Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 10 janvier 2012 à 14h30
Simplification du droit et allègement des démarches administratives — Rejet d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme elle l’avait fait lors de l’examen des précédents textes de simplification du droit, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis de la quarantaine d’articles de la présente proposition de loi qui entrent dans son champ de compétences.

Ces articles abordent des questions variées, qui relèvent essentiellement du domaine du droit du travail et du droit de la sécurité sociale.

Je remercie la commission des lois, et en particulier son rapporteur, Jean-Pierre Michel, d’avoir fait confiance à notre commission et à son rapporteur pour avis pour étudier ces différentes dispositions.

Je remercie également la présidente Annie David et mes collègues de la majorité sénatoriale de m’avoir désignée comme rapporteur pour avis. Je ne veux croire que l’absence de la plupart d’entre eux cet après-midi soit la traduction d’un certain malaise.

Même si ce texte peut paraître un peu rébarbatif au premier abord, il n’en demeure pas moins important, à l’image des articles dont nous nous sommes saisis. Son examen était donc une première preuve d’ouverture vers l’opposition au sein de notre commission.

Mais l’étude des dispositions de cette proposition de loi et des amendements que je proposais de déposer ne nous aura, à vrai dire, pas occupés très longtemps : la commission des affaires sociales a en effet décidé de rejeter, pour des raisons de principe, l’ensemble des articles qui lui étaient soumis, sans entrer dans le détail de chacune des mesures proposées et sans même attendre que la commission des lois vote la question préalable.

Fidèle rapporteur, je tiens à rappeler les raisons qui ont motivé le rejet de ce texte par la majorité sénatoriale.

Celle-ci a fait valoir que l’ensemble du texte contenait des mesures extrêmement diverses, voire hétéroclites, ce qui rendait difficile le travail parlementaire. Les précédents rapporteurs ayant déjà explicité ces reproches, je ne ferai que citer certains propos qui ont été tenus à cet égard : « On nous demande d’approuver à la va-vite, en passant sans cesse d’un sujet à l’autre, des dispositions sur lesquelles nous manquons de recul et de vision d’ensemble ; si certaines mesures sont anodines, d’autres mettent en cause les droits des salariés ou la protection de la santé et nécessiteraient donc un examen plus approfondi afin d’en apprécier exactement la portée ». Enfin, la commission a regretté la précipitation avec laquelle ce texte a été soumis au Sénat, qui n’a pas disposé d’un délai suffisant pour effectuer un travail approfondi.

En qualité de rapporteur pour avis, je me devais de vous faire part de la position de la commission, que vous me permettrez de compléter par quelques observations plus personnelles.

Je comprends, certes, les critiques exprimées par la majorité sénatoriale à l’encontre de ce texte : faute de ligne directrice, cette proposition de loi ressemble à un inventaire à la Prévert, et cela complique le travail des parlementaires.

Pour autant, il me semble que les conditions étaient réunies pour procéder à un examen sérieux et approfondi de ce texte puisque, en plus de la commission des lois, pas moins de quatre commissions ont été saisies pour avis.

La répartition des tâches judicieusement organisée par la commission des lois devait permettre au Sénat d’être parfaitement éclairé sur tous les enjeux de ce texte, qui comporte de nombreuses mesures techniques difficiles à appréhender par ceux qui ne sont pas des spécialistes ; mais dans chacune des commissions, il y a des spécialistes. Chaque commission aurait pu mettre à profit son expertise pour apporter à la proposition de loi les améliorations souhaitables.

Ayant une certaine expérience en tant que rapporteur de plusieurs textes – certains m’ont été confiés à la veille des vacances de Noël, d’autres avant l’été – dont l’importance n’est pas négligeable– service minimum dans les transports, fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC, recodification du code du travail par exemple – j’estime que les délais dont nous avons disposé pour travailler n’avaient rien de particulièrement contraignant par rapport à d’autres que j’ai connus.

Le texte a été adopté à l’Assemblée nationale au mois d’octobre 2011, pour un passage en commission au Sénat au mois de décembre et un examen en séance publique en janvier. Le rapporteur de la commission des lois, cela a été rappelé, a accompli un travail très approfondi et procédé à de nombreuses auditions.

Pour ma part, bien que j’aie été désignée au début du mois de décembre, j’ai eu tout le loisir d’organiser des auditions complémentaires, auxquelles j’ai d’ailleurs convié mes collègues. Plusieurs administrateurs de la commission, chacun dans son domaine de spécialité, sont intervenus pour m’aider.

Sur le fond, il ne me semble pas que le texte contienne – tout au moins en matière sociale – des mesures scandaleuses qui justifieraient un rejet en bloc. La plupart des dispositions qui y figurent visent à répondre de manière pragmatique à des problèmes concrets, qui présentent pour certains un caractère d’urgence.

Je regrette sincèrement que le Sénat refuse de se pencher – du fait de l’adoption probable de la motion tendant à opposer la question préalable – sur la mesure relative au temps de travail des titulaires d’un contrat d’engagement éducatif qui doit être signé par tous les animateurs de colonies de vacances. Si la situation juridique n’est pas rapidement clarifiée, l’organisation des prochaines colonies de vacances, au mois de février, et encore plus cet été, sera compromise ; tous les intervenants du secteur nous l’ont dit.

Un amendement, sans doute perfectible, a été adopté à l’Assemblée nationale, après une large concertation, et je regrette que nous n’ayons même pas pu en débattre en commission. Nous sommes les représentants des collectivités locales et chacun de vous, maires ou présidents de conseils généraux, devra assumer le surcoût consécutif à cette situation et les conséquences de la suppression de ces activités de loisirs, indispensables aux jeunes pour les vacances qui viennent.

