Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez-en convaincus, la deuxième édition des Assises de la simplification, que j’ai organisée au mois de décembre, a permis de faire émerger de nouvelles propositions et d’évaluer les avancées obtenues en un an.
Je peux aujourd’hui vous le dire, le bilan est positif et à la hauteur de la mobilisation qui est la nôtre : les 80 mesures annoncées le 29 avril 2011 ont été activement mises en œuvre, puisque 73 % d’entre elles sont déjà appliquées ou devraient l’être, conformément au calendrier prévu. Il ne faut donc pas s’arrêter en si bon chemin. Car simplifier la vie des entrepreneurs en prenant des mesures concrètes en leur faveur, c'est-à-dire en faveur du travail et de l’emploi, c’est aussi leur permettre de réaliser des économies considérables. Celles qui avaient été retenues dans le cadre des Assises de la simplification, ont été chiffrées par un cabinet indépendant, Ernst & Young, à un milliard d’euros. Cela répond directement à l’« objectif croissance » que je me suis fixé comme priorité : il s’agit d’adopter des dispositions efficaces et rapides pour obtenir des résultats tangibles, qui bénéficient à nos entreprises, à l’emploi et au pouvoir d’achat des salariés.
Au-delà même de ce constat chiffré, il me semble indispensable de restaurer la confiance entre les entrepreneurs et l’État. Ce dernier ne doit plus être perçu comme un adversaire ou, au mieux, un élément bloquant : il doit devenir un partenaire. Je vous rappelle que 90 % des entrepreneurs jugent la charge administrative contraignante ou très contraignante. C’est en restaurant une relation de confiance entre les acteurs économiques et les pouvoirs publics que nous construirons une croissance durable pour la France. Je crois d’ailleurs que le temps politique et le temps économique exigent – ce n’est pas un choix, mais un devoir – d’agir en ce sens.
Nous devons montrer que l’État est déterminé à « penser entreprise », et un état qui « pense entreprise », ce sont des formulaires moins compliqués, l’accès à plus d’information, des interlocuteurs clairement identifiés et une réglementation plus stable. Au cours des Assises de la simplification, j’ai pu constater à quel point l’attente est forte en la matière. Nous n’avons pas le droit de la décevoir.
Évoquer les remontées du terrain me conduit logiquement à rappeler la méthode mise en œuvre pour élaborer les mesures prévues dans cette proposition de loi. Jusqu’ici, tous ceux qui ont travaillé sur ce grand chantier de la simplification ont été à la hauteur des enjeux. La méthode du Gouvernement et celle de M. Jean-Luc Warsmann se sont en effet renforcées l’une l’autre. J’aurais souhaité, monsieur le président de la commission des lois, que la confrontation de nos deux points de vue consolide également les dispositifs élaborés, car le sujet dépasse la traditionnelle opposition entre la droite et la gauche. Je regrette, je le redis, que vous ayez fait le choix de refuser le débat.
J’évoquerai d’abord les Assises de la simplification : avec un correspondant PME par département, 574 entreprises visitées par ces correspondants, soit autant d’« entretiens simplification », 22 réunions régionales et 700 propositions recueillies, ces assises ont permis de faire remonter du terrain des attentes concrètes et précises.
Cette proposition de loi ne sort donc pas des tiroirs de l’administration française ; elle provient directement du terrain, des acteurs économiques eux-mêmes, des informations recueillies dans les différents entrepôts et magasins.
Je tiens aussi à dire quelques mots au sujet de la méthode utilisée par M. Jean-Luc Warsmann. Avec un comité de pilotage particulièrement actif, près de 70 auditions conduites auprès des organisations professionnelles, des journées régionales et des réunions thématiques, le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale a mené un travail de fond, pour coller au plus près des attentes des entrepreneurs. Je le redis, parce que ce n’est pas si courant, c’est main dans la main, en phase avec le terrain, sans préjugé politique et selon une démarche de dialogue que nous avons travaillé sur le chantier de la simplification du droit et d’allégement des démarches administratives.
Tout cela démontre que le sujet devrait dépasser les clivages partisans et les batailles idéologiques. Dans un tel contexte, je le redis pour la troisième fois, je regrette profondément la position adoptée par la commission des lois du Sénat. Les mesures de simplification figurant dans cette proposition de loi sont attendues par les entreprises et les salariés de notre pays : elles méritent sans aucun doute un débat à la hauteur des enjeux, loin d’une posture qui m’apparaît en réalité partisane.
J’en veux pour preuve la position du rapporteur et des différents rapporteurs pour avis, qui s’accordent unanimement pour reconnaître les avancées très positives contenues dans ce texte. En outre, la critique centrale que l’on entend porter sur ce texte, le qualifiant de « fourre-tout législatif », ne me paraît pas fondée. Elle découle selon moi d’une erreur d’appréciation et, permettez-moi de vous le dire, est en parfait décalage avec les difficultés que rencontrent quotidiennement les entrepreneurs.
