Par une coïncidence des calendriers parlementaire et gouvernemental, il se trouve que M. Eric Jalon a pris ses fonctions de directeur général des collectivités locales au moment même où notre délégation se constituait, au début de l'automne 2009. Depuis, nous avons régulièrement eu l'occasion de l'auditionner avec ses collaborateurs, dans le cadre des travaux de notre délégation, et ceux-ci ont toujours montré une grande disponibilité vis-à-vis des sénateurs.
La réunion d'aujourd'hui, qui est la première de cette nouvelle délégation issue du renouvellement du Sénat, vise à perpétuer une « tradition », si l'on ose employer ce mot pour une enceinte aussi jeune que la nôtre : dresser, en début d'année, un état des lieux de la situation des collectivités territoriales et recueillir le sentiment du Gouvernement sur les propositions formulées par notre délégation au cours de l'année écoulée, afin de mieux apprécier les suites susceptibles de leur être données.
A cet égard, je rappelle que, en 2011, nous avons notamment examiné les points suivants : la répartition des compétences des collectivités territoriales, qui a donné lieu à un rapport de M. Antoine Lefèvre, puis à une mission confiée à M. Jean-Jacques de Peretti, que nous avons entendu ici-même au printemps dernier ; un rapport de M. Edmond Hervé sur le bilan de la décentralisation ; la question de l'allègement des normes applicables aux collectivités territoriales qui, après un rapport de notre délégation rédigé par M. Claude Belot, a fait l'objet d'une étude de plusieurs mois conduite par notre collègue M. Eric Doligé ; enfin, des thèmes divers comme le dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales ou encore la mise en oeuvre de la réforme territoriale de 2010 qui pourra donner lieu, dans nos échanges, à un état des lieux sur la mise en oeuvre des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI). Au demeurant, notre réunion s'annonce très dense. C'est pourquoi je donne sans tarder la parole à M. Jalon.
Le premier point que je vous propose d'aborder concerne, en effet, la mise en oeuvre de la réforme territoriale.
D'abord, je vous confirme l'inscription à l'ordre du jour, par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale, au début du mois de février prochain, de la proposition de loi de M. Jacques Pélissard visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale. Le 16 novembre dernier, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait désigné M. Charles de La Verpillière comme rapporteur de ce texte, qu'elle doit examiner le 25 janvier prochain. Ce calendrier est donc bien conforme à l'engagement pris par le Premier ministre, à l'occasion du congrès des maires, de procéder à l'inscription de cette proposition de loi dans un délai utile à son examen, à son vote et à sa promulgation.
En ce qui concerne la mise en oeuvre des SDCI, entre le 10 novembre dernier, date d'entrée du premier d'entre eux, et aujourd'hui, 66 ont été arrêtés par les préfets sur un total de 99 schémas potentiels, puisque Paris et Mayotte n'étaient pas concernés. Dans les 33 autres départements, et conformément aux instructions qui avaient été données aux préfets, il a été convenu de poursuivre le dialogue dans les conditions fixées par les articles 60 et 61 de la loi du 16 décembre 2010 qui autorisent le préfet à présenter des arrêtés de périmètres contenus dans les projets de schémas. L'engagement pris par le Premier ministre que les commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) soient systématiquement consultées sur ces arrêtés de périmètres, alors qu'il ne s'agit pas, à ce jour, d'une obligation imposée par la loi, est un des enjeux de la proposition de loi Pélissard. Il pourra être envisagé, à travers ce texte, de rendre aux CDCI leur pouvoir d'amendement dans les conditions dans lesquelles elles en disposent par ailleurs lorsque les arrêtés de périmètres ne recueillent pas l'accord de la majorité qualifiée allégée des conseils municipaux.
Ces 66 schémas nous offrent également une vision très intéressante du travail des CDCI et de ce que pourrait être l'intercommunalité à l'échéance de 2014. En ce qui concerne le travail des CDCI, on note que la mobilisation des élus à été forte. Ainsi, pour les 66 départements concernés, 3 300 élus y ont siégé, les CDCI ayant tenu près de 330 réunions et examiné environ 1 400 amendements dont 80 % ont été adoptés. Cela répond ainsi à l'interrogation soulevée, lors de la discussion de la loi de 2010, sur la pertinence du seuil de majorité requis pour l'adoption des amendements par les CDCI, à savoir deux tiers de leurs membres, qui paraissait à certains parlementaires trop strict. En réalité, ce seuil n'a pas empêché un vrai travail des élus, en amont, pour converger vers l'adoption de ces amendements.
Dans les 66 départements, ces schémas permettront l'intégration de 1 179 communes isolées dans des communautés et la résorption de 105 enclaves ou discontinuités territoriales.
Cela devrait se traduire par une réduction de l'ordre de 20 % du nombre d'intercommunalités à fiscalité propre et de l'ordre de 18 % du nombre de syndicats intercommunaux. Pour vous donner un ordre de comparaison, le nombre de ces syndicats a diminué de 20 % entre la loi Chevènement de 1999 et 2011. Autrement dit, nous devrions réaliser, en moins de deux ans, un effort de réduction équivalent à celui qui a été conduit depuis 1999.
Les périmètres des EPCI devront ainsi se trouver confortés sans pour autant que les intercommunalités de moins de 5 000 habitants disparaissent, ce qui n'était pas l'objectif de la réforme. Je vous rappelle qu'il y avait en effet deux exceptions : les zones de montagne, et les situations dans lesquelles les préfets considéraient, en raison de caractéristiques géographiques particulières, par exemple de densité, que les intercommunalités de moins de 5 000 habitants pouvaient être maintenues. Leur nombre sera néanmoins réduit de 73 % sur la base des 66 schémas arrêtés.
Enfin, le dernier point est relatif aux nouvelles formes d'intercommunalités. Certaines ont d'ores et déjà vu le jour puisque, le 1er janvier 2012, est née la première métropole française, Nice Côte d'Azur, comprenant 543 270 habitants exactement. Par ailleurs, les créations de 13 communes nouvelles et de 8 pôles métropolitains sont actuellement en projets, ce qui traduit un début d'appropriation, par les collectivités territoriales et leurs élus, des nouveaux instruments permettant l'adaptation des structures à la diversité des territoires.
Pouvez-vous revenir sur le dispositif de la proposition de loi de M. Jacques Pélissard visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale ? Par ailleurs, pouvez-vous nous éclairer quant à l'application des dispositions, votées dans le cadre de la réforme territoriale, limitant à 15 le nombre de vice-présidents dans les exécutifs des intercommunalités, alors même que cette limitation pose des difficultés dans le cas de la fusion de communautés ? En toute logique, cette disposition ne devrait pas être applicable dans l'immédiat, mais seulement à compter du renouvellement municipal en 2014. Or, tel n'est pas le cas. Cela semble d'autant plus contestable que les dispositions relatives aux suppléants, elles, ne seront applicables qu'après 2014. Pouvez-vous nous éclairer sur ces différents points ?
Effectivement, certaines distorsions sont apparues dont nous nous