Toujours sur le fond, j’ai du mal à comprendre comment la commission a pu refuser de se pencher sur un article relatif à « la rupture du contrat de travail en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle ». Tous les syndicats que j’ai consultés – et ils m’ont presque tous répondu – ont plébiscité cet article qui devait permettre d’éviter que des salariés soient privés de ressources pendant plusieurs mois. La proposition de loi permettait à l’assurance chômage de les indemniser plus rapidement. Pour ma part, j’ai du mal à assumer un tel rejet qui, comme c’est le cas du défaut de décision pour les colonies de vacances, concerne les plus faibles.

D’autres articles qui renforcent les droits des salariés auraient également pu faire l’objet d’un large consensus dans notre assemblée.

Ainsi, il était proposé de supprimer la condition d’ancienneté à laquelle est subordonnée l’ouverture du droit à congés payés, ce qui devrait bénéficier aux salariés précaires, aux intérimaires, aux CDD de courte durée.

Il était également proposé de simplifier les conditions auxquels est soumis le paiement des jours fériés chômés dans l’entreprise.

Enfin, il était envisagé de rendre obligatoire la tenue, sans délai, d’une négociation lorsque le salaire minimum conventionnel est inférieur au SMIC.

Toutes ces mesures étaient demandées par les syndicats et me paraissent aller dans le bon sens.

Je considère que le Sénat aurait donc pu sans difficulté approuver au moins ces mesures, qui sont de nature sociale ou qui concernent le droit du travail, tout en en refusant d’autres, et ainsi renoncer à bloquer un système pendant des mois, si ce n’est une année.

En ce qui concerne les entreprises, le texte contenait également des dispositions tout à fait bienvenues, qui visent par exemple à alléger leurs obligations administratives en mettant en place une déclaration sociale nominative unique, à réduire le nombre de lignes sur le bulletin de paie ou encore à développer le recours au rescrit social. Alors que nous déplorons tous l’excès de complexité administrative qui caractérise notre pays, il est dommage de ne pas se saisir de ce sujet lorsque l’occasion nous en est donnée.

Enfin, je ne peux que déplorer que la commission ait renoncé, par sa décision de rejeter les articles en bloc, à la faculté d’enrichir le texte en adoptant des mesures additionnelles.

J’ai pu constater, au cours des auditions auxquelles j’ai procédé, que certaines associations ou organisations représentatives comptaient sur l’examen du texte au Sénat pour faire adopter des mesures techniques, très attendues par les acteurs concernés.

Je pense par exemple à la demande formulée par l’Union nationale pour l’habitat des jeunes. Elle attend depuis des mois qu’une réponse soit apportée aux problèmes qui se posent en matière d’agrément des foyers de jeunes travailleurs. On voit mal dans quel autre texte ce sujet pourrait être abordé, si ce n’est dans cette proposition de loi de simplification du droit, véhicule idéal pour résoudre ces problèmes juridiques ponctuels qui empoisonnent la vie de nos concitoyens. En attendant, des projets de logements des jeunes travailleurs sont bloqués et ne sortiront pas de terre alors que leur financement était assuré. Pourtant, chers collègues de la majorité sénatoriale, je vous sais soucieux des questions de logement.

Enfin, j’aurais proposé à la commission des affaires sociales de prendre une initiative sur la question de la transparence des comptes des comités d’entreprise.

C’est un sujet que je porte depuis plus d’un an, avant même le dépôt du rapport de la Cour des comptes, plus précisément après avoir rencontré, il y a quinze mois, des membres de la société SeaFrance. Depuis quelques jours, les insuffisances de nos procédures légales de contrôle sont devenues publiques.

Je suis heureuse que, à la suite de mes interventions, le ministère du travail ait proposé aux partenaires sociaux d’avancer sur ce dossier et que ceux-ci aient accepté. Les syndicats, qui sont tous soumis à des règles de transparence et de publication, auraient ainsi trouvé une base législative qui leur aurait permis d’aller plus vite.

Le Gouvernement a d’ailleurs déjà engagé la concertation avec eux, et nous aurions pu, nous sénateurs, apporter notre pierre à l’édifice en fixant dans la loi quelques grands principes.

Bref, la décision prise par notre commission présente l’inconvénient de nous priver de toute capacité d’initiative et risque de vider le bicamérisme de son contenu en laissant l’Assemblée nationale totalement libre d’élaborer le texte de son choix.

J’aurais par exemple proposé de rejeter certaines dispositions adoptées par les députés, comme celle qui est relative à l’actualisation du document unique d’évaluation dans les TPE.

Je suis persuadée que l’Assemblée nationale n’aurait pas pu s’opposer à toutes les mesures adoptées sur notre initiative et qu’un certain nombre de nos propositions auraient donc figuré dans le texte définitif.

En conclusion, je tiens à souligner que la démarche de simplification du droit et d’allégement des formalités administratives n’est pas une démarche partisane : depuis une quinzaine d’années, tous les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, se sont attelés à cette tâche. La position adoptée par la commission des affaires sociales ne traduit évidemment pas un rejet de la politique de simplification du droit en tant que telle – nous sommes tous favorables à ce que les règles de droit soient plus stables, plus claires et plus accessibles pour nos concitoyens –, elle résulte d’un désaccord sur la méthode retenue.

Je forme le vœu, en ce début d’année 2012, que nous puissions rapidement surmonter ce désaccord sur la méthode, afin de reprendre ensemble le travail d’amélioration de la qualité du droit qui est dans l’intérêt bien compris de notre pays.

Le texte n’étant pas encore rejeté et espérant, mes chers collègues, vous avoir convaincus au moins sur la partie qui relevait de la compétence de ma commission, j’ai déposé, à titre personnel, les amendements qui me paraissaient les plus importants et que j’aurais souhaité proposer à la commission des affaires sociales.

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