Intervention de Philippe Richert

Réunion du 26 janvier 2012 à 9h30
Protection de l'identité — Rejet des conclusions d'une commission mixte paritaire

Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vient aujourd'hui devant vous a déjà fait l’objet de débats approfondis et constructifs. À l’issue de la dernière lecture à l’Assemblée nationale, le texte est parvenu à une version équilibrée et efficace dans la lutte contre l’usurpation d’identité. Je tiens à dire à Mme le rapporteur que l’usurpation d’identité n’est pas quelque chose d’anecdotique. Cela touche les gens de façon profonde, dans leur intimité, et ne mérite donc pas d’être balayé du revers de la main, comme un problème secondaire. Vous comprendrez cela le jour où vous aurez rencontré des personnes qui ont été directement concernées !

Madame le rapporteur, vous expliquez qu’il y aura toujours des fraudes. C’est évident ! Mais ce n’est pas parce que certains voudront frauder ou contourner la loi, qu’il ne faut pas faire d’efforts !

Vous nous dites que certains essayeront de contourner la loi pour obtenir un titre de séjour. Mais si on vous suivait, il faudrait cesser de faire des pièces d’identité ou des passeports sous prétexte que des gens fraudent !

Notre volonté, ainsi que la responsabilité de l’État et de la République, est de protéger les citoyens, en mettant en place les procédures et les moyens qui le permettent !

L’angélisme dont vous faites preuve – c’est bien en effet de l’angélisme – en passant par pertes et profits les tracas causés et les atteintes aux personnes me laisse pantois.

À l’issue de la dernière lecture à l’Assemblée nationale, le texte est parvenu à une version équilibrée, efficace dans la lutte contre l’usurpation d’identité et présentant de sérieuses garanties au regard des libertés publiques.

La commission mixte paritaire qui s’est réunie le 10 janvier dernier a souhaité revenir sur ce travail en rétablissant le concept de « lien faible », remettant ainsi en cause le lien univoque entre les données enregistrées dans la base titres électroniques sécurisés, ou TES.

Le Gouvernement a réaffirmé à plusieurs reprises son opposition à la fausse solution que constitue le lien faible. C’est la raison pour laquelle je vous propose d’adopter un amendement visant à revenir à la version du texte que l’Assemblée nationale a arrêtée en deuxième lecture et confirmée lors du débat sur les conclusions de la commission mixte paritaire.

Je le rappelle en outre, cette version est cohérente avec la proposition de loi initialement déposée par les sénateurs Jean-René Lecerf et Michel Houel, qui s’appuyait sur le rapport adopté par la Haute Assemblée en 2005. Le « lien fort », c’est-à-dire le lien univoque entre les données, est le seul lien qui soit opérationnel et qui garantisse la réalisation de l’objectif que nous nous sommes fixé dans cette proposition de loi : protéger nos concitoyens contre l’usurpation d’identité. Ne perdons jamais de vue cet objectif, qui n’est pas secondaire !

L’usurpation d’identité est un fléau et un traumatisme profond pour les victimes.

C’est un fléau dont les conséquences sont grandissantes. En effet, constater une usurpation ne permet pas d’en faire immédiatement cesser les effets néfastes. Les périodes de difficulté, pendant lesquelles les victimes peuvent se voir privées de leurs droits, peuvent durer des mois, voire des années. Il faut souvent de longues investigations afin de démêler les vraies identités de celles qui sont usurpées.

C’est aussi un traumatisme profond pour les victimes, qui dure longtemps et touche une part de l’intimité des individus. Aux préjudices matériels et financiers s’ajoute ainsi le préjudice moral de voir son honnêteté mise en doute, son nom sali et sa réputation détruite.

Une bonne corrélation entre les éléments d’état civil et les données biométriques au sein de la base TES constitue l’unique moyen d’atteindre notre objectif.

En effet, le concept de lien faible est une dégradation technique plus qu’une garantie. Les promoteurs du lien faible considèrent que seule cette dégradation permet de garantir matériellement les libertés fondamentales. Cela signifierait que le seul recours de la liberté est de promouvoir un défaut technique ; ce serait à désespérer du droit et du rôle de la loi.

