Je dis « notre département » à dessein, puisque nous sommes plusieurs, chers collègues de la Seine-Maritime, à nous être mobilisés ce matin sur un texte de loi, certes de portée générale, mais de nature à répondre à la situation de cette entreprise.
Je ne rappellerai pas par le menu la longue histoire de la Société maritime des pétroles, de la raffinerie de Petit-Couronne construite et mise en service en 1929, longtemps exploitée par la Shell avant d’être cédée au groupe suisse Petroplus en 2005. La presse s’est fait largement l’écho non seulement des péripéties qui ont conduit malheureusement ledit groupe, enregistrant de lourdes pertes d’exploitation depuis 2009, à la cessation de paiement, occasionnant l’arrêt de la raffinerie, mais surtout, à chaque étape, du désarroi grandissant des salariés.
Au moment où nous avons été alertés sur le sujet, j’ai personnellement reçu les salariés à leur demande à la fin du mois de décembre, puis je me suis rendue sur place, une première fois, comme beaucoup d’autres élus, au début du mois de janvier. Entre-temps, les choses se sont accélérées. Aujourd’hui, il nous faut répondre à une situation d’urgence, dont chacun aura pris la mesure, le groupe Petroplus ne semblant prêt à assumer ni sa responsabilité sociale à l’égard des 550 employés ni sa responsabilité environnementale quant aux risques de pollution liés à la vétusté du site ainsi abandonné.
Monsieur le rapporteur, messieurs les ministres, vous avez bien exposé l’objet de ce texte technique, mais stratégique : permettre de faire obstacle à ce que des tiers prélèvent des actifs au sein d’entreprises défaillantes. Il est de notre responsabilité, à nous, législateurs, de veiller à répondre aux situations qui fragilisent nos entreprises tout en complétant les dispositifs existants pour faire évoluer notre droit.
Aussi, je tiens à saluer l’initiative de nos collègues députés de la Seine-Maritime, notamment Françoise Guégot, qui ont déposé le texte à l’Assemblée nationale. S’agissant du cas présent, la raffinerie de Petroplus, il s’inscrit dans la continuité d’une mobilisation générale des parlementaires et de l’ensemble des élus locaux. Cette mobilisation fut suscitée, il faut le reconnaître, par l’ensemble des salariés, dont je tiens à saluer ici l’esprit de responsabilité.
La présente proposition, de bon sens, vise donc à faire face efficacement aux comportements abusifs, en permettant l’adoption de toute disposition paralysant l’organisation de l’abandon d’une entreprise. Le code de commerce présente actuellement une lacune sur ce point. Il prévoit que des mesures conservatoires spécifiques, dérogatoires au droit commun des procédures civiles d’exécution, peuvent être adoptées au stade de la liquidation judiciaire, mais pas au stade de la sauvegarde ni à celui du redressement judiciaire. Avec les dispositions du texte qui nous sont soumises, des saisies conservatoires et des sûretés judiciaires pourront désormais être prises afin d’empêcher des dirigeants, peu scrupuleux, d’organiser leur insolvabilité.
Pour dire vrai, ce texte de portée générale fait partie intégrante d’un plan de sauvetage plus large du site visant à permettre le redémarrage de la raffinerie.
Il permettra certes de sanctuariser les 200 millions d’euros que représentent les stocks de la raffinerie, ce que les salariés appellent leur « trésor de guerre », mais il ne peut suffire à lui seul à régler la situation, comme l’a très clairement rappelé le Président de la République lors de son déplacement sur le site, vendredi dernier. Une bataille essentielle reste donc à mener : trouver un repreneur solide et sérieux qui veuille investir dans l’usine afin d’assurer la pérennité – je dirais même la durabilité ! – de l’entreprise. Je sais, monsieur le ministrechargé de l’industrie, que vous êtes particulièrement mobilisé sur cette question.
