Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons régulièrement adapter notre droit à l’évolution de l’organisation des entreprises.
Plusieurs dossiers récents ont montré que des entreprises en difficulté peuvent se trouver sous la dépendance de « tiers » qui ont la capacité de prélever les actifs de l’entreprise avant que les difficultés ne soient publiques et de la priver ainsi de toute possibilité de répondre à ses obligations urgentes, notamment sociales et environnementales.
Le dossier le plus récent est celui de la société Petroplus France et de sa raffinerie de Petit-Couronne. Les salariés, dont je tiens à saluer à mon tour les représentants ici présents, avec lesquels nous avons régulièrement des réunions de travail, attendent avec impatience que les stocks de produits qu’ils ont raffinés – le fruit de leur travail – puissent être conservés au service de leur outil de travail.
Il ne s’agit pas d’une proposition de loi partisane. Il ne s’agit pas non plus, convenons-en, d’une grande initiative de politique industrielle. Il s’agit tout simplement de donner à ces salariés, qui sont légitimement inquiets sur l’avenir de leur outil industriel, la garantie que le fruit de leur travail ne sera pas capté par un tiers.
Dès que la nécessité d’un texte législatif a été connue, le Premier ministre, François Fillon, s’en est immédiatement entretenu avec Laurent Fabius, ancien Premier ministre et député de la circonscription de Petit-Couronne, qui lui a donné son accord. Le Président de la République a lui-même évoqué le dossier vendredi dernier lors d’une réunion avec les représentants des salariés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, pour réussir à adopter cette proposition de loi avant la fin imminente de la législature, il faut un vote conforme à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Lors de son examen à l'Assemblée nationale le 28 février dernier, cette proposition de loi a été enrichie par deux amendements, déposés l’un par l’ancien Premier ministre Laurent Fabius, l’autre par Mme Françoise Guégot, rapporteur du texte. Tous deux étendent le volet social de la proposition de loi. Ils répondent à la fois aux préoccupations des salariés, qui demandent à juste titre à être informés des actions engagées, aux souhaits des parlementaires et aux engagements du Président de la République.
Par conséquent, je crois que chacun peut voter ce texte, ainsi amendé, afin qu’il entre en vigueur au plus vite.
Le cas le plus évident auquel nous devons faire face est celui des filiales françaises de groupes internationaux.
L’internationalisation croissante des entreprises conduit le modèle dit de « groupe de sociétés » à devenir toujours plus complexe, tout en reposant parfois sur des prises de décision de plus en plus centralisées, donnant à ces groupes toutes les caractéristiques d’une entreprise unique, avec pour corollaire le fait que les structures françaises de ces groupes se révèlent peu autonomes, voire ne le sont pas du tout.
Ainsi, dans l’industrie pétrochimique, nous avons récemment constaté, s’agissant du groupe Petroplus, l’existence de deux niveaux de filiales. La société mère suisse a en France une première filiale, jouant le rôle de holding, dont dépendent plusieurs autres filiales. Pourtant, une part très importante des décisions remonte à la holding de tête suisse. C’est pourquoi, encore aujourd’hui, les stocks sur le site de Petit-Couronne sont la propriété non pas de la raffinerie, mais d’une autre société, installée en Suisse.
La conséquence pratique d’organisations de ce type est que le dépôt de bilan de l’une des sociétés, voire le dépôt de bilan en cascade de l’ensemble de la pyramide, peut laisser les pouvoirs publics face à une situation où un site de production qui devrait avoir un avenir n’a plus aucune ressource pour organiser celui-ci.
Le texte prévoit déjà certains outils pour faire face à ce type de situation, mais l’expérience montre que l’évolution des structures des entreprises et des groupes doit nous conduire à adapter encore notre droit.
Lorsqu’une société en est au stade de la liquidation judicaire, le juge-commissaire peut d’ores et déjà, en l’état du droit, prendre des mesures conservatoires sur les stocks qui appartiennent à la société mère, voire, dans le cas que j’ai exposé, à la société grand-mère. L’ensemble de ces dispositions permettent d’intervenir après l’arrêt d’activité d’un site, ou lorsque la maison mère se trouve in bonis, mais non pour prévenir l’arrêt du site, lorsque la maison mère a disparu ou fait elle-même l’objet d’une procédure de sauvegarde.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est aujourd'hui soumis vise à combler cette lacune. Il prévoit en effet de donner au juge-commissaire les moyens d’agir pour préserver les intérêts des salariés et de la collectivité publique.
Cette proposition de loi permet ainsi une action en trois temps qui répond bien aux enjeux que je viens de rappeler.
Premier temps, la proposition de loi étend à la procédure de redressement judiciaire les facultés dont dispose déjà aujourd’hui le juge lors d’une liquidation judiciaire, en termes de mesures conservatoires prises sur les biens d’une société tierce.
Deuxième temps, la proposition de loi crée la possibilité de céder ces biens, toujours à titre conservatoire. Elle prévoit ainsi que le juge-commissaire pourra décider d’autoriser la vente des stocks, avec mise sous séquestre des sommes ainsi mobilisées. Il s’agit là d’une mesure très importante.
Troisième temps, la proposition de loi prévoit que les sommes sous séquestre puissent être au moins en partie mobilisées à titre conservatoire pour faire face à des dépenses urgentes.
Enrichie des deux amendements adoptés à l'Assemblée nationale, la proposition de loi consolide les droits des salariés. Elle permet la mobilisation des sommes sous séquestre pour satisfaire aux obligations sociales et environnementales de l’entreprise.
Ce texte va nous permettre d’apporter une protection efficace et concrète à un grand nombre d’entreprises en difficulté. Nous disposerons ainsi d’un outil supplémentaire pour assurer un avenir à ces dernières. C’est pourquoi le Gouvernement soutient la proposition de loi présentée aujourd’hui et vous demande de la voter de manière conforme. §