Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 26 janvier 2012 à 9h30
Protection de l'identité — Rejet des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie, à mon tour, M. le président de la commission des lois des différentes mises au point fort appropriées qu’il vient de formuler au sujet de la procédure.

Les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection de l’identité sont déjà obsolètes, puisque l’Assemblée nationale a fait le choix d’amender ce texte.

Je le rappelle, la commission mixte paritaire avait retenu pour l’article 5 la rédaction issue des travaux du Sénat, qui établissait non pas un lien fort, mais un lien faible entre les données d’identité et les données biométriques. Pourtant, nos collègues députés de la majorité gouvernementale ont adopté un amendement de M. le rapporteur rétablissant le lien fort.

Certes, des assouplissements ont été insérés dans le texte. Je pense, notamment, au passage de huit à deux du nombre des empreintes digitales enregistrées dans la base, conformément aux préconisations du Conseil d’État. Cependant, le cœur du dispositif reste le même.

Du point de vue de la méthode, de telles pratiques ne sont pas très honnêtes et sont contraires à la mission spécifique de la commission mixte paritaire, censée représenter à parité l’Assemblée nationale et le Sénat.

Sur le fond, nous restons extrêmement réservés, pour ne pas dire plus, sur l’idée de créer un fichier généralisé recouvrant l’ensemble des données civiles et biométriques des bénéficiaires de la carte nationale d’identité.

C’est la raison pour laquelle nous avons demandé de manière constante et récurrente la suppression pure et simple de l’article 5.

Une telle suppression aurait permis d’instituer une carte nationale d’identité électronique, sans pour autant créer un fichier attenant, comme cela se pratique, notamment, en Allemagne. C’est du reste la solution recommandée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, dans son avis du 25 octobre dernier.

Par ailleurs, dans sa délibération du 11 décembre 2007, la CNIL considère comme légitime « le recours […] pour s’assurer de l’identité d’une personne, à des dispositifs de reconnaissance biométrique dès lors que les données biométriques sont conservées sur un support dont la personne a l’usage exclusif ». Nous regrettons donc que ces arguments n’aient pu trouver grâce aux yeux de nos collègues parlementaires.

En conclusion, les raisons qui justifient notre vote contre la proposition de loi de MM. Lecerf et Houel sont principalement de deux ordres.

Premièrement, nous sommes opposés à la création d’un fichier intrusif, qui permettra le contrôle de l’ensemble de la population. La CNIL a encore fait savoir récemment qu’elle était extrêmement réservée au sujet de la création de ce fichier.

Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, elle considère que la création de fichiers contenant des données biométriques, pour des citoyens ne faisant l’objet d’aucune poursuite judiciaire en cours, constitue une violation manifeste des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et contrevient à la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe.

Elle estime ainsi que « le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées […] ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».

L’adoption de cette proposition de loi ouvrirait donc la voie à des recours devant la CEDH, créant ainsi inutilement de l’insécurité juridique.

Deuxièmement, nous sommes opposés à la présence, certes facultative, mais néanmoins lourde de sens, d’une puce de service sur la carte nationale d’identité.

À ce titre, la CNIL a paru également extrêmement réservée et a formulé un avis très judicieux. Elle tire, ainsi, un signal d’alarme en estimant que la puce optionnelle, si elle est une idée légitime, ne doit pas faire oublier qu’elle peut permettre « la constitution d’un identifiant unique pour tous les citoyens français ainsi que la constitution d’un savoir public sur les agissements privés ». Elle indique également que « de telles fonctionnalités ne devraient pas permettre le suivi des personnes sur internet ou l’exploitation par l’État d’informations sur les transactions privées effectuées par les citoyens ».

Nous partageons cette analyse et nous ne cautionnons pas le mélange des finalités entre intérêt régalien et intérêt commercial. La citoyenneté, dont la carte nationale d’identité est un symbole fort, ne peut être confondue avec le e-commerce sans porter une atteinte importante à l’idée même que nous nous faisons d’un État républicain.

Convenons, également, que les parlementaires ont subi un fort lobbying poussant à l’intégration de cette puce, promesse de profits importants pour quelques entreprises spécialisées…

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