Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai cru comprendre que l’examen de la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives risquait de se trouver abrégé, me privant ainsi de l’occasion de m’exprimer sur l’article 21 bis, qui est très largement issu d’une proposition de loi que j’avais moi-même déposée en juin 2011 sur les franchissements de seuils en droit boursier.
Je rappelle que notre législation en matière de transparence des acquisitions de participations dans des sociétés cotées demeure lacunaire.
Pourtant, nous le savons bien, il s’agit d’une législation essentielle, et ce à un double titre : assurer la bonne information des marchés ; protéger les entreprises contre des offres non sollicitées et susceptibles de se manifester après des prises des participations successives aboutissant à une situation irréversible ou presque.
La transparence est essentielle à la bonne vie des affaires. Elle doit, en principe, être telle que les acteurs concernés se dévoilent en temps utile et, lorsqu’ils envisagent de prendre le contrôle d’une cible, qu’ils soient à même d’en payer le prix, primes de contrôle comprises, après avoir révélé publiquement leurs intentions.
C’est la raison pour laquelle la législation sur les franchissements de seuils a été conçue. Or cette dernière est devenue critiquable dans la mesure où elle n’englobe pas, du moins pas assez clairement, les nouveaux instruments financiers ; je veux parler de l’acquisition de droits qui ne sont pas immédiatement des droits de vote mais qui y donnent accès selon différentes formules, il est vrai, de plus en plus complexes.
L’affaire dite « Hermès-LVMH », révélée en octobre 2010, l’a montré : dans notre pays, un investisseur peut monter au capital d’une société de façon rampante, en quelque sorte occulte, et y acquérir, grâce à l’utilisation de ces instruments financiers complexes, une position significative.
Pour échapper à leurs obligations de déclaration de franchissements de seuils, des acteurs économiques en viennent en effet à utiliser des outils financiers qui leur confèrent une exposition économique à une action, sans pour autant que celle-ci soit juridiquement détenue dans l’immédiat.
Or les informations données au marché en matière de détention de ce type d’instruments financiers ne sont, dans le droit actuel, que subsidiaires. Pourtant, cela fait déjà bon nombre d’années que la faille est identifiée. Cette situation n’est du reste pas propre à notre pays. L’Allemagne, par exemple, a connu un cas retentissant d’utilisation de tels instruments financiers lors de l’agression du constructeur Porsche sur son concurrent Volkswagen.
Je rappelle que, en 2008, l’Autorité des marchés financiers avait mis en place un groupe de travail, présidé par M. Bernard Field, lequel avait préconisé, pour le calcul des seuils, une assimilation large des instruments financiers susceptibles de donner accès à la détention directe de capital. Par la suite, est intervenue l’ordonnance de janvier 2009, mais son contenu, monsieur le secrétaire d’État, s’est malheureusement démarqué assez sensiblement des recommandations de ce groupe de travail.
J’avais suggéré, pour ma part, lors de la ratification de l’ordonnance, que puisse être mise en œuvre une conception plus exigeante de notre droit. J’observe que j’avais, à l’époque, prêché dans le désert. Il a fallu que survienne une nouvelle situation « spéciale », dans une autre entreprise cotée, pour que la place financière, les professionnels et, il faut bien le dire, la direction générale du Trésor acceptent de faire évoluer leur raisonnement et de prôner une législation d’une plus grande fermeté.
Ainsi, au sein du texte que nous examinons, l’article 21 bis reprend l’essentiel de ma proposition de loi. Même s’il reste en retrait sur quelques points, je suis naturellement heureux que mon initiative ait été relayée dans le cadre du texte de Jean-Luc Warsmann. Je remercie d’ailleurs Mme le rapporteur général de la commission des finances d’avoir rapporté ma proposition de loi en même temps qu’elle rapportait pour avis le présent texte.
Désormais, selon la rédaction de cet article 21 bis, les instruments conférant une exposition économique à une action seront pris en compte dans le calcul des franchissements de seuils et ne pourront plus être utilisés de manière détournée, occulte, pour prendre le contrôle d’une société.
Cette évolution était indispensable. Nombre de nos partenaires européens ont déjà franchi le pas, certains depuis longtemps, et il est plus que probable, monsieur le secrétaire d’État, que, lors de la prochaine révision de la directive Transparence, le droit communautaire choisira également la voie de l’assimilation large.
J’avais, par ailleurs, souhaité que les instruments financiers conférant une exposition économique puissent entrer dans le calcul du seuil de 30 % contraignant au déclenchement d’une offre publique d’achat.
À ce jour, le mode de calcul du seuil de 30 % dans la législation sur les OPA est strictement aligné sur celui qui s’applique dans le cadre de la législation relative à la transparence de l’information financière, c’est-à-dire les dispositions régissant les franchissements de seuils dont il vient d’être question.
Je persiste à penser, monsieur le secrétaire d’État, qu’il serait souhaitable de maintenir un tel alignement. Je doute fort, en effet, qu’un investisseur en arrive à posséder une exposition à une société, notamment par le biais de la détention d’instruments financiers complexes, supérieure à 30 % de son capital ou de ses droits de vote de manière fortuite. En tout état de cause, le fait d’atteindre ledit seuil laisse planer un doute sur la réalité des intentions de l’investisseur.
C’est précisément contre une telle ambiguïté que nous devrions lutter, car elle est dommageable pour le marché et laisse toujours ouverte la possibilité d’une prise de contrôle en quelque sorte « par surprise ». Le droit britannique a retenu ce raisonnement. Le droit français devrait donc aller plus loin que le texte de l’article 21 bis, dont, à la vérité, je m’explique mal la timidité.
De même, ma proposition, non reprise par l’article 21 bis, d’abaisser le premier seuil de déclaration à 3 % du capital ou des droits de vote me semblerait constituer un élément non négligeable en vue d’assurer une plus grande transparence.
Après avoir évoqué ces aspects techniques, qui reprennent le contenu de ma proposition de loi de juin 2011, je conclurai, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en regrettant que l’éventuelle adoption d’une question préalable par le Sénat nous empêche de débattre de manière plus approfondie de ce sujet comme de bien d’autres qui sont abordés par la proposition de loi Warsmann.
Il est clair que l’intitulé retenu pour ce texte, qui le fait passer pour une proposition de loi « de simplification », est pour le moins approximatif…