Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 21 février 2012 à 14h30
Protection de l'identité — Discussion en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il s’agit là d’un débat essentiel, dans lequel il y a clairement deux positions en présence, celle de la majorité du Sénat, d’une part, et, d’autre part, celle du Gouvernement et de la majorité de l’Assemblée nationale.

Le sujet est extrêmement important puisqu’il touche aux libertés publiques, aux libertés individuelles, au respect de la vie privée.

Notre rapporteur, M. François Pillet, vient d’expliquer éloquemment qu’il existait une procédure permettant de répondre strictement au problème de l’usurpation d’identité : le « lien faible » permet effectivement de déjouer l'usurpation d'identité avec un taux de réussite de 99, 9 %. Par conséquent, il est possible de parer au problème posé sans avoir recours à un gigantesque fichier qui présenterait beaucoup de risques et auquel, comme M. le rapporteur vient de l’expliquer, la plupart des États européens ont renoncé.

Ainsi, mes chers collègues, nous sommes devant un choix très important. Sur ce sujet, on constate la constance de la commission des lois du Sénat pour défendre le respect des libertés publiques, des libertés individuelles et de la vie privée.

Ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, « la CNIL est inquiète : les restrictions juridiques seront toujours moins efficaces que les restrictions techniques, qui rendent impossible l'utilisation de la base à des fins détournée ». Je cite encore la CNIL : « À la différence de toute autre donnée d’identité, et à plus forte raison de toute autre donnée à caractère personnel, la donnée biométrique n’est pas attribuée par un tiers ou choisie par la personne : elle est produite par le corps lui-même et le désigne ou le représente, lui et nul autre, de façon immuable. Elle appartient donc à la personne qui l’a générée. On comprend dès lors que toute possibilité de détournement ou de mauvais usage de cette donnée fait peser un risque majeur sur son identité. Confier ses données biométriques à un tiers, lui permettre de les enregistrer et de les conserver n’est donc jamais un acte anodin : cela doit répondre à une nécessité a priori exceptionnelle, justifiée, et être entouré de garanties sérieuses. »

C'est pour cette raison que nous avons retenu le dispositif technique existant : il rend impossible l'identification d'une personne à partir de ses seules empreintes digitales, mais il est efficace pour la détection des fraudes à l'identité.

Je sais que le Gouvernement a modifié quelque peu sa position à la suite des remarques formulées par la CNIL. Pour autant, les garanties qu'il offre – qu'il prétend offrir, faudrait-il dire – pourront toujours être levées dans une loi ultérieure, comme cela a été le cas pour les extensions répétées du champ et des utilisations des fichiers de police : il n’est que de voir ce qui s'est passé au cours des dix dernières années.

Sur ce sujet, nous devons faire preuve d'un grand scrupule.

Monsieur le ministre, si une raison, ne serait-ce qu’une seule, avait pu justifier d’aller au-delà de la seule lutte contre l'usurpation d'identité, vous l'auriez sans aucun doute invoquée. Dans ces conditions, pourquoi aller plus loin alors que ce n'est pas nécessaire ?

De façon très éclairante, monsieur le rapporteur, vous faites valoir qu'il s'agit d'une question de principe : « Permettre [l’]usage [de ce fichier de 60 millions de Français] à d’autres fins que celle de la lutte contre l’usurpation d’identité présente des risques pour les libertés publiques. La commission a souhaité supprimer ces risques en doublant les garanties juridiques par une garantie matérielle, qui assure que l’identification d’une personne par ses seules empreintes soit impossible. Les garanties juridiques peuvent changer, la garantie matérielle, elle, restera. »

Dans la lutte contre l’usurpation d’identité, M. Guéant souhaite le « zéro défaut ». Autrement dit, il veut passer de 99, 9 % à 100 %. Pour notre part, nous sommes très attachés au principe du « zéro risque » pour les libertés publiques. Avec la solution du fichier à « lien faible » que nous défendons, nous parvenons à 99, 9 % de fiabilité dans la lutte contre l'usurpation d'identité et au « zéro risque » pour les libertés publiques et les libertés individuelles.

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