Intervention de Alain Anziani

Réunion du 26 janvier 2012 à 9h30
Statut de la magistrature — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a déjà dit M. le rapporteur, nous nous félicitons de l’accord obtenu en commission mixte paritaire et nous nous prononcerons en faveur de ce texte. Toutefois, nous le voterons, sinon avec quelques réticences, du moins avec quelques réserves.

Je tiens tout d’abord à souligner avec force que nous nous sommes toujours opposés à la réforme des retraites. Ayant combattu cette réforme générale, nous ne pouvions que refuser sa déclinaison aux magistrats. Or tel est bien l’objet de ce projet de loi organique.

Pourquoi veut-on étendre la réforme des retraites aux magistrats ? Il suffit, pour répondre à cette question, de citer le Premier ministre : celui-ci déclarait, le 7 novembre 2011, que le plan d’équilibre des finances publiques devait permettre « de réduire plus rapidement le déficit des régimes d’assurance vieillesse et de sécuriser ainsi les pensions de retraites ». Vaste programme ! Toutefois, selon l’étude d’impact qui accompagne ce texte, il n’aboutit qu’à une économie de 475 000 euros : force est de constater la disproportion entre les objectifs et la réalité. Tout cela a été parfaitement expliqué, notamment par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, et je n’y reviendrai donc pas.

Je tiens également à souligner un autre point, à savoir les effets du recul de la limite d’âge applicable aux magistrats sur la bonne administration de la justice. Ce recul aura nécessairement une conséquence sur la démographie judiciaire, car l’application de la nouvelle limite d’âge ralentira le déroulement des carrières.

Nous savons déjà, aujourd’hui, que la structure de la pyramide des âges du corps des magistrats se caractérise par un « goulet d’étranglement » au sommet de la hiérarchie. Avec l’allongement des carrières, les postes « hors hiérarchie » resteront occupés plus longtemps et deviendront hors d’atteinte pour des magistrats plus jeunes. Évidemment, nul ne souhaite abréger la carrière des magistrats, mais il aurait été nécessaire de suspendre l’application mécanique de la réforme des retraites aux magistrats pour « permettre une certaine respiration du corps », selon l’expression de notre collègue député Dominique Raimbourg.

La suspension de cette réforme aurait été d’autant plus aisée que l’économie attendue est minime. Comme le rappelle l’Union syndicale des magistrats, compte tenu du taux de remplacement particulièrement faible du corps judiciaire – aux alentours de 50 % – le gain sera « probablement nul ».

Revenons-en aux conclusions de la commission mixte paritaire : si la disposition relative à l’âge de la retraite avait été la seule en discussion, comme dans le texte initial, aucun compromis n’aurait été possible, je tiens à le réaffirmer avec force après Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le « Sénat de gauche », si l’on me permet cette expression, aurait rejeté ce texte.

Comme l’a souligné notre rapporteur, il nous faut choisir, si j’ose dire, « entre la peste et le choléra » : d’un côté, l’avancement de l’âge de la retraite, de l’autre, des dispositions que nous considérions comme tout à fait attentatoires à l’indépendance de la justice.

Sur la forme – même s’il s’agit d’une critique de principe, il faut toujours l’énoncer, car il y va de notre travail parlementaire –, je constate que nous nous sommes accoutumés à la procédure accélérée, qui est devenue une mauvaise habitude, ainsi qu’à l’adjonction de cavaliers en cours de procédure. Dans le cas présent, monsieur le ministre, vous faites le maximum : vous nous infligez en quelque sorte une double peine, avec une procédure accélérée assortie de cavaliers !

La commission des lois de l’Assemblée nationale avait « enrichi » le texte du projet de loi organique de plusieurs amendements sans rapport avec son objet initial : les articles 2, 4, 5 et 6 relevaient de cette catégorie. L’article 3, en revanche, issu d’un amendement de notre collègue René Dosière adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale, avait, quant à lui, été supprimé en séance publique.

Pour la plupart, ces amendements étaient issus du projet de loi organique relatif au statut de la magistrature. Vous avez donc profité de la discussion parlementaire pour effectuer, en quelque sorte, un transfert. Pour ma part, je regrette que ce projet de loi organique n’ait jamais été inscrit à l’ordre du jour de nos assemblées.

Cette adjonction, ce que j’appelle ce transfert, a évidemment changé la nature du projet de loi organique que nous examinons. Elle vous a aussi permis de renouer avec une très mauvaise habitude, à savoir soustraire ce texte à l’examen du Conseil d’État. Celui-ci a donc été empêché de donner son avis, qui nous aurait sans doute intéressés.

Au passage, vous avez procédé à une autre soustraction, puisque vous avez évité la concertation. Il n’y a pas eu la moindre concertation avec les organisations syndicales des magistrats sur un texte qui les concerne au plus haut degré ! Et, là aussi, nous ne pouvons que le regretter.

Une autre critique précise concerne les magistrats « placés », dont M. Hyest, tout à l’heure, a souligné combien ils étaient nécessaires. Dans la rédaction initiale, il était prévu d’étendre à douze ans, contre six ans aujourd’hui, la période pendant laquelle un magistrat pourrait, durant sa carrière, être affecté à un emploi de magistrat placé.

Ces magistrats placés posent des difficultés. J’ai bien écouté les arguments avancés par l’ancien président de la commission des lois, mais celui-ci oublie tout de même un élément, à savoir que ce dispositif porte atteinte au principe d’inamovibilité des magistrats du siège. Or c’est là une règle sur laquelle nous ne devrions absolument pas transiger, me semble-t-il.

Il y a peut-être à ce système des nécessités techniques, mais il existe sans aucun doute des exigences juridiques, voire constitutionnelles, qu’il nous faut respecter. Jean-Pierre Michel, qui ne peut aujourd’hui s’exprimer à cette tribune et qui m’a chargé de l’en excuser auprès de vous, a rappelé, au cours de précédents débats, que le Conseil d’État avait strictement encadré la durée d’exercice de ces magistrats placés, dits « magistrats volants », ce qui est déjà tout un programme ! Je regrette donc que le Gouvernement ait cherché à contourner cette jurisprudence.

Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, on nous a donné l’assurance que l’on ne reviendrait pas sur la durée de placement de ces magistrats. Monsieur le ministre, j’aimerais donc que vous nous confirmiez que le Gouvernement ne tentera pas de revenir, d’une façon ou d’une autre, sur la durée de placement de ces magistrats « volants ».

Je dirai également un mot sur les lacunes de ce texte. Puisque le Gouvernement a puisé dans le projet de loi organique qui était en préparation, il aurait pu se remémorer l’exposé des motifs de ce texte, qui se proposait « d’étendre à certains magistrats de l’ordre judiciaire le renforcement des obligations de transparence et la formalisation de certains des mécanismes de prévention des conflits d’intérêt ».

Monsieur le ministre, puisque vous vouliez puiser à cette source, pourquoi ne pas avoir retenu ce point ? Pourquoi lui avoir préféré d’autres éléments, alors qu’un tel volet aurait sans doute été tout à fait nécessaire en matière de déclaration d’intérêt pour les magistrats nommés à la Cour de cassation, comme pour les conseillers et avocats généraux qui y sont en service extraordinaire ?

La seule mesure qui, finalement, aurait pu se rapprocher de cet objectif était la proposition de René Dosière, qui prévoyait que les magistrats judiciaires ne puissent recevoir la Légion d’honneur ou l’Ordre national du mérite « pendant l’exercice de leurs fonctions ou à ce titre ».

Cette suggestion a fait l’objet de nombreux débats. Sur le principe, on comprend le raisonnement de René Dosière. Il s’agissait d’appliquer au troisième pouvoir, à la justice, des contraintes qui sont imposées aux deux autres pouvoirs, notamment au Parlement. Sans doute cette discussion était-elle prématurée.

Monsieur le ministre, je voudrais terminer en évoquant une autre question. Derrière cette histoire de médaille, en réalité, René Dosière nous parle d’autre chose, à savoir de l’indépendance de la justice. Tout à l’heure, mon collègue Nicolas Alfonsi a évoqué ce point, sur lequel je voudrais revenir.

Voilà quinze jours, j’ai interpellé M. le garde des sceaux sur la question de l’indépendance de la justice, plus particulièrement sur le fait qu’un grand nombre de magistrats du parquet – 126 procureurs de la République sur 163 – ont adopté récemment une résolution demandant, d’une part, qu’on leur donne les moyens de travailler, et, d’autre part, que l’indépendance du parquet soit enfin garantie dans notre pays.

M. le garde des sceaux a bien voulu me répondre pour me dire : « Circulez, il n'y a rien à voir ». Il n’est pas là aujourd’hui, mais vous serez mon interprète auprès de lui pour lui transmettre cette question, monsieur le ministre, que je pose à nouveau aujourd’hui, avec encore plus de force.

Nous venons de constater que le procureur de Nanterre avait été mis en examen. Ce n’est pas un événement d’une grande banalité dans une République ! Il a été mis en examen pour son enquête, jugée illégale par la Cour de cassation, sur les sources des journalistes du Monde.

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