En effet, pourquoi ces derniers seraient-ils les seuls à devoir affronter toutes les réalités du droit ? Pourquoi seraient-ils les seuls à devoir jongler entre le code de commerce, le code de l’environnement et les complexités liées à un changement de capital ou encore à un déménagement ? Pourquoi seraient-ils les seuls à devoir faire face un tel empilement de règles ? Rien ne le justifie ! Loin d’être un fourre-tout législatif, ce texte traduit la variété des sujets auxquels sont confrontées nos entreprises et qu’il nous revient, à nous, Gouvernement, et à vous, Parlement, d’avoir l’ambition de simplifier.
Selon les propos de Philippe Bas, cités dans le rapport de la commission des lois : « Il n’est pas de texte de simplification administrative qui ne soit hétéroclite. […] On ne va pas porter 94 projets de loi, modifiant chacun un article d’une loi ou un code. » Ce serait totalement contre-productif et à l’opposé d’une volonté de simplification du droit.
De plus, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez tous, s’il existe un « mal français », c’est bien l’inflation législative, porteuse d’insécurité juridique pour les acteurs économiques. Je n’accuse ni la droite ni la gauche, ce travers national ne datant pas d’hier. Le Gouvernement tente d’apporter enfin à ce problème une réponse adaptée et conforme aux attentes de nos concitoyens.
Je le rappelle, dès 1844, l’homme politique et spécialiste du droit Louis Marie de Lahaye Cormenin dénonçait dans un pamphlet intitulé La Légomanie l’étrange tropisme français qui consiste à inventer sans cesse de nouvelles lois. Simplifier, c’est aussi être capable de proposer un seul texte, qui résolve, une fois pour toutes, un maximum de problèmes.
Tel est exactement l’objet de cette proposition de loi, que l’Assemblée nationale a enrichie de nombreux amendements issus de tous ses bancs. J’aurais souhaité qu’il puisse en être de même lors de son examen par la Haute Assemblée. En effet, dans les différents rapports sénatoriaux rédigés sur ce texte, j’ai relevé de nombreuses propositions.
Je vous le dis sans ambages : si nous n’allions pas au bout de ce chantier, les déceptions seraient immenses, à la hauteur des espoirs qu’a suscités la démarche entreprise. Nous briserions un cercle vertueux, celui de la confiance retrouvée entre les acteurs économiques et les pouvoirs publics. Les entrepreneurs veulent être libérés du fardeau administratif qui pèse sur eux. Ils ne peuvent être les otages de divisions partisanes, même à quelques mois d’échéances électorales essentielles.
Refuser de débattre des articles de ce texte serait en décalage absolu avec la méthode que vous avez suivie. À l’instar de M. Jean-Luc Warsmann, vous avez mené des auditions, ce dont je vous remercie, pour saisir la réalité du terrain. Vous êtes arrivés à des conclusions similaires quant à la nécessité d’agir. Pourquoi faire soudain machine arrière, monsieur le président Sueur ?
Votre position est difficile à comprendre, surtout ici, au Sénat, une institution garante de l’intérêt général et du consensus républicain, familière d’un travail en profondeur sur les textes. Votre décision me semble d’autant plus regrettable que la majorité des mesures prévues offre des solutions pragmatiques aux acteurs économiques, en conformité avec leurs aspirations et leurs besoins. Elles font consensus dans le monde de l’entreprise et, plus généralement, dans l’ensemble de la société. Certaines d’entre elles facilitent aussi bien la vie du chef d’entreprise que celle des employés. Je ne vous citerai que trois exemples, absolument emblématiques de l’utilité des dispositions envisagées.
Il s’agit d’abord de la simplification du bulletin de paye. Admettons-le ensemble, plus personne n’est en mesure de comprendre les informations qui y sont contenues ! Lors de mes visites dans les usines et les ateliers, j’ai pu constater qu’autant les patrons que les salariés étaient dépassés par la complexité de ce document. De nombreuses promesses ont été faites en la matière, par des hommes et femmes politiques de gauche comme de droite. Grâce à l’article 44 de cette proposition de loi, une réponse est enfin apportée pour diviser le nombre de lignes du bulletin de paye et rendre ses informations intelligibles.
Il s’agit ensuite de l’« armoire numérique sécurisée », parfois nommée « coffre-fort numérique », qui découle de la même logique, celle du bon sens. Elle permettra au chef d’entreprise, lequel remplit aujourd’hui quelque 70 déclarations, de fournir une fois pour toutes les informations qu’il doit transmettre à l’ensemble des administrations concernées. Le gain de temps et d’argent, vous vous en doutez, est considérable. Là encore, vous prenez la responsabilité de ne pas discuter de ce dispositif.
Il s’agit, enfin, de l’amélioration du dispositif du rescrit en matière sociale, autre mesure phare portée par cette proposition de loi.
Je me suis battu en faveur de cette procédure, qui permet à l’entreprise de connaître la position de l’administration sur les questions qu’elle lui soumet. Chacun ici connaît les difficultés soulevées en la matière. J’ai été heureux d’entendre de la bouche des représentants des artisans – je parle sous le contrôle d’André Reichardt –, que le dispositif proposé permet d’améliorer le RSI, le régime social des indépendants. Mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, vous aviez saisi le Gouvernement de cette question. Après ma nomination, j’avais immédiatement engagé un travail destiné à dépasser les difficultés. Tel est visiblement le cas aujourd’hui.
