Intervention de Odette Herviaux

Réunion du 26 janvier 2012 à 15h00
Réforme des ports d'outre-mer — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Odette HerviauxOdette Herviaux, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre ans après la réforme des ports maritimes hexagonaux, nous examinons aujourd’hui le projet de réforme des ports d’outre-mer relevant de l’État.

La commission de l’économie se réjouit à deux titres du dépôt de ce projet de loi par le Gouvernement.

D’une part, la commission se félicite que le Gouvernement ait déposé un texte portant spécifiquement sur les outre-mer. Trop souvent en effet – nos collègues ultramarins l’ont dénoncé à de nombreuses reprises –, la détermination des règles législatives applicables aux outre-mer est renvoyée à des ordonnances, comme ce fut le cas dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

D’autre part, la commission de l’économie salue l’utilisation par le Gouvernement, une fois n’est pas coutume, du premier alinéa de l’article 73 de la Constitution, qui autorise l’adaptation de la législation nationale aux réalités des départements d’outre-mer. Trop souvent également, les dispositions législatives nationales votées par le Parlement sont inadaptées aux réalités des outre-mer, comme l’avait notamment souligné en 2009 la mission d’information sénatoriale sur la situation des départements d’outre-mer, présidée par Serge Larcher et dont le rapporteur était Éric Doligé.

Sur le fond, la commission de l’économie estime que la réforme des ports d’outre-mer telle qu’elle est prévue par l’article 1er du projet de loi constitue une réforme importante pour les outre-mer, attendue avec impatience par les acteurs locaux. Elle est relativement consensuelle, comme vous l’avez souligné dans votre propos, monsieur le ministre.

Ce texte est essentiel pour nos départements d’outre-mer, car le port constitue bien souvent, plus qu’une infrastructure, un « poumon économique » incontournable. Le rôle du port est bien plus important en outre-mer que dans l’Hexagone, où il a pourtant déjà une place importante.

Le port constitue en effet le point quasiment unique d’approvisionnement : dans les quatre départements concernés par le présent projet de loi, à savoir la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion, plus de 95 % du fret transite par le port. De ce fait, il est vital pour le bon fonctionnement de l’économie des départements concernés que le port fonctionne en continu. Sa paralysie entraîne celle de l’ensemble de l’économie.

Je souhaite souligner ensuite que la réforme des ports d’outre-mer relevant de l’État est aujourd’hui indispensable.

Le fonctionnement de ces ports, et notamment celui des trois ports d’intérêt national concédés aux chambres de commerce et d’industrie, est plus que perfectible, comme l’a souligné un rapport de 2009 cosigné par l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale de l’administration et le conseil général de l’environnement et du développement durable.

Les conclusions de ce rapport étaient particulièrement sévères. Elles dénonçaient le caractère illisible de l’organisation de ces ports, avec une direction bicéphale État-chambre de commerce. Elles pointaient un mauvais fonctionnement de la formule de la concession, les concessionnaires ayant rarement été à la hauteur. Ainsi, la trésorerie des ports a parfois servi à financer la concession aéroportuaire. Elles soulignaient également que l’État s’était désintéressé de la gestion de ces ports, en n’assurant aucun contrôle de l’activité des concessionnaires. Par exemple, bien que la trésorerie des trois ports concédés ait été excédentaire, l’État n’a jamais imposé une baisse des tarifs portuaires ! Monsieur le ministre, cette situation est incompréhensible quand on connaît la sensibilité de la question des prix dans nos outre-mer.

Dans ces conditions, le présent projet de loi prévoit l’application aux départements d’outre-mer de la réforme portuaire de 2008, sous réserve de quelques adaptations.

Ces départements sont en effet restés à l’écart de la réforme portuaire de 2008, comme ils l’avaient été d’ailleurs de celle de 2004.

L’article 1er du projet de loi définit les modalités d’application des dispositions de 2008 aux futurs grands ports maritimes ultramarins que le Gouvernement compte créer entre juillet 2012 et janvier 2013 – j’espère que vous nous confirmerez cette volonté, monsieur le ministre.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que le texte de 2008 prévoyait notamment la réforme de la gouvernance des ports avec la mise en place d’un conseil de surveillance, d’un directoire et d’un conseil de développement, ainsi que l’élaboration d’un projet stratégique par chacun des ports.

La première adaptation prévue par l’article 1er porte justement sur la composition du conseil de surveillance : elle vise à accorder davantage de place aux acteurs locaux, notamment aux chambres de commerce et d’industrie. Par ailleurs, cette composition est adaptée à la situation locale : un siège de plus est ainsi accordé aux collectivités territoriales en Guyane et en Guadeloupe, c’est-à-dire aux territoires dont les ports sont situés sur plusieurs communes.

La seconde adaptation porte sur les outillages, dont la cession constituait une disposition phare de la réforme de 2008 : par dérogation aux règles applicables aux ports hexagonaux, les grands ports maritimes pourront, s’ils le souhaitent, acquérir et exploiter les outillages, éventuellement pour s’agrandir, comme vous l’avez évoqué, monsieur le ministre.

La commission de l’économie estime que la réforme prévue par le projet de loi constitue une avancée importante.

Toutes les personnalités que j’ai auditionnées au cours de mes travaux ont affirmé leur soutien à la réforme, nombre d’entre elles estimant même qu’il fallait qu’elle entre en vigueur le plus tôt possible.

Les adaptations apportées à la réforme de 2008 sont bienvenues.

La modification de la composition du conseil de surveillance me paraît indispensable pour tenir compte des spécificités ultramarines : la surreprésentation des chambres de commerce et d’industrie est justifiée par leur rôle essentiel en matière de développement économique outre-mer et par le fait que trois d’entre elles ont géré pendant plusieurs décennies ces ports.

En ce qui concerne les outillages, le dispositif prévu est également adapté à la réalité ultramarine : il s’agit non pas d’interdire le transfert des outillages, mais de permettre à chaque port ultramarin de décider s’il les conserve. Cette question ne concerne en fait que les départements antillais. Il n’existe en effet pas d’outillage en Guyane, tandis que Port Réunion a été en avance par rapport à l’Hexagone : avant même la réforme de 2008, les outillages y étaient opérés par les manutentionnaires. Dans les Antilles, il me paraît préférable, à court terme, de ne pas prévoir le transfert des outillages, notamment parce que la prédominance au sein des manutentionnaires du principal armement pourrait conduire à une situation monopolistique.

La commission de l’économie soutient également les deux dispositions introduites dans le texte par les députés.

D’une part, la désignation des personnalités qualifiées amenées à siéger au sein du conseil de surveillance sera soumise à l’avis des collectivités territoriales. Cette disposition permettra d’associer davantage les acteurs locaux à la gouvernance des ports.

D’autre part, un conseil de coordination interportuaire est institué entre les trois ports guadeloupéen, guyanais et martiniquais. L’institution d’une telle instance de concertation est indispensable à l’heure où les deux ports antillais portent des projets qui pourraient être concurrents.

La commission de l’économie a complété la semaine dernière le projet de loi par deux dispositions qui ne remettent en rien en cause l’équilibre du texte adopté par les députés. Ces deux dispositions portent sur la question des prix, problématique particulièrement sensible dans les outre-mer et intimement liée à l’organisation portuaire.

Sur l’initiative de notre collègue Serge Larcher, la commission a prévu que le conseil de développement des futurs grands ports maritimes ultramarins comprendra au moins un représentant des consommateurs. Dans les grands ports maritimes hexagonaux, seules les associations de protection de l’environnement représentent les milieux associatifs au sein de cette instance.

Pour ma part, j’ai proposé d’introduire dans le projet de loi un article 2 bis visant à consacrer l’existence des observatoires des prix et des revenus existant dans les outre-mer, en prévoyant qu’ils assurent la transparence des coûts de passage portuaire.

Les amendements que nous examinerons tout à l’heure, déposés notamment par nos collègues ultramarins et pour lesquels la commission a émis un avis favorable, ne visent d’ailleurs pas à revenir sur les grands axes de la réforme. Ils permettent simplement de la compléter utilement.

Au-delà du bilan positif de cette réforme, je souhaite profiter de mon intervention pour appeler votre attention, monsieur le ministre, sur les attentes des acteurs locaux, et notamment des personnels.

Une fois le projet de loi définitivement adopté – nous œuvrerons pour que cela soit fait rapidement ! –, une nouvelle étape s’ouvrira avant la création effective des grands ports maritimes ultramarins. Cette étape sera notamment marquée, dans trois des quatre ports concernés, par les discussions portant sur les conditions du transfert des personnels des chambres de commerce et d’industrie et des services de l’État concernés.

Les personnels, qui soutiennent la réforme, sont légitimement inquiets des conditions de ce transfert. Cette inquiétude s’explique en partie par le fait qu’ils ne disposent pour le moment d’aucun interlocuteur à même de répondre à leurs interrogations. Monsieur le ministre, il sera donc urgent, une fois la loi votée, que le Gouvernement nomme des préfigurateurs à même de prendre en charge cette période transitoire importante.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, la commission de l’économie soutient la réforme des ports d’outre-mer relevant de l’État, portée par l’article 1er du présent projet de loi. Elle vous invite donc à voter le texte, modifié par les amendements sur lesquels elle aura émis un avis favorable.

Monsieur le ministre, vous l’aurez deviné, la commission n’apporte pas le même soutien aux articles 3 à 8 du projet de loi, qu’elle a supprimés – après de longs débats – la semaine dernière et que le Gouvernement nous propose de rétablir aujourd’hui. Ces articles visaient à mettre en œuvre – pour cinq d’entre eux, via le recours aux ordonnances – six textes européens portant sur des questions variées, telles que le transport routier ou l’aviation civile.

La commission de l’économie juge que les arguments développés par le Gouvernement pour justifier la présence de ces articles dans ce texte ne sont pas recevables.

D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à ne pas être convaincus par ces arguments. Mes chers collègues, permettez-moi de vous lire un court extrait de la première page du rapport de notre collègue député Daniel Fidelin, à qui je rends hommage pour la qualité de ses travaux : « [Le projet de loi] fait office de voiture-balai. […] Une nouvelle fois, il est insupportable de voir le Parlement être quasiment forcé de se dessaisir de ses compétences car le Gouvernement n’a pas été en mesure de présenter suffisamment tôt les textes adéquats. »…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion