Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 7 février 2012 à 14h30
Débat sur le rapport annuel du contrôle de l'application des lois

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

J’avais compris l’inverse. Nous nous étions mal compris.

En réalité, les taux sont à peu près identiques, ce qui signifie que la nature de la procédure ne joue pas.

En ce qui concerne plus précisément la commission des lois, comme Jean-Pierre Sueur l’a rappelé tout à l’heure, les problèmes de mise en application sont récurrents.

Par exemple, dans le domaine de la législation funéraire, il nous a semblé que certains services avaient beaucoup de mal à admettre que le Parlement puisse légiférer… On nous disait même qu’il n’y avait pas besoin de loi !

Pour ma part, je suis préoccupé par la protection juridique des majeurs ; dans ce domaine, des dispositions réglementaires doivent encore être prises.

S’agissant du transfert aux départements des parcs de l’équipement – une question chère à notre collègue Jean-Pierre Vial, qui a pour ainsi dire sauvé la loi du 26 octobre 2009, d’abord mal engagée –, il faudra tout de même que l’on prenne les mesures réglementaires qui n’ont pas encore été prises.

N’oublions pas que, dans les matières pour lesquelles la commission des lois est compétente, en particulier dans l’ensemble des domaines du droit pénal, de la procédure pénale et du droit civil, il y a un bloc purement législatif, c’est-à-dire un ensemble de dispositions qui ne nécessitent aucune mesure d’application – si ce n’est, éventuellement, des circulaires.

À l’inverse, on se demande pourquoi nous votons des lois sur des matières purement réglementaires… C’est un problème dont je reparlerai tout à l’heure.

Monsieur le président Assouline, la création au sein de notre assemblée d’une commission non réglementaire dont les membres sont issus de toutes les commissions permanentes ne peut qu’améliorer le contrôle de l’application des lois, sans que soit oublié le rôle essentiel joué par toutes les commissions – la vôtre, mais aussi toutes les autres – pour l’évaluation des lois.

En effet, s’il importe de vérifier que les lois votées par le Parlement font l’objet d’une application matérielle, c’est-à-dire que les actes réglementaires nécessaires à leur mise en œuvre sont publiés, il faut aussi rappeler que le Parlement, aux termes de l’article 24 de la Constitution, « évalue les politiques publiques ».

L’« évaluation des politiques publiques » figure également à l’article 48 de la Constitution, le Sénat ayant tenu à faire préciser, à l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, que la semaine de séance réservée par priorité au contrôle de l’action du Gouvernement devait l’être aussi à l’évaluation des politiques publiques – je me souviens d’ailleurs que cela n’avait pas été facile.

Il est vrai que beaucoup de lois ne correspondent plus forcément à la définition classique : certaines sont des lois de programmation, d’autres même sont purement déclaratives, au moins dans certaines de leurs parties – et je ne parle pas des lois mémorielles, dont il a déjà été beaucoup question cet après-midi.

Surtout, un mouvement est à l’œuvre qui ne semble pas pouvoir être arrêté : le Gouvernement et le Parlement ont mis entre parenthèses les articles 34 et 37 de la Constitution. En effet, dans les domaines où la loi devrait simplement déterminer les principes fondamentaux, on légifère dans les moindres détails ! En outre, les lois ont beau être de plus en plus bavardes – plusieurs l’ont dit –, elles n’en nécessitent pas moins de nombreux textes d’application… C’est un paradoxe !

Au début de la Ve République, par comparaison, les lois comportaient bien souvent une dizaine d’articles. Ensuite, le pouvoir réglementaire organisait leur application, notamment lorsque la loi se contentait de déterminer les principes fondamentaux.

On doit aussi constater que le principe de clarté et d’intelligibilité de la loi n’est pas respecté. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé à plusieurs surprises. En outre, il a censuré certaines dispositions dont la complexité n’était pas indispensable – tout le monde se rappelle ce qu’il est advenu d’une certaine taxe…

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a également prévu que les projets de loi, mais non pas les propositions de loi, devraient être accompagnés d’études d’impact, c’est-à-dire d’évaluations ex ante. Les effets de ce dispositif ne sont pas encore évidents et je crois qu’il existe encore une marge de progression. Pourquoi ne demanderait-on pas un jour au Conseil constitutionnel de vérifier qu’une étude d’impact est sérieuse ?

