Le 6 juillet dernier, très précisément, notre commission adoptait à l'unanimité mon rapport sur l'aménagement numérique des territoires, que j'avais intitulé « Passer des paroles aux actes ». Ce rapport, qui s'inscrivait dans le prolongement de celui que j'avais remis au Premier ministre en octobre 2010, dressait le constat d'une couverture numérique du territoire insatisfaisante et insuffisante, et critiquait la trop grande latitude donnée aux opérateurs privés par le Gouvernement dans le programme national très haut débit (PNTHD) lancé en 2010. Il a débouché, après un débat en séance publique en octobre 2011, sur le dépôt d'une proposition de loi à la mi-novembre rédigée par notre collègue Philippe Leroy et moi-même.
Sans surprise, le ministre en charge de l'économie numérique, M. Éric Besson, n'en partage pas les orientations. Pour lui, « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. ». En revanche, le président de l'Autorité de la concurrence, M. Bruno Lasserre, que nous avons saisi début septembre sur ce sujet, encourage le Gouvernement à « revoir en profondeur la logique du PNTHD », qui fait la part trop belle aux opérateurs privés. Il faudra veiller à « préciser, à contrôler et, au besoin, à sanctionner leurs engagements », explique-t-il, d'autant que « l'opérateur historique n'a pas d'intérêt au déploiement du réseau fibre en raison de sa rente sur le réseau cuivre ». Enfin, l'Autorité de la concurrence considère que les subventions publiques peuvent être attribuées à des projets intégrés des collectivités territoriales dès lors qu'ils s'inscrivent dans des services d'intérêt économique général (SIEG). Par projets intégrés, j'entends tous ceux qui portent à la fois sur des zones rentables et non rentables.
Pourquoi cette proposition de loi ? Le législateur a encadré les services de communications électroniques par la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) de 2004, la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008 et la « loi Pintat » de fin 2009. Quant au cadre réglementaire, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) l'a fixé pour l'ensemble des zones. Le Gouvernement, pour son part, a lancé le PNTHD, qu'il a remanié en juin 2011, sans réellement tenir compte des avancées de la « loi Pintat » : des schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN), un fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT) et des objectifs d'aménagement du territoire pour le déploiement du réseau 4G.
Je ne suis pas en phase avec ce plan, vous le savez, parce qu'il donne une totale prééminence aux opérateurs privés. En clair, ceux-ci vont où ils veulent et quand ils le veulent et n'ont aucune obligation de mettre en oeuvre leurs déclarations, alors que celles-ci gèlent l'initiative des collectivités territoriales. Ce système n'est pas conforme aux règles de concurrence, le président de l'Autorité de la concurrence l'a lui-même expliqué, puisqu'il s'agit de simples déclarations. Depuis la conférence de presse des ministres concernés en avril 2011, le plan interdit tout subventionnement des projets des collectivités territoriales en zones non rentables, dès lors que ces collectivités déploient en même temps en zones rentables. C'est une évolution qui est très pénalisante et qui empêche toute péréquation. Sur une enveloppe de 2 milliards prévue pour le fonds pour la société numérique (FSN), qui « préfigure » le FANT, seulement 900 millions sont prévus pour le financement de projets en zones non rentables. Comment, dans ces conditions, atteindre les objectifs ambitieux fixés par le président de la République : 100 % de la population couverte par le très haut débit d'ici 2025 ? D'après les chiffres de l'ARCEP, on compte aujourd'hui 600 000 abonnés au très haut débit sur 25 millions de foyers, dont seulement 175 000 par la fibre.
Le but de notre proposition de loi est donc, non pas de changer le modèle de déploiement, mais de lui donner une chance de réussir. Par cela, nous voulons rééquilibrer les responsabilités et les obligations entre opérateurs et collectivités territoriales. L'article premier élargit le spectre des schémas directeurs : du très haut débit, en passant par le haut débit et la téléphonie mobile, jusqu'aux technologies satellitaires. En effet, le numérique forme un tout et sur certains territoires, une collectivité pourrait souhaiter privilégier à tel endroit un véritable haut débit, la téléphonie mobile... Afin d'accroître la portée de ces documents de planification, l'article 2 les rend obligatoires. A ce jour, une trentaine de départements n'en a pas adopté. Autre point essentiel, l'article 3, qui érige la contractualisation en principe de base des engagements des opérateurs.
Après l'article 4, qui vise à assurer une meilleure couverture en téléphonie mobile, vient, à l'article 5, la création d'un groupe de travail pour réviser les critères d'appréciation du taux de desserte en téléphonie mobile. Actuellement, on tient compte, ce qui est un comble pour un téléphone dit portable, de la réception en station immobile, à l'extérieur et seulement en zone habitée. L'article 6 définit une obligation de couverture des « zones grises » de téléphonie mobile, par itinérance ou mutualisation des infrastructures. Par l'article 7, nous étendons une mesure de la LME au réseau 4G pour un déploiement aussi mutualisé que possible. Quant à l'article 8, sur lequel nous aurons sans doute de longs débats, il crée un véritable « haut débit pour tous ».
