Intervention de Jean-Pierre Leleux

Réunion du 21 février 2012 à 14h30
Responsabilité civile des pratiquants sportifs et encadrement de la vente des titres d'accès — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui a pour but essentiel de rétablir un régime juridique équilibré en matière de responsabilité civile des sportifs dans les lieux réservés à la pratique sportive. Au-delà de l’aspect technique de la question, il s’agit aussi, indirectement, de préserver l’organisation de nombreux événements sportifs et les milliers d’emplois qui dépendent de ce secteur d’activité.

Il devient indispensable et urgent de remédier à une situation dangereuse pour la pérennité de nombreuses disciplines sportives, et je vous remercie, monsieur le ministre, du soutien que vous avez apporté à ce texte.

Le régime de responsabilité classiquement applicable aux sportifs était dérogatoire au droit commun : en vertu de la théorie jurisprudentielle dite de « l’acceptation des risques », les sportifs ne connaissaient pas le régime général de responsabilité sans faute du fait des choses prévu par l’article 1384 du code civil.

Concrètement, les sportifs victimes de dommages lors des entraînements ou des compétitions du fait de choses placées sous la responsabilité de leurs concurrents n’avaient pas systématiquement droit à réparation : ils ne pouvaient être indemnisés que dans les cas de faute avérée de leurs concurrents.

Comme son nom l’indique, cette théorie restrictive s’appuyait sur le caractère à la fois connu et assumé des risques encourus : elle permettait de se fonder sur l’attitude de la victime qui, du fait de son comportement, aurait accepté de courir les risques normalement liés à une activité pour lui refuser le bénéfice systématique de la responsabilité de plein droit.

Cela vient d’être rappelé, par un arrêt du 4 novembre 2010, la Cour de cassation a abandonné cette théorie et a placé les sportifs sous le régime général de responsabilité sans faute du fait des choses, le régime du code civil, beaucoup plus protecteur pour les victimes.

Ce revirement aux conséquences lourdes a pour causes principales l’incohérence constatée dans les conditions d’exonération de responsabilité : d’une part, les accidents survenus en compétition n’entraînaient pas de mise en cause de la responsabilité alors que les accidents survenus à l’entraînement engageaient cette responsabilité ; d’autre part, la détermination du caractère prévisible ou non du risque encouru s’avérait souvent délicate, voire parfois arbitraire.

La Cour assouplit ainsi considérablement les conditions de recevabilité et d’indemnisation des sportifs qui, pendant les compétitions, subiraient des accidents du fait de choses placées sous la garde de leurs concurrents.

Elle a non seulement mis fin à la nécessité d’une faute du responsable du dommage, mais elle a également instauré l’obligation de réparer tous les dommages causés par les choses dont un sportif a la garde.

Ce changement entraîne des risques de mise en cause bien plus systématique et plus fréquente pour les organisateurs d’événements sportifs à risques et pour les fédérations, qui sont les seuls acteurs soumis à une obligation d’assurance en responsabilité civile, aux termes de l’article L. 321-1 du code du sport.

En outre, alors qu’auparavant seuls les préjudices matériels et corporels pouvaient éventuellement entraîner une indemnisation, la nature des préjudices ouvrant droit à réparation est désormais étendue aux dommages moraux et immatériels, ce qui alourdira d’autant les frais mis à la charge des organisateurs et des fédérations.

Les conséquences de ce changement de régime sont considérables, notamment sur un plan financier : les primes d’assurance sont appelées à s’envoler. Cette augmentation se répercutera forcément sur les montants des licences payées par les sportifs, ce qui les découragera de les renouveler. Les assureurs pourraient aussi refuser de couvrir les risques étant donné l’ampleur potentielle des dommages à indemniser.

À la limite, certains organisateurs ou fédérations pourraient ne plus être en mesure d’honorer leurs échéances et être contraints de mettre un terme à leur activité.

La décision de la Cour de cassation entraîne donc un risque de déstabilisation juridique et financière qu’il est nécessaire de corriger.

Pour ce faire, la proposition de loi introduit un nouvel article L. 321-3 au code du sport, qui rétablit un régime proche du précédent : il exclut expressément du champ de la responsabilité civile sans faute les dommages causés, pendant l’exercice d’une activité sportive dans un lieu dédié, par une chose dont les pratiquants ont la garde.

Ce nouvel article écarte ainsi la responsabilité sans faute du fait des choses pour les dommages matériels, mais en limitant l’exonération aux seules activités effectuées dans des lieux spécifiquement consacrés, de façon permanente ou temporaire, à la pratique d’une activité sportive. Les accidents qui surviendraient entre sportifs en dehors de ces enceintes relèveraient du régime général du code civil.

Cette disposition de bon sens protège ainsi les organisateurs et les fédérations contre le risque excessif de voir leur responsabilité engagée, même, voire surtout, en l’absence de toute faute de leur part.

Les praticiens d’un sport connaissent et assument les risques qu’ils prennent et le législateur ne fait que transcrire juridiquement ce principe évident, d’ailleurs valable dans de nombreux autres pays.

