La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé de fixer au mercredi 1er février 2012 la désignation des membres de trois missions communes d’information sur les implants, les pesticides et les inondations dans le sud-est de la France.
Par ailleurs, le groupe de l’Union centriste et républicaine nous a fait savoir qu’il exercerait son droit de tirage pour la création d’une mission commune d’information sur les agences de notation financière, dont la conférence des présidents prendra acte lors de sa réunion du 8 février prochain.
Après un contact avec les groupes politiques et la réunion des sénateurs non-inscrits, M. le président du Sénat propose de reporter ces désignations afin de permettre à la conférence des présidents, lors de sa réunion du 8 février, de poursuivre sa réflexion sur la composition de ces instances à la suite notamment des observations émises par plusieurs groupes.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
La proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales, présentée par M. Éric Doligé (n° 779 [2010-2011]) et inscrite à l’ordre du jour du mercredi 15 février, a été envoyée pour examen à la commission des lois.
J’informe le Sénat que les commissions de la culture et de l’économie ont demandé qu’elle leur soit également renvoyée pour avis.
Dans la mesure où la conférence des présidents, normalement compétente en vertu de l’article 17 de notre règlement, ne se réunira pas avant que ces deux commissions ne rendent leur avis, je propose au Sénat d’autoriser ce renvoi pour avis.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la protection de l’identité (texte de la commission n° 238, rapport n° 237).
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la réunion de la commission des lois n’étant pas encore terminée, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à neuf heures quarante, est reprise à neuf heures quarante-cinq.
La séance est reprise.
Dans la discussion générale, la parole est M. le président de la commission.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous avons dû demander que la séance fût reportée d’un quart d’heure, c’est parce que nos conditions de travail sont difficiles.
Cette semaine, nous examinons en séance publique trois textes relevant de la commission des lois et, la semaine prochaine, nous en étudierons deux. Hier soir, à minuit, nous avons achevé dans cet hémicycle la discussion de quelques articles du projet de loi relatif à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, et, dès sept heures quarante-cinq ce matin, nous étions réunis en commission des lois pour examiner les amendements sur le projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines.
Le Gouvernement souhaite qu’un certain nombre de textes soient examinés par le Parlement. Il en va de même des différents groupes politiques, dans le cadre du temps qui leur est réservé. Or ces différents textes tombent très souvent dans l’escarcelle de la commission des lois. Je tenais à le signaler à toutes fins utiles.
Nous avons donc fort à faire. Je tiens d’ailleurs à remercier les collaborateurs de la commission, qui travaillent beaucoup, ainsi que la direction de la séance.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, il n’est pas habituel pour le président de la commission mixte paritaire que j’ai été sur cette proposition de loi – un président d’ailleurs éphémère puisque la CMP, qui s’est déroulée au Sénat selon l’alternance coutumière et à la date convenue pour permettre le respect de l’ordre du jour prioritaire et la bonne fin du présent texte, cesse d’exister lorsqu’elle a achevé son ouvrage – de prendre la parole à l’occasion de l’examen des conclusions de la CMP.
Si je me résous à intervenir aujourd’hui, c’est pour apporter la réponse qui me paraît absolument nécessaire aux propos qui ont été tenus – ils ne vous ont pas échappé, monsieur le ministre – à l’Assemblée nationale lors de l’examen de ces conclusions, le 12 janvier dernier.
Cette mise au point ne vous concerne en aucun cas, monsieur le ministre, non plus que vos collègues, car ces propos n’ont pas été tenus par le Gouvernement. Le Journal officiel, édition des débats de l’Assemblée nationale, porte témoignage de ce que M. le ministre de l’intérieur s’en est tenu strictement à la défense de son amendement, sans aucunement commenter la procédure d’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire.
Je tiens cependant à faire deux observations au Gouvernement.
En premier lieu, je regrette le dépôt de cet amendement par le Gouvernement après la réunion de la commission mixte paritaire. J’ai toujours été très réticent sur ce procédé, certes inscrit dans la Constitution. J’ai trop vu de fâcheux exemples à cet égard, lorsque les représentants d’une majorité parlementaire se trouvaient de ce fait quasiment contraints d’adopter des dispositions qu’ils avaient refusées lors des débats précédant la commission mixte paritaire. De surcroît, en l’espèce, cet amendement est parfaitement inutile puisqu’il suffisait à l’Assemblée nationale de rejeter les conclusions de la commission mixte paritaire pour obtenir le même résultat et qu’il revenait, en tout état de cause, à chaque assemblée de délibérer de nouveau avant que, in fine, l’Assemblée nationale soit invitée à trancher en dernière instance.
En second lieu, monsieur le ministre, j’observe qu’il est inhabituel de faire examiner les conclusions d’une commission mixte paritaire en premier par la seconde assemblée saisie, a fortiori s’agissant en l’espèce d’une proposition de loi sénatoriale puisque, en l’occurrence, cela ne permettra pas au Sénat de se prononcer séparément sur l’amendement et sur les conclusions de la commission mixte paritaire.
Ces premières observations sont une première réponse à plusieurs députés, au rapporteur de la commission mixte paritaire et à un autre député qui n’en était pas membre, lesquels ont cru discerner dans la réussite de cette commission mixte paritaire une « manœuvre dilatoire », « une attitude qui a pour objectif de retarder l’adoption du texte » ou encore l’« objectif d’entraver l’action de la majorité de l’Assemblée nationale ».
M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.
La proposition de loi relative à la protection de l’identité a été déposée en juillet 2010 par nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel. Elle est une lointaine traduction de travaux menés au sein de notre commission en 2005-2006 par nos collègues Jean-René Lecerf et Charles Guené.
Examinée en séance publique le 31 mai 2011 par le Sénat, elle est inscrite dès le 7 juillet pour sa première lecture à l’Assemblée nationale. Dès la rentrée sénatoriale, le 19 octobre 2011, la commission des lois examine le rapport en deuxième lecture de notre collègue François Pillet, confirmé rapporteur après le changement de majorité au Sénat.
Le texte est adopté en séance publique par le Sénat le 3 novembre, avec un vote conforté par une forte majorité – 340 voix contre 4 – sur la seule disposition qui demeurait en navette à l’issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale effectuée le 13 décembre.
La commission mixte paritaire s’est réunie le 10 janvier 2012, c’est-à-dire le jour même de la reprise des travaux du Parlement en janvier. On ne pouvait pas faire mieux ! Elle n’avait à se prononcer que sur un seul article, signe que des convergences ont été trouvées sur le reste du texte au cours de la navette, exemplaire.
Que demande la Constitution aux sept députés et aux sept sénateurs titulaires, ainsi qu’à leurs suppléants participant au débat en tout état de cause, et le cas échéant au vote si un titulaire manque à l’appel, comme ce fut le cas en l’espèce pour François Pillet, rapporteur, qui ne put être parmi nous, ce qui vaudra à Virginie Klès de vous rendre compte du fond du sujet dans un instant ?
La Constitution, dans son article 45, prévoit que la commission mixte paritaire est « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion ». C’est l’un des libellés les plus simples et les plus limpides qui soit.
On ne demande pas aux membres de la commission mixte paritaire de faire preuve de prescience et d’aboutir à tout coup, comme le voudraient certains députés et comme l’a déclaré Jean-Luc Warsmann, « à une version susceptible de rassembler une majorité dans chacune des deux assemblées ».
On ne leur demande pas non plus, contre la majorité présente en leur sein, de faire plaisir à l’Assemblée nationale parce que celle-ci est impatiente d’avoir le dernier mot et – je cite les propos tenus en séance par un député – d’« aboutir à l’adoption du texte de compromis issu des travaux de l’Assemblée nationale en deuxième lecture, dans la mesure où celui-ci répondait véritablement aux principales inquiétudes exprimées par le Sénat ».
Cette citation du député Philippe Goujon, rapporteur pour l’Assemblée nationale de la commission mixte paritaire, montre qu’il considère qu’une assemblée est subordonnée à une autre, qu’elle est subsidiaire en quelque sorte, ce qui est contraire à la lettre et à l’esprit de notre Constitution.
Cette curieuse conception réductrice, qui imposerait à la commission mixte paritaire de s’autocensurer pour rechercher une majorité en son sein en vue de « proposer un texte sur les dispositions restant en discussion », a conduit mon homologue de l’Assemblée nationale, le président Jean-Luc Warsmann, à parler de « majorité de circonstance » et de « dévoiement de la procédure de la CMP ». Si j’en crois les propos de son rapporteur, de telles pensées ne l’auraient sans doute pas effleuré si la majorité de la commission mixte paritaire avait été d’une autre sorte.
On se croirait revenu au temps d’avant 1981, quand l’Assemblée nationale ne désignait pour la représenter aux commissions mixtes paritaires que des membres de sa majorité. Or tel n’est heureusement plus le cas, l’Assemblée nationale ayant depuis cette époque rejoint le Sénat dans sa pratique et chaque assemblée respectant des proportions homothétiques pour sa composition.
Ainsi Jean Gicquel peut-il indiquer : « Le principe logique est que la composition des commissions mixtes paritaires reflète les rapports des forces politiques ».
Tel fut bien le cas en l’espèce. Chacun était en place et le vote de la commission mixte paritaire reflète bien les votes intervenus au cours de la navette.
Que l’Assemblée nationale ait rejeté le texte élaboré par la commission mixte paritaire, c’est bien sûr parfaitement constitutionnel et prévu à l’article 45. Cela montre à l’évidence que la Constitution attend des membres de la commission mixte paritaire non pas qu’ils fournissent à tout coup un texte « adoptable », mais bien qu’ils tentent de montrer à leurs assemblées la voie d’un compromis, et que, en tout cas, il est évidemment légitime que la commission mixte paritaire puisse adopter une position par un vote majoritaire en son sein. Convenez, mes chers collègues sénateurs – je m’adresse en fait à certains de mes collègues députés… – que c’est la moindre des choses dans une instance démocratique !
Il est donc scandaleux et totalement inacceptable qu’un député – en l’espèce M. Éric Ciotti – ait pu parler à l’Assemblée nationale, s’agissant de cette commission mixte paritaire, d’un « coup de force institutionnel ». §
Je dénonce avec la dernière énergie ce propos absurde et offensant pour celui qui a présidé cette commission mixte paritaire.
Mes chers collègues, cette mise au point étant faite, je vais laisser la parole à Mme Virginie Klès, que je remercie d’ailleurs chaleureusement d’avoir accepté, en ces circonstances, d’être rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Lors de la très probable nouvelle lecture, nous retrouverons François Pillet, qui est toujours rapporteur de la commission des lois et toujours pleinement d’accord, comme il me l’a confirmé hier, avec la position adoptée par le Sénat en deuxième lecture par 340 voix contre 4 et retenue par la commission mixte paritaire.
Cette mise au point, vous l’avez compris, me tenait à cœur, car nous ne pouvons laisser sans réponse les propos ineptes que je viens de rappeler. Quelles que soient nos légitimes différences, je suis persuadé que nous serons unanimes pour déplorer et condamner de telles déclarations. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie M. le président de la commission des lois du rappel qu’il vient de faire concernant la procédure applicable en cas de CMP.
J’en viens maintenant aux conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection de l’identité.
Le Gouvernement et les députés de la majorité gouvernementale ont la très ferme volonté, pour lutter contre l’usurpation d’identité, de créer une base de données à lien fort, laquelle permettrait d’établir de façon univoque un lien entre, d’une part, les empreintes digitales d’une personne ou sa photographie et, d’autre part, son identité.
On ne peut que s’interroger sur les raisons d’une telle obstination. Des intérêts majeurs, peut-être économiques, sont sans doute en jeu. Mais cette base de données à lien univoque est d’une ampleur et d’une dangerosité telles qu’il me paraît primordial d’évaluer très précisément les intérêts économiques en jeu en même temps que les risques, en dressant un rapport bénéfices-risques, ou contraintes-coûts.
