Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 10 janvier 2012 à 14h30
Simplification du droit et allègement des démarches administratives — Rejet d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Aussi, comme nous prenons nos responsabilités, et, je le précise, mon groupe, qu’il soit dans l’opposition ou dans la majorité, a toujours réagi de la même façon à l’égard des lois de simplification, nous refusons que le législateur soit instrumentalisé et soit obligé de voter des lois que le Gouvernement n’a pas pu faire passer autrement.

Pour cette raison évidente, la question préalable, qui dit clairement le choix politique que nous faisons face à ce type de dérive législative, se justifie pleinement. C’est le droit le plus strict des parlementaires, droit dont ils devraient user chaque fois que nécessaire pour éviter de telles dérives de la procédure législative.

Sur le fond, ce texte se veut d’une portée simplificatrice toute particulière. Outre des dispositions qui affectent la loi relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, il recèle des dispositions relatives aux entreprises, touchant notamment au droit des salariés au sein de celle-ci. Je me contenterai sans exhaustivité de dénoncer quelques articles qui entament significativement les droits des salariés pour que, au moins, chacun le sache.

L’article 40, par exemple, vise à permettre de moduler le nombre d’heures travaillées sans que cette répartition des heures travaillées aboutisse à une modification du contrat de travail. L’air de rien, cet article remet en cause une jurisprudence de la Cour de cassation, protectrice pour les salariés, leur permettant de refuser la modulation de leur temps de travail prévue par un accord collectif. En effet, l’arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2010 indique que « [...] l’instauration d’une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l’accord exprès du salarié [...] ». Concrètement, en cas de modification de la durée du travail – sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année – prévue par un accord collectif, la protection du salarié apportée par les clauses de son contrat de travail deviendrait caduque. Par exemple, un employeur pourrait exiger de son salarié de travailler une semaine durant quarante-huit heures et dix heures la semaine suivante sans que celui-ci puisse s’y opposer. Outre le fait que cette disposition pourrait être très déstabilisante pour les salariés, elle n’est pas sans conséquence, bien évidemment, sur leur pouvoir d’achat. Le ministère en a été averti par les organisations syndicales : « Cela entraînera des frais supplémentaires pour les familles – gardes d’enfants, déplacements supplémentaires – qui se seront organisées bien avant une modification des horaires ».

Autrement dit, ce sera aux salariés de supporter économiquement le choix imposé par l’employeur pour que l’entreprise soit plus rentable. C’est un transfert de dépenses de l’entreprise vers les salariés. Surtout, c’est, bien entendu, la fin annoncée des heures supplémentaires, qui étaient, comme vous le savez, le fin du fin pour les salariés pour gagner plus. §

L’article 40 bis concerne le télétravail et, pour la première fois, en adopte une définition. D’une certaine manière, cette disposition constitue une protection en reconnaissant ce qui est aujourd’hui un véritable mode d’organisation du travail.

Malgré ce petit avantage, cet article suscite de nombreux problèmes. Tout d’abord, il vise des situations régulières, ce qui exclut de cette définition celles et ceux qui, de manière occasionnelle ou ponctuelle, travaillent chez eux. Or certains salariés, par exemple pendant des intempéries, des mouvements sociaux, ne peuvent pas se déplacer, l’employeur leur demande alors de travailler depuis leur domicile. Ce qu’ils font sans être protégés.

En outre, parce que le télétravail est de fait synonyme de désocialisation, d’isolement, d’augmentation de la charge de travail, il aurait été souhaitable que le contrat de travail ou la convention collective prévoie obligatoirement des moments, à l’initiative du salarié, où ce dernier peut travailler sur son poste, ne serait-ce que pour avoir un accès direct à ses collègues et à ses représentants du personnel éventuellement. Ou encore il aurait été souhaitable de prévoir qu’aucune mesure de télétravail ne puisse être proposée dans le contrat de travail si la convention collective ne prévoit pas des modalités particulières et renforcées d’accès à la médecine du travail, ce qui exige une coordination avec les organisations professionnelles ; ce n’est évidemment pas le cas.

L’article 46, quant à lui, vise à autoriser le pouvoir réglementaire à adapter aux spécificités des très petites entreprises les modalités d’évaluation des risques en matière de sécurité et d’hygiène au travail. Cela n’est pas satisfaisant puisque, à ce jour, les modalités d’évaluation des risques en matière de sécurité dépendent de la nature de l’entreprise et des risques qu’encourent les salariés, non de la taille de l’entreprise. Cela est logique puisque ce qui crée le risque, c’est non pas la taille de l’entreprise, mais le mode d’organisation. Personne ne peut contester que c’est la taylorisation du tertiaire qui engendre des gestes répétitifs, indépendamment de la taille de l’entreprise !

En réalité, tout le monde le sait, les petites entreprises ont accumulé d’importants retards dans l’élaboration du document unique sur les risques professionnels, document qui permet de définir les risques professionnels auxquels sont exposés les salariés. Il doit servir de support au dirigeant afin qu’il intègre une démarche sécuritaire dans son management. Or, bien que cette obligation soit relativement ancienne – elle a été prévue il y a dix ans –, les TPE ne se sont pas mises en conformité. Aussi risquent-elles de se voir infliger une amende par l’inspection du travail.

En cas d’accident du travail ou de survenance d’une maladie professionnelle dans une entreprise qui ne s’est pas conformée à cette obligation, le salarié peut invoquer la faute inexcusable de l’employeur. Le dirigeant devient alors attaquable sur son patrimoine et doit rembourser tous les frais engagés.

Cette proposition de loi est donc une amnistie pour les employeurs fraudeurs, mais elle constitue aussi – et c’est tout aussi grave ! – une atteinte majeure aux droits des salariés, qui bénéficient, avec la faute inexcusable de l’employeur, d’une modalité de recours.

Enfin, l’article 92 bis, qui résulte de l’adoption par l'Assemblée nationale, en séance publique, d’un amendement déposé par le Gouvernement, nous est présenté comme devant mettre en conformité notre droit national avec le droit européen pour ce qui concerne les dispositions relatives aux personnes relevant d’un contrat d’engagement éducatif, c’est-à-dire les moniteurs occasionnels des colonies de vacances. Il s’agit concrètement de jeunes titulaires du BAFA, le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, qui interviennent durant les vacances scolaires et dont la durée totale de travail ne peut pas excéder quatre-vingts jours.

À la suite d’une action judiciaire, le Conseil d’État a considéré que les dispositions applicables à ces salariés n’étaient pas conformes au droit européen dans la mesure où ceux-ci ne disposaient pas du droit légitime offert à tout salarié de disposer d’un repos de onze heures consécutives. En effet, les moniteurs sont responsables de l’encadrement des enfants de jour comme de nuit. Cet article prévoit donc d’allouer à ces salariés un repos compensateur de onze heures à l’issue de la période de travail effectif.

Mais cette disposition n’est pas du tout satisfaisante. En effet, on ne peut pas, au détour d’un tel texte, régler de tels problèmes !

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