Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 21 février 2012 à 14h30
Protection de l'identité — Suite de la discussion en nouvelle lecture et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur la protection de l’identité n’en finit pas de diviser la majorité de l’Assemblée nationale et celle du Sénat. Nous voici donc à la quatrième lecture de ce texte.

C’est non pas sur l’existence d’un fichier central biométrique de la population que porte notre désaccord, mais bien sur son utilisation à travers la base de données que crée cette proposition de loi. En effet, la base TES – titres électroniques sécurisés – regroupera l’ensemble des données, y compris biométriques, de tous les porteurs d’une carte d’identité, constituant un gigantesque fichier.

Le lien faible que nous proposons s’oppose au lien fort pour une raison simple : nous pouvons avoir accès aux données biométriques d’une personne ou vérifier ces données à partir de son identité, mais il est impossible d’établir son identité à partir de ses données biométriques.

Le lien fort permet les deux : confronter l’identité de la personne à ses données biométriques, ce qui permet de vérifier son identité, et le contraire, à partir de données biométriques, retrouver son identité.

Ces deux conceptions de l’exploitation d’une base centrale des données s’opposent, et c’est la raison pour laquelle, compte tenu de l’objet de ce texte, qui est de lutter contre l’usurpation d’identité, le lien faible est tout à fait suffisant.

En effet, en ayant connaissance de l’identité, nous sommes en mesure de retrouver les empreintes biométriques. Bref, nous pouvons permettre l’identification des victimes de toute usurpation d’identité, contre laquelle nous luttons ainsi de manière totalement sûre et complète.

Par conséquent, le lien faible permet de constater l’usurpation d’identité et d’établir quelle est la victime de cette usurpation.

Le lien fort permettrait quant à lui l’identification du coupable. Mais vouloir le lien fort, ce n’est plus vouloir lutter contre l’usurpation d’identité, c’est en réalité créer un fichier de police afin d’être capable de remonter à l’usurpateur. La démarche n’est plus du tout la même.

En outre, lorsqu’on envisage les perspectives de détournement – tous les fichiers sont détournés un jour ou l’autre – qui sont possibles avec de tels fichiers à lien fort entre l’identité et toutes les données biométriques, dont les visages – au moyen des caméras de surveillance –, cette évolution de la société telle que vous nous la proposez fait froid dans le dos !

C’est la raison pour laquelle le lien faible semble être la seule solution permettant de garantir les libertés individuelles.

Je voudrais formuler quelques remarques sur les déclarations du ministre de l’intérieur lors du dernier débat à l’Assemblée nationale.

Tout d’abord, précisons-le, le lien fort et le lien faible sont deux concepts mathématiques de gestion des fichiers ; cela n’a rien à voir avec un brevet spécifique qui serait attribué à une entreprise.

Ensuite, M. Guéant qualifie le lien faible d’« illusion ». En réalité, il s’agit d’une confusion dans son esprit. La lutte contre l’usurpation d’identité, c’est une chose ; la mise en place d’un fichier de police permettant de remonter vers les usurpateurs, c’en est une autre. Ces deux manières d’appréhender ce débat sous-tendent deux conceptions différentes de la société.

En l’espèce, notre mobilisation est totale, car il y va de la liberté individuelle, du respect de la vie de nos concitoyens.

Il s’agit en fait de tourner la page sur toute une période de notre pays, qui a commencé avec le scandale SAFARI en 1974 – j’étais assez jeune à l’époque –, quand le gouvernement d’alors avait voulu créer un fichier croisant l’ensemble des données de plusieurs fichiers différents. Ce projet ayant suscité une telle révolte de l’ensemble de la population, y compris de la presse, le Premier ministre de l’époque n’avait pu le mettre en œuvre. C’est ainsi qu’est née, en 1978, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, créée par la loi Informatique et libertés.

En allant dans le sens de ce que nous propose le Gouvernement aujourd’hui, nous tournerions la page sur cette époque, au cours de laquelle la CNIL a veillé sur l’évolution de l’informatique. La même CNIL, d’ailleurs, conteste aujourd’hui totalement le lien fort défendu par le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale.

Il est particulièrement inquiétant que nous soyons incités à passer outre ces trente années : la CNIL nous a protégés, un certain nombre de principes tendant au respect des libertés ont favorisé la mise en place progressive d’une société plus informatisée, mais soucieuse de garantir les libertés.

Pourtant, vous nous proposez une nouvelle société que nous ne pouvons accepter. Le passeport biométrique, qui a été en partie sanctionné par le Conseil d’État, le suivi des étrangers par prise d’ADN ou d’empreintes biométriques, la commercialisation, par le Gouvernement, des données des fichiers des immatriculations, le scandale des « fadettes », bref, tout cela invite à la méfiance et nous ne pouvons pas, au-delà même de ce que j’ai dit tout à l’heure sur les risques du lien fort, a fortiori dans les circonstances actuelles, accepter ce type de démarche.

À mon sens, le seul pays, hormis Israël, qui s’est engagé dans cette démarche en faveur du lien fort, c’est l’Inde, qui utilise lui aussi un argument tout à fait étonnant. En France, on nous parle d’usurpation d’identité ; là-bas, on évoque la protection des pauvres, qui, ne sachant lire mais pouvant être identifiés par l’iris de l’œil, n’auraient pas besoin de papiers pour prouver leur identité. Il est tout de même assez étonnant de voir un gouvernement, qui, plutôt que de s’appliquer à développer une politique d’éducation, veut créer un lien fort pour identifier l’ensemble de sa population !

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