Il ne pouvait être question de compromettre l’équilibre financier de nombreuses compétitions et fédérations sportives ni de décourager la pratique sportive auprès de millions de Français à cause de l’épée de Damoclès pesant sur tous les organisateurs d’événements sportifs.

J’en viens à l’article 2, motivé par un souci de moralisation et de régulation d’un autre volet, tout aussi important, de l’économie du spectacle et des manifestations sportives et culturelles : celui de la billetterie et des diverses pratiques qui s’y attachent.

En effet, les facilités offertes par internet pour la vente et la revente de billets de manifestations sportives et culturelles, jointes à la prolifération d’organisations aux contours incertains spécialisées dans la même activité, ont engendré, depuis plusieurs années, des dysfonctionnements et des abus manifestes dont tous les observateurs s’accordent à reconnaître l’ampleur et le caractère inquiétant.

Il s’agit pour l’essentiel de l’utilisation illégale des données personnelles recueillies à la faveur des transactions sur le Web, ainsi que d’escroqueries à la revente, avec des prix pouvant atteindre, voire excéder quatre à douze fois la valeur faciale du billet ! On pourrait ajouter aussi les éventuels troubles à l’ordre public, puisque c’est bien à de telles extrémités que l’on en arrive lorsque des clients floués ne peuvent accéder à la manifestation ou au spectacle pour lequel ils ont payé ou lorsque la prestation, notamment en fait de placement, ne correspond pas à ce qui leur avait été promis par l’intermédiaire.

Inutile de préciser qu’en termes d’image ces différentes dérives nuisent gravement aux organisateurs et intermédiaires légaux et licites, les spectateurs lésés n’ayant généralement pas le réflexe de les distinguer des canaux parallèles auxquels ils ont eu affaire.

En 2011, sur l’initiative du Sénat, l’article 53 de loi LOPPSI 2, ou loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, avait introduit dans le code de commerce une infraction de revente illicite de billets sur internet, mais le Conseil constitutionnel avait alors censuré cette disposition.

Aussi deux propositions de loi très voisines ont-elles été élaborées afin de lutter contre une dérive manifeste et de combler ce qui, en dépit de la décision du Conseil, s’apparentait bel et bien à un vide juridique : l’une déposée par ma collègue députée des Alpes-Maritimes, Muriel Marland-Militello, en juin 2011, visait à lutter « contre les escroqueries en matière de billetterie culturelle et sportive, en particulier sur internet », et l’autre, déposée par mes soins en juillet de la même année, conjointement avec notre collègue Jacques Legendre, alors président de la commission de la culture, était « relative à la vente illicite de billets pour les manifestations culturelles ou sportives ».

Parallèlement, l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté fin 2011, à l’article 8 bis A du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, des dispositions similaires visant, elles aussi, à remédier aux déviances que j’évoquais. Toutefois, ce texte étant toujours en navette entre les deux assemblées, son adoption définitive risque de ne pas intervenir avant la fin de la treizième législature, tout comme semble bien compromis, pour les mêmes raisons de calendrier législatif et politique, l’examen de nos deux propositions de loi...

C’est la raison pour laquelle nos collègues députés, en examinant dans le cadre de la procédure accélérée la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, ont introduit à son article 2 des dispositions recoupant largement celles du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, et de nos propositions de loi respectives.

L’Assemblée nationale, amendant à cette fin le texte, a donc pour l’essentiel proposé de punir d’une peine de 15 000 euros la revente illicite de billets, sanction portée à 30 000 euros en cas de récidive.

Je me réjouis par ailleurs de voir la catégorie spécifique des spectacles vivants adjointe en tant que telle aux « manifestations culturelles » en général, spectacles vivants dont il est fait mention aussi bien dans la proposition de loi de Mme Marland-Militello que dans la mienne.

S’agissant de l’ensemble du dispositif proposé, je crois utile d’insister sur le fait que les dispositions soumises aujourd'hui à notre vote ont rencontré une adhésion totale des députés, qui, toutes tendances confondues, les ont adoptées le 6 février dernier. Des députés membres du parti socialiste aussi bien que de l’UMP se sont massivement ralliés à ces mesures, tant est évident leur bien-fondé, leur caractère fédérateur et « apolitique », au sens « non partisan » du terme.

De fait, l’objectif poursuivi est réellement primordial : il s’agit de protéger à la fois les consommateurs, victimes régulières d’abus et de tromperies caractérisées, et les détenteurs légaux de droits – artistes, sportifs, organisateurs, intermédiaires et autres –, naturellement lésés par le développement d’un marché noir de la billetterie, dont la recrudescence pourrait aller jusqu’à mettre en péril l’équilibre économique du secteur.

Bien entendu – et c’est aussi un point capital –, les dispositions prévues à l’article 2 sont le pendant naturel, pour les spectacles culturels, des protections déjà érigées en faveur des manifestations sportives par la loi visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs, tout juste promulguée.

De ce point de vue, l’article 2 répond donc à une attente pressante du monde du spectacle et corrige une inégalité flagrante entre le monde du sport et celui de la culture.

En conséquence, le groupe UMP votera ce texte sans hésiter en espérant qu’il fera l’objet d’un large consensus au sein de notre assemblée. §

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