Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 1er mars 2012 à 9h30
Mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet a été rapidement soumise à notre examen en raison de la situation de l'entreprise Petroplus de Petit-Couronne et de l'inquiétude des salariés, notamment quant à la pérennité de ce site. Je tiens à mon tour à saluer leurs représentants venus assister à ce débat.

Mes chers collègues, les divergences entre nous sont nombreuses, en particulier en matière de politique industrielle, et les quelques décisions qui peuvent faire l’objet d’un accord n'effacent pas les indécisions ou les choix politiques, stratégiques, économiques, fiscaux, industriels du Gouvernement que nous sommes un certain nombre, voire une majorité, à ne pas partager dans cet hémicycle.

Pourtant, monsieur le garde des sceaux, sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui, vous avez souligné les convergences qui se sont fait jour entre élus politiques de sensibilités différentes. Pour notre part, nous considérons que, quels que soient la situation et le contexte, il est positif que des élus d’opinions diverses, parce qu’ils sont attachés à notre économie, à nos entreprises, puissent se rejoindre pour prendre ou proposer au Parlement un certain nombre de mesures. Nous devons viser le bien commun.

Par ailleurs, nous avons été extrêmement attentifs – et les membres de la commission des lois tout particulièrement – à la position des organisations syndicales de l'entreprise. Le rapport que j'ai rédigé au nom de la commission des lois reproduit la déclaration du représentant de l'intersyndicale de Petroplus, publiée hier matin par l'Agence France-Presse : « Il est primordial que la loi existe. » Et ce, en dépit des regrets qu’a suscités le rejet d’un certain nombre d’amendements à l'Assemblée nationale. Dès lors, les membres de la commission des lois ont jugé nécessaire que nous prenions nos responsabilités, pour préserver les intérêts tant de l'entreprise en France que des salariés.

Cette proposition de loi a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale voilà quelques jours par Mme Françoise Guégot, qui a ensuite été nommée rapporteur. Elle et moi avons travaillé de conserve et avec une volonté constructive afin d’aboutir à des points d’accord susceptibles de trouver leur traduction dans des rédactions ou des amendements. Pour autant, il reste des sujets sur lesquels nous n'avons pu parvenir à des solutions communes.

Ce texte de six articles est technique. Il modifie le livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises, c’est-à-dire le droit des procédures collectives – sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire –, en prévoyant que puissent être ordonnées, à l’occasion de certaines actions judiciaires engagées dans le cadre des procédures collectives, des mesures conservatoires à l’égard de biens appartenant à des tierces personnes.

Pour simplifier, la société Petroplus Petit-Couronne, aujourd’hui en redressement judiciaire, raffine dans ses installations du pétrole qui appartient à la holding suisse Petroplus, dont l’avenir économique est, semble-t-il, sérieusement compromis. On pourrait considérer que cette holding, en raison de sa forte immixtion dans la gestion de sa filiale, est de fait le dirigeant de Petroplus Petit-Couronne. Dans ces conditions, il serait possible pour l’administrateur judiciaire de Petroplus Petit-Couronne d’engager une action contre la holding, de manière à faire reconnaître sa responsabilité dans la cessation des paiements de sa filiale, et donc à la faire contribuer à la procédure de redressement.

Or le pétrole qui se trouve dans les cuves de Petroplus Petit-Couronne serait bien utile, par la valeur qu’il représente – on parle de 200 millions d'euros –, pour contribuer au redressement de la société française et à la poursuite de son activité. Pourtant, son propriétaire, la holding de Petroplus, peut vouloir le récupérer, pour contribuer à son propre redressement, avant que le jugement au fond sur sa responsabilité dans la cessation des paiements ne soit prononcé. Il s’agit là d’un grave problème sur lequel m'a particulièrement sensibilisé notre collègue Marc Massion, qui, comme d’autres ici, suit depuis longtemps ce sujet, et à propos duquel je me suis entretenu hier avec Thierry Foucaud et Catherine Morin-Desailly, tous deux élus de ce département.

En commission, notre collègue François Pillet m'a posé une question à laquelle je n'ai pu répondre immédiatement. Selon les informations que vous m'avez transmises, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, outre une enquête pénale ordonnée par le ministère public, les administrateurs judiciaires de Petroplus ont engagé plusieurs actions civiles, dont aucune ne correspond à ce jour à l'une de celles qui sont visées par la proposition de loi : action en extension ou action en responsabilité pour faute des dirigeants. Dès lors, mes chers collègues, si, dans quelques jours, après la promulgation de ce texte que la commission des lois vous propose d'adopter, une action en responsabilité est engagée par les administrateurs à l'égard de la holding de Petroplus, elle pourra donner lieu au prononcé des mesures conservatoires prévues par cette proposition de loi.

Il va de soi que ce qui concerne aujourd'hui Petroplus peut tout aussi bien, à l'avenir, concerner toutes sortes d'entreprises ou d'activités.

