Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette fin de législature, nous battons des records des vitesses lors de la discussion des textes législatifs : ainsi, nous examinons aujourd’hui un texte déposé il y a moins d’un mois à l’Assemblée nationale, et la commission mixte paritaire se réunira dès demain !
Ni les délais d’examen normalement prévus ni le Parlement n’ont donc été respectés dans cette affaire, et je ne suis pas certain que les meilleures garanties d’une bonne législation aient été préservées.
Toutefois, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a souhaité travailler de manière constructive, afin d’élaborer un texte utile au monde sportif tout en préservant l’intérêt général.
À cet égard, j’invite chacun de nos collègues à prendre le temps d’écouter attentivement les arguments des uns et des autres, afin que le débat ne soit pas tronqué et que l’ensemble des problématiques puisse être abordé.
J’insiste plus particulièrement sur cette exigence s’agissant de l’article 1er, qui, sous des aspects techniques, a un impact réel et pose des questions de fond sur l’engagement des responsabilités de chacun dans des dommages liés à l’exercice d’une activité sportive.
Le dispositif prévu à l’article 1er est destiné à alléger le poids financier qui menace certaines fédérations sportives ou organisateurs d’événements depuis un revirement jurisprudentiel de novembre 2010. Il s’agit, dans la pratique, de diminuer le nombre de cas où la responsabilité civile des sportifs peut être mise en cause.
Je souligne d’emblée pour nos collègues que l’on ne parlera aujourd’hui que de l’application de l’article 1384 du code civil relatif à la responsabilité du fait des choses, et non des dispositions sur la responsabilité délictuelle personnelle prévues aux articles 1382 et 1383 du code civil. Nous parlerons donc concrètement des dommages causés dans les sports qui mettent en jeu des objets : des ballons, des raquettes, des véhicules de tous genres, etc. En revanche, on ne parlera pas des accidents liés à un contact physique direct entre sportifs, lesquels ne sont pas concernés par la proposition de loi.
Quelle était la situation en matière de responsabilité civile dans le domaine sportif avant la jurisprudence de 2010 ?
Le droit était relativement clair : s’il arrivait un accident du fait d’une chose à un pratiquant sportif, deux situations étaient distinguées.
Première situation : on était seulement à l’entraînement et le sportif n’avait donc pas accepté de risque particulier. Une victime éventuelle devait dans ce cas être indemnisée du dommage subi du fait d’une chose. La faute n’avait pas besoin d’être prouvée, la responsabilité du gardien de la chose était présumée. Il devait réparation des dommages subis, qu’ils soient matériels ou corporels. Le plus souvent, cette personne était assurée via l’existence d’une licence fédérale à laquelle est rattachée une assurance responsabilité civile, laquelle permet la prise en charge de l’indemnisation. Toutefois, toutes les personnes mises en cause n’étaient pas forcément détentrices d’une licence ni d’une assurance responsabilité civile, ce qui pouvait rendre l’indemnisation plus difficile.
Deuxième situation : on était en compétition, et le sportif avait donc accepté un risque lié à la pratique de son activité sportive. La responsabilité de plein droit du fait des choses n’était pas acceptée par le juge et aucune indemnisation n’était prévue en cas de dommage.
Cette situation était très compréhensible du point de vue théorique : la participation à un sport impose d’assumer certains risques, notamment celui de subir des dommages. L’idée qu’un tiers n’ayant commis aucune faute doive vous indemniser pouvait paraître étrange. Par ailleurs, il pouvait également sembler étonnant d’admettre qu’un sportif n’ayant commis aucune faute doive indemniser un dommage provoqué par une chose dont il a la garde, sans en revanche indemniser un dommage provoqué par un contact physique direct.
Du point de vue de l’indemnisation des victimes, les perspectives étaient cependant différentes : en effet, l’indemnisation des dommages corporels va dans le sens de l’histoire et le juge comme le législateur tendent en général à rechercher le plus possible des voies d’indemnisation.
C’est dans cette optique qu’est intervenue la Cour de cassation en 2010.
L’arrêt du 4 novembre 2010 n’a en rien modifié le droit applicable à la première situation, celui du sportif du dimanche. Un dommage du fait d’une chose signifie engagement de la responsabilité de son gardien, qui signifie indemnisation.
En revanche, il a aligné sur le droit commun le droit applicable au sportif participant à une manifestation sportive. Un dommage du fait d’une chose pendant un match organisé par une fédération signifie ainsi engagement de la responsabilité de son gardien, qui signifie indemnisation.
Il n’y a plus de spécificité sportive en matière de responsabilité civile du fait des choses. La Cour de cassation a opéré un revirement dans le but de répondre à une demande sociale d’indemnisation des dommages corporels. On peut le comprendre.
Toutefois, répondant à un souci légitime d’assurer une indemnisation des victimes, la décision de la Cour a aussi des conséquences pernicieuses. Je vous rappelle que les fédérations et organisateurs ont une obligation d’assurer les pratiquants sportifs pour les dommages qu’ils créent.
La jurisprudence aura donc pour effet un renchérissement de leurs polices d’assurance, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les dommages matériels devront également être indemnisés, ce qui n’était pas forcément l’objectif recherché par la Cour.
Ensuite, les risques de fraude seront fortement augmentés, comme je l’ai expliqué dans mon rapport.
Les fédérations de sports mécaniques et de nautisme seront également confrontées à un risque « d’inassurabilité », dans la mesure où elles mettent en jeu du matériel onéreux.
Enfin, plus profondément, nous assistons là à un risque de judiciarisation croissante des rapports entre les pratiquants d’une activité sportive, au détriment des valeurs profondes du sport.
