Intervention de Virginie Klès

Réunion du 26 janvier 2012 à 9h30
Protection de l'identité — Rejet des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie M. le président de la commission des lois du rappel qu’il vient de faire concernant la procédure applicable en cas de CMP.

J’en viens maintenant aux conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection de l’identité.

Le Gouvernement et les députés de la majorité gouvernementale ont la très ferme volonté, pour lutter contre l’usurpation d’identité, de créer une base de données à lien fort, laquelle permettrait d’établir de façon univoque un lien entre, d’une part, les empreintes digitales d’une personne ou sa photographie et, d’autre part, son identité.

On ne peut que s’interroger sur les raisons d’une telle obstination. Des intérêts majeurs, peut-être économiques, sont sans doute en jeu. Mais cette base de données à lien univoque est d’une ampleur et d’une dangerosité telles qu’il me paraît primordial d’évaluer très précisément les intérêts économiques en jeu en même temps que les risques, en dressant un rapport bénéfices-risques, ou contraintes-coûts.

Ce fichier concernera demain tous les Français, y compris les enfants. Il semble donc important d’expliquer la notion de lien fort ou de lien faible avec des mots simples, que tout le monde peut comprendre. Même moi, qui ne suis pas informaticienne, je les ai compris ! Que les spécialistes me pardonnent les quelques approximations un peu grossières qui pourront apparaître au cours de mon explication, mais celle-ci aura au moins le mérite d’être entendue par tous les Français. Les informaticiens que j’ai consultés sur le sujet m’ont d’ailleurs affirmé que l’image utilisée était assez proche de la réalité.

Chaque Français a deux pieds, que l’on habille d’une paire de chaussettes. Imaginons que chacun puisse être identifié par sa paire de chaussettes. Sur une chaussette figurent son identité et son nom, en somme, son identité biographique. Sur l’autre est inscrite son identité biométrique.

Le rangement de cette paire peut se faire de deux façons.

Ces deux chaussettes peuvent tout d’abord être rangées dans deux commodes différentes, reliées l’une à l’autre par un seul fil, dont la loi garantit qu’il ne peut être tiré que dans un sens. Cela signifie que l’on a juste le droit de vérifier que la chaussette présentée par M. Dupond correspond bien à l’autre chaussette, sur laquelle figure son identité biométrique.

Mais ces deux chaussettes peuvent aussi être rangées différemment – et c’est la solution que nous préconisons –, toutes les chaussettes droites, comprenant l’identité biographique des individus, étant regroupées dans un tiroir d’une commode, tandis que toutes les chaussettes gauches, composant l’identité biométrique de ces mêmes individus, étant regroupées dans un tiroir d’une autre commode. En ce cas, ce sont les tiroirs que l’on relie par un fil.

La présente proposition de loi prétend relier les chaussettes par un seul fil, qui ne puisse jamais être tiré que dans un sens. Néanmoins, elle prévoit déjà des dérogations pour tirer le fil dans les deux sens ! Je ne suis donc pas du tout certaine que ce texte offre toutes les garanties juridiques nécessaires.

Que le fil soit tiré entre deux tiroirs me semble préférable. En ce cas, je suis sûre que l’on ne pourra pas, à partir de la chaussette gauche, remonter directement et sans aucun contrôle à la chaussette droite.

La solution que nous préconisons interdira, prétend-on, de remonter jusqu’aux fraudeurs autrement qu’en faisant appel à cent policiers et à dix mille citoyens – c’est l’estimation approximative utilisée par le ministre de l’intérieur –, qui ne compteront pas leurs journées de travail pour apparier les paires de chaussettes en cas de besoin.

Ce n’est absolument pas vrai !

D’une part, les moyens informatiques dont on dispose aujourd'hui permettent facilement, en utilisant un système de tamis, de lier, en cas de besoin, une identité biographique à une identité biométrique. Face à une personne qui allègue une identité, on dispose déjà d’un certain nombre d’informations, qui permettent de faire le tri dans les chaussettes de l’autre tiroir. En effet, on connaît son genre, sa taille approximative, la couleur de ses cheveux, par exemple, ce qui permet de n’avoir plus que quelques identités biométriques entre lesquelles il faut choisir pour vérifier que la personne est bien la bonne.

D’autre part, il ne faut pas oublier que la présente proposition de loi comporte d’autres garanties contribuant à lutter contre l’usurpation d’identité par des fraudeurs. Elles résident notamment dans le contrôle de la délivrance des documents d’état-civil qui permettent l’établissement d’une carte nationale d’identité. Ces contrôles sont en effet renforcés par la loi. Il y aura donc moins de tentatives de fraude.

Lors de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur a lui-même reconnu que le système de base de données à lien fort ne permettra pas toujours de retrouver le fraudeur, lorsque celui-ci voudra se faire délivrer le titre d’identité d’une personne non encore inscrite dans les bases. Cela dit, dans cinq ou dix ans, tout le monde – même les enfants ! – sera enregistré.

Il ne m’a pas échappé que la détention de la carte nationale d’identité n’est pas légalement obligatoire. Mais dans la vie courante, elle l’est. Pour partir en voyage scolaire, au collège, nos enfants ont besoin d’une carte nationale d’identité.

Puisque tout le monde figurera dans la base, la tentation d’usurper l’identité de quelqu'un n’y figurant pas sera rendue impossible, nous dit-on. Il s’agit, là encore, d’un faux argument, car, dans cinq ou dix ans, soixante millions de Français, soixante millions de gens honnêtes, seront enregistrés dans les bases de données.

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