La proposition de loi permet d’ordonner des mesures conservatoires, par exemple la saisie, à l’égard des biens des dirigeants de droit ou de fait dans le cadre d’une action en responsabilité qui serait engagée en cas de redressement ou de liquidation. Les biens saisis sont donc indisponibles pour leur propriétaire, dans l’attente du jugement au fond sur sa responsabilité. Ce sont les articles 2 et 3 de la proposition de loi qui organisent ce mécanisme. Les mesures conservatoires sont ordonnées par le président du tribunal, à la demande de la personne ayant introduit l’action.

La proposition de loi permet aussi – c’est l’article 1er – d’ordonner de telles mesures conservatoires dans le cadre de l’action en extension, déjà prévue par le code de commerce pour les trois procédures collectives, grâce à laquelle la procédure peut viser d’autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui de la société ou de fictivité de la personne morale.

À ce jour, le code de commerce ne prévoit les mesures conservatoires que dans le cadre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Ces mesures conservatoires dérogent au droit commun en la matière, tel qu’il résulte de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution.

Pour mémoire, je tiens d’ailleurs à rappeler, messieurs les ministres, que l’action en insuffisance d’actif, lorsqu’elle a été instituée par la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, pouvait être engagée dans le cadre de la sauvegarde, du redressement et de la liquidation judiciaires.

Or, mes chers collègues, une ordonnance du 18 décembre 2008, prise sur le fondement de la loi de modernisation de l’économie, est venue retreindre le champ de cette action pour insuffisance d’actif à la seule liquidation.

À mon sens, si le Gouvernement n’avait pas pris cette ordonnance, dont, je dois le dire, la pertinence et les justifications m’échappent, il n’aurait pas aujourd’hui besoin de cette proposition de loi. En effet, dans le cas d’une société en redressement comme Petroplus, une action en insuffisance d’actif aurait pu être engagée contre la holding, sur le fondement du texte de 2005, hélas ! modifié en 2008, et la saisie du pétrole à Petit-Couronne aurait pu être ordonnée.

Les mesures conservatoires prévues par la présente proposition de loi permettent en pratique d’empêcher que ne disparaissent des biens appartenant à un tiers, mais susceptibles d’être joints à l’actif de la société en redressement, si la responsabilité civile du tiers est reconnue. Elles donnent aussi un pouvoir de négociation avec ce tiers pour discuter de l’avenir économique de sa filiale. Enfin, si la responsabilité du tiers est reconnue, ses biens peuvent être joints à la procédure de redressement et donc servir au paiement des créances et de toutes les obligations de la société en redressement : salaires, avantages sociaux, obligations sociales et environnementales.

Le texte comprend, à l’article 4, une dernière disposition importante qui concerne le droit de propriété, lequel – vous le savez, mes chers collègues – est garanti par la Constitution.

À ce titre, lorsqu’il est apporté des limitations à ce droit – c’est le cas ici avec les mesures conservatoires –, dans un but d’intérêt général qui est la poursuite d’activité de l’entreprise, il importe que des garanties suffisantes déterminées par la loi les accompagnent. Il ne faudrait pas, en effet, qu’une question prioritaire de constitutionnalité vienne mettre en cause l’article que nous nous apprêtons à voter.

À cet égard, je tiens à faire une double mise au point précise, laquelle figurera donc au compte rendu intégral de cette séance.

D’une part, le texte prévoit que les biens faisant l’objet d’une mesure conservatoire peuvent être cédés, lorsque leur conservation engendre des frais ou qu’ils sont sujets à dépérissement. La cession est autorisée par le juge-commissaire chargé de suivre la procédure, aux prix et conditions qu’il détermine. Le produit de la cession doit être consigné à la Caisse des dépôts et consignations, dans l’attente du jugement au fond. C’est somme toute assez pertinent : il est sans doute préférable de vendre un stock de matériel ayant fait l’objet d’une saisie et d’en consigner le produit plutôt que de le laisser dépérir. Peut-être est-il possible de faire le même raisonnement pour le pétrole ?

Le rapporteur de l’Assemblée nationale, Mme Guégot, a apporté des garanties sur les droits du propriétaire des biens au moyen d’amendements sur lesquels nous avions travaillé ensemble. À mon sens, il y a donc là une première garantie par rapport au risque de remise en cause sur le fondement du droit de la propriété.

D’autre part, le texte permet que le produit de la cession des biens faisant l’objet d’une mesure conservatoire puisse, à titre dérogatoire, être affecté aux frais engagés pour les besoins de la gestion des affaires du propriétaire de ces biens. Là encore, il y avait atteinte au droit constitutionnel de propriété. Aussi, Mme le rapporteur de l’Assemblée nationale a prévu, au travers d’un amendement sur lequel nous avons également travaillé, que l’affectation du produit de la cession devait résulter, elle aussi, d’une autorisation du juge-commissaire. Je précise que la gestion des affaires du propriétaire des biens inclut donc – ce point doit être bien noté, car je sais que les représentants des salariés y étaient très attentifs – les obligations sociales et environnementales résultant pour lui de la propriété de ces biens. L’adoption de cet amendement par l’Assemblée nationale, sur l’initiative de Mme Guégot, aboutit donc à lever toute ambiguïté à cet égard.

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