Dans l’intervalle, la raffinerie bénéficiera d’un contrat de travail à façon pour le compte de Shell, qui devrait permettre de redémarrer les unités de la raffinerie et d’effectuer les travaux nécessaires.
Il est incontestable que la fermeture de cette raffinerie serait un drame pour notre région.
Un drame humain, avant tout : n’oublions pas que, si une entreprise, c’est un capital financier, des outils, c’est avant tout un capital humain. Ce sont 550 emplois directs et des centaines d’emplois indirects qui sont en jeu !
Un drame écologique aussi, compte tenu non seulement de la vétusté du site, mais aussi des conséquences qu’entraînerait sa fermeture.
Un drame économique enfin, sachant que le trafic lié à l’entreprise représente 10 % de celui du port de Rouen et 10 % de celui du Havre. En tant qu’ancien ministre de l’aménagement du territoire, chargé du Grand Paris, monsieur le garde des sceaux, je pense que vous serez très sensible à cette précision.
L’attention portée à notre région à travers le projet ambitieux du Grand Paris, sur lequel le commissaire général pour le développement de la vallée de la Seine, Antoine Rufenacht, vient de rendre ses conclusions, doit se traduire, de prime d’abord, par le maintien des activités de premier plan, telles que celles de la raffinerie.
Il est vrai que la situation de la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne illustre les difficultés rencontrées par tout un secteur industriel, celui du raffinage. Du fait de la baisse de demande des produits pétroliers liée à la crise, particulièrement en Europe, et surtout en raison de l’inégalité de traitement entre les produits pétroliers raffinés en France et ceux qui sont importés, le raffinage tend à se développer dans les pays émergents, où les normes sociales et environnementales sont moins contraignantes.
Il était nécessaire, monsieur le ministre chargé de l’industrie, que soit mis en œuvre ce plan d’action pour le raffinage décidé par le Gouvernement, en juin dernier, pour pérenniser durablement nos capacités de raffinage sur notre territoire, nos emplois et notre indépendance énergétique.
Avant de conclure, j’ajouterai que la proposition de loi trouve un écho malheureux dans l’actualité des entreprises de Haute-Normandie, région dont je suis l’élue. Après Petroplus, nous avons en effet appris, lundi après-midi, le placement du pôle des quatre quotidiens normands du groupe Hersant, qui détient notamment Paris Normandie, en redressement judiciaire.
La proposition de loi répond donc à des préoccupations très prégnantes pour les élus haut-normands et seinomarins, soucieux de se mobiliser sur le front de la sauvegarde des emplois.
Bien que les deux entreprises précitées connaissent ces difficultés pour des raisons très différentes, elles ont cependant un point commun : leur situation illustre la nécessité d’affronter et d’accompagner aujourd’hui des mutations industrielles de grande ampleur. La crise sans précédent que nous vivons a bel et bien accéléré ce phénomène. Ce qui est en jeu ici, c’est notre capacité à nous mobiliser auprès des entreprises, grandes, petites et moyennes, en veillant à ce que les seules logiques financières de dirigeants peu scrupuleux ne prennent pas le pas sur l’intérêt général.
En conclusion, je tiens à saluer le travail effectué par la commission des lois sur ce texte, compte tenu des délais pour le moins serrés – pour ne pas dire « hors norme » ! – auxquels nous étions soumis. Je remercie également, pour leur travail, notre rapporteur, Jean-Pierre Sueur, ainsi que les administrateurs du Sénat.
Le groupe de l’Union centriste et républicaine votera évidemment la proposition de loi, qui a été améliorée dans le sens d’une plus grande transparence de l’information due aux salariés. Je sais que l’objectif était d’aboutir à l’adoption rapide d’un texte qui soit juridiquement solide, fasse consensus sur le fond et permette de combler un vide juridique.
J’espère que ce texte, qui relève de l’intérêt général, recueillera l’assentiment de l’ensemble de nos collègues.