Avec l'article 9, la montée en débit sur tout type de réseaux sera éligible au FANT dans le cas où l'arrivée de la fibre n'est pas envisageable à court terme. L'article 10 autorise le financement public national des « projets intégrés » des collectivités et, donc, une péréquation à l'échelle du territoire, ce qui répond à une préoccupation unanime des élus. Par l'article 11, les collectivités auront accès au financement public national en cas de carence des opérateurs, le délai de respect des engagements étant ramené de cinq à trois ans, soit la norme communautaire.
L'article 12 donne à l'ARCEP un pouvoir de sanction et de contrôle sur les engagements pris par les opérateurs. C'est primordial !
Avec l'article 13, les schémas intégreront la date de basculement du réseau « cuivre » vers réseau « fibre ».
Une mesure très attendue par les collectivités territoriales, à l'article 14, leur reconnaît le statut « d'opérateurs d'opérateurs » lorsqu'elles interviennent dans le cadre de réseaux d'initiative publique (RIP).
Nous en venons à la question de l'alimentation du FANT, avec les articles 15 et 16. Je considère qu'elle peut se faire par dotation de l'État, grâce à des redéploiements de crédits. Je rappelle que l'augmentation de la TVA sur l'offre « triple play » dans la loi de finances pour 2011 a apporté un surcroît de recettes annuelles de 1,1 milliard d'euros, tandis que la baisse de la TVA sur la restauration, dont notre commission a débattu, coûte environ 3 milliards d'euros. Cela dit, l'article 40 m'interdit de prévoir une dotation d'État. J'ai donc imaginé une contribution de solidarité numérique, conformément à mon rapport remis au Premier ministre.
Les collectivités les moins riches ont souvent à mener les projets les plus onéreux. Aussi, l'article 17 prévoit que les financements du FANT seront fonction de leurs coûts de déploiement et de leurs capacités financières.
Les articles 18 et 19 confient à l'ARCEP deux rapports : l'un sur les tarifs de connexion proposés aux entreprises, l'autre sur la tarification de l'accès à la boucle locale.
A l'article 20, nous fixons un objectif prioritaire de couverture des territoires ruraux, là où l'appétence pour le très haut débit est la plus grande et le nombre de raccordements le moins élevé.
Les opérateurs, les collectivités ainsi que l'ARCEP demandent une harmonisation des référentiels techniques pour les réseaux très haut débit, une mission que l'article 21 confie à un groupement d'intérêt public (GIP).
L'article 22 prévoit un premier bilan du PNTHD accompagné, le cas échéant, de propositions de réforme.
Avec l'article 23, il faudra tenir compte des SDTAN lors de l'élaboration des documents d'urbanisme.
Aucun parlementaire ne siège au comité de gestion du FANT, un oubli que répare l'article 24.
Enfin, vous retrouverez la formule habituelle de gage financier à l'article 25 pour éviter la censure de l'article 40.
Je vous soumets des amendements pour préciser le texte. A l'article 2, je propose, au cas où aucun schéma ne serait établi dans un département, un mécanisme d'élaboration par défaut. Il faut éviter que la région, le département ou encore le syndicat d'électricité ne se regardent en « chiens de faïence » et ne se renvoient la balle.
Il faut mieux détailler, à l'article 3, le contenu des engagements des opérateurs, l'articulation entre schémas et conventions et la publicité de celles-ci.
Par un article additionnel après l'article 3, j'oblige les opérateurs répondant à des appels d'offre pour des RIP à informer les collectivités de leur projet d'y commercialiser leurs services, comme le souhaite l'ARCEP.
La redéfinition des critères de couverture des réseaux mobiles ne doit pas s'accompagner d'une remise en cause des obligations figurant dans les licences ; d'où la précision figurant à l'article 5.
Le soutien à des « projets intégrés » vaut seulement si ces derniers s'inscrivent dans des SIEG ; une précision à apporter à l'article 10.
Un amendement à l'article 12 donne clairement à l'ARCEP compétence pour contrôler et sanctionner le non respect par les opérateurs des obligations contenues dans les conventions.
Il faut apporter des précisions sur les modalités des deux contributions prévues pour abonder le FANT, aux articles 15 et 16.
Enfin, je supprime l'article 19, devenu inutile, avant de transformer le GIP proposé à l'article 21 en simple comité de pilotage, pour échapper à l'irrecevabilité financière.