rapporteur. Nous ne sommes pas une moitié de Sénat, pas plus que l’Assemblée nationale n’est une moitié d’Assemblée nationale ! Aucune des deux chambres n’est censée ne se prononcer que ce sur quoi le Gouvernement a décidé de la consulter, comme sous le Directoire, où le Conseil des Cinq-Cents ne pouvait que proposer des lois et le Conseil des Anciens les accepter ou les rejeter sans que jamais délibération et vote puissent se rencontrer !
Il me semble que ce n’est pas ainsi que les choses doivent se passer dans notre démocratie, même sous la Ve République.
J’en viens au dernier élément que nous avons introduit dans le texte et contre lequel vous vous élevez.
Dans l’hypothèse où l’infraction relative au compte de campagne aurait été commise par le candidat élu Président de la République, la sanction ne peut pas être prononcée en même temps que le résultat : on ne va pas remettre en cause la décision du suffrage universel, même si le vote a pu être biaisé par d’éventuelles irrégularités graves. Le Conseil constitutionnel l’a dit, en son temps, par la voix de M. Roland Dumas, qui a reconnu qu’on avait « arrangé » certains comptes pour éviter que cette question puisse être posée. Vous imaginez la plus haute juridiction, celle qui est appelée à se prononcer sur la plus importante des élections, qui « arrange » les comptes de tel ou tel candidat pour lui permettre d’exercer normalement ses fonctions !
Admettons donc que l’on ne puisse contester le suffrage universel une fois qu’il s’est exprimé ! Je le comprends, c’est la sagesse. Faut-il pour autant que les infractions commises ne soient jamais punies ? Faut-il demander à un conseiller général de renoncer à son mandat et le déclarer inéligible pendant un an parce qu’il n’aura pas, à tort, imputé telle dépense sur son compte de campagne ou qu’il aura utilisé la voiture du conseil général pour faire une tournée électorale et, dans le même temps, décider que celui qui est élu à la plus haute charge de l’État n’encourra aucune autre sanction qu’une éventuelle réduction des remboursements qui lui seront versés par l’État quand bien même il aurait abusé des moyens mis à sa disposition, qu’il aurait bénéficié de financements illégaux, comme on a pu le craindre quand certaines affaires ont été relatées dans les médias ?
Voler un œuf, c’est la prison ! Voler un bœuf, c’est l’absolution ! Ce n’est pas acceptable dans la République qui est la nôtre et pour une élection aussi importante.
Quelle est, à cet égard, la proposition de la commission, sur l’initiative de M. Collombat ? Dans le cadre des nouvelles dispositions qui prévoient la mise en cause de la responsabilité du chef de l’État devant nos assemblées pour manquement grave aux devoirs de sa charge, la procédure peut s’engager sur la base du constat d’une infraction par la Commission nationale des comptes de campagne.
Si, bien après l’élection du Président de la République, il s’avère que des infractions de cette nature ont été commises par celui qui occupe la plus haute fonction de l’État, il est normal que les deux assemblées s’en saisissent et qu’elles décident souverainement, librement, selon les règles que nous avons débattues et dont nous débattrons à nouveau bientôt concernant cette mise en cause, de la suite à donner auxdites infractions.
C’est bien le moins de faire en sorte que, sur des sujets de cette importance, le couvercle ne soit pas mis et que, au contraire, le débat soit entièrement ouvert !
Si nous avons simplement le souci de protéger la République, allons-nous, les uns et les autres, nous satisfaire de ce que certains candidats, de quelque couleur politique qu’ils aient été, aient pu, par le passé, être soupçonnés de financer leur campagne soit à partir de commissions versées illégalement au titre de certains marchés, soit grâce à des fonds qui leur auraient été fournis par des gouvernements étrangers ? Quelle serait la liberté d’un chef de l’État élu dans ces conditions lorsqu’il aurait à défendre les intérêts de la France ? Comment pourrait-il faire la leçon à des chefs d’État étrangers au nom des valeurs que nous défendons ? En vérité, il serait contraint au silence parce que son élection aurait, en quelque sorte, été « achetée » ! Peut-on accepter cela ? Est-ce l’intérêt du pays que d’y consentir ? Cela ne s’est-il pas déjà produit ? Je n’en sais rien ! Mais nous devons avoir la garantie que cela ne pourra pas se produire à l’avenir ou que, si cela devait se produire, nous le saurions et nous pourrions le sanctionner.
Tel est l’esprit dans lequel nous nous sommes situés par rapport à ce projet de loi organique.
Dès lors que vous avez convoqué le Sénat et l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, il était normal que nous posions ces questions. Il aurait même été anormal que nous ne le fassions pas, « que nous ne le fissions pas », dirait M. Sueur ! §
Si j’ai souhaité reprendre nos différentes propositions et ouvrir une nouvelle discussion, c’est qu’il me semble que l’on ne peut pas regarder cette question par le petit bout de la lorgnette, d’autant que l’économie que vous nous promettez ne sera probablement pas au rendez-vous. Vous avez évoqué les 3 ou 4 millions d’euros qui seraient ainsi épargnés. C’est même, paraît-il, la seule justification du texte ! Nous nous en sommes expliqués : non seulement la somme est dérisoire – je dis cela sans ignorer le fait que c’est beaucoup d’argent pour chacun de nos concitoyens –, mais, en plus, elle n’est pas garantie puisque ces crédits ne sont pas limitatifs. Il suffit que le nombre de candidats soit plus important cette fois-ci qu’il ne l’a été la dernière fois – ce qui nous ramène au débat sur les signatures – pour que tout ou partie de cette économie s’envole.
La proposition que nous faisons me paraît, sur le plan des finances publiques comme sur celui de la justice, beaucoup plus satisfaisante. Nous proposons en effet que le remboursement soit proportionnel aux voix obtenues ; nul ne peut en contester le bien-fondé d’une telle solution, car elle découle d’un principe fondamentalement démocratique, s’agissant d’une élection présidentielle. Cette mesure supprimerait les injustices créées par les effets de seuil que j’ai évoqués en première lecture et elle garantirait en outre que l’État ne dépensera pas plus qu’il ne le souhaite.
Aujourd’hui, vous nous dites que cette campagne ne va coûter que 41 millions ou 42 millions d’euros. Nous n’en avons aucunement la certitude ! Non seulement le dispositif que propose le Sénat introduit plus de justice, mais il vous permet, monsieur le ministre, de vous prévaloir auprès de Mme la ministre du budget d’avoir réussi à réaliser une économie de 3 ou 4 millions d’euros dont elle a bien besoin pour couvrir les quelques dizaines de milliards d’euros du déficit de l’État ! Et cette économie, vous l’aurez obtenue grâce à la majorité sénatoriale, qui s’est montrée particulièrement coopérative pour faire faire des économies au budget de l’État, alors qu’on nous reproche parfois d’être trop inconscients pour agir en ce sens !
Telles sont nos propositions. Elles nous paraissent inspirées par le simple bon sens. Et, connaissant votre propre bon sens, monsieur le ministre, je sais que vous ne les rejetterez qu’au nom d’instructions plus fortes, et aussi parce que nos idées dérangent. Elles dérangent le Gouvernement, qui espérait voir ce débat se dérouler dans la quiétude. Elles dérangent le Président de la République. En effet, faute d’avoir conçu une campagne au financement d’une grande transparence, il ne peut qu’être gêné qu’on veuille y introduire cette grande transparence ! Il n’envisageait pas du tout les choses ainsi !
D’ailleurs, qu’il tarde tant à déclarer sa candidature montre bien quelle confusion règne. Il faut en sortir !