En outre, certains amendements peuvent bouleverser le projet de loi initial ou y introduire des dispositions qui le modifient substantiellement. Mais vous-même, monsieur le ministre, ainsi que surtout le Premier ministre, veillez à ce que le recours aux amendements parlementaires ne soit pas le moyen pour certains membres du Gouvernement, lorsqu’ils n’ont pas obtenu satisfaction dans les arbitrages, de faire adopter malgré tout certaines dispositions ; cette pratique, dont il me semble qu’elle a dû exister, n’existe plus bien entendu…

Il arrive même que les lois votées se révèlent totalement inapplicables ou quelque peu contradictoires avec d’autres dispositions législatives. L’emballement de la machine à faire des lois rend parfois obsolètes des lois ayant pourtant fait l’objet de longs débats. Sans parler des tentatives visant à modifier, sous prétexte de simplification – vous savez ce que je pense des lois multiformes de ce type… –, des pans entiers de législation dont on aurait intérêt à évaluer la pertinence dans toutes leurs composantes : bien souvent, dans ces cas-là, nous allons trop vite.

La grande ambition de l’amélioration de la qualité de la loi, que l’Assemblée nationale et le Sénat avaient tenté de mettre à l’ordre du jour il y a deux ans, a fait long feu, hélas ! Mais je constate avec plaisir que les instructions du Gouvernement, la fameuse circulaire dont on a parlé tout à l’heure, devraient permettre l’amélioration de la qualité de la loi. Je pense qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire dans ce domaine !

Peut-être les observations que je viens de formuler paraîtront-elles à certains éloignées de l’objet de notre débat. Cependant, tout en félicitant de nouveau le Gouvernement pour ses efforts dans le suivi de l’application des lois et tout en saluant le travail accompli par la commission pour le contrôle de l’application des lois et les autres commissions, je rappelle que le plus important est évidemment de procéder à l’évaluation de la législation au fil du temps.

D’ailleurs, aujourd’hui, on confond souvent les lois et les politiques publiques. Par exemple, pour ce qui concerne la loi pénitentiaire, presque toutes les mesures d’application ont été prises. Mais l’encellulement individuel est-il respecté partout ? Non. Et les services pénitentiaires d’insertion et de probation disposent-ils de tous les moyens nécessaires, bien qu’on ait beaucoup recruté ?

À la vérité, si l’on veut mettre en œuvre certaines orientations, il ne suffit pas d’adopter une loi supplémentaire ; il faut encore prévoir au fur et à mesure des moyens pour appliquer la loi.

On oublie parfois que nos commissions permanentes procèdent régulièrement à l’évaluation des lois. Elles élaborent des propositions de loi, souvent consensuelles, pour faire évoluer la législation.

Pour ce qui concerne la commission des lois, cela s’est produit, par exemple, dans les domaines de la législation funéraire, de la protection de l’identité §et de la législation sur les sondages. Au sujet de cette dernière initiative, d’ailleurs, je souhaite qu’on aille jusqu’au bout.

C’est également ainsi, permettez-moi de le rappeler, que nous avons créé la société européenne – une mesure indispensable, mais qui n’en finissait pas de traîner.

Enfin, la commission des lois peut être fière d’avoir réformé les prescriptions en matière civile.

À ce propos, j’ai été très ému d’apprendre le décès du professeur Pierre Catala, qui a consacré toute sa vie à la modernisation du code civil avec une énergie considérable. Monsieur le ministre, j’espère qu’en sa mémoire nous pourrons réformer la partie du code civil qui concerne les obligations : c’est la seule qui ne l’ait pas encore été, maintenant que nous avons modernisé les domaines des successions et des libéralités.

Je considère que le véritable travail de contrôle et d’évaluation doit relever d’une coopération accrue entre les commissions permanentes et la commission pour le contrôle de l’application des lois, mais aussi avec le Gouvernement. Vous avez prouvé, monsieur le ministre, que vous étiez tout à fait disposé à fournir à la commission pour le contrôle de l’application des lois les informations nécessaires à l’accomplissement de sa tâche.

Pour conclure sur une note amusante, mes chers collègues, permettez-moi de souligner le paradoxe qu’il peut y avoir, pour certains, comme le président Sueur, à demander l’application en urgence de lois qu’ils ont combattues avec vigueur… §

Toutefois, réjouissons-nous que le Parlement français, comme beaucoup de Parlements européens, assume de mieux en mieux sa fonction de contrôle de l’action du Gouvernement. Faisons des lois moins nombreuses, mais contrôlons mieux leur application !

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