Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 7 février 2012 à 22h45
Devenir des permis exclusifs de recherche d'hydrocarbures conventionnels et non conventionnels — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Nicole BricqNicole Bricq, auteur de la question :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cas où certains l’auraient oublié, la question de l’exploration et de l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique est toujours d’actualité ; c’est le sens de notre interpellation au Gouvernement.

Ma question est motivée par trois constats.

Premièrement, la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique, dite « loi Jacob », n’a rien réglé.

Deuxièmement, aucune suite n’a été donnée au rapport que M. Gossement a remis au Gouvernement quant à l’intervention démocratique dans le processus.

Troisièmement, les partisans de l’exploitation des gaz et huiles de schiste reprennent l’offensive.

Je reprendrai ces trois constats.

La loi Jacob n’a rien réglé sur le fond. Elle était censée calmer la colère des élus locaux et des citoyens ayant découvert que le Gouvernement avait octroyé des permis exclusifs de recherche de gaz et d’huiles de schiste dans leur territoire sans aucune concertation. Elle devait offrir un cadre juridique suffisamment solide pour que le doute ne soit plus permis.

Depuis le vote de cette loi, trois permis exclusifs de recherche ont été annulés. L’octroi de ces permis, à Nant, à Villeneuve-de-Berg et à Montélimar, avait provoqué une vive indignation et la mobilisation des élus et citoyens des territoires qu’ils recouvraient ; certains de mes collègues le confirmeront dans quelques instants.

Pour autant, ces trois annulations font perdurer le doute. D’abord, seuls trois permis sur les soixante-quatre qui ont été déposés ont été annulés. Ensuite, l’un des trois permis abrogés, concédé au groupe Total, ne mentionnait pas le recours à la technique interdite. Enfin, les explications de Mme la ministre ne sont pas convaincantes.

En effet, Mme Kosciusko-Morizet a justifié l’annulation du permis accordé à Total par le manque de crédibilité du rapport rendu par le groupe pétrolier, dans le cadre de la loi du 13 juillet 2011. Elle a évoqué l’utilisation de la fracturation hydraulique, technique que le groupe pétrolier nie utiliser, indiquant respecter la loi et s’engageant à ne procéder qu’à des carottages verticaux pour l’exploration. Total vient d’ailleurs de déposer un recours contentieux auprès du tribunal administratif de Paris demandant l’annulation de l’abrogation de son permis.

Dans le même temps, le Gouvernement justifie le maintien des soixante et un autres permis par le fait que « les détenteurs n’ont pas prévu de rechercher des gaz et huiles de schiste ou y ont renoncé pour se limiter à des gisements conventionnels », ajoutant que tous ont pris « l’engagement formel de ne pas recourir à la fracturation hydraulique ».

Une telle césure entre les différents détenteurs de permis est assez incompréhensible. Tous les rapports sont écrits et disponibles sur le site du ministère. Certains disent même ne pas recourir à la fracturation hydraulique. Comment alors faire le tri entre les groupes industriels en qui il faudrait avoir confiance et ceux qui ne le mériteraient pas ? Pourquoi ne pas abroger les soixante et un autres permis ?

Un dernier élément, tout récent, vient s’ajouter au doute sur l’efficacité de cette loi. Il s’agit de l’achat récent de six parcelles par la société Vermilion, dont cinq sont situés dans le Bassin parisien, et certains plus précisément dans l’Essonne. Pourquoi un tel investissement, alors qu’une loi est censée empêcher la fracturation hydraulique et que nous ne connaissons pas plus en 2012 qu’en 2010 ou en 2011 de technique alternative ?

Les annulations surtout nous interpellent plus qu’elles nous rassurent. Notre méfiance est d’autant plus justifiée que, nous le savons à présent, le Gouvernement a, dans un laps de temps assez court, tenu des propos très différents sur la capacité à identifier les forages conventionnels et les forages non conventionnels : durant les débats relatifs à la loi Jacob, il était impossible de faire une telle distinction. Quelques mois plus tard, dans le cadre de l’abrogation de trois permis sur les soixante-quatre, cela devenait possible. Les techniques d’analyse ont-elles évolué ? S’agit-il d’une volonté du Gouvernement ?

Cette distinction est au cœur de la proposition de loi déposée par le groupe socialiste, car la question n’est pas de savoir, comme nous l’avons signalé très tôt, ici, au Sénat, quelle technique doit être interdite ou autorisée. Non, la question est plutôt de savoir s’il faut décider d’exploiter ou non les huiles et les gaz de schiste.

Interdire une technique, comme vous l’avez fait, c’est potentiellement en accepter une autre. Serait-elle moins polluante ? Fera-t-elle l’objet d’une plus grande concertation avec les élus et les citoyens ? Nous n’avons pas la moindre réponse à ces questions essentielles. Rien ne sera réglé, pour nous, tant que l’inscription dans le code minier de la distinction entre hydrocarbures conventionnels et non conventionnels ne sera pas à l’ordre du jour. C’est la seule façon de garantir la sécurité juridique.

La « commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux », créée par la loi Jacob, pose également la question de la sécurité juridique. Lorsqu’elle sera mise en place, ce qui semble compliqué d’après les échos qui nous parviennent du Conseil d’État, elle servira de caution à des expérimentations. C’est du reste pour cette raison, si j’ai bonne mémoire, que le groupe socialiste n’avait pas voulu voter la création de cette commission. Notamment, elle permettra certaines expérimentations qui testeront la fracturation hydraulique, technique dont les risques sont pourtant connus, ou toute autre technique de remplacement.