Que prévoit l’article 1er ?
Tout simplement de définir un nouvel équilibre permettant de maintenir des garanties pour les victimes tout en évitant une explosion des primes d’assurance des fédérations, grâce à l’exclusion de l’indemnisation des dommages matériels.
L’atteinte aux personnes serait donc indemnisée, mais la voiture abîmée pendant une course automobile ou les lunettes cassées pendant un match de football ne seraient pas indemnisées par l’auteur du dommage.
Les pratiquants exonérés de responsabilité seront ceux qui font du sport sur un terrain dédié, l’idée étant que la victime présente sur un terrain de jeu a accepté les risques matériels liés à l’exercice de son activité. Nous aurons un débat sur le sujet de ce qui doit caractériser l’acceptation des risques : est-ce le fait d’être sur un stade ou de participer à une manifestation sportive ?
La commission a adopté cet article. Toutefois, il ne règle pas tous les problèmes liés à l’application de la responsabilité civile de droit commun en matière sportive, loin s’en faut !
Ainsi, étrangement, rien n’a été prévu pour la responsabilité du fait des animaux, alors que les jurisprudences relatives aux articles 1384 et 1385 du code civil sont en général très proches. Le sport hippique pourrait donc être la prochaine victime de la Cour de cassation, la proposition de loi n’ayant pas abordé la question.
La fédération française de motocyclisme est par ailleurs menacée du fait des dommages corporels occasionnés par la pratique de la moto. Là encore, la proposition de loi ne traite pas la question.
La commission de la culture a donc introduit un article visant à ce que le Gouvernement mène une réflexion globale sur ce sujet, en y associant le mouvement sportif. Peut-être pourra-t-il cependant nous apporter des premières réponses dès aujourd’hui.
Si cette proposition de loi ne constitue pas une réponse vraiment satisfaisante à la question de la prise en charge des risques dans le sport, elle constitue en revanche un support utile afin de régler quelques problématiques ponctuelles, mais urgentes en cette fin de législature.
Un enjeu important a par ailleurs été identifié à l’Assemblée nationale, celui de la revente illicite de billets pour les manifestations culturelles.
La loi visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs a créé, sur l’initiative de la commission de la culture du Sénat, un délit pénal de revente de billets pour des manifestations sportives afin d’éviter à la fois les risques liés aux mouvements de supporters mal placés dans les stades du fait de l’achat illicite de billets et celui de la spéculation sur l’accès aux stades, avec l’intervention d’intermédiaires qui achètent et revendent des places au détriment des spectateurs et des organisateurs.
L’Assemblée nationale a repris la disposition quasiment dans les mêmes termes, en l’étendant aux billets pour les manifestations culturelles et commerciales, estimant que des agissements similaires étaient constatés, au détriment de l’accès de tous à la culture. Elle a ainsi supprimé la disposition introduite dans le code du sport, afin de proposer un dispositif global dans le code pénal applicable à tous les types de manifestations.
L’article 2, qui fait l’objet de cette disposition, pourrait certainement être encore amélioré. On pourrait débattre à l’infini des mots et terminologies utilisés. La commission a cependant estimé que cette question méritait d’être définitivement tranchée. La revente habituelle de billets a une visée forcément spéculative et nuit grandement à l’image du sport et de la culture. Cette nouvelle infraction pénale est claire et aura, à n’en point douter, son utilité. La commission a donc adopté l’article conforme.
L’un des autres enjeux qui retiennent l’attention de ceux que concernent les questions sportives est celui du dopage. Il n’est bien évidemment pas question d’insérer dans ce texte des dispositions qui modifieraient trop profondément le visage de la lutte antidopage.
Certains petits aménagements sont cependant importants, notamment celui qui concerne le passeport biologique. Le code mondial antidopage permet aujourd’hui aux laboratoires accrédités d’établir à des fins d’antidopage le profil des paramètres urinaires ou sanguins des sportifs. Concrètement, il s’agit de détecter la prise de produits dopants grâce au caractère anormal de l’évolution des paramètres suivis. Le dopage est ainsi démontré non par la détection d’un dépassement de limites standards applicables à tous les athlètes, mais par la détection d’un dépassement des limites individuelles de chacun.
L’Union cycliste internationale, l’UCI, a déjà sanctionné des sportifs sur cette base. Des pays comme l’Allemagne et la Suisse l’utilisent également, et le tribunal arbitral du sport a validé cette méthode. Il s’agit d’une des pistes les plus intéressantes pour améliorer l’efficacité de la lutte antidopage, et je crois que la France doit s’y engager. Sur ce point, je souscris pleinement aux propos de M. le ministre, notamment lorsqu’il a estimé que le passeport biologique constituait une « avancée majeure ».
C’est la raison pour laquelle la commission a introduit un article visant à autoriser l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD, à effectuer des prélèvements en vue d’établir le passeport biologique des sportifs de haut niveau, des sportifs espoirs et des sportifs professionnels.
Cela permettra, dans un premier temps, de réaliser les contrôles de manière mieux ciblée.
Je vous proposerai, à titre personnel, un amendement visant à tirer toutes les conséquences de cette possibilité, en permettant à l’AFLD de prendre des sanctions sur la base d’évolutions des paramètres ne laissant aucun doute sur l’utilisation de produits prohibés. Nous débattrons également d’un amendement relatif aux agents sportifs.
En conclusion, et parce qu’elle considère que ce texte fait avancer utilement un certain nombre de questions qui lui tiennent à cœur, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication vous propose d’adopter ce texte, mes chers collègues.