Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi une telle proposition de loi aujourd'hui ?
Il s’agit avant tout de mettre fin à une situation où les contentieux entre les établissements publics d’infrastructures et les collectivités locales ne cessent de se multiplier.
Il s’agit également de répondre aux élus locaux, et notamment aux maires, exprimant un sentiment d’abandon face à ces établissements publics qui, de plus en plus souvent, rejettent sur eux toutes les responsabilités, en particulier financières.
Chacun ici connaît au moins un maire de son département qui, du jour au lendemain, s’est vu envoyer, soit par VNF, soit par RFF, une facture correspondant à des travaux de réparation.
Or quel maire connaît la jurisprudence dégagée par le Conseil d’État dans son arrêt du 14 décembre 1906, laquelle attribue la domanialité des ouvrages à la collectivité propriétaire de la voie portée ? Quel maire sait que, selon cette jurisprudence, il peut se voir imposer la prise en charge financière des travaux de réparation des ouvrages d’art de rétablissement de sa voirie ?
Je me rappelle le cas d’une commune de mon département, que certains ici connaissent, puisque Jacques Pelletier, notre ancien collègue et ami aujourd’hui décédé, en a été le maire pendant de longues années : Villers-en-Prayères.
Villers-en-Prayères, ce sont 108 habitants et plusieurs ponts, dont un pont rétablissant un chemin communal. Je ne citerai pas ici le type d’infrastructure traversée, ni donc l’établissement public concerné. Eh bien ! lorsqu’il a fallu engager 135 000 euros de travaux de réparation, ce dernier a tenté de remettre en question la convention datant de 1957, laquelle s’appuyait sur l’équilibre historique le liant à la commune. L’établissement public a ainsi proposé à la collectivité une nouvelle convention, aux termes de laquelle, par « un geste constructif », il prenait à sa charge une partie des travaux, à la condition que tout entretien ultérieur incombe à cette collectivité !
Après de nombreux échanges, la commune, grâce à la connaissance de notre ami Jaques Pelletier et au soutien d’une expertise extérieure, a pu faire respecter la convention initiale s’appuyant sur l’équilibre historique en vertu duquel la structure de l’ouvrage relevait du gestionnaire et la chaussée, de la commune.
Que serait-il arrivé sans ce soutien technique extérieur et sans la pugnacité de Jaques Pelletier et de son successeur à la mairie ?
Quel est le rapport des forces entre un élu local qui découvre un jour qu’il doit payer des réparations hors de proportion par rapport au budget communal et un établissement national disposant de services contentieux et juridiques extrêmement compétents ?
Comment ne pas se sentir désarmé lorsque l’on ne dispose pas de service juridique et que l’on voit régresser l’assistance venant de l’État ? Ce fut l’objet d’une partie de mon rapport sur l’ingénierie publique, et c’est aussi le cœur du problème.
En effet, je ne doute pas que ce type de démarche auprès des petites communes soit extrêmement courant. Le terme de « chantage » a été utilisé par un de nos collègues pour illustrer ces situations : il n’est peut-être pas si inapproprié…
Mes chers collègues, la présente proposition de loi est avant tout une protection pour nos petites communes et pour leurs élus locaux : la répartition des rôles, et donc des responsabilités tant juridiques que financières, sera inscrite dans le marbre.
En cette période de grandes contraintes budgétaires, ce texte est également l’occasion de fixer clairement les règles du jeu financier.
Je souhaite insister plus particulièrement sur la question des ouvrages d’art existants.
Le texte adopté par la commission des lois à la suite du rapport de notre collègue Christian Favier sécurise la situation des collectivités territoriales en laissant perdurer les conventions existantes, souvent fondées sur le principe historique d’équilibre financier. En cas d’apparition d’un litige et en l’absence de convention, il ouvre la possibilité de signer une convention établissant cet équilibre financier.
C’est bien là l’enjeu essentiel pour nos collectivités locales. En effet, bon nombre d’ouvrages ont été construits après la Seconde Guerre mondiale et arrivent donc « en fin de vie ».
Aussi, quel ne fut pas mon étonnement de voir le Gouvernement proposer dans son amendement n° 13 d’exclure le cas d’ouvrages d’art existants ! Si cette disposition venait à être adoptée, cela reviendrait immanquablement à vider cette proposition de loi de son sens. Vous comprendrez donc que je n’y sois pas favorable, à l’instar de l’Assemblée des départements de France, préférant l’équilibre qui a été trouvé dans le cadre des travaux menés par la commission des lois. Je ne m’attarde pas sur ce point, nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles.
Le coût de ces travaux indispensables à la sécurité de nos concitoyens est cependant complètement disproportionné par rapport aux budgets communaux ou départementaux. Christian Favier l’estime à « plusieurs dizaines de millions d’euros par an pour les charges liées à la surveillance et à l’entretien et [à] plusieurs centaines de millions d’euros pas an pour les travaux de renouvellement ».
Permettez-moi d’illustrer mon propos en prenant l’exemple du conseil général de l’Aisne. Le patrimoine du département est riche de 1 022 ponts : 91 d’entre eux franchissent des canaux, 65 des voies ferrées et 9 ont été construits au titre de la LGV est-européenne ; 105 ont été transférés au titre des routes nationales d’intérêt local au 1er janvier 2006.
À ce jour, 78 de ces ponts sont classés comme étant dans un état préoccupant. Le coût pour leur réparation ou leur reconstruction est estimé à 74 millions d'euros TTC, qu’il faut mettre en parallèle avec l’engagement annuel du conseil général de 2, 4 millions d'euros pour les grosses réparations ou reconstructions d’ouvrage d’art et alors que le budget voirie s’établit à 30 millions d'euros environ. Par conséquent, trente années seraient nécessaires pour remettre en état ces 78 ponts…
C’est pourquoi, à la suite d’un contentieux avec VNF, une négociation a eu lieu pour l’entretien de 25 ponts à l’état préoccupant. Un accord a été trouvé, mais, après la remise en état de 3 ouvrages d’art, VNF a dénoncé cet accord. Le conseil général de l’Aisne se retrouve donc seul, sans avoir les moyens d’assumer cette charge financière. Je ne vous cache pas que nous suivons de très près l’état du pont de Vaux, construit en 1926 - notre collègue Antoine Lefèvre connaît bien cet ouvrage -, et dont la réparation s’élèverait à plus de 5 millions d'euros !
Mes chers collègues, j’évoque là des situations concrètes à laquelle nous sommes tous confrontés dans nos départements. Le territoire français s’enorgueillit, à juste titre, de ses réseaux ferré, autoroutier et fluvial, des réseaux qui quadrillent nos territoires et ont entraîné la multiplication des ouvrages de rétablissement afin d’assurer la circulation partout en France : près de 4 750 ouvrages rien que sur les routes départementales !
Le Sénat, représentant des collectivités locales, doit apporter une clarification juridique dans la répartition des charges de gestion des ouvrages de rétablissement. Nous devons sécuriser les interventions des collectivités territoriales en adoptant cette proposition de loi, un texte qui aura le mérite de mettre en œuvre une solution équilibrée préservant la neutralité financière des rapports entre collectivités et établissements publics gestionnaires des infrastructures de transports.