Ce fichier concernera demain tous les Français, y compris les enfants. Il semble donc important d’expliquer la notion de lien fort ou de lien faible avec des mots simples, que tout le monde peut comprendre. Même moi, qui ne suis pas informaticienne, je les ai compris ! Que les spécialistes me pardonnent les quelques approximations un peu grossières qui pourront apparaître au cours de mon explication, mais celle-ci aura au moins le mérite d’être entendue par tous les Français. Les informaticiens que j’ai consultés sur le sujet m’ont d’ailleurs affirmé que l’image utilisée était assez proche de la réalité.
Chaque Français a deux pieds, que l’on habille d’une paire de chaussettes. Imaginons que chacun puisse être identifié par sa paire de chaussettes. Sur une chaussette figurent son identité et son nom, en somme, son identité biographique. Sur l’autre est inscrite son identité biométrique.
Le rangement de cette paire peut se faire de deux façons.
Ces deux chaussettes peuvent tout d’abord être rangées dans deux commodes différentes, reliées l’une à l’autre par un seul fil, dont la loi garantit qu’il ne peut être tiré que dans un sens. Cela signifie que l’on a juste le droit de vérifier que la chaussette présentée par M. Dupond correspond bien à l’autre chaussette, sur laquelle figure son identité biométrique.
Mais ces deux chaussettes peuvent aussi être rangées différemment – et c’est la solution que nous préconisons –, toutes les chaussettes droites, comprenant l’identité biographique des individus, étant regroupées dans un tiroir d’une commode, tandis que toutes les chaussettes gauches, composant l’identité biométrique de ces mêmes individus, étant regroupées dans un tiroir d’une autre commode. En ce cas, ce sont les tiroirs que l’on relie par un fil.
La présente proposition de loi prétend relier les chaussettes par un seul fil, qui ne puisse jamais être tiré que dans un sens. Néanmoins, elle prévoit déjà des dérogations pour tirer le fil dans les deux sens ! Je ne suis donc pas du tout certaine que ce texte offre toutes les garanties juridiques nécessaires.
Que le fil soit tiré entre deux tiroirs me semble préférable. En ce cas, je suis sûre que l’on ne pourra pas, à partir de la chaussette gauche, remonter directement et sans aucun contrôle à la chaussette droite.
La solution que nous préconisons interdira, prétend-on, de remonter jusqu’aux fraudeurs autrement qu’en faisant appel à cent policiers et à dix mille citoyens – c’est l’estimation approximative utilisée par le ministre de l’intérieur –, qui ne compteront pas leurs journées de travail pour apparier les paires de chaussettes en cas de besoin.
Ce n’est absolument pas vrai !
D’une part, les moyens informatiques dont on dispose aujourd'hui permettent facilement, en utilisant un système de tamis, de lier, en cas de besoin, une identité biographique à une identité biométrique. Face à une personne qui allègue une identité, on dispose déjà d’un certain nombre d’informations, qui permettent de faire le tri dans les chaussettes de l’autre tiroir. En effet, on connaît son genre, sa taille approximative, la couleur de ses cheveux, par exemple, ce qui permet de n’avoir plus que quelques identités biométriques entre lesquelles il faut choisir pour vérifier que la personne est bien la bonne.
D’autre part, il ne faut pas oublier que la présente proposition de loi comporte d’autres garanties contribuant à lutter contre l’usurpation d’identité par des fraudeurs. Elles résident notamment dans le contrôle de la délivrance des documents d’état-civil qui permettent l’établissement d’une carte nationale d’identité. Ces contrôles sont en effet renforcés par la loi. Il y aura donc moins de tentatives de fraude.
Lors de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur a lui-même reconnu que le système de base de données à lien fort ne permettra pas toujours de retrouver le fraudeur, lorsque celui-ci voudra se faire délivrer le titre d’identité d’une personne non encore inscrite dans les bases. Cela dit, dans cinq ou dix ans, tout le monde – même les enfants ! – sera enregistré.
Il ne m’a pas échappé que la détention de la carte nationale d’identité n’est pas légalement obligatoire. Mais dans la vie courante, elle l’est. Pour partir en voyage scolaire, au collège, nos enfants ont besoin d’une carte nationale d’identité.
Puisque tout le monde figurera dans la base, la tentation d’usurper l’identité de quelqu'un n’y figurant pas sera rendue impossible, nous dit-on. Il s’agit, là encore, d’un faux argument, car, dans cinq ou dix ans, soixante millions de Français, soixante millions de gens honnêtes, seront enregistrés dans les bases de données.
En face de cet outil extraordinairement puissant, et donc, de fait, extraordinairement dangereux, combien d’usurpations d’identité ?
Je suis d’accord avec vous, chère collègue. Mais on ne sait si cette souffrance frappe dix mille, quinze mille ou deux cent mille Français !
Cela étant, même avec les bases de données à lien fort, il sera encore possible d’usurper des identités. Internet permet, par exemple, de se faire passer pour quelqu'un d’autre, ou d’envoyer des messages avec une identité usurpée. La souffrance ne peut donc être totalement exclue.
De plus, une utilisation frauduleuse du fichier créé permettra de fabriquer les preuves de la présence d’une personne en un endroit précis ou de fausses empreintes digitales. Dès lors, comment prouver votre innocence ? Quelle souffrance ces situations pourraient-elles entraîner !
On prétend, en outre, que la base de données à lien fort entraîne un taux d’erreur de 0 %. Ce n’est pas vrai ! Là aussi, elle entraîne une souffrance immense, parce que l’usurpation d’identité sera forcément perpétrée à des fins de délinquance ou de malveillance. Avec la création de la base de données à lien fort, la souffrance liée à des usurpations d’identité sera donc pire, ma chère collègue.
Mais non ! Ce n’est pas sérieux !
Elle sera pire, monsieur le ministre, parce qu’il vous sera impossible de démontrer que vous n’étiez pas à l’endroit où l’on prétend que vous étiez : on peut fabriquer des empreintes digitales et les laisser où l’on veut, car ce sont des empreintes traçantes.
La grande faiblesse de cette base de données à lien fort est qu’elle autorise la création de fichiers qui permettent de retracer l’histoire de ceux qu’elle recense. Une fois l’outil créé, il sera à la disposition de la délinquance, du grand banditisme, du terrorisme, voire à la disposition d’un gouvernement qui, demain, n’aura peut-être pas les mêmes scrupules que ceux éprouvés par le gouvernement d’une démocratie, dans laquelle nous vivons aujourd'hui. Il s’agit donc d’une « véritable bombe à retardement », et l’expression figure dans le rapport de notre collègue François Pillet, que l’on ne peut pourtant accuser d’être à gauche !
On prétend aussi que la base de données à lien faible empêchera l’identification des cadavres ou des personnes désorientées, en cas de catastrophe naturelle, par exemple. Pas du tout ! Cette identification sera rendue possible par le système de tamis que j’exposais tout à l’heure. Il suffira de voir la personne désorientée pour disposer sur elle de nombreuses informations, qui permettront, à l’aide du tiroir contenant les données biométriques, de retrouver son identité.
L’identification de personnes désorientées ou de cadavres sera aussi rendue possible par la consultation d’autres fichiers, qui permettront de se livrer à des recoupements, éventuellement sous contrôle judiciaire. On pourra toujours consulter le fichier des personnes recherchées pour retrouver l’identité d’une personne désorientée. Dans le cadre d’une enquête judiciaire ou du traitement de la délinquance, il sera également possible de recourir à des fichiers de délinquants. Un grand nombre de fichiers sont donc à disposition pour procéder, dans un cadre judiciaire, à des recoupements nécessaires, sans avoir besoin de base de données à lien fort.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou CNIL, et le Conseil d’État ont d’ailleurs exprimé de fortes réticences sur ce fichier.
On nous rétorque que personne n’a mis en place de base de données à lien faible. Cela prouverait que cette solution n’est pas valable, qu’elle pose des problèmes technologiques, et qu’elle n’est pas fiable.
Ce n’est pas vrai ! Cette base de données à lien faible n’a pas été mise en œuvre parce que le besoin n’en a pas été ressenti, et non pas par absence de volonté. De plus, la mise en place de cette base de données est non pas une affaire de technologie, mais une question de mathématiques et d’informatique, son application étant purement virtuelle et théorique. Pour que cette solution marche, nul besoin de technologie. De nombreuses entreprises peuvent donc mettre au point les techniques informatiques et mathématiques nécessaires à la mise en place d’une base de données à lien faible.
Très sincèrement, monsieur le ministre, un taux d’erreur de 0 %, résultat selon vous de l’utilisation d’une base de données à lien fort, cela n’existe pas ! De même, il est faux de prétendre que la base de données à lien fort ne présente aucun risque : en effet, l’homme peut toujours défaire ce qu’il a fait ! Quels que soient les systèmes informatiques que l’on met en place, quelles que soient les protections qui les entourent, le piratage existe. La base de données à lien fort pourra donc être piratée !
Les moyens de pirater un système informatique, de l’infecter par un virus, existent avant même sa protection. On le sait, les hackers et autres informaticiens de haut niveau ont toujours un train ou deux d’avance sur les pouvoirs réglementaires et sur les démocraties.
Il est donc erroné d’avancer que la base de données à lien fort sera sûre à 100 %. En revanche, cet outil sera extrêmement dangereux quand il tombera dans les mains du premier fraudeur !
Vous prétendez aussi, pour nous rassurer, que la législation, une fois en place, ne sera pas transgressée. C’est bien connu, personne ne transgresse les lois sur les fadettes ou les écoutes ! Certes, sur un plan quantitatif, le phénomène sera peut-être marginal.
Si je vous comprends bien, il ne faut plus de carte d’identité ni de passeport ! Ce sera plus simple ainsi !
Même marginale, la situation sera exceptionnellement difficile à accepter pour les personnes qui en seront victimes.
Il a aussi été dit, pour rassurer le Sénat, que la loi, qui met en place toutes les barrières nécessaires à la protection des données, ne bougera pas. Mais, que je sache, la loi créant le fichier des empreintes génétiques a beaucoup évolué.
Ainsi, sur ces trois aspects – un taux d’erreur de 0 %, et donc l’absence de risque, la transgression impossible et l’immuabilité de la loi –, le Gouvernement fait preuve de l’angélisme qu’il reproche souvent à la gauche de manifester quand il s’agit de sécurité ou de délinquance, monsieur le ministre.
Cessez de m’interpeller, madame le rapporteur, je vais vous répondre !
Je peux continuer de parler, monsieur le ministre ! Si vous n’écoutez pas, vous aurez du mal à me répondre !
Je ne peux donc pas croire que le Gouvernement fasse preuve d’un tel angélisme sur les trois points que je viens d’évoquer.
Vous me répondrez tout à l’heure, monsieur le ministre, comme vous venez de le proposer.
Je n’ai pas envie de vivre une situation ressemblant à ce que l’on voit dans La Vie des autres ou dans Brazil. Ce scénario, aujourd'hui fictif, pourrait demain être imaginé en France.
Pour toutes ces raisons, le Sénat, dans son infinie sagesse, reviendra, j’en suis sûre, à son texte initial et à la base de données à lien faible, qui est suffisante pour garantir la non-usurpation d’identité et n’est pas dangereuse pour la vie privée des individus.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vient aujourd'hui devant vous a déjà fait l’objet de débats approfondis et constructifs. À l’issue de la dernière lecture à l’Assemblée nationale, le texte est parvenu à une version équilibrée et efficace dans la lutte contre l’usurpation d’identité. Je tiens à dire à Mme le rapporteur que l’usurpation d’identité n’est pas quelque chose d’anecdotique. Cela touche les gens de façon profonde, dans leur intimité, et ne mérite donc pas d’être balayé du revers de la main, comme un problème secondaire. Vous comprendrez cela le jour où vous aurez rencontré des personnes qui ont été directement concernées !