La protection des libertés fondamentales mérite d’être gravée dans la loi, et non subordonnée à un dispositif technique. De plus, le lien faible possède de grandes fragilités qu’il convient de ne pas omettre.

Première fragilité, la fragilité technique : l’entreprise qui propose le lien faible indique clairement que celui-ci n’est pas opérationnel et qu’il nécessite encore du temps et des investissements pour être mis au point. Construire un système national sécurisé pour l’identité de nos concitoyens sur la base d’un concept dont la faisabilité n’est pas acquise n’est ni sérieux ni responsable et oblige à rejeter cette proposition.

Deuxième fragilité, la fragilité juridique : le lien faible est un concept protégé par un brevet. Si le cahier des charges du projet en fait mention, il y a donc un réel risque de contentieux porté par des entreprises concurrentes.

En outre, le lien faible permet seulement de constater qu’il existe une usurpation d’identité. Cela ne permet pas de remonter à l’identité du fraudeur. C’est une limitation sérieuse au regard de l’objectif de la loi. Au contraire, le lien fort permet de remonter jusqu’à l’usurpateur via ses empreintes. Ainsi, seul le lien fort répond aux objectifs que nous recherchons.

De plus, il est faux de considérer que le lien fort serait de nature à porter atteinte aux libertés fondamentales reconnues à chacun de nos concitoyens. Le texte que je vous propose de rétablir aujourd’hui comporte en effet toutes les garanties nécessaires au respect de ces libertés.

D’abord, il y a ce que le Conseil d’État et la CNIL ont recommandé en matière d’enregistrement de données, c’est-à-dire une limitation à deux empreintes digitales et l’absence de reconnaissance faciale.

Ensuite, il y a ce que la CNIL impose comme garanties en matière d’utilisation des fichiers, c’est-à-dire un accès à la base restreint aux seuls agents de l’agence nationale des titres sécurisés avec une traçabilité de ces accès, des données segmentées pour une meilleure protection et une sécurité des transmissions et contre les intrusions.

Enfin, il y a les garanties que la loi impose dans la restriction de l’usage de la base.

La première garantie légale, recommandée par la CNIL, consiste à interdire toute interconnexion de la base TES avec d’autres fichiers publics. Cela revient à clairement limiter l’usage de la base TES pour tout objectif autre que celui de la protection de l’identité.

La deuxième garantie réside dans la liste limitative des trois cas où la remontée des empreintes à l’identité est autorisée.

Premier cas, logiquement, au moment de la délivrance ou du renouvellement du titre, afin d’en garantir la bonne fabrication et la remise à la bonne personne.

Deuxième cas, sous contrôle du procureur, dans le seul cadre des infractions pour usurpation d’identité, ce qui correspond à l’objectif initial de la loi.

Troisième et dernier cas, toujours sous contrôle du procureur, pour permettre l’identification de victimes d’accidents collectifs ou de catastrophe naturelle.

Ces garanties inscrites dans la loi sont importantes. Elles sont même plus fortes que celles qui sont théoriquement apportées par le lien faible.

Mesdames, messieurs les sénateurs, à l’inverse du texte qui a été adopté par la commission mixte paritaire, la version à laquelle l’Assemblée nationale était parvenue à l’issue de la deuxième lecture inscrivait dans notre droit les moyens de véritablement protéger l’identité de nos concitoyens sans porter atteinte à leurs libertés fondamentales.

Je le sais, la solution que nous vous proposons n’est pas la réponse à toutes les dérives, à toutes les atteintes que l’homme est capable d’inventer pour dérégler l’organisation de la République. Mais faisons en sorte d’avoir le maximum de garanties. C’est ce que nous vous proposons.

Par conséquent, dans l’intérêt de nos compatriotes, je vous demande de revenir à la version de l’Assemblée nationale, en adoptant l’amendement déposé par le Gouvernement. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion