 janvier 2012 à 9h30
Reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mademoiselle la rapporteur, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui était à l’origine une proposition de loi mémorielle, un genre législatif dont, en tant qu’historienne, j’ai plutôt tendance à contester le principe. Nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau prochainement dans l’hémicycle, l’ordre du jour de nos travaux ayant, en période électorale, son lot de dispositions de ce genre, pour les raisons que l’on connaît.

La loi qu’il s'agit de modifier aujourd'hui a déjà été « rafistolée » à plusieurs reprises ; je vais vous rafraîchir la mémoire à cet égard, mes chers collègues. Son article 4, qui a été supprimé par un décret du 15 février 2006, avait déjà suscité bien des controverses, puisqu’il prévoyait que les programmes scolaires reconnaîtraient « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord. » Cette manière de dicter aux enseignants le contenu et la visée de leur présentation de l’histoire coloniale avait légitimement suscité le courroux et l’indignation de nombre d’historiens de renom, à l’origine d’un manifeste intitulé Liberté pour l’Histoire.

Il n’en est pas moins inadmissible que notre pays ait attendu si longtemps avant d’exprimer sa reconnaissance envers ces Algériens dont beaucoup ont payé de leur vie leur choix en faveur de la France. Ceux qui ont pu être accueillis sur notre territoire l’ont été dans des conditions déplorables et extrêmement précaires, dans des camps entourés de barbelés, et un taux de suicide anormalement élevé a été constaté parmi les enfants de harkis.

La reconnaissance morale et matérielle et l’accès à certains droits sociaux n’ont été, pour cette population, que trop tardifs et insatisfaisants. Il aura fallu attendre le 1er janvier 2011 pour que l’on aboutisse enfin à une revalorisation des pensions. Et encore, il ne s’agissait là que d’une victoire symbolique, car bien peu de bénéficiaires de nationalité étrangère verront leur pension rattraper le niveau de celle des Français.

En outre, aucune réparation ne prévoit de compensation rétrospective de cette spoliation opérée pendant des années ; aucune réévaluation rétroactive des pensions n’a été envisagée, puisque les nouvelles dispositions n’ont pu s’appliquer qu’à partir du 1er janvier 2011. Il aura fallu attendre une décision du Conseil constitutionnel du 4 février 2011 pour que la condition de nationalité soit jugée discriminatoire.

Par ailleurs, chacune des lois successives visait à allouer des indemnités diverses et variées à ces anciens supplétifs de l’armée française en Algérie ou prévoyait systématiquement des régimes de forclusion des différentes allocations de reconnaissance.

L’article 5 de la loi du 23 février 2005 constitue un dispositif inachevé, entraînant l’absence de répression effective des injures ou diffamations envers les harkis et anciens membres de formations supplétives. Dans sa version initiale, la proposition de loi déposée par notre collègue Raymond Couderc vise à sanctionner les injures ou la diffamation envers ces derniers par les peines prévues par les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Cette solution ne satisfait pas les sénatrices et sénateurs écologistes, qui ne souhaitent pas que soient multipliés les groupes ou communautés destinataires de textes législatifs.

Cependant, l’amendement déposé par M. Couderc tend à compléter l’article 30 de la loi de 1881 pour y insérer un alinéa assimilant les formations supplétives aux forces armées. En tant que telles, celles-ci bénéficieraient dès lors de la protection attribuée aux militaires et résistants face à la diffamation. Les sénatrices et sénateurs écologistes voteront cet amendement, qui vise à rédiger l’article unique de la proposition de loi et qui a reçu l’avis favorable de la commission des lois.

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