Madame le rapporteur, vous expliquez qu’il y aura toujours des fraudes. C’est évident ! Mais ce n’est pas parce que certains voudront frauder ou contourner la loi, qu’il ne faut pas faire d’efforts !
Vous nous dites que certains essayeront de contourner la loi pour obtenir un titre de séjour. Mais si on vous suivait, il faudrait cesser de faire des pièces d’identité ou des passeports sous prétexte que des gens fraudent !
Notre volonté, ainsi que la responsabilité de l’État et de la République, est de protéger les citoyens, en mettant en place les procédures et les moyens qui le permettent !
L’angélisme dont vous faites preuve – c’est bien en effet de l’angélisme – en passant par pertes et profits les tracas causés et les atteintes aux personnes me laisse pantois.
À l’issue de la dernière lecture à l’Assemblée nationale, le texte est parvenu à une version équilibrée, efficace dans la lutte contre l’usurpation d’identité et présentant de sérieuses garanties au regard des libertés publiques.
La commission mixte paritaire qui s’est réunie le 10 janvier dernier a souhaité revenir sur ce travail en rétablissant le concept de « lien faible », remettant ainsi en cause le lien univoque entre les données enregistrées dans la base titres électroniques sécurisés, ou TES.
Le Gouvernement a réaffirmé à plusieurs reprises son opposition à la fausse solution que constitue le lien faible. C’est la raison pour laquelle je vous propose d’adopter un amendement visant à revenir à la version du texte que l’Assemblée nationale a arrêtée en deuxième lecture et confirmée lors du débat sur les conclusions de la commission mixte paritaire.
Je le rappelle en outre, cette version est cohérente avec la proposition de loi initialement déposée par les sénateurs Jean-René Lecerf et Michel Houel, qui s’appuyait sur le rapport adopté par la Haute Assemblée en 2005. Le « lien fort », c’est-à-dire le lien univoque entre les données, est le seul lien qui soit opérationnel et qui garantisse la réalisation de l’objectif que nous nous sommes fixé dans cette proposition de loi : protéger nos concitoyens contre l’usurpation d’identité. Ne perdons jamais de vue cet objectif, qui n’est pas secondaire !
L’usurpation d’identité est un fléau et un traumatisme profond pour les victimes.
C’est un fléau dont les conséquences sont grandissantes. En effet, constater une usurpation ne permet pas d’en faire immédiatement cesser les effets néfastes. Les périodes de difficulté, pendant lesquelles les victimes peuvent se voir privées de leurs droits, peuvent durer des mois, voire des années. Il faut souvent de longues investigations afin de démêler les vraies identités de celles qui sont usurpées.
C’est aussi un traumatisme profond pour les victimes, qui dure longtemps et touche une part de l’intimité des individus. Aux préjudices matériels et financiers s’ajoute ainsi le préjudice moral de voir son honnêteté mise en doute, son nom sali et sa réputation détruite.
Une bonne corrélation entre les éléments d’état civil et les données biométriques au sein de la base TES constitue l’unique moyen d’atteindre notre objectif.
En effet, le concept de lien faible est une dégradation technique plus qu’une garantie. Les promoteurs du lien faible considèrent que seule cette dégradation permet de garantir matériellement les libertés fondamentales. Cela signifierait que le seul recours de la liberté est de promouvoir un défaut technique ; ce serait à désespérer du droit et du rôle de la loi.
La protection des libertés fondamentales mérite d’être gravée dans la loi, et non subordonnée à un dispositif technique. De plus, le lien faible possède de grandes fragilités qu’il convient de ne pas omettre.
Première fragilité, la fragilité technique : l’entreprise qui propose le lien faible indique clairement que celui-ci n’est pas opérationnel et qu’il nécessite encore du temps et des investissements pour être mis au point. Construire un système national sécurisé pour l’identité de nos concitoyens sur la base d’un concept dont la faisabilité n’est pas acquise n’est ni sérieux ni responsable et oblige à rejeter cette proposition.
Deuxième fragilité, la fragilité juridique : le lien faible est un concept protégé par un brevet. Si le cahier des charges du projet en fait mention, il y a donc un réel risque de contentieux porté par des entreprises concurrentes.
En outre, le lien faible permet seulement de constater qu’il existe une usurpation d’identité. Cela ne permet pas de remonter à l’identité du fraudeur. C’est une limitation sérieuse au regard de l’objectif de la loi. Au contraire, le lien fort permet de remonter jusqu’à l’usurpateur via ses empreintes. Ainsi, seul le lien fort répond aux objectifs que nous recherchons.
De plus, il est faux de considérer que le lien fort serait de nature à porter atteinte aux libertés fondamentales reconnues à chacun de nos concitoyens. Le texte que je vous propose de rétablir aujourd’hui comporte en effet toutes les garanties nécessaires au respect de ces libertés.
D’abord, il y a ce que le Conseil d’État et la CNIL ont recommandé en matière d’enregistrement de données, c’est-à-dire une limitation à deux empreintes digitales et l’absence de reconnaissance faciale.
Ensuite, il y a ce que la CNIL impose comme garanties en matière d’utilisation des fichiers, c’est-à-dire un accès à la base restreint aux seuls agents de l’agence nationale des titres sécurisés avec une traçabilité de ces accès, des données segmentées pour une meilleure protection et une sécurité des transmissions et contre les intrusions.
Enfin, il y a les garanties que la loi impose dans la restriction de l’usage de la base.
La première garantie légale, recommandée par la CNIL, consiste à interdire toute interconnexion de la base TES avec d’autres fichiers publics. Cela revient à clairement limiter l’usage de la base TES pour tout objectif autre que celui de la protection de l’identité.
La deuxième garantie réside dans la liste limitative des trois cas où la remontée des empreintes à l’identité est autorisée.
Premier cas, logiquement, au moment de la délivrance ou du renouvellement du titre, afin d’en garantir la bonne fabrication et la remise à la bonne personne.
Deuxième cas, sous contrôle du procureur, dans le seul cadre des infractions pour usurpation d’identité, ce qui correspond à l’objectif initial de la loi.
Troisième et dernier cas, toujours sous contrôle du procureur, pour permettre l’identification de victimes d’accidents collectifs ou de catastrophe naturelle.
Ces garanties inscrites dans la loi sont importantes. Elles sont même plus fortes que celles qui sont théoriquement apportées par le lien faible.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à l’inverse du texte qui a été adopté par la commission mixte paritaire, la version à laquelle l’Assemblée nationale était parvenue à l’issue de la deuxième lecture inscrivait dans notre droit les moyens de véritablement protéger l’identité de nos concitoyens sans porter atteinte à leurs libertés fondamentales.
Je le sais, la solution que nous vous proposons n’est pas la réponse à toutes les dérives, à toutes les atteintes que l’homme est capable d’inventer pour dérégler l’organisation de la République. Mais faisons en sorte d’avoir le maximum de garanties. C’est ce que nous vous proposons.
Par conséquent, dans l’intérêt de nos compatriotes, je vous demande de revenir à la version de l’Assemblée nationale, en adoptant l’amendement déposé par le Gouvernement. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la troisième fois que la proposition de loi relative à la protection de l’identité, que j’ai déposée avec mon collègue Michel Houel, revient en discussion devant la Haute Assemblée.
Les deux lectures initiales n’ont pas été vaines, puisque les points de vue de l’Assemblée nationale et du Sénat se sont considérablement rapprochés, positionnant sans doute à son point d’équilibre le curseur entre les deux ardentes obligations qui nous incombent : la protection de l’identité de nos concitoyens, d’une part, et la protection des libertés publiques, d’autre part.
Chacun reconnaît aujourd'hui l’importance croissante de l’usurpation d’identité, la relative facilité avec laquelle elle peut être perpétrée, les conséquences terribles qu’elle peut engendrer pour les victimes, c'est-à-dire plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens chaque année, et le vide juridique dont elle a jusqu’à présent largement bénéficié.
Les moyens pour s’opposer efficacement à cette forme particulièrement perverse de délinquance, porte ouverte à de multiples infractions, de l’escroquerie bancaire au terrorisme en passant par la fraude aux prestations sociales et le trafic d’êtres humains, ne sont pas légion. La biométrie est la seule technologie permettant l’identification de personnes parmi des masses humaines de plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’individus. La rencontre entre biométrie et informatique, en décuplant la puissance de cette technique d’identification, a révolutionné ses possibilités d’utilisation.
Par chance, les entreprises de notre pays se sont affirmées depuis longtemps déjà comme les plus performantes au monde dans cette discipline. Ces dernières semaines, j’ai cru entendre, de droite à gauche en passant par le centre, chanter les mérites des technologies françaises. Voilà donc un exemple supplémentaire que je propose aux uns et aux autres.
Mes chers collègues, le seul différend qui persiste aujourd'hui entre l’Assemblée nationale et le Sénat, et que la commission mixte paritaire n’a pas permis de dissiper, porte sur un seul article et, plus précisément, sur la pertinence d’un fichier à lien faible ou à lien fort.
Pour ceux qui ne seraient pas encore familiarisés avec de telles expressions, en dépit de l’exemple des tiroirs à chaussettes de notre rapporteur
Sourires.
Avec le lien faible, il n’est plus possible de connaître la donnée biométrique d’une personne à partir de son identité ni de procéder à l’identification d’une personne à partir d’une donnée biométrique. Comme le qualifient ses créateurs eux-mêmes, il s’agit d’un système dégradé, dont les potentialités ne sont bien sûr pas les mêmes. Ainsi, si le lien faible permettra d’attester de l’identité d’une personne, de constater l’usurpation d’identité, il peinera à permettre l’identification des fraudeurs. En particulier, si le fraudeur est le premier à déclarer son identité, il sera quasi impossible de le détecter.
Comme l’a indiqué Mme le rapporteur, dans cinq ou dix ans, chacun sera dans la base, à l’exception des enfants.
… permettez tout de même que l’on se préoccupe également des cinq ou dix ans à venir !
Au contraire, le lien fort permettra de remonter en un clin d’œil jusqu’à l’usurpateur par ses empreintes.
Cela ouvre en outre d’autres virtualités, comme la reconnaissance de personnes désorientées, de victimes de catastrophe ou l’identification d’une personne à partir de traces retrouvées sur une scène de crime. Mais rien n’empêche le législateur de dresser des barrières juridiques afin de limiter les usages au strict nécessaire.
Lors de la deuxième lecture de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, nos collègues députés ont largement répondu aux recommandations de la CNIL et du Conseil d'État, comme aux préoccupations du Sénat.
Les empreintes prélevées et enregistrées ont été limitées à deux. La reconnaissance faciale et l’interconnexion de la base TES avec tout autre fichier sont interdites. La remontée des empreintes à l’identité n’est autorisée que dans trois cas limitativement énumérés : la délivrance ou le renouvellement du titre, l’hypothèse des seules infractions pour usurpation d’identité sous le contrôle du procureur de la République, l’identification, sous ce même contrôle, des victimes d’accident collectif ou de catastrophe naturelle.
Notre collègue Serge Blisko reconnaissait lui-même en commission mixte paritaire que l’Assemblée nationale avait « finalement adopté un texte beaucoup moins attentatoire aux libertés publiques qu’en première lecture », même s’il ajoutait que cette nouvelle rédaction ne le rassurait « pas tout à fait ». J’ai connu des critiques plus véhémentes…
Mes chers collègues, le lien faible ne faisait en aucune manière partie du dispositif que Michel Houel et moi-même avions souhaité instaurer dans notre proposition de loi. Il n’est utilisé dans aucun pays au monde. Et même ceux qui y ont songé, comme Israël, y ont renoncé. Ses inventeurs eux-mêmes n’en recommandent plus l’usage, faute de croire réellement à ses vertus opérationnelles.