Cette commission ouvrirait donc potentiellement la voie à l’exploration et à l’exploitation, à terme, des hydrocarbures de roche-mère. L’entrain avec lequel l’Union française des industries pétrolières, l’UFIP, souhaite voir cette commission installée ne peut que renforcer nos inquiétudes, j’y reviendrai.

Comment cette commission fera-telle la distinction entre exploration et exploitation ? Nous ne le savons pas.

La réforme du code minier est donc essentielle pour éviter la moindre dérive et assurer une sécurité juridique qui, à ce jour, n’est pas garantie.

Mais pourrons-nous nous en remettre au bon vouloir du Gouvernement, qui n’est pas avare de revirements ?

Ainsi, la France avait toujours été favorable à la directive européenne sur la qualité des carburants, document où les sables bitumineux sont désignés comme constituant la forme de pétrole la plus néfaste pour le climat. Pourtant, notre pays se serait exprimé le 2 décembre dernier, lors de la réunion des experts européens, contre la définition d’une valeur d’émissions de gaz à effet de serre propre aux sables bitumineux. Si cette information était avérée, il s’agirait bien là d’un revirement, ce qui motive notre méfiance à l’égard de la position du Gouvernement, qui ne semble pas durable.

Nous devons agir afin d’analyser toutes les conséquences de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Nous le savons, les logiques économiques et les logiques environnementales n’obéissent pas souvent aux mêmes règles de temporalité. Aux États-Unis, où 50 000 puits ont déjà été forés, l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels bouleverse l’équilibre du marché et les stratégies des entreprises.

Les enjeux économiques sont importants et la tentation de développer cette production en Europe est réelle. La Pologne professe l’ambition d’être « le Qatar de l’Europe centrale », la Bulgarie vient de refuser l’exploitation, mais le débat n’est pas tranché en France, d’où l’importance de la refonte du code minier, toujours d’actualité après la remise du rapport Gossement.

Deuxième constat, la refonte du code minier reste posée après le rapport Gossement.

La loi Jacob n’offre pas de cadre juridique solide, mais elle ne garantit pas non plus la transparence dans les procédures d’attribution des permis de recherche, la population des territoires concernés n’étant ni consultée ni a fortiori associée à la décision.

Affirmant vouloir remédier à cette situation, le Gouvernement s’était engagé à présenter au Parlement un projet de loi de ratification de l’ordonnance portant codification de la partie législative du code minier. Ce texte devait instaurer une procédure de consultation du public préalablement à la délivrance d’un permis exclusif de recherche, ainsi que sur les demandes de prolongations des permis ainsi délivrés. Il devait instaurer la même procédure pour les demandes de prolongations de concession.

Cependant, le Gouvernement n’a pas lié la parole aux actes. Un projet de loi a bien été déposé le 11 avril 2011 sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais il n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour, pour des raisons d’encombrement, nous dit-on. Nous en concluons que le Gouvernement se satisfait de la seule loi Jacob et ne compte pas favoriser l’exercice démocratique en la matière.

Pourtant, le rapport Gossement remis à la ministre de l’écologie le 12 octobre dernier ne vise-t-il pas, précisément, à articuler le droit minier et le droit de l’environnement ? Il préconise une réforme de l’État, lui-même, tant dans son organisation administrative que dans la répartition des compétences avec les collectivités territoriales.

Deux des quarante propositions du rapport prévoient, ainsi, la création de commissions départementales des mines chargées de se saisir des projets en amont et d’associer le public dès l’instruction de la demande de permis de recherche et d’un « haut conseil des ressources minières » dans le but d’instaurer un dialogue à cinq : État, collectivités locales, syndicats, organisations non gouvernementales et entreprises. Cet appel au dialogue ne semble pas soulever l’enthousiasme, ni du côté du Gouvernement ni du côté des industriels du secteur…

J’en arrive à mon troisième constat : il semble que les partisans de l’exploration reprennent l’offensive.

Un très récent colloque organisé à Paris par le Club Énergie & Développement, un des nombreux épigones de la filière pétrolière, intitulé « Le bouquet énergétique dans tous ses états », a retenu notre attention, tout particulièrement une table ronde organisée autour des hydrocarbures non conventionnels et intitulée « L’interdiction française : comment en sortir ? » On ne saurait être plus explicite !

1 commentaire :

Le 19/05/2012 à 08:40, Justine (juriste) a dit :

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Il est utile de lire les propos de Mme Nicole Bricq, devenue depuis ministre de l’écologie. Elle a raison de souligner : « les logiques économiques et les logiques environnementales n’obéissent pas souvent aux mêmes règles de temporalité ». Il est vrai que certaines entreprises engrangent immédiatement des profits exorbitants (logique économique). Mais leur activité peut causer de graves dommages sanitaires et environnementaux à moyen ou long terme. Parfois ces dommages ne sont pas réparables ou, quand ils le sont, leur réparation est supportée in fine par la collectivité. Cela est inadmissible et il incombe aux pouvoirs publics de prendre en compte les intérêts de la collectivité à long terme (en résistant à la pression des lobbies) et d’appliquer le principe pollueur – payeur.

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