Les débats sur l'autonomie fiscale et le rôle des pouvoirs centraux par rapport aux pouvoirs locaux existent depuis longtemps, comme en témoigne notre Histoire. Permettez-moi de revenir sur des éléments de droit et de fait.
Les éléments de droit sont ceux que le constituant a déterminés, lorsqu'il a défini l'autonomie financière des collectivités territoriales. Il y a une différence entre l'autonomie financière, telle qu'elle figure dans la Constitution et la loi organique, et l'autonomie fiscale, qui n'a pas d'existence juridique propre, même si, bien sûr, elle correspond à une réalité politique pour les élus que vous êtes. Je ne peux que redire que l'autonomie financière a été respectée par le gouvernement et le législateur, y compris à l'occasion de la réforme de la taxe professionnelle. Le Conseil constitutionnel l'a d'ailleurs confirmé, lorsqu'il a considéré que le dispositif retenu en loi de finances pour 2010, portant notamment suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, ne laissait pas craindre une atteinte au respect de l'autonomie financière.
Pour autant, dans les faits, comme je le disais à l'instant devant la mission commune d'information sur « les conséquences pour les collectivités territoriales, l'Etat et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale », présidée Mme Anne-Marie Escoffier, il est vrai que la proportion des recettes sur lesquelles les collectivités territoriales disposent d'un pouvoir de détermination des taux a diminué. C'est la conséquence d'un choix réalisé et assumé, pour des raisons économiques et de compétitivité industrielle : celui de remplacer la taxe professionnelle par un impôt à taux national unique, pour la partie cotisation, sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Mécaniquement, la part d'impôts modulables au sein des recettes des collectivités territoriales s'en est trouvée diminuée. D'après les chiffres du rapport Carrez-Thénault, qu'il faudra réactualiser, la proportion de ressources modulables est de 41 % pour le bloc communal, 16 % pour les départements et 14 % pour les régions.
Je profite de la référence à ce rapport pour vous indiquer, comme j'en avais déjà eu l'occasion lors du rapport sur le dialogue entre l'Etat et les collectivités, que je considère que ce dialogue doit reposer sur des bases objectives. Le travail qui a été réalisé à l'occasion de la conférence des déficits, dans le cadre du rapport Carrez-Thénault sur l'évolution de la dépense publique locale de mai 2010, a été conduit avec les associations d'élus. Etaient présents à tous nos travaux, des représentants de l'Association des maires de France (AMF), de l'Assemblée des départements de France (ADF) et de l'Association des régions de France (ARF), sans que ces représentants soient tous nécessairement de la majorité gouvernementale. Sur la base d'un travail objectif de données sur lesquelles les élus nous ont demandé des contre-expertises, des éclaircissements et des explications de périmètre, nous avons abouti à un constat qui n'est pas contesté.
Ce constat est le suivant : depuis les lois de décentralisation, les dépenses des collectivités territoriales ont augmenté à un rythme supérieur à celui de la croissance. Si la moitié de cette augmentation s'explique par le transfert de compétences lié aux différentes lois de décentralisation, une partie n'est pas explicable par ce facteur-là. La plus grande partie de cette augmentation a eu lieu entre les années 1980 et le début des années 1990. Ensuite, la croissance de la dépense des collectivités territoriales, hors décentralisation, a été proche de celle du PIB. Les deux tiers de cette croissance proviennent des communes et des intercommunalités, sans qu'il y ait lieu de s'en étonner, puisque cette proportion correspond au poids qu'elles représentent dans la dépense publique locale. Ce constat mérite d'être actualisé, et il le sera sans doute dans les prochaines semaines, mais il existe, et nous sommes attachés à ce qu'il soit objectif et partagé.
Comme vous le savez, puisque nous avons eu l'occasion d'en discuter, nous sommes également tous très attachés au dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, en particulier au sein de ce ministère. A mon sens, ce dialogue repose, du point de vue administratif, en tout cas, sur trois paramètres, comme je l'avais souligné lorsque vous m'aviez auditionné avec M. Didier Guillaume.
Le premier paramètre est celui de la contrainte. Nous constatons qu'un dialogue existe au sein du comité des finances locales (CFL), en particulier au sein de la commission consultative d'évaluation des charges (CCEC) et de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), en raison de l'obligation juridique de procéder ainsi, puisque pour certains textes, leur avis est en effet obligatoire.
Le deuxième paramètre est celui de la constance. Le CFL, la CCEC et la CCEN ont des ordres du jour conséquents et se réunissent régulièrement. L'ordre du jour de la CCEN est d'ailleurs peut-être un peu trop chargé, mais cette situation résulte du travail réglementaire qui découle de l'application des lois votées.
Le troisième élément est celui de la confiance. Je crois pouvoir dire que nous avons su établir, dans chacune de ces instances, des relations de confiance avec les élus, en exigeant des différentes administrations qu'elles fassent preuve de transparence.
Ce dialogue existe toujours parce qu'il est balisé, organisé et objectivé. En 2011, nous l'avons poursuivi, de façon plus ou moins formalisée. Vous pouvez, je pense, en témoigner, madame la présidente, au titre de vos fonctions et de vos responsabilités au sein de l'AMF. L'échange que nous venons d'avoir sur la proposition de loi Pélissard en est une autre manifestation. Nous avons échangé en continu avec l'AMF et avec d'autres associations, comme l'Assemblée des communautés de France, sur la mise en oeuvre de la réforme et sur son pilotage. Ce dialogue a concerné aussi bien les services que le ministre et son cabinet. Nous avons dialogué sans discontinuer également au sein du CFL, avec les commissions des finances de l'Assemblée et du Sénat puis avec le Parlement dans son ensemble, comme il est naturel, sur la mise en place de la péréquation.
Il est évident que nous aurions aimé aller beaucoup plus loin, et jeter les bases d'une connaissance partagée et approfondie des principales politiques locales. Comme je l'avais exprimé devant vous, il s'agit d'un chantier essentiel : si nous avons des éléments objectifs sur les dépenses locales, nous n'avons pas, collectivement, de connaissance suffisante des politiques menées par les collectivités territoriales. La Cour des comptes joue parfois un rôle en ce sens, comme l'a montré son constat récent sur la gestion des ordures ménagères par les collectivités territoriales. Mais sur beaucoup de sujets, qu'il s'agisse par exemple du domaine social ou des transports, nous sommes encore très loin d'avoir une vision partagée de ce que fait l'Etat et de ce que font les collectivités territoriales.
Je ne voudrais pas que subsiste l'impression d'un dialogue dégradé ou d'une absence de dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, parce que la réalité de ce que nous avons pu faire, sur l'intercommunalité et sur la péréquation notamment, est la preuve que ce dialogue existe, qu'il est mené avec constance et objectivité par les ministères, et qu'il permet d'aboutir.