Pouvons-nous réellement engager notre pays dans des investissements significatifs avec le risque d’un résultat décevant qui pénaliserait les victimes et nous exposerait au risque d’être totalement dépassés par nos partenaires européens et mondiaux, alors que le compromis auquel l’Assemblée nationale est parvenue et qu’elle a rétabli sur amendement du Gouvernement lors de la discussion du texte de la commission mixte paritaire concilie l’efficacité du lien fort avec le respect scrupuleux des libertés publiques ? Nous ne le croyons pas.
C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera l’amendement du Gouvernement. Les « 340 voix contre 4 », dont la mienne, de la deuxième lecture étaient fondamentalement – M. le président de la commission des lois le sait bien – les voix des absents, mobilisées par la seule grâce du scrutin public !
En conclusion du rapport de 2005 d’une mission d’information de la commission des lois sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, je notais que la sécurisation de l’identité n’était pas antinomique de la sauvegarde des libertés et que, tout au contraire, protéger l’identité d’un individu, c’était protéger les droits attachés à sa personne, comme le droit de propriété ou la liberté d’aller et venir, et sécuriser les relations contractuelles.
Pas plus qu’en 2005 je ne saurais me ranger aux côtés d’un certain nombre de personnes, certes de bonne volonté, qui invoquent aujourd'hui encore, au nom de la période de l’Occupation, un droit à la dissimulation d’identité. Beaucoup de temps a passé depuis, et une telle préoccupation ne me semble vraiment plus d’actualité dans l’Europe démocratique qui est aujourd'hui la nôtre. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie, à mon tour, M. le président de la commission des lois des différentes mises au point fort appropriées qu’il vient de formuler au sujet de la procédure.
Les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection de l’identité sont déjà obsolètes, puisque l’Assemblée nationale a fait le choix d’amender ce texte.
Je le rappelle, la commission mixte paritaire avait retenu pour l’article 5 la rédaction issue des travaux du Sénat, qui établissait non pas un lien fort, mais un lien faible entre les données d’identité et les données biométriques. Pourtant, nos collègues députés de la majorité gouvernementale ont adopté un amendement de M. le rapporteur rétablissant le lien fort.
Certes, des assouplissements ont été insérés dans le texte. Je pense, notamment, au passage de huit à deux du nombre des empreintes digitales enregistrées dans la base, conformément aux préconisations du Conseil d’État. Cependant, le cœur du dispositif reste le même.
Du point de vue de la méthode, de telles pratiques ne sont pas très honnêtes et sont contraires à la mission spécifique de la commission mixte paritaire, censée représenter à parité l’Assemblée nationale et le Sénat.
Sur le fond, nous restons extrêmement réservés, pour ne pas dire plus, sur l’idée de créer un fichier généralisé recouvrant l’ensemble des données civiles et biométriques des bénéficiaires de la carte nationale d’identité.
C’est la raison pour laquelle nous avons demandé de manière constante et récurrente la suppression pure et simple de l’article 5.
Une telle suppression aurait permis d’instituer une carte nationale d’identité électronique, sans pour autant créer un fichier attenant, comme cela se pratique, notamment, en Allemagne. C’est du reste la solution recommandée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, dans son avis du 25 octobre dernier.
Par ailleurs, dans sa délibération du 11 décembre 2007, la CNIL considère comme légitime « le recours […] pour s’assurer de l’identité d’une personne, à des dispositifs de reconnaissance biométrique dès lors que les données biométriques sont conservées sur un support dont la personne a l’usage exclusif ». Nous regrettons donc que ces arguments n’aient pu trouver grâce aux yeux de nos collègues parlementaires.
En conclusion, les raisons qui justifient notre vote contre la proposition de loi de MM. Lecerf et Houel sont principalement de deux ordres.
Premièrement, nous sommes opposés à la création d’un fichier intrusif, qui permettra le contrôle de l’ensemble de la population. La CNIL a encore fait savoir récemment qu’elle était extrêmement réservée au sujet de la création de ce fichier.
Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, elle considère que la création de fichiers contenant des données biométriques, pour des citoyens ne faisant l’objet d’aucune poursuite judiciaire en cours, constitue une violation manifeste des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et contrevient à la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe.
Elle estime ainsi que « le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées […] ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».
L’adoption de cette proposition de loi ouvrirait donc la voie à des recours devant la CEDH, créant ainsi inutilement de l’insécurité juridique.
Deuxièmement, nous sommes opposés à la présence, certes facultative, mais néanmoins lourde de sens, d’une puce de service sur la carte nationale d’identité.
À ce titre, la CNIL a paru également extrêmement réservée et a formulé un avis très judicieux. Elle tire, ainsi, un signal d’alarme en estimant que la puce optionnelle, si elle est une idée légitime, ne doit pas faire oublier qu’elle peut permettre « la constitution d’un identifiant unique pour tous les citoyens français ainsi que la constitution d’un savoir public sur les agissements privés ». Elle indique également que « de telles fonctionnalités ne devraient pas permettre le suivi des personnes sur internet ou l’exploitation par l’État d’informations sur les transactions privées effectuées par les citoyens ».
Nous partageons cette analyse et nous ne cautionnons pas le mélange des finalités entre intérêt régalien et intérêt commercial. La citoyenneté, dont la carte nationale d’identité est un symbole fort, ne peut être confondue avec le e-commerce sans porter une atteinte importante à l’idée même que nous nous faisons d’un État républicain.
Convenons, également, que les parlementaires ont subi un fort lobbying poussant à l’intégration de cette puce, promesse de profits importants pour quelques entreprises spécialisées…
Mme Catherine Procaccia proteste.
De même, mes chers collègues, je ne peux m’ôter de l’esprit qu’il s’agit une nouvelle fois d’un transfert de charges rampant de l’État vers les collectivités, principalement vers les communes. Le Gouvernement et sa majorité parlementaire n’ont de cesse de faire des communes des annexes des préfectures, en leur transférant des missions de plus en plus importantes, sans pour autant leur accorder les moyens financiers nécessaires. Par ailleurs, sur les 36 000 communes que compte notre pays, seulement 2 000 seront habilitées à délivrer la carte d’identité nationale électronique, ce qui augure de fortes disparités géographiques et sera certainement source de complexité pour nos concitoyens.
Nous regrettons qu’il y ait, une nouvelle fois, un fossé entre les objectifs affichés par un texte de loi et la finalité inavouée du Gouvernement !
Ce texte marque une nouvelle étape dans la dérive sécuritaire de la politique gouvernementale. Il permet la création d’un énième fichier prétendument anti-délinquance, qui se révélera, comme les autres, participer du fichage généralisé de la population et faire peser de lourds risques sur les libertés publiques.
Nous voterons contre cette proposition de loi et, bien évidemment, contre l’amendement déposé par le Gouvernement.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen en première lecture au Sénat de cette proposition de loi relative à la protection de l’identité, le groupe RDSE s’était félicité de l’initiative prise par nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel pour mettre en place des instruments susceptibles de renforcer la lutte contre la fraude à l’identité.
La cause est juste, personne ne le conteste et chaque jour en apporte la preuve : nous observons des cohortes, voire des légions d’attaques ou d’atteintes à la vie privée des personnes et à leur intégrité !
À cause juste, remèdes justes : c’était l’objet du texte initial dont ma collègue Anne-Marie Escoffier avait souligné la pertinence et le juste équilibre, auquel M. le rapporteur et la Haute Assemblée avaient apporté une vigilance particulière pour empêcher que ne soit créé un fichier national où l’ensemble de la population française, soit plus de 60 millions de personnes, serait bel et bien répertorié. Tout l’équilibre du texte était contenu dans son article 5, qui retenait le principe de la constitution d’une base biométrique selon la technique du lien faible. En un mot, il était impossible de la détourner de son objet.
Le texte de l’Assemblée nationale permet, lui, je le rappelle, de croiser les données identitaires de base avec les empreintes biométriques et les images faciales numérisées.
Le texte soumis à la commission mixte paritaire a confirmé les points de vue opposés des deux assemblées, chacune soutenant son analyse.
Le groupe RDSE est trop attaché aux garanties fondamentales des libertés publiques pour accepter des dispositifs de ce type, qui, progressivement et insidieusement, envahissent le champ de notre vie privée.
D'ailleurs, nos réticences sont aussi celles du Conseil d’État, malgré les rectifications apportées au texte, de la CNIL – cela a été rappelé – et de la Cour européenne des droits de l’homme.
On ne peut laisser la technique faire la loi sans le dire. Au contraire, c’est au Parlement de choisir la technique adaptée à l’objectif visé, et seulement à lui : ici, le but est d’éviter l’usurpation d’identité tout en garantissant la protection de la vie privée. Les deux doivent aller de pair.
J’ai bien entendu les arguments qui ont été avancés tout à l’heure, notamment par M. le ministre et par mon collègue Jean-René Lecerf. Néanmoins, ce n’est pas parce que le problème est grave que n’importe quelle solution doit s’imposer, surtout si le remède est pire que le mal – je pense aux détournements d’objectifs.
Sauf erreur de ma part, il s’agit, ici, de permettre de vérifier que le porteur du titre d’identité en est bien le titulaire légitime. Il ne s’agit en aucun cas de créer un fichier de police supplémentaire ni de prendre des dispositions permettant d’améliorer la balance commerciale de la France.
En conséquence, le groupe RDSE, dans sa grande majorité, votera contre la proposition qui nous est faite.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien des choses ont déjà été dites et nous avons déjà débattu de cette question en novembre dernier.
Je réaffirmerai certains principes et certaines convictions du groupe socialiste, qui ont, jusqu’à présent, recueilli l’assentiment de la majorité du Sénat.
La préoccupation de notre assemblée, lors des précédentes lectures du texte, était d’assurer un bon équilibre entre la protection des libertés individuelles et celle de l’identité. Il s’agissait, en particulier, de garantir la protection contre l’usurpation d’identité.
Le Gouvernement, à l’occasion de la mise en place des cartes d’identité biométriques, souhaite créer un fichier à lien fort, ce qu’aucun autre pays n’a prévu de faire jusqu’à présent. Il s’agirait de constituer une base établissant un lien clair et précis entre, d’une part, l’identité des personnes, et, d’autre part, leurs empreintes biométriques.
Or ce type de fichier à lien fort peut conduire à d’énormes dérives. Une caméra de surveillance, des empreintes relevées par-ci par-là permettent de repérer les déplacements et de déterminer les activités de n’importe qui. Les libertés individuelles sont donc, à l’évidence, menacées par ce type de fichier.
C’est pourquoi le Sénat a proposé une voie médiane permettant d’éviter que la base de données ne devienne un fichier de police.
Soyons clairs, le lien faible protège parfaitement des risques d’usurpation d’identité, puisqu’il permet les détections de fraudes. Pourquoi aller au-delà, d’autant qu’établir un lien fort, aujourd’hui pour lutter contre l’usurpation d’identité, demain pour protéger les citoyens d’autres délits, fait courir à l’ensemble de la population un risque réel de fichage, ce dernier pouvant être détourné de son objectif initial ?
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons le maintien d’un lien faible. L’actualité judiciaire de ces derniers mois, le détournement de certains fichiers et l’usage abusif de certaines « fadettes » ont fait naître de larges soupçons au sein de la population.
Un fichier à lien fort ne permettrait-il pas à ceux qui y ont accès de menacer et d’attaquer les libertés individuelles ?
Compte tenu de l’actualité des derniers mois, des menaces, des usages abusifs et des sérieux soupçons pesant sur la protection des libertés individuelles, nous ne pouvons accepter la proposition du Gouvernement.
Par ailleurs, la plupart des pays qui ont mis en place dans l’espace Schengen des cartes d’identité biométriques n’ont, pour ce faire, créé aucun fichier. Si nous voulons lutter efficacement contre l’usurpation d’identité au sein de la zone Schengen, qui est un espace de libre circulation, nous ne pouvons agir seuls, entre Gaulois ! §Nous devons également convaincre l’ensemble de nos partenaires de l’utilité d’un tel fichier, lequel, je me répète, ne peut être qu’à lien faible afin de ne pas mettre en danger les libertés individuelles.
