Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 31 janvier 2012 à 22h00
Exécution des peines — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’occasion est venue de discuter, dix ans après la loi Perben, de la modernisation de notre politique pénale ; le présent projet de loi fixe les objectifs relatifs à l’exécution des peines pour la période 2013-2017.

Vous nous proposez, monsieur le garde des sceaux, une réforme de fond, sur le long terme, qui privilégie trois axes, trois objectifs.

Le premier objectif est de garantir l’effectivité de l’exécution des peines, en réduisant le délai entre le prononcé et l’exécution.

Le deuxième objectif s’inscrit dans une stratégie de prévention de la récidive, passant, d’une part, par l’instauration d’outils innovants et performants pour l’évaluation des profils des condamnés et la prise en charge des délinquants, d’autre part, par l’allocation de moyens supplémentaires aux services pénitentiaires.

Troisième objectif enfin, l’accent doit être mis sur la jeunesse et la prise en charge plus rapide des mineurs délinquants.

Vous formulez ainsi des propositions pertinentes et constructives et nous présentez un ensemble de mesures assorties de moyens importants. Je le redis, l’importance de l’effort financier qui va être consenti en faveur de la justice nous donne satisfaction.

Sont ainsi programmés plus de 3, 6 milliards d’euros, qui seront consacrés à la création de près de 7 000 postes, dont 6 000 postes de surveillant de prison, 210 d’éducateur, 120 de juge de l’application des peines, ainsi que des postes de conseiller d’insertion et de probation, de psychologue et de psychiatre.

Ces crédits permettront, vous l’avez rappelé, la généralisation des bureaux d’exécution des peines, lesquels ont démontré leur pertinence et leur efficacité, ainsi que la mise en place de nouveaux bureaux d’aide aux victimes.

Mes chers collègues, vous le savez, de récents faits divers ont mis en évidence des dysfonctionnements, et parfois des lacunes, dans notre système judiciaire et pénitentiaire ; c’est précisément pourquoi ce texte programmatique est utile. Nous devons en permanence non seulement agir, bien sûr, mais aussi innover.

Nous devons agir pour les victimes, qui souhaitent que les condamnations soient rapidement et véritablement suivies d’effets. Combien d’entre nous, professionnels du droit, ont vu des victimes découvrir que la peine prononcée à l’audience n’avait pas été appliquée dans un délai rapide, voire pas appliquée du tout ?... Où est l’exemplarité de la sanction quand la décision judiciaire est à ce point galvaudée ?

Nous devons agir pour que les condamnés comprennent la portée de leur sanction, qui ne saurait demeurer virtuelle, mais aussi pour que la peine leur soit mieux adaptée.

Pour être efficace, crédible, dissuasive, la sanction pénale doit être certaine et rapide. L’objet même de la sanction est la dissuasion en amont. Or, si l’on sait par avance que les sanctions prononcées par un tribunal ne sont que virtuelles ou peu appliquées, que même les peines d’emprisonnement ne sont pas ou partiellement exécutées, il n’existe plus aucune limite.

Pour être efficace, la justice doit être comprise. Or les Français ne comprennent pas que les décisions ne soient pas exécutées dans un délai raisonnable, et cela même si – est-il besoin de le dire ? – nos magistrats accomplissent un travail considérable.

Vous nous avez cependant rappelé de manière encourageante, monsieur le garde des sceaux, que le nombre de peines de prison ferme non exécutées est passé de 100 000 à la fin de 2010 à 85 600 à la fin juin de 2011 et que l’on pouvait espérer qu’il soit ramené à 35 000 en 2017.

Légiférer sur l’exécution des peines, c’est s’intéresser à ce qui se passe dans la prison, mais aussi à ce qui se passe en dehors. C’est s’assurer que la violence, la détresse et les troubles psychologiques des détenus sont pris en charge, que les citoyens sont libres de mener leur vie en toute sécurité et ne sont pas lésés de leur droit à la sûreté. L’État doit être le garant des valeurs républicaines à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons : nous ne saurions nous en remettre à une quelconque fatalité.

Si la prise en charge des détenus s’améliore au sein du milieu carcéral, la récidive ne pourra que diminuer.

Si la justice punit, elle permet surtout au condamné de « payer sa dette à la société », ce qui ne peut être effectif que si la sanction s’applique, et celle-ci ne peut s’appliquer que si le lieu de la sanction lui-même existe.

La France ne saurait faire abstraction des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Comment appliquer le droit si la prison elle-même devient une zone de non-droit ?

Notre pays a déjà lancé de nombreuses réformes, notamment avec la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Nos valeurs républicaines nous imposent de soigner ceux qui ont besoin de soins en améliorant les diagnostics et les expertises psychiatriques, à tous les stades de la procédure judiciaire.

Elles nous imposent également de favoriser la resocialisation de ceux qui ont la capacité et, surtout, la volonté de revenir à la vie civile en faisant en sorte qu’ils puissent maintenir des liens familiaux et grâce à la réinsertion par le travail.

Pour donner plus de sens à la peine, nous avons développé des mesures d’aménagement qui permettent une réinsertion progressive, comme la surveillance électronique de fin de peine, c'est-à-dire le placement du condamné sous bracelet électronique pendant les six derniers mois de sa détention.

Prendre conscience de l’ampleur de la tâche de l’administration pénitentiaire est également un élément extrêmement important.

Le projet de loi, monsieur le garde des sceaux, permettra d’augmenter notre parc pénitentiaire à la hauteur des besoins qui sont les nôtres, et cela en vue de renforcer les moyens des services de l’exécution et de l’application des peines.

Une des mesures essentielles de ce texte consiste ainsi à porter à 80 000 le nombre de places de prison à l’horizon 2017. À cet effet, vous proposez de construire dans les cinq prochaines années 24 000 places de prison supplémentaires, dont près de 6 000 seront réservées aux courtes peines, au sein de quartiers ou d’établissements spécifiques adaptés à la dangerosité des détenus.

Cette proposition était très attendue. Rappelons en effet que la France est l’un des pays d’Europe qui disposent de la capacité carcérale la plus faible. Il est incontestable, quel que soit le regard que l’on porte sur l’emprisonnement, que l’extension du parc pénitentiaire est nécessaire : la justice prononce, en application de la loi, des peines, peines que notre pays doit être en mesure de mettre correctement à exécution.

L’extension du parc pénitentiaire doit s’accompagner de sa diversification. À l’évidence, placer des détenus aux profils très éloignés dans les mêmes établissements ou cellules ne comporte que des aspects négatifs : c’est coûteux, improductif, voire dangereux.

La question de la diversification m’amène au sujet sensible des troubles psychiatriques, sujet qui ne peut plus être ignoré ou minoré.

Le taux de récidive dépend largement du diagnostic psychiatrique initial du détenu. C'est la raison pour laquelle vous avez souhaité, monsieur le garde des sceaux, développer l’évaluation de la dangerosité des détenus en amont puis à toutes les étapes du parcours carcéral par un suivi psychiatrique lui-même renforcé. Sur ce point encore, le texte est pertinent.

La nouveauté réside également dans la construction de trois nouveaux centres d’évaluation qui permettront aux détenus d’être envoyés dans des prisons qui leur sont adaptées.

Cette adaptation du milieu carcéral aux spécificités des détenus se justifie surtout à l’égard des délinquants sexuels, pour lesquels plus de moyens et plus de prévention sont de rigueur.

La question du traitement de la délinquance sexuelle est importante en ce qu’elle ne concerne pas que le détenu : les pouvoirs publics ont à cet égard une responsabilité envers la société.

Les pouvoirs publics s’engageront, vous l’avez rappelé, à rendre la profession d’expert en psychiatrie plus attractive pour mobiliser les moyens nécessaires à l’élaboration de cette politique pénale. Chaque maillon de la chaîne pénale pourra ainsi connaître le dossier du patient et mieux appréhender la situation. Cette communication est essentielle.

Enfin, la spécificité de la justice des mineurs ne pouvait être ignorée. S’atteler à répondre à la délinquance des mineurs, c’est aussi lutter contre la fatalité, contre un destin déjà tout tracé.

Si l’ordonnance de 1945 reste la référence en la matière, son texte ne saurait rester figé lorsque la société évolue et qu’évolue, en même temps qu’elle – c’est une lapalissade ! –, la jeunesse. Le droit se doit de suivre les changements sociologiques et sociétaux. La justice pénale ne peut l’ignorer, tant elle doit évoluer avec son temps et s’adapter précisément aux nouveaux profils des délinquants.

La rapidité de l’application de la sanction dès son prononcé est la clé dans une société où l’immédiateté devient la norme. Vous proposez, monsieur le garde des sceaux, un délai de cinq jours maximum après la décision du juge, avec un suivi éducatif immédiat ; nous ne pouvons que vous suivre.

La diversification de la réponse pénale dans la prise en charge des mineurs est un principe, comme en témoigne la création, en 2002, des centres éducatifs fermés. Nous considérons que la construction de nouveaux centres du même type est une nécessité, car il faut pouvoir continuer dans cette voie.

La diversification de la réponse pénale à la délinquance des mineurs passe aussi par le recours au service citoyen dans le cadre d’un établissement public d’insertion de la défense pour les mineurs ayant commis les délits les moins graves, formule dont l’efficacité a été largement prouvée.

Ces réponses ont avant tout vocation à aider les jeunes en grande difficulté. L’objectif est de faire comprendre à ces derniers que la délinquance – ce choix qu’ils ont fait, volontairement ou non – ne les enferme pas dans une voie sans issue, pas plus qu’elle ne constitue une solution, mais que la société leur offre des opportunités qu’ils doivent saisir.

Pour toutes ces raisons, nous soutenons le choix de mettre l’accent sur le traitement de la délinquance des mineurs. Cependant, n’oublions pas de déployer des moyens à la hauteur de cet enjeu majeur qu’est l’avenir de notre jeunesse.

C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, le groupe UMP soutiendra le texte que vous venez de présenter devant la Haute Assemblée. Ce projet de loi de programmation revêt une dimension structurelle : il s’inscrit dans la continuité du travail mené depuis plusieurs années, le complète, propose des adaptations et tient compte de la situation, celle qui s’impose à nous et non celle dont nous rêvons. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion