Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 26 janvier 2012 à 9h30
Statut de la magistrature — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il revient au Sénat d’examiner le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire réunie, après une lecture dans chaque chambre, sur le projet de loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature.

À l’origine, ce texte avait pour seul objet d’appliquer aux magistrats l’accélération du calendrier de déploiement de la réforme des retraites décidée par le Gouvernement à la fin de l’année dernière.

À plusieurs reprises, la majorité sénatoriale a manifesté son désaccord avec les principes sur lesquels repose la réforme des retraites. Elle l’a notamment fait à l’occasion de l’examen de l’accélération du calendrier de déploiement de cette réforme prévue par la loi de financement de la sécurité sociale, puis lors de l’examen du présent texte.

Ce désaccord politique ayant été acté, et la loi de financement de la sécurité sociale promulguée, la question qui nous est aujourd'hui posée est celle de l’alignement, pour la limite d’âge, du statut des magistrats avec celui des autres agents publics, étant entendu que les autres dispositions de la réforme des retraites, qui relèvent de la loi ordinaire, s’appliquent d’ores et déjà aux intéressés.

À ce premier point de désaccord, le Gouvernement en a ajouté un second, puisqu’il a souhaité profiter de l’occasion que constituait ce projet de loi organique pour y intégrer des dispositions qui n’avaient rien à voir avec la réforme des retraites. On ne peut que déplorer que ces mesures aient été piochées arbitrairement dans un projet de loi plus ample négocié avec les organisations syndicales et portant sur le statut de la magistrature et les conflits d’intérêt, que le Gouvernement n’a pas jugé utile d’inscrire à l’ordre du jour parlementaire.

Toutefois, dans un esprit de responsabilité, tout en laissant au Gouvernement le soin d’assumer le risque constitutionnel y afférent, le Sénat a adopté conformes la plupart des dispositions du texte, qui répondaient à des difficultés avérées.

À l’issue de la première lecture du projet de loi organique par chacune de nos chambres, les désaccords entre nos deux assemblées se réduisaient à deux points.

Tout d’abord, nous désapprouvons, par principe, la réforme des retraites, donc la disposition sur la limite d’âge pour les magistrats de l’ordre judiciaire. Ce désaccord avait, d’une certaine manière, déjà été acté par le vote de première lecture.

Ensuite, nous avons une divergence d’appréciation sur l’extension à douze ans de la durée pendant laquelle un magistrat peut exercer la fonction de magistrat placé au cours de sa carrière.

Le Sénat a considéré qu’une telle évolution était dangereuse, ce qui nous a conduits à refuser d’autoriser qu’un même magistrat puisse exercer cette fonction pendant douze années au cours de sa carrière.

Dans un esprit de responsabilité et en accord avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. François Vannson, j’ai proposé aux sénateurs de la commission mixte paritaire d’accepter le maintien de l’accélération du calendrier de déploiement de la réforme des retraites aux magistrats, afin d’éviter l’extension à douze ans de la durée d’exercice maximale des fonctions de magistrat placé au cours d’une carrière.

En effet, l’emploi de magistrat placé constitue une atteinte au principe de l’inamovibilité des magistrats du siège. Certes, un magistrat ne peut occuper cette fonction que s’il y consent. Cependant, une fois qu’il a accepté d’être placé auprès des juridictions d’une cour d’appel, il revient au seul chef de cour de décider discrétionnairement de l’emploi de magistrat qu’il occupera dans son ressort.

Cette « discrétionnalité » d’affectation se concilie mal, dans son principe, avec l’indépendance qui doit caractériser la magistrature.

Bien sûr, le plus souvent, il s’agit pour le chef de cour de répondre pragmatiquement à une vacance de poste pour congé ou à la suite d’une mutation. Toutefois, il arrive que les magistrats placés deviennent un outil de gestion de la pénurie des emplois de magistrats : il en est ainsi lorsque, plutôt que d’affecter un magistrat de manière pérenne, le choix est fait de pourvoir le poste correspondant par une succession de magistrats placés. Il en résulte une désorganisation du travail correspondant à cet emploi, qui nuit à l’institution judiciaire comme aux justiciables.

Conscient de ces risques, le législateur organique avait, à l’origine, limité à six ans la durée d’affectation dans les fonctions de magistrat placé, ce que le Conseil d’État a réaffirmé dans un arrêt récent. La direction des services judiciaires avait toutefois retenu une lecture très souple de ce texte, qui l’a conduite à proposer des affectations pour une durée plus longue, découpée en séquences de six ans.

Le présent projet de loi organique visait à consacrer cette lecture contestable des textes organiques précédents, en confirmant une extension à douze ans au cours d’une carrière de la durée possible d’exercice de la fonction de magistrat placé. Néanmoins, les réserves précédemment énoncées ont logiquement conduit les parlementaires de la commission mixte paritaire à refuser une telle extension.

Mes chers collègues, le texte qui vous est aujourd’hui présenté renforce les limites auxquelles est soumis l’exercice des fonctions de magistrat placé et préserve ainsi les garanties apportées à l’inamovibilité des magistrats. L’accord intervenu en CMP permet à chaque chambre du Parlement d’apporter sa contribution à l’élaboration de cette loi. Grâce à lui sera évitée l’extension d’un dispositif qui suscite parmi nous de très nombreuses réserves. Je vous invite par conséquent à adopter ce texte.

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