Aller plus loin serait faire peser une menace pour les libertés individuelles en France. Vous ne réussirez jamais à convaincre nos partenaires européens d’adopter ce type de protection pour lutter contre l’usurpation d’identité dans l’espace Schengen.
La mise en place d’un fichier dans lequel figureront tous ceux qui demandent une carte d’identité, c'est-à-dire tous les Français, y compris les enfants, risquerait, si ce répertoire était détourné de sa finalité à l’occasion d’éventuelles évolutions législatives, de porter atteinte aux libertés individuelles, ce que nous ne pouvons accepter.
De plus, ce fichier est inutile au regard de l’objectif que vous prétendez viser. Le lien faible permet de protéger les victimes et de nous doter d’un outil qui puisse convaincre nos partenaires d’aller dans la même direction que nous. Ainsi, dans l’espace Schengen, nous pourrons lutter réellement et efficacement contre les usurpations d’identité, tout en respectant les libertés individuelles.
Monsieur le ministre, vous prétendez que le brevet empêchera toute dérive. Permettez-moi de vous faire remarquer que le lien faible n’est rien d’autre qu’un concept permettant d’éviter la réversibilité totale entre l’identité d’une personne et ses empreintes biométriques. Il s’agit non pas d’un programme informatique ou d’un objet de consommation, mais, tout comme le lien fort, d’un concept mathématique de gestion de fichiers que de nombreuses sociétés informatiques sont capables de mettre en place. Un brevet ne peut protéger un concept mathématique !
Nous tenons au principe de non-réversibilité complète entre l’identité et les empreintes d’une personne. Je le répète, nous voulons nous doter d’un outil qui nous permette de convaincre nos partenaires de lutter contre l’usurpation d’identité dans l’ensemble de l’espace Schengen tout en protégeant les libertés individuelles.
Nous ne sommes donc pas convaincus par votre idée de brevet. Dans ces conditions, le groupe socialiste restera fidèle aux votes précédents du Sénat et restera sur la position qu’il avait exprimée en novembre dernier.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :
Afin de préserver l'intégrité des données requises pour la délivrance du passeport français et de la carte nationale d'identité, l'État crée, dans les conditions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, un traitement de données à caractère personnel facilitant leur recueil et leur conservation.
Ce traitement de données, mis en oeuvre par le ministère de l'intérieur, permet l'établissement et la vérification des titres d'identité ou de voyage dans des conditions garantissant l'intégrité et la confidentialité des données à caractère personnel ainsi que la traçabilité des consultations et des modifications effectuées par les personnes y ayant accès.
L'enregistrement des empreintes digitales et de l'image numérisée du visage du demandeur est réalisé de manière telle qu'aucun lien univoque ne soit établi entre elles, ni avec les données mentionnées aux 1° à 4° de l'article 2, et que l'identification de l'intéressé à partir de l'un ou l'autre de ces éléments biométriques ne soit pas possible.
La vérification de l'identité du demandeur s'opère par la mise en relation de l'identité alléguée et des autres données mentionnées aux 1° à 6° de l'article 2.
Le traitement ne comporte pas de dispositif de reconnaissance faciale à partir des images numérisées du visage qui y sont enregistrées.
L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 3 à 5
Remplacer ces alinéas par quatorze alinéas ainsi rédigés :
L’identification du demandeur d’un titre d’identité ou de voyage ne peut s’y effectuer qu’au moyen des données énumérées aux 1° à 5° de l’article 2.
Il ne peut y être procédé au moyen des deux empreintes digitales recueillies dans le traitement de données que dans les cas suivants :
1° Lors de l’établissement des titres d’identité ou de voyage ;
2° Dans les conditions prévues aux articles 55-1, 76-2 et 154-1 du code de procédure pénale ;
3° Sur réquisition du procureur de la République, aux fins d’établir, lorsqu’elle est inconnue, l’identité d’une personne décédée, victime d’une catastrophe naturelle ou d’un accident collectif.
Aucune interconnexion au sens de l’article 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée ne peut être effectuée entre les données mentionnées aux 5° et 6° de l’article 2 de la présente loi contenues dans le traitement prévu par le présent article et tout autre fichier ou recueil de données nominatives.
II – L’article 55-1 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si les nécessités de l’enquête relative aux infractions prévues aux articles 226-4-1, 313-1, 313-2, 413-13, 433-19, 434-23, 441-1 à 441-4, 441-6 et 441-7 du code pénal, aux articles L. 225-7, L. 225-8 et L. 330-7 du code de la route, à l’article L. 2242-5 du code des transports et à l’article 781 du présent code l’exigent, le traitement de données créé par l’article 5 de la loi n° … du … relative à la protection de l’identité peut être utilisé pour identifier, sur autorisation du procureur de la République, à partir de ses empreintes digitales, la personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une de ces infractions. La personne en est informée. Cette utilisation des données incluses au traitement susvisé doit être, à peine de nullité, mentionnée et spécialement motivée au procès-verbal. Les traces issues de personnes inconnues, y compris celles relatives à l’une des infractions susvisées, ne peuvent être rapprochées avec lesdites données. »
III. – Le second alinéa de l’article 76-2 du même code est ainsi rédigé :
« Les trois derniers alinéas de l’article 55-1 sont applicables. »
IV. – Le second alinéa de l’article 154-1 du même code est ainsi rédigé :
« Les trois derniers alinéas de l’article 55-1 sont applicables. »
V. – La sous-section 1 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du même code est complétée par un article 99-5 ainsi rédigé :
« Art. 99-5. – Si les nécessités de l’information relative à l’une des infractions mentionnées au dernier alinéa de l’article 55-1 l’exigent, l’officier de police judiciaire peut, avec l’autorisation expresse du juge d’instruction, utiliser le traitement de données créé par l’article 5 de la loi n° … du … relative à la protection de l’identité pour identifier une personne à partir de ses empreintes digitales sans l’assentiment de la personne dont les empreintes sont recueillies. »
La parole est à M. le ministre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne répéterai pas les explications que j’ai déjà apportées lors de la discussion générale sur les tenants et les aboutissants de cet amendement. Je me contenterai de demander au Sénat de bien vouloir adopter celui-ci.
Tout d'abord, monsieur Lecerf, je ne crois pas que l’on puisse remettre en cause le vote émis par le Sénat en deuxième lecture, comme vous l’avez fait tout à l'heure dans votre intervention. On ne peut pas parler d’un vote des absents. Nous connaissons tous ici le règlement de notre assemblée et, partant, les modes de votation. Il est possible que certains sénateurs aient changé d’avis entre la deuxième lecture et la commission mixte paritaire. En tout cas, en deuxième lecture, le lien faible a bien recueilli 340 voix.
En ce qui concerne l’amendement du Gouvernement, je souhaite me référer à l’avis de la CNIL, exprimé par la voix de Mme Falque-Pierrotin, interrogée sur ce point en commission par notre collègue Jean-René Lecerf, après la deuxième lecture au Sénat : « Sur la carte d’identité biométrique, nous avions considéré que la création d’une base centrale était disproportionnée au regard de l’objectif de sécurisation des titres. » Les autres pays n’ont d’ailleurs pas créé de base centrale, comme le soulignait précédemment notre collègue Jean-Yves Leconte.
Mme Falque-Pierrotin concluait ainsi son propos : « Si toutefois la base centrale est constituée, la meilleure garantie contre les utilisations détournées serait la garantie technique, celle du lien faible. L'Assemblée nationale et le Gouvernement semblent s'orienter vers une autre garantie, celle qui consiste à réduire, par la loi, les finalités d'accès à la base. Cependant, nous savons qu'une fois un fichier constitué, il est toujours possible d'étendre ses finalités de consultation. C'est pourquoi la CNIL est inquiète : les restrictions juridiques seront toujours moins efficaces que les restrictions techniques, qui rendent impossibles l'utilisation de la base à des fins détournées. »
Telle est bien la position défendue par le Sénat et par notre collègue de l’UMP François Pillet, malheureusement absent aujourd'hui. Je souhaite qu’elle soit maintenue.
Mes chers collègues, j’émets donc un avis défavorable sur cet amendement et vous invite à voter contre les conclusions de la CMP ainsi modifiées.
Personne ne demande la parole ?...
Le vote sur l’amendement n° 1 et sur l’article 5 est réservé.
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte proposé par la commission mixte paritaire modifié par l’amendement du Gouvernement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte proposé par la commission mixte paritaire modifié par l’amendement du Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à dix heures cinquante-cinq.
L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature (texte de la commission n° 240, rapport n° 239).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il revient au Sénat d’examiner le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire réunie, après une lecture dans chaque chambre, sur le projet de loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature.
À l’origine, ce texte avait pour seul objet d’appliquer aux magistrats l’accélération du calendrier de déploiement de la réforme des retraites décidée par le Gouvernement à la fin de l’année dernière.
À plusieurs reprises, la majorité sénatoriale a manifesté son désaccord avec les principes sur lesquels repose la réforme des retraites. Elle l’a notamment fait à l’occasion de l’examen de l’accélération du calendrier de déploiement de cette réforme prévue par la loi de financement de la sécurité sociale, puis lors de l’examen du présent texte.
Ce désaccord politique ayant été acté, et la loi de financement de la sécurité sociale promulguée, la question qui nous est aujourd'hui posée est celle de l’alignement, pour la limite d’âge, du statut des magistrats avec celui des autres agents publics, étant entendu que les autres dispositions de la réforme des retraites, qui relèvent de la loi ordinaire, s’appliquent d’ores et déjà aux intéressés.
À ce premier point de désaccord, le Gouvernement en a ajouté un second, puisqu’il a souhaité profiter de l’occasion que constituait ce projet de loi organique pour y intégrer des dispositions qui n’avaient rien à voir avec la réforme des retraites. On ne peut que déplorer que ces mesures aient été piochées arbitrairement dans un projet de loi plus ample négocié avec les organisations syndicales et portant sur le statut de la magistrature et les conflits d’intérêt, que le Gouvernement n’a pas jugé utile d’inscrire à l’ordre du jour parlementaire.
Toutefois, dans un esprit de responsabilité, tout en laissant au Gouvernement le soin d’assumer le risque constitutionnel y afférent, le Sénat a adopté conformes la plupart des dispositions du texte, qui répondaient à des difficultés avérées.
À l’issue de la première lecture du projet de loi organique par chacune de nos chambres, les désaccords entre nos deux assemblées se réduisaient à deux points.
Tout d’abord, nous désapprouvons, par principe, la réforme des retraites, donc la disposition sur la limite d’âge pour les magistrats de l’ordre judiciaire. Ce désaccord avait, d’une certaine manière, déjà été acté par le vote de première lecture.
Ensuite, nous avons une divergence d’appréciation sur l’extension à douze ans de la durée pendant laquelle un magistrat peut exercer la fonction de magistrat placé au cours de sa carrière.
Le Sénat a considéré qu’une telle évolution était dangereuse, ce qui nous a conduits à refuser d’autoriser qu’un même magistrat puisse exercer cette fonction pendant douze années au cours de sa carrière.
Dans un esprit de responsabilité et en accord avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. François Vannson, j’ai proposé aux sénateurs de la commission mixte paritaire d’accepter le maintien de l’accélération du calendrier de déploiement de la réforme des retraites aux magistrats, afin d’éviter l’extension à douze ans de la durée d’exercice maximale des fonctions de magistrat placé au cours d’une carrière.
En effet, l’emploi de magistrat placé constitue une atteinte au principe de l’inamovibilité des magistrats du siège. Certes, un magistrat ne peut occuper cette fonction que s’il y consent. Cependant, une fois qu’il a accepté d’être placé auprès des juridictions d’une cour d’appel, il revient au seul chef de cour de décider discrétionnairement de l’emploi de magistrat qu’il occupera dans son ressort.
Cette « discrétionnalité » d’affectation se concilie mal, dans son principe, avec l’indépendance qui doit caractériser la magistrature.
