Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons à nouveau une proposition de loi qui a déjà fait l’objet de nombreux débats à la fois constructifs et approfondis. Ces débats ont abouti, à l’issue de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, à une version équilibrée, qui permettait de lutter efficacement contre l’usurpation d’identité et fixait de solides garanties au regard des libertés publiques.
Votre commission des lois a souhaité modifier cette version : elle est revenue sur ces équilibres en rétablissant le concept de « lien faible ». Ce choix remet en cause le lien univoque, c’est-à-dire un « lien fort » entre les données enregistrées dans la base des « titres électroniques sécurisés », la base TES.
Je rappelle la totale opposition du Gouvernement à la fausse solution que constitue le lien faible. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant à rétablir la version adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. En effet, cette version, qui prévoit un « lien fort » entre les données, est la seule qui soit opérationnelle et permette d’atteindre l’objectif, partagé par tous, de la proposition de loi, à savoir la lutte contre l’usurpation d’identité. Cette version se situe dans la droite ligne de la proposition initialement déposée par les sénateurs Jean-René Lecerf et Michel Houel, qui s’appuyait sur le rapport adopté par la Haute Assemblée en 2005.
Protéger nos concitoyens contre l’usurpation d’identité est l’objectif qui ne doit jamais être perdu de vue. Nous estimons tous que l’usurpation d’identité est un véritable fléau contre lequel il faut agir. Ses conséquences provoquent de profonds traumatismes pour les victimes, et ses effets sont grandissants.
Ce fléau traumatise les victimes parce qu’il dure longtemps et atteint bien souvent une part de leur intimité. Qui pis est, il entraîne parfois une remise en cause de leur honnêteté ou de leur réputation. À ce préjudice moral s’ajoutent des préjudices matériels et financiers, qui peuvent durablement priver les victimes de certains de leurs droits fondamentaux. Il nous faut donc réduire ces effets néfastes par une action efficace contre l’usurpation d’identité.
Une bonne corrélation entre les éléments d’état civil et les données biométriques au sein de la base TES constitue l’unique moyen d’atteindre l’objectif de lutte contre l’usurpation d’identité
Le concept de lien faible constitue une dégradation technique de la base TES plutôt qu’une garantie pour les libertés publiques. Les promoteurs du lien faible considèrent que, la loi ou le droit ne permettant pas de garantir les libertés fondamentales, il faut des garanties matérielles. Je ne partage pas cette vision, qui revient à désespérer du rôle de la loi !
Par principe, la protection des libertés fondamentales mérite d’être gravée dans la loi, et non subordonnée à un dispositif technique. C’est d’autant plus vrai, en l’espèce, que le lien faible est loin de permettre ce qu’il promet en théorie, car il comporte de vraies fragilités, qu’il convient de connaître
En premier lieu, l’entreprise qui a déposé le brevet du lien faible indique clairement que ce concept n’est pas opérationnel et qu’il nécessite encore du temps et des investissements pour être au point. Il serait pour le moins hasardeux de bâtir le nouveau système national sécurisé pour l’identité de nos concitoyens sur la base d’un concept dont la mise en œuvre n’est pas acquise.
Le lien faible est ainsi techniquement disqualifié.
Ensuite, le lien faible est un concept protégé par un brevet. Si le cahier des charges du projet en fait mention, il y a un réel risque de contentieux porté par des entreprises concurrentes.
Enfin, sur le principe, le lien faible permet seulement de constater qu’il existe une usurpation d’identité, mais pas de remonter à l’identité du fraudeur ; c’est une limitation sérieuse au regard de l’objectif visé par les auteurs du texte. Le lien fort, au contraire, permet de remonter, via ses empreintes, jusqu’à l’usurpateur.
Ainsi, seul le lien fort répond aux objectifs de la proposition de loi.
Concernant les prétendues atteintes aux libertés fondamentales, la version du texte que je vous propose de rétablir comporte toutes les garanties juridiques recherchées. Le lien fort, complété par ces garanties très claires, permet ainsi de préserver les libertés fondamentales reconnues à chacun de nos concitoyens.
Il y a d’abord ce que le Conseil d’État et la CNIL ont recommandé en matière d’enregistrement de données, c’est-à-dire une limitation à deux empreintes digitales et l’absence de reconnaissance faciale, garantie qui est clairement inscrite dans la proposition de loi.
Il y a ensuite ce que la CNIL impose comme garantie en matière d’utilisation des fichiers : un accès à la base restreint aux seuls agents de l’Agence nationale des titres sécurisés avec une traçabilité de ces accès ; des données segmentées pour une meilleure protection ; une sécurité des transmissions et contre les intrusions.
Il y a enfin ce que la proposition de loi impose dans la restriction de l’usage de .la base et qui constitue des garanties complémentaires pour les libertés publiques. Ainsi, comme le recommande la CNIL, toute interconnexion de la base TES avec d’autres fichiers publics sera interdite. Cela signifie que l’usage de la base TES sera clairement limité à la protection de l’identité, à l’exclusion de tout autre objectif.
Par ailleurs, la proposition de loi limite à trois cas, et à trois cas seulement, la possibilité d’utilisation du traitement permettant de remonter à une identité à partir d’une empreinte : premièrement, très logiquement, au moment de la délivrance ou du renouvellement du titre, afin d’en garantir la bonne fabrication et la remise à la bonne personne ; deuxièmement, sous le contrôle du procureur, dans le seul cadre des infractions liées à usurpation d’identité, ce qui garantit de fait la conformité aux objectifs de la loi ; troisièmement, toujours sous contrôle du procureur, pour permettre l’identification de victimes d’accidents collectifs ou de catastrophes naturelles.
Ces garanties inscrites dans le texte sont très fortes et permettent d’atteindre l’équilibre que nous recherchons tous entre lutte contre l’usurpation d’identité et protection des libertés publiques ; elles constituent en même temps des garanties très claires en comparaison de celles qu’apporte un lien faible dont la configuration technique et les limites restent floues.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la version de la proposition de loi à laquelle l’Assemblée nationale est parvenue à l’issue de sa dernière lecture permettait d’inscrire dans notre droit les moyens de protéger véritablement l’identité de nos concitoyens sans porter atteinte à leurs libertés fondamentales. Le texte proposé par votre commission des lois modifie profondément cet équilibre, au détriment de la lutte contre l’usurpation d’identité.
Dans l’intérêt de nos compatriotes et au nom du Gouvernement, je vous demande donc de revenir, en adoptant l’amendement que je vous présenterai à l’article 5, à la version retenue par l’Assemblée nationale. §