La complexité du droit est une réalité que l’on retrouve légitimement et régulièrement au cœur des préoccupations. Nous savons néanmoins, nous parlementaires, que, si la complexité des textes est croissante, c’est aussi parce que l’inflation normative augmente, et ce depuis longtemps. Mais elle s’accélère depuis quelques années et encore plus ces derniers temps puisqu’on nous annonce encore toutes sortes de textes à venir.
Les professionnels du droit, les élus, les citoyens, partagent probablement tous le constat selon lequel notre droit doit faire face à ce mouvement de complexification et y porter remède. D’ailleurs, le discours le dénonçant s’amplifie évidemment au fur et à mesure de l’inflation législative, à tel point que le Conseil d’État a consacré son rapport public pour 2006 au thème « sécurité juridique et complexité du droit ». On ne peut pas mieux dire !
Malheureusement, il est très regrettable que cette mission de simplification, à laquelle tout le monde pourrait adhérer, n’ait pas été définie et encadrée avec précision. À vrai dire, une stricte délimitation des réels objectifs des lois de simplification nous aurait certainement évité les dérives qu’elles ont toutes connues, le rapporteur de la commission des lois l’a très bien souligné, et nous aurait permis de traiter réellement de cette problématique.
Le titre de la présente proposition de loi– il en allait de même du titre de celles qui l’ont précédée – reflète d’ailleurs toute l’ambiguïté de son contenu. Un petit travail de sémantique nous permet de dire que simplifier c’est « rendre simple, moins compliqué ». Rendre le droit moins compliqué, c’est une idée séduisante politiquement mais plus difficile juridiquement, semble-t-il.
D’abord, comment le droit pourrait-il être simple ? On pourrait s’interroger sur ce point, puisqu’il suppose une étude approfondie de concepts juridiques ; c’est une illusion de croire qu’il puisse être simple. Néanmoins, on pourrait retenir que, derrière cette idée de simplification de la norme, il y a confusion avec le concept juridique de clarté de la norme. La clarté est un caractère reconnu de la loi ; celle-ci doit être claire. Par conséquent, il s’agit de rédiger les textes dans un style et une langue facilement compréhensible. Mais si tel était réellement votre objectif, comme les précédentes, cette proposition de loi le contredit totalement.
En effet, comme les précédentes, puisque nous avons eu une loi de simplification tous les deux ans depuis huit ans, elle contribue à l’inflation normative de manière désorganisée pour ne pas dire bafouée. Elle conduit à annihiler les effets prétendument recherchés et même à exacerber le problème. Ces modifications parcellaires et conjoncturelles non seulement posent des problèmes de cohérence, mais aussi soulèvent, bien entendu, celui de la sécurité juridique en consacrant l’instabilité.
Le rapport du Conseil d’État de 2006 le souligne et met en garde contre ces « mesures effectives de simplification qui s’accompagnent de simples réécritures d’autres dispositions, qui auraient mérité une réflexion de fond plus globale ».
Dans un second temps, en prêtant attention aux dispositions de ces textes comme de ceux qui les ont précédés plutôt qu’aux discours qui les entourent, l’idée de clarté du droit passe aux oubliettes et l’on se rend vite compte que la simplification devient synonyme de réforme souhaitée par le Gouvernement. En fait, il s’agit de modifier et rectifier des textes, des procédures, et de transposer des directives communautaires. Donc, sous la plume de Jean-Luc Warsmann, un spécialiste, la simplification du droit se transforme en modification normative.
Nous n’en sommes pas dupes, le véritable objectif de ces lois de simplification est davantage un contournement de la prohibition des cavaliers législatifs qu’une garantie de l’effectivité de l’accessibilité et de l’intelligibilité des normes.
Elles font, par ailleurs, le bonheur des lobbies, qui s’activent pour y glisser les amendements ou propositions qu’ils n’ont pas réussi à faire passer lors des discussions sur des textes précédents. Elles sont aussi pour certains l’occasion de réintroduire des propositions de loi rejetées, qui réapparaissent sous forme d’amendements.