Bien sûr, le plus souvent, il s’agit pour le chef de cour de répondre pragmatiquement à une vacance de poste pour congé ou à la suite d’une mutation. Toutefois, il arrive que les magistrats placés deviennent un outil de gestion de la pénurie des emplois de magistrats : il en est ainsi lorsque, plutôt que d’affecter un magistrat de manière pérenne, le choix est fait de pourvoir le poste correspondant par une succession de magistrats placés. Il en résulte une désorganisation du travail correspondant à cet emploi, qui nuit à l’institution judiciaire comme aux justiciables.
Conscient de ces risques, le législateur organique avait, à l’origine, limité à six ans la durée d’affectation dans les fonctions de magistrat placé, ce que le Conseil d’État a réaffirmé dans un arrêt récent. La direction des services judiciaires avait toutefois retenu une lecture très souple de ce texte, qui l’a conduite à proposer des affectations pour une durée plus longue, découpée en séquences de six ans.
Le présent projet de loi organique visait à consacrer cette lecture contestable des textes organiques précédents, en confirmant une extension à douze ans au cours d’une carrière de la durée possible d’exercice de la fonction de magistrat placé. Néanmoins, les réserves précédemment énoncées ont logiquement conduit les parlementaires de la commission mixte paritaire à refuser une telle extension.
Mes chers collègues, le texte qui vous est aujourd’hui présenté renforce les limites auxquelles est soumis l’exercice des fonctions de magistrat placé et préserve ainsi les garanties apportées à l’inamovibilité des magistrats. L’accord intervenu en CMP permet à chaque chambre du Parlement d’apporter sa contribution à l’élaboration de cette loi. Grâce à lui sera évitée l’extension d’un dispositif qui suscite parmi nous de très nombreuses réserves. Je vous invite par conséquent à adopter ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme M. le rapporteur, je me félicite que la commission mixte paritaire ait abouti à un accord sur ce qu’il faut désormais d’appeler le « projet de loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature ».
L’Assemblée nationale a adopté les conclusions de la CMP le 17 janvier dernier.
Le présent texte a pour objet d’accélérer la montée en charge de l’augmentation, par génération, de la limite d’âge des magistrats, telle qu’elle est prévue par la loi organique du 10 novembre 2010. Il est le pendant, pour les magistrats, de la modification du calendrier de l’augmentation des âges d’ouverture des droits et d’annulation de la décote proposé par le Gouvernement pour l’ensemble des fonctionnaires civils, ainsi que pour les militaires.
Cette mesure fait partie du plan d’équilibre des finances publiques annoncé par le Premier ministre le 7 novembre 2011 « afin de réduire plus rapidement le déficit des régimes d’assurance vieillesse et de sécuriser ainsi les pensions de retraite ».
Monsieur le rapporteur, malgré les divergences que vous avez évoquées, les deux assemblées se sont rejointes sur les conclusions de la CMP ; on ne peut que s’en féliciter.
Le projet de loi initial comportait un article unique, alignant le calendrier de relèvement de la limite d’âge par génération applicable aux magistrats sur celui prévu pour l’ensemble des fonctionnaires civils, relevant des trois fonctions publiques, ainsi que pour les militaires.
Le texte laisse inchangée la limite d’âge précédemment fixée pour les magistrats nés avant le 1er janvier 1952. En revanche, pour les magistrats nés à compter de cette date, l’accélération du relèvement de la limite d’âge interviendra à raison d’un mois pour ceux qui sont nés en 1952, de deux mois pour ceux qui sont nés en 1953, de trois mois pour ceux qui sont nés en 1954 et de quatre mois pour ceux qui sont nés en 1955.
Lors de l’examen du texte, quatre amendements, relatifs à la carrière des magistrats et à la gestion du corps judiciaire, ont été adoptés. Ces dispositions organiques viennent modifier le statut de la magistrature pour répondre à des difficultés techniques rencontrées par la Chancellerie dans la gestion du corps judiciaire ou dans la mise en œuvre de dispositifs statutaires existants. Toutes revêtent une urgence particulière, que vous avez bien ressentie.
Adoptés par l’Assemblée nationale, l’assouplissement de la règle de priorité d’affectation à la Cour de cassation des conseillers et avocats généraux référendaires, comme celui de la règle de mobilité pour l’accès aux emplois hors hiérarchie ont été votés conformes par le Sénat. Il en est allé de même pour les dispositions relatives au comité médical national et au comité médical d’appel ; le Gouvernement s’en félicite, car ces dispositions apportent une réponse indispensable à des difficultés pratiques.
Ces mesures nous permettront de poursuivre dans la voie de la politique rénovée et dynamique des ressources humaines engagée par la Chancellerie ces dernières années.
La commission mixte paritaire était saisie de deux articles, ainsi que de l’intitulé du projet de loi organique.
En premier lieu, le Sénat a accepté de rétablir l’article 1er relatif à la retraite des magistrats.
En second lieu, la CMP est parvenue à un accord sur la disposition relative aux magistrats placés auprès des chefs de cour d’appel, dont la présence contribue à la bonne marche des juridictions.
Monsieur le rapporteur, la CMP a conclu, sur votre initiative, à l’exclusion des emplois d’encadrement intermédiaire dits « B bis » – premier vice-président, premier vice-président adjoint, procureur de la République adjoint ou premier vice-procureur – du bénéfice de la priorité d’affectation des magistrats placés.
La priorité d’affectation dont bénéficient ces magistrats sur des postes de la juridiction siège de la cour auprès de laquelle ils sont placés ne pourra plus porter sur ce type d’emplois. En effet, ces derniers doivent être occupés par des magistrats ayant démontré de véritables capacités d’encadrement et d’animation au cours de leur carrière.
En revanche, la commission mixte paritaire n’a pas retenu, dans ce compromis, l’augmentation de la durée des fonctions de magistrat placé de six ans consécutifs à douze ans sur l’ensemble de la carrière.
Cette évolution répondait aux vœux de certains magistrats, mais elle n’aurait concerné en pratique qu’un nombre limité de situations. Le bénéfice de carrière que constitue la priorité d’affectation est acquis au magistrat placé au terme de deux ans. Pour être maintenus dans cette position, les magistrats doivent donc s’être portés candidats à cette prolongation.
Le Gouvernement prend acte du compromis trouvé sur la situation des magistrats placés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la commission mixte paritaire est parvenue à un texte d’équilibre, satisfaisant aux objectifs essentiels visés par le projet de loi organique ; je m’en réjouis.
C’est en vertu d’une nécessaire démarche d’équité que le texte aligne le calendrier de relèvement de la limite d’âge des magistrats sur le régime général des trois fonctions publiques. L’amélioration des dispositifs de gestion de carrière des magistrats et du corps judiciaire est venue enrichir le projet de loi organique.
Le Gouvernement est donc bien évidemment favorable au texte issu de la commission mixte paritaire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom de mon groupe, je regrette vivement que, lors de la réunion de la commission mixte paritaire, une majorité se soit dégagée pour valider l’accélération du recul de l’âge de départ à la retraite des magistrats voulue par le Gouvernement et inscrite dans le présent projet de loi organique.
Pour ma part, je ne me suis pas associée à ce consensus. J’ai voté en CMP contre le texte issu de ses travaux, conformément à la position que j’avais prise en première lecture, au nom de mon groupe, en commission puis en séance.
Je constate aujourd'hui que, entre les articles issus des travaux de la CMP et ceux qui ont été adoptés conformes dans les deux chambres, le projet de loi organique pourrait entrer en vigueur dans une version très proche de celle qui a été adoptée par l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, permettez-moi toutefois de rappeler que la majorité de la commission des lois du Sénat avait supprimé les articles 1er et 2.
Concernant l’article 1er, qui justifiait le dépôt du texte, un certain nombre de remarques très justes avaient été émises – elles sont évoquées dans le rapport –, la commission soulignant que valider cet article reviendrait à acter la réforme des retraites et que l’équité commandait « de retenir d’autres modalités de réforme des retraites que celles finalement adoptées ».
En outre, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, une majorité des membres de notre assemblée avait voté contre l’accélération de la mise en œuvre de cette réforme très contestée des retraites.
Toutefois, mon opposition à l’article 1er ne relève pas seulement aujourd'hui d’un souci de cohérence : elle repose également sur des arguments de fond.
Nous constatons que le Président de la République et le Gouvernement sont pressés d’appliquer leur réforme des retraites, contre l’avis de la majorité des salariés.
L’accélération du calendrier de cette réforme fait partie des dispositions du plan de rigueur du Gouvernement présenté en novembre dernier. « C’est un signal très fort de la volonté de notre pays de maîtriser ses dépenses, d’équilibrer ses comptes sociaux », avait alors souligné le Premier ministre.
Pour notre part, nous n’en sommes pas convaincus, d’autant que la réforme dans son ensemble ne fera que renforcer les inégalités. Hélas, tout aujourd’hui nous confirme que nous avons eu raison de nous opposer à cette réforme : ainsi, depuis que cette dernière a été adoptée, la situation économique du pays s’est encore dégradée, tandis que le nombre de chômeurs a encore augmenté de manière très importante et très préoccupante, tout particulièrement parmi les jeunes et ceux que l’on appelle désormais les « seniors » : le nombre de chômeurs de plus de 50 ans a augmenté de 14 % en un an.
Nous le savons bien, l’objectif de la réforme initiale et de ses nouvelles déclinaisons dans le plan de rigueur n’a jamais été de sauver le financement à terme des retraites ! Bien au contraire, le Gouvernement s’attache à déconstruire tout ce qui fonde la protection sociale, avec un seul objectif : offrir des marchés aux grands groupes d’assurance, aux fonds de pension, aux financiers.
Il n’a donc jamais été question de faire travailler les salariés plus longtemps, puisque, de toute façon, la situation de l’emploi ne le permet pas. Il s’est toujours agi de baisser le montant de leurs retraites !
Dans le même temps, le Gouvernement veut continuer à satisfaire le patronat en réduisant encore et encore les cotisations sociales que ce dernier ne cesse de contester. L’idée de TVA sociale vient sur ce point à leur rescousse.
Les financiers étant pressés, le Gouvernement l’est aussi et accélère la mise en œuvre de la réforme. Pour notre part, nous nous y opposons, qu’il s’agisse des salariés du privé ou des fonctionnaires.
S’agissant plus particulièrement des magistrats, les laisser en poste plus longtemps fera barrage à l’entrée en fonction des plus jeunes. En outre, le report de leur limite d’âge sera peut-être plus onéreux, les magistrats en fin de carrière coûtant évidemment plus cher que leurs jeunes collègues ! L’Union syndicale des magistrats fait d'ailleurs, à juste titre, les mêmes observations.
Concernant l’article 2 du projet de loi, la disposition allongeant la période pendant laquelle un magistrat pouvait exercer la fonction de magistrat placé a, certes, été supprimée : je souscris d’autant plus à une telle suppression que je m’étais moi-même opposée à cette mesure, dont j’avais recensé un certain nombre de conséquences négatives. J’avais notamment souligné le risque d’une utilisation accrue des magistrats placés pour des motifs de gestion, dans un contexte rendu difficile par l’absence des recrutements nécessaires pour faire face à l’augmentation constante des affaires judiciaires.
Toutefois, je rappelle que la commission des lois avait également adopté l’amendement tendant à supprimer l’intégralité de l’article 2 que j’avais déposé ; cette position avait été validée lors du débat en séance publique. La suppression de l’article 2 était d’autant plus justifiée que ce dernier avait été introduit par le Gouvernement, lors du débat à l’Assemblée nationale, sans que rien l’ait annoncé, donc sans le débat nécessaire.
Je déplore d’autant plus le vote imminent des conclusions de la CMP que trois autres dispositions du projet de loi – les articles 4, 5 et 6 –, d’ores et déjà adoptées par les deux chambres, constituent, à n’en pas douter, autant de cavaliers législatifs : elles ont été introduites par le Gouvernement alors que rien ne les relie au projet de loi organique initial, lequel avait pour seul objet l’application de l’accélération du calendrier du relèvement de l’âge limite par génération de départ à la retraite.
