Intervention de Michel Delebarre

Réunion du 31 janvier 2012 à 14h30
Remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Michel DelebarreMichel Delebarre :

J’en conviens, ce n’est pas réellement une nouveauté. Tout au long des législatures, c’est même un rythme assez classique d’examen de différents textes. Durant les premiers mois, et c’est normal, la majorité tout juste élue veut avancer à marche forcée pour concrétiser ses engagements de campagne ; dans les derniers mois, le Gouvernement veut boucler, voire bâcler, des chantiers ouverts ou les sujets qu’il a pu délaisser.

Je ne reviens pas sur la principale disposition du texte, suffisamment abordée et qui consiste à économiser quelque 3, 7 millions d’euros. Je rappelle que le coût de l’élection présidentielle s’élève à environ 220 millions d’euros. Chacun pourra apprécier l’ampleur du gain espéré, que l’on me permettra cependant de considérer comme assez symbolique au regard d’un déficit public cumulé de 1 600 milliards d’euros. Je rappelle aussi que cette somme de 220 millions d’euros correspond à une dépense de moins de 6 euros par électeur. En tout état de cause, les économies réelles ne pourront être évaluées qu’après l’élection, puisqu’elles sont largement fonction du nombre de candidats.

En outre, comme je l’avais indiqué lors de l’examen du texte en première lecture dans notre assemblée, il convient de comparer l’économie attendue par l’adoption de ce projet de loi organique avec les mesures autrement plus hasardeuses décidées par le chef de l’État.

J’ai ainsi en tête l’allègement de l’impôt sur la fortune de 1, 5 milliard d’euros mis en œuvre par le Gouvernement au mois de juillet dernier, ou encore les conséquences de la fameuse loi TEPA, sur lesquelles je ne reviendrai pas.

L’essentiel, aujourd’hui, est ailleurs. La brièveté, pour ne pas dire la fulgurance, avec laquelle s’est déroulée la commission mixte paritaire est révélatrice de l’entêtement du Gouvernement et de la majorité à l’Assemblée nationale à refuser de jeter les bases d’une démocratie renouvelée.

Le travail qu’avait réalisé notre collègue Gaëtan Gorce en première lecture était pourtant remarquable ; il le demeure d'ailleurs en nouvelle lecture, puisqu’il n’a été ni contesté ni détruit. Ce travail permettait de mettre fin à cette étrangeté bien française – cela a été rappelé –, selon laquelle le cadre législatif et réglementaire applicable aux élections présidentielles est moins rigoureux que celui qui s’applique aux élections cantonales. Il visait non seulement à en finir avec les pratiques discutables auxquelles peuvent se livrer certains candidats, mais aussi à inviter le Conseil constitutionnel à revenir sur sa jurisprudence et à appliquer des sanctions financières si, par exemple, il constate qu’un candidat a reçu des dons de personnes morales.

Le texte adopté en première lecture par le Sénat comblait également une lacune de notre appareil normatif. En effet, l’élection présidentielle est la seule élection pour laquelle le non-respect des règles relatives au financement n’est pas sanctionné autrement que par une « réadaptation » – j’utiliserai ce terme – du montant du remboursement. Cette spécificité n’est plus acceptable dans une démocratie moderne : les citoyens n’acceptent plus – ils ont raison – les confusions ou les collusions, dont les affaires Karachi ou Bettencourt, qu’ils ont pu suivre dans les journaux ou à la télévision, ont encore fourni des exemples.

Je tiens à féliciter notre rapporteur, qui a réaffirmé sa volonté de voir rétabli le texte voté en première lecture par le Sénat. On ne peut que lui en donner acte, alors que la confusion s’installe durablement sur la nature des déplacements du chef de l’État, qui, à n’en pas douter, sera candidat à sa réélection.

Lorsque la présidence de la République est interrogée sur la nature de ces dépenses, elle se borne à répondre que les éléments d’information figureront dans le prochain rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de l’Élysée. Sans dévaloriser l’excellent travail des magistrats financiers, l’argument est un peu court. Il ne saurait y avoir un tel décalage entre l’événement et la communication de ses modalités d’organisation dans la démocratie renouvelée que nous appelons de nos vœux.

Les multiples zones d’ombre, s'agissant par exemple de la participation du ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales au financement des déplacements en province du chef de l’État, sont regrettables, d’autant que les villes traversées se retrouvent bien souvent dans un véritable état de siège.

Bien sûr, nul ne songerait à remettre en cause la nécessité d’assurer la protection du chef de l’État. Mais nous dénonçons l’utilisation abusive des moyens publics pour des déplacements qui s’apparentent davantage à une tournée électorale qu’à une visite présidentielle ; Mme Assassi a également donné des exemples concernant d’autres membres du Gouvernement. Nicolas Sarkozy se sera ainsi déplacé près de soixante-quinze fois en province en 2011, contre seulement quarante-cinq en 2010 ; nous nous interrogeons sur ce soudain emballement de la machine présidentielle...

En tout état de cause, le Sénat s’honorera s’il rétablit le texte voté en première lecture. Il permet de jeter les bases d’une démocratie respectueuse des citoyens et des deniers publics.

Le Gouvernement considérait son texte comme ambitieux, ou du moins comme totalement justifié. Nous pensons au contraire qu’il convient d’en faire un symbole des différences qui existent au sein de la représentation nationale. Certes, l’Assemblée nationale aura sans doute le dernier mot, selon la volonté du Gouvernement. Mais nous ne doutons pas que le travail réalisé par le Sénat trouvera un large écho dans les mois qui viennent, à l’approche des échéances qui attendent le pays.

Je voudrais enfin, monsieur le ministre, vous faire une dernière suggestion, que vous pourriez transmettre aux personnes directement concernées.

Étant député…

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