Grâce à l’article 36 de ce texte, l’extension du champ du rescrit social à de nouveaux domaines tels que les règles de déclaration et de paiement des cotisations de sécurité sociale est désormais possible. De même, cet article introduit la possibilité de mise en œuvre de décisions tacites. Cela permet un développement significatif du recours à cette procédure, donc des échanges entre les entreprises et l’administration. La proposition de loi contribuera ainsi – je le dis parce que c’est important pour les acteurs économiques – à une sécurisation absolument indispensable du droit social.
Là encore, il s’agit d’instaurer un cercle vertueux et une logique de confiance entre les pouvoirs publics et les acteurs économiques. Vous le savez, je ne refuse jamais le débat. Au mois de décembre dernier, j’ai d’ailleurs montré à quel point j’étais ouvert, en acceptant un grand nombre d’amendements, quelle que soit leur origine, dans la mesure où ils visaient à améliorer la situation des consommateurs. Les sénateurs présents lors de l’examen du texte renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs peuvent en témoigner.
Ma méthode repose en effet sur le dialogue, qu’il ait lieu avant la rédaction du texte, pendant son examen ou après son adoption, afin de corriger d’éventuelles erreurs.
C’est donc avec une grande frustration que j’aborde la discussion de la proposition de loi. En effet, à la lecture des différents rapports, j’avais espéré que nous pourrions aller au cœur du sujet et examiner les amendements que, sans doute, les uns et les autres, vous auriez à cœur de défendre. Il y va de l’avenir des entreprises et de la croissance dans notre pays qui, comme l’Europe et le monde entier, affronte depuis trois ans une crise multiforme qui se perpétue, créant difficultés et inquiétudes.
En pareilles circonstances, je considère que nous n’avons pas le droit – et je mesure mes paroles – de prendre, en adoptant une attitude partisane, la responsabilité de laisser sur le bord de la route des acteurs économiques en attente de solutions concrètes. Il me semble au contraire que toutes les bonnes idées, d’où qu’elles viennent, doivent être prises en considération.
C’est pourquoi, monsieur le président Sueur, je vous demande de revenir sur cette erreur d’appréciation ; même si je vous vois sourire, je suis convaincu qu’il en est encore temps…
Si je mets tant d’énergie à essayer de vous convaincre, c’est parce que les acteurs économiques, sur une question de cette importance, attendent que le Sénat mène un débat digne de ce nom !
Il est encore temps pour nous d’avoir un débat riche, qui améliore la proposition de loi sur certains sujets, d’ailleurs soulevés dans le rapport de M. Michel. Je pense par exemple à la dépénalisation du droit des affaires, à propos de laquelle M. le rapporteur juge plus pertinentes, pour certaines infractions, les évolutions proposées par le groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon.
Pour ma part, je considère que l’article 90 bis de la proposition de loi, relatif aux délais de paiement – une question dont nous avons déjà débattu dans cet hémicycle – pourrait également faire l’objet d’améliorations allant dans le sens souhaité par M. le rapporteur : un encadrement plus fort des dispositifs dérogatoires.
D’autres sujets mériteraient encore d’être abordés. Par exemple, M. Reichardt a proposé des éléments de définition du métier d’artisan, qui apporteraient à la loi une clarification manifeste. Le rapport qu’il m’a remis contient des propositions auxquelles le Gouvernement est favorable. Elles sont attendues par des centaines de milliers d’artisans qui accordent une très grande importance à cette question. Et nous manquerions aujourd’hui l’occasion de les introduire dans la loi ?
Monsieur le président Sueur, si nous pouvions mener ce débat et engager la discussion des mesures concrètes, je crois vraiment que nous ferions œuvre utile pour le pays !
De même, la notion de professionnel libéral n’est pas définie par la loi. Pourtant, il s’agit d’hommes et de femmes qui, partout en France, exercent leur métier avec passion. Chacun sait qu’ils remplissent des fonctions essentielles pour les citoyens et les acteurs économiques et qu’ils contribuent au renforcement du lien social dans notre pays.
Monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi nous offre l’occasion de fixer enfin cette notion, afin qu’elle ne varie plus selon le domaine du droit dans lequel on l’utilise. Les professionnels libéraux en font la demande avec force et, il y a quelques semaines, à l’occasion d’une rencontre avec eux, le Président de la République a réaffirmé sa volonté de les exaucer.
À l’heure où notre pays demeure durement frappé par les effets d’une crise sans précédent depuis la déroute boursière des années trente, nous ne pouvons pas refuser d’accompagner les forces économiques de notre pays.
Je le répète avec beaucoup de solennité : tous, que nous soyons de gauche ou de droite, nous avons le devoir de répondre aux attentes des acteurs économiques qui se battent au quotidien contre la crise.
C’est pourquoi je renouvelle, avec beaucoup d’insistance, la demande que j’ai faite à la commission des lois de modifier sa position. Ce débat est attendu par nos compatriotes et les acteurs économiques ; il est bon pour la croissance, le travail et les emplois en France. Menons-le !