Comme trop souvent, le Gouvernement en a profité pour intégrer des dispositions qui, en toute logique, devaient relever d’un projet de loi spécifique, en l’occurrence le projet de loi organique relatif au statut de la magistrature déposé à l’Assemblée nationale en juillet 2011, que la frénésie législative du Gouvernement n’a pas permis d’inscrire à l’ordre du jour du Parlement. Je déplore d'ailleurs que, depuis des années, de telles situations se multiplient.
Le procédé est en l’occurrence d’autant plus contestable que la procédure accélérée a été engagée, interdisant tout débat de fond en amont et toute consultation sérieuse des syndicats de magistrats.
Mes chers collègues, vous comprendrez donc que je vote aujourd’hui contre les conclusions de la commission mixte paritaire qui nous sont présentées. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à défaut d’un projet de loi modernisant enfin le statut de la magistrature dans sa globalité, c’est d’un texte a minima que le Sénat doit aujourd’hui discuter.
En première lecture, la grande majorité des membres de mon groupe avaient fait part de leur opposition à la philosophie initiale du présent texte, lequel traduisait, à notre sens, un recul des droits dont bénéficient les magistrats de l’ordre judiciaire.
Sans surprise, et suivant en cela la commission des lois, nous avions confirmé notre refus de voir s’appliquer au statut de la magistrature l’accélération du calendrier de mise en œuvre de la réforme des retraites décidée le 7 novembre dernier par le Premier ministre.
Le Sénat et l’Assemblée nationale ont trouvé un accord sur l’essentiel des autres dispositions de ce texte. Comme le rapporteur l’a indiqué, les points de divergence subsistants étaient peu nombreux ; ils étaient toutefois suffisamment importants.
Pour notre part, nous jugeons que la commission mixte paritaire a fait preuve avant tout de réalisme, les représentants du Sénat ayant tout d’abord cherché à travailler dans un esprit constructif, pour parvenir à un compromis acceptable.
Le texte qui nous est aujourd’hui proposé entérine, pour la magistrature, les modifications de la mise en œuvre de la réforme des retraites opérées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.
Naturellement, la majorité des membres de mon groupe reste fondamentalement opposée à cette réforme, que nous continuons à estimer injuste pour nos concitoyens les plus modestes. Cependant, les dispositions applicables aux fonctionnaires ayant été promulguées, il serait absurde de ne pas procéder aux coordinations nécessaires et de laisser subsister des différences de traitement, infondées sur le plan du droit, pour les magistrats.
C’est à partir du constat d’une nécessaire adaptation à la réalité du moment que nous fondons notre appréciation sur la rédaction de l’article 1er, qui reprend la version votée initialement par l’Assemblée nationale.
La même appréciation sous-tend notre analyse de l’article 2, dont la rédaction est également le fruit d’un compromis empreint de sagesse. Si nous n’avons pas eu gain de cause sur l’exclusion des emplois d’encadrement intermédiaire, dits « B bis », du bénéfice de la priorité d’affectation des magistrats placés, nous nous félicitons que la commission mixte paritaire se soit ralliée à la position du Sénat en supprimant l’allongement de la durée d’exercice de la fonction de magistrat placé. Une telle mesure n’aurait vraiment pas été raisonnable : elle n’aurait fait que consacrer une forme de précarisation de la carrière de ces magistrats. Certes, la gestion des vacances provisoires est nécessaire, mais la pénurie de postes ne doit pas servir de prétexte à la banalisation de l’instabilité des carrières.
Plus généralement, les dispositions de ce projet de loi organique demeurent très en deçà des attentes des magistrats, qui ne sauraient se contenter de réformes à la marge. En toutes circonstances, mon groupe défend l’idée que notre justice a besoin aujourd’hui d’une profonde réforme, fondée sur les principes d’indépendance et d’accessibilité, assortie des moyens lui permettant enfin d’accomplir sa mission avec sérénité et efficacité. Bien évidemment, ce texte ne répond nullement à cette urgence, même si certaines de ses dispositions trouvent leur utilité.
Depuis la première lecture de ce projet de loi organique, le Président de la République a néanmoins proposé, lors de ses vœux aux hautes juridictions, de réformer le mode de nomination des magistrats du parquet, en soumettant les décisions à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Il est sûr qu’une telle mesure serait un premier pas indispensable pour mettre enfin notre droit en conformité avec les principes fondamentaux du procès équitable, que défend depuis longtemps la Cour européenne des droits de l’homme. Mais que penser d’une annonce aussi tardive, à quelques semaines de la suspension de nos travaux, et alors que nous sommes nombreux à interpeller depuis longtemps le Gouvernement sur l’urgence d’une révision du statut du parquet ?
Nous constatons – une fois de plus, malheureusement ! – l’incohérence de la politique de la justice, caractérisée par la multiplication des annonces contradictoires et des textes votés dans l’urgence, le tout au détriment des justiciables, qui ont pourtant droit à une justice lisible et efficace.
La majorité des membres du groupe du RDSE estime que ce texte représente une nouvelle occasion manquée. Toutefois, même si aucun problème n’a été résolu en réalité, la commission mixte paritaire a travaillé dans un esprit réaliste et constructif : cet effort justifiera notre vote favorable à ses conclusions.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je me réjouis qu’une commission mixte paritaire aboutisse, car cette situation devient très rare ces temps-ci !
Sourires.
Il est vrai que l’objectif initial de ce texte était limité. On peut refuser une réforme, mais, dans la mesure où celle-ci doit s’appliquer à tous, il est impossible que les magistrats y échappent pour la seule raison que leur statut, eu égard à la dignité de leur fonction, est régi par des lois organiques. Il fallait donc bien traduire les effets de la réforme des retraites dans ce statut particulier, car personne n’aurait compris qu’elle ne s’applique pas aux magistrats.
Ce texte n’avait donc initialement pour objet que l’application formelle du relèvement de deux ans de l’âge de départ à la retraite au régime applicable aux magistrats. En ce qui me concerne, cette mesure me semble indispensable : compte tenu de la situation de nos finances publiques et de l’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, il convenait de mettre en œuvre le nouveau calendrier de cette réforme. Même si certains la contestent, cette mesure s’applique donc aujourd’hui à la magistrature.
J’observe, d’ailleurs, que la limite d’âge des magistrats a connu, au cours des cinquante dernières années, les mêmes évolutions que celle de l’ensemble des agents de l’État. Il était donc logique de procéder ainsi.
Certains l’ont rappelé, la limite d’âge précédemment fixée pour les magistrats nés avant le 1er janvier 1952 n’est pas modifiée. Ensuite, pour les magistrats nés à compter de cette date, l’accélération du relèvement de la limite d’âge interviendra à raison d’un mois pour ceux qui sont nés en 1952, de deux mois pour ceux qui sont nés en 1953, de trois mois pour ceux qui nés en 1954 et de quatre mois pour ceux qui sont nés en 1955.
La limite d’âge à 67 ans s’applique désormais pleinement pour les magistrats nés à compter de 1955, mais, bien entendu, l’âge d’ouverture des droits à pension des magistrats ne fait pas partie intégrante de leur statut. Ceux-ci se voient donc appliquer, par la loi ordinaire, les mêmes règles que pour les fonctionnaires. Enfin, depuis l’adoption de la loi portant réforme des retraites, cet âge est fixé à 62 ans pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1956.
On peut bien sûr s’interroger sur les effets de cette mesure sur le nombre des départs à la retraite, mais le ministère de la justice nous a assuré que le nombre de magistrats concernés ne devrait pas excéder quelques dizaines.
J’ajoute – j’y reviendrai quand j’évoquerai la situation des magistrats placés – que l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit que « les magistrats sont maintenus en fonction, sauf demande contraire, jusqu’au 30 juin suivant la date à laquelle ils ont atteint la limite d’âge », afin que leur départ coïncide avec les vacances judiciaires. Cette disposition, très largement utilisée, doit atténuer les effets de cette réforme sur la date de cessation effective des fonctions des magistrats concernés.
Il faut aussi rappeler que le magistrat atteignant la limite d’âge dispose de plusieurs régimes lui permettant de prolonger son activité, comme le recul de la limite d’âge applicable à l’ensemble des fonctionnaires de l’État, ou les régimes de maintien en activité spécifiques à la magistrature.
C’est pourquoi, comme pour les autres fonctionnaires, l’accélération du calendrier de relèvement de la limite d’âge pour les magistrats de l’ordre judiciaire se traduira nécessairement par une diminution des dépenses de pensions des agents de l’État et la réduction du déficit budgétaire. Tel était l’objectif essentiel visé par le Gouvernement et sa majorité, et je tiens d’ailleurs à saluer les efforts réalisés dans la lutte contre les déficits.
J’en viens aux autres mesures. Il est vrai, monsieur le ministre, qu’il n’est jamais souhaitable, lorsqu’un projet de loi porte sur un sujet précis, d’ajouter des dispositions dépourvues de tout lien avec son objet. Nous étions dans l’attente d’un important projet de loi organique relatif à la magistrature, mais celui-ci n’a pas pu être inscrit à l’ordre du jour. Je sais que le ministre chargé des relations avec le Parlement est celui qui souffre le plus d’une telle situation… §
Ce problème est quelque peu lié à la révision constitutionnelle de 2008, qui a permis le partage de l’ordre du jour ; à l’époque, j’avais défendu une autre position et je maintiens que l’organisation du travail qui a été adoptée n’était peut-être pas optimale pour le Parlement.
Compte tenu de l’encombrement du calendrier parlementaire, il est tentant d’ajouter des dispositions aux projets de loi qui se présentent : la commission des lois du Sénat en avait accepté un certain nombre, qui tendaient à une amélioration du fonctionnement de la justice.
En ce qui concerne les magistrats placés, je comprends que l’on ne veuille pas bouleverser les pratiques actuelles, mais je rappelle que les affectations de magistrats posent un problème de transparence.
En effet, à chaque vacance de poste, qu’elle fasse suite à un départ à la retraite ou à une mutation, il faut attendre que toutes les personnes susceptibles de le faire aient postulé pour pourvoir ce poste. Aucune administration ne pourrait fonctionner de cette manière ! Certains postes restent donc vacants très longtemps.
Or, s’il n’y a plus de magistrats placés, et si personne ne postule, certaines juridictions, notamment les plus petites, ne pourront plus fonctionner. On a vu ainsi des juridictions à une seule chambre rester sans juge d’instruction, ou, si un juge d’instruction était nommé, compte tenu du nombre restant de magistrats, ne plus pouvoir siéger en formation de jugement. Il faut donc bien trouver des solutions ! C’est pourquoi les magistrats placés existent depuis très longtemps.
Contrairement à ce que certains pensent, l’allongement de la durée maximale de la fonction de magistrat placé ne constitue pas une demande du ministère de la justice. Il s’agissait en fait de résoudre les problèmes de mobilité rencontrés par certains magistrats, qui préfèrent rester dans une juridiction en qualité de magistrat placé plutôt que d’être affectés dans le ressort d’une autre cour d’appel, pour des raisons familiales notamment. Or cet élément n’est jamais évoqué !
Il s’agissait donc de répondre non pas à un désir du Gouvernement, mais à la demande de certains magistrats, afin de leur permettre de ne pas changer de cour d’appel. Il convient de ne pas adopter une approche uniquement théorique de cette question et de se donner le temps de la réexaminer. Il me semble donc opportun de ne pas prendre position, dans l’immédiat, sur ce sujet, qui du reste n’apporte pas grand-chose à notre débat.
Mes chers collègues, comme vous l’aurez compris, le groupe UMP votera les conclusions de la commission mixte paritaire.
