Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’essentiel a été dit par notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, qui a auditionné, ces dernières semaines, une centaine de personnes. Le travail qu’il a ainsi accompli était d’autant plus nécessaire et il est d’autant plus appréciable que le manque de concertation est l’un des points faibles de l’élaboration de ce texte.
Disons-le d’emblée, l’objectif de simplification est certainement louable. Qui pourrait prétendre qu’il ne faut pas simplifier notre droit, sans doute devenu complexe. D’ailleurs, si l’on y réfléchit, il ne peut en être autrement puisque le droit doit dorénavant couvrir un champ multiforme, appréhendant toutes sortes de relations : familiales ou de voisinage, bien sûr, mais aussi commerciales, d’affaires, de travail. Il traite, globalement, de questions de société, il doit répondre à de nouvelles formes de violence ou régler des conflits nés des nouvelles technologies. Dans un monde complexe, le droit l’est forcément, lui aussi !
Cette profusion n’est pas nécessairement un mal : peut-on se plaindre que notre société soit une société de droit, c'est-à-dire une société dans laquelle le droit devient le maître mot de la vie quotidienne ? Je ne le crois pas. D’ailleurs, si l’on remontait l’histoire, on verrait que les sociétés sans droit ou celles qui laissent au droit une place moindre que les nôtres ne sont sans doute pas les meilleures possibles. Et je ne pense pas que, là où il y a moins de droit, le droit soit mieux compris ou mieux appliqué.
Disons-le, l’objectif de ce texte est d’autant plus louable que, selon un adage célèbre, « nul n’est censé ignorer la loi ». Si tel est le cas, il vaut mieux que le citoyen puisse davantage la comprendre !
Si la question posée par le texte est donc juste, la réponse qu’il apporte ne nous convient pas.
En effet, la première façon d’améliorer la loi, c’est de respecter le législateur. Cela signifie qu’il convient de lui donner les moyens de faire son travail, en commençant par lui accorder le temps nécessaire pour cela. C’est ainsi que peuvent ensuite être votées des lois claires, dont l’application ne souffre aucune ambiguïté.
L’objectif du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale est donc digne de respect dans son principe. Mais il est paradoxal de prétendre y parvenir en nous proposant un texte confus et hétéroclite qui, au cours du rituel parlementaire, n’en finit pas de « s’alourdir », pour reprendre l’expression de Bernard Saugey.
Monsieur le secrétaire d'État, j’ai bien entendu ce que vous nous avez dit à titre liminaire. Vous nous avez expliqué avec beaucoup de ferveur que ces lois sont tout à fait nécessaires à l’intérêt de notre pays. Et vous avez même terminé votre propos en lançant un appel à ce dernier.
Nous vous avons entendu, mais vous ne nous avez pas écoutés ! La question que, nous, nous posons est celle-ci : comment fait-on une bonne loi ? Et c’est la réponse à cette question qui explique la position que notre groupe prendra tout à l’heure.
Voilà quelques instants, mon ami Jacques Mézard a cité un exemple auquel je pensais moi-même, celui de la loi « fourre-tout » de 2009, qui est du même acabit que la présente proposition de loi. Le texte de 2009 était tellement fourre-tout qu’on y a même fourré une disposition qui a permis d’empêcher la justice de prononcer la dissolution de l’Église de Scientologie ! Qui a fourré cette disposition dans la loi ? Nous ne le savons toujours pas ! Comment a-t-on pu faire voter cette disposition par le Parlement ? Nous ne le comprenons toujours pas !
Cela est lié à la nature même de ce genre de dispositif : tout est tellement confus, l’ensemble est tellement hétéroclite qu’on peut y fourrer un article qui va modifier le dernier alinéa de tel article de tel code ! Et, au bout du compte, on ne peut plus prendre, à l’encontre de l’Église de Scientologie, les mesures qui devraient s’imposer ! Avouons que ce n’est pas un exemple de bon travail parlementaire !
Nous sommes arrivés au bout de la méthode employée depuis 2002. Ce type de textes cumule trois défauts : la complexification, la précipitation et l’ambiguïté.
La complexification provient du caractère de « loi fourre-tout » – vous n’aimez pas l’expression, monsieur le secrétaire d'État, mais je la reprends quand même – ou de « loi-balai ». On essaie de modifier trente-six textes à la fois ! Voulez-vous quelques chiffres ? Les quatre-vingt-quatorze articles de ce texte visent vingt et un codes, douze lois et cinq ordonnances ! Pas moins ! Au milieu du texte, le seul article 39, long de quatre pages, comporte quatre-vingt-douze modifications du code du travail ! Voilà à quoi vous nous invitez !
Le Conseil d’État, qu’il est toujours bon d’écouter, a lui-même souligné les limites de cet exercice de simplification et les risques d’insécurité juridique. Dans son rapport de 2006, il nous rappelait que « l’effort de simplification du droit ne conduit pas, dans l’immense majorité des cas, à une réduction du nombre d’articles ou de dispositions applicables, voire entraîne, au contraire, un alourdissement de certains textes, ce qui ne peut que rendre plus incertain l’apport concret pour les citoyens de telles mesures ».
Je pose d’ailleurs la question : pourquoi ne disposons-nous pas de l’avis du Conseil d’État sur le présent texte ? Il nous aurait, à n’en pas douter, très vivement intéressés !
Outre qu’ils sont une succession d’empilements, les textes de cette nature constituent le réceptacle idéal de cavaliers législatifs, qu’ils incitent par là même à introduire. C’est ainsi que près de soixante articles de cette proposition de loi ont été ajoutés entre la rédaction initiale et la version qui nous est soumise.
Deuxième défaut, sur lequel vous ne vous exprimez d’ailleurs guère : la précipitation. Toutes choses égales par ailleurs, pourquoi ne faut-il qu’une seule lecture pour un tel texte ? Nous ne le savons toujours pas !