Applaudissements sur les travées de l’UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a déjà dit M. le rapporteur, nous nous félicitons de l’accord obtenu en commission mixte paritaire et nous nous prononcerons en faveur de ce texte. Toutefois, nous le voterons, sinon avec quelques réticences, du moins avec quelques réserves.
Je tiens tout d’abord à souligner avec force que nous nous sommes toujours opposés à la réforme des retraites. Ayant combattu cette réforme générale, nous ne pouvions que refuser sa déclinaison aux magistrats. Or tel est bien l’objet de ce projet de loi organique.
Pourquoi veut-on étendre la réforme des retraites aux magistrats ? Il suffit, pour répondre à cette question, de citer le Premier ministre : celui-ci déclarait, le 7 novembre 2011, que le plan d’équilibre des finances publiques devait permettre « de réduire plus rapidement le déficit des régimes d’assurance vieillesse et de sécuriser ainsi les pensions de retraites ». Vaste programme ! Toutefois, selon l’étude d’impact qui accompagne ce texte, il n’aboutit qu’à une économie de 475 000 euros : force est de constater la disproportion entre les objectifs et la réalité. Tout cela a été parfaitement expliqué, notamment par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, et je n’y reviendrai donc pas.
Je tiens également à souligner un autre point, à savoir les effets du recul de la limite d’âge applicable aux magistrats sur la bonne administration de la justice. Ce recul aura nécessairement une conséquence sur la démographie judiciaire, car l’application de la nouvelle limite d’âge ralentira le déroulement des carrières.
Nous savons déjà, aujourd’hui, que la structure de la pyramide des âges du corps des magistrats se caractérise par un « goulet d’étranglement » au sommet de la hiérarchie. Avec l’allongement des carrières, les postes « hors hiérarchie » resteront occupés plus longtemps et deviendront hors d’atteinte pour des magistrats plus jeunes. Évidemment, nul ne souhaite abréger la carrière des magistrats, mais il aurait été nécessaire de suspendre l’application mécanique de la réforme des retraites aux magistrats pour « permettre une certaine respiration du corps », selon l’expression de notre collègue député Dominique Raimbourg.
La suspension de cette réforme aurait été d’autant plus aisée que l’économie attendue est minime. Comme le rappelle l’Union syndicale des magistrats, compte tenu du taux de remplacement particulièrement faible du corps judiciaire – aux alentours de 50 % – le gain sera « probablement nul ».
Revenons-en aux conclusions de la commission mixte paritaire : si la disposition relative à l’âge de la retraite avait été la seule en discussion, comme dans le texte initial, aucun compromis n’aurait été possible, je tiens à le réaffirmer avec force après Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le « Sénat de gauche », si l’on me permet cette expression, aurait rejeté ce texte.
Comme l’a souligné notre rapporteur, il nous faut choisir, si j’ose dire, « entre la peste et le choléra » : d’un côté, l’avancement de l’âge de la retraite, de l’autre, des dispositions que nous considérions comme tout à fait attentatoires à l’indépendance de la justice.
Sur la forme – même s’il s’agit d’une critique de principe, il faut toujours l’énoncer, car il y va de notre travail parlementaire –, je constate que nous nous sommes accoutumés à la procédure accélérée, qui est devenue une mauvaise habitude, ainsi qu’à l’adjonction de cavaliers en cours de procédure. Dans le cas présent, monsieur le ministre, vous faites le maximum : vous nous infligez en quelque sorte une double peine, avec une procédure accélérée assortie de cavaliers !
La commission des lois de l’Assemblée nationale avait « enrichi » le texte du projet de loi organique de plusieurs amendements sans rapport avec son objet initial : les articles 2, 4, 5 et 6 relevaient de cette catégorie. L’article 3, en revanche, issu d’un amendement de notre collègue René Dosière adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale, avait, quant à lui, été supprimé en séance publique.
Pour la plupart, ces amendements étaient issus du projet de loi organique relatif au statut de la magistrature. Vous avez donc profité de la discussion parlementaire pour effectuer, en quelque sorte, un transfert. Pour ma part, je regrette que ce projet de loi organique n’ait jamais été inscrit à l’ordre du jour de nos assemblées.
Cette adjonction, ce que j’appelle ce transfert, a évidemment changé la nature du projet de loi organique que nous examinons. Elle vous a aussi permis de renouer avec une très mauvaise habitude, à savoir soustraire ce texte à l’examen du Conseil d’État. Celui-ci a donc été empêché de donner son avis, qui nous aurait sans doute intéressés.
Au passage, vous avez procédé à une autre soustraction, puisque vous avez évité la concertation. Il n’y a pas eu la moindre concertation avec les organisations syndicales des magistrats sur un texte qui les concerne au plus haut degré ! Et, là aussi, nous ne pouvons que le regretter.
Une autre critique précise concerne les magistrats « placés », dont M. Hyest, tout à l’heure, a souligné combien ils étaient nécessaires. Dans la rédaction initiale, il était prévu d’étendre à douze ans, contre six ans aujourd’hui, la période pendant laquelle un magistrat pourrait, durant sa carrière, être affecté à un emploi de magistrat placé.
Ces magistrats placés posent des difficultés. J’ai bien écouté les arguments avancés par l’ancien président de la commission des lois, mais celui-ci oublie tout de même un élément, à savoir que ce dispositif porte atteinte au principe d’inamovibilité des magistrats du siège. Or c’est là une règle sur laquelle nous ne devrions absolument pas transiger, me semble-t-il.
Il y a peut-être à ce système des nécessités techniques, mais il existe sans aucun doute des exigences juridiques, voire constitutionnelles, qu’il nous faut respecter. Jean-Pierre Michel, qui ne peut aujourd’hui s’exprimer à cette tribune et qui m’a chargé de l’en excuser auprès de vous, a rappelé, au cours de précédents débats, que le Conseil d’État avait strictement encadré la durée d’exercice de ces magistrats placés, dits « magistrats volants », ce qui est déjà tout un programme ! Je regrette donc que le Gouvernement ait cherché à contourner cette jurisprudence.
Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, on nous a donné l’assurance que l’on ne reviendrait pas sur la durée de placement de ces magistrats. Monsieur le ministre, j’aimerais donc que vous nous confirmiez que le Gouvernement ne tentera pas de revenir, d’une façon ou d’une autre, sur la durée de placement de ces magistrats « volants ».
Je dirai également un mot sur les lacunes de ce texte. Puisque le Gouvernement a puisé dans le projet de loi organique qui était en préparation, il aurait pu se remémorer l’exposé des motifs de ce texte, qui se proposait « d’étendre à certains magistrats de l’ordre judiciaire le renforcement des obligations de transparence et la formalisation de certains des mécanismes de prévention des conflits d’intérêt ».
Monsieur le ministre, puisque vous vouliez puiser à cette source, pourquoi ne pas avoir retenu ce point ? Pourquoi lui avoir préféré d’autres éléments, alors qu’un tel volet aurait sans doute été tout à fait nécessaire en matière de déclaration d’intérêt pour les magistrats nommés à la Cour de cassation, comme pour les conseillers et avocats généraux qui y sont en service extraordinaire ?
La seule mesure qui, finalement, aurait pu se rapprocher de cet objectif était la proposition de René Dosière, qui prévoyait que les magistrats judiciaires ne puissent recevoir la Légion d’honneur ou l’Ordre national du mérite « pendant l’exercice de leurs fonctions ou à ce titre ».
Cette suggestion a fait l’objet de nombreux débats. Sur le principe, on comprend le raisonnement de René Dosière. Il s’agissait d’appliquer au troisième pouvoir, à la justice, des contraintes qui sont imposées aux deux autres pouvoirs, notamment au Parlement. Sans doute cette discussion était-elle prématurée.
Monsieur le ministre, je voudrais terminer en évoquant une autre question. Derrière cette histoire de médaille, en réalité, René Dosière nous parle d’autre chose, à savoir de l’indépendance de la justice. Tout à l’heure, mon collègue Nicolas Alfonsi a évoqué ce point, sur lequel je voudrais revenir.
Voilà quinze jours, j’ai interpellé M. le garde des sceaux sur la question de l’indépendance de la justice, plus particulièrement sur le fait qu’un grand nombre de magistrats du parquet – 126 procureurs de la République sur 163 – ont adopté récemment une résolution demandant, d’une part, qu’on leur donne les moyens de travailler, et, d’autre part, que l’indépendance du parquet soit enfin garantie dans notre pays.
M. le garde des sceaux a bien voulu me répondre pour me dire : « Circulez, il n'y a rien à voir ». Il n’est pas là aujourd’hui, mais vous serez mon interprète auprès de lui pour lui transmettre cette question, monsieur le ministre, que je pose à nouveau aujourd’hui, avec encore plus de force.
Nous venons de constater que le procureur de Nanterre avait été mis en examen. Ce n’est pas un événement d’une grande banalité dans une République ! Il a été mis en examen pour son enquête, jugée illégale par la Cour de cassation, sur les sources des journalistes du Monde.
C’est là un fait qui, au regard de l’ordonnance de 1958, constitue certainement une violation grave des obligations d’un magistrat. Ainsi en a jugé définitivement la Cour de cassation.
Pourtant, le garde des sceaux ne bouge pas. Il a même annoncé qu’il ne saisirait pas le Conseil supérieur de la magistrature ! Comment peut-il ne pas le faire alors qu’une faute est avérée et reconnue par la plus haute juridiction de notre pays ? Et comment peut-il, parallèlement, saisir le Conseil supérieur de la magistrature afin de poursuivre Mme Prévost-Desprez, également magistrate à Nanterre, pour une opinion qu’elle a exprimée dans un livre au titre, certes, un peu dérangeant pour certains, Sarko m’a tuer ?
D’un côté, nous avons un comportement fautif qui ne donne pas lieu à saisine du Conseil supérieur de la magistrature, qui n’est pas sanctionné. De l’autre, nous avons une opinion qui, elle, fait l’objet d’une menace de sanction. Sur ce point, nous aurions aimé entendre l’opinion du garde des sceaux !
M. Alain Anziani. Surtout, à la place de ce projet de loi organique, dont l’intérêt, s’il est réel, est tout de même relatif, nous aurions préféré être enfin saisis du grand texte sur l’indépendance du parquet que nous attendons !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie l’ensemble des intervenants à ce débat, en particulier ceux qui ont élargi le champ de la préoccupation qui nous anime ce matin.
Madame Borvo Cohen-Seat, je suis d'accord avec bien des points que vous avez évoqués dans votre intervention. Toutefois, en commission mixte paritaire, notre objectif était d’aller au-delà de l’affirmation des principes ; cela, nous pouvons le faire ici, au Sénat. Il s’agissait pour nous d’être capables de peser in fine sur la loi telle qu’elle sera votée par le Parlement, tout en préservant les principes essentiels. C’est la raison pour laquelle nous sommes arrivés à ce compromis.
Mme Gisèle Printz applaudit.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
L’article 2 de la loi organique n° 2010-1341 du 10 novembre 2010 relative à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire est ainsi rédigé :
« Art. 2. – Par dérogation à l’article 76 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, la limite d’âge des magistrats nés avant le 1er janvier 1955 est fixée :
« 1° Pour les magistrats nés avant le 1er juillet 1951, à soixante-cinq ans ;
« 2° Pour les magistrats nés entre le 1er juillet et le 31 décembre 1951, à soixante-cinq ans et quatre mois ;
« 3° Pour les magistrats nés en 1952, à soixante-cinq ans et neuf mois ;
« 4° Pour les magistrats nés en 1953, à soixante-six ans et deux mois ;
« 5° Pour les magistrats nés en 1954, à soixante-six ans et sept mois. »
La seconde phrase du neuvième alinéa de l’article 3-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est complétée par les mots : «, premier vice-président, premier vice-président adjoint, procureur de la République adjoint ou premier vice-procureur de la République des tribunaux de grande instance ».
Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...
Le vote est réservé.
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l’ensemble du projet de loi organique dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi organique dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici le résultat du scrutin n° 94 :
Le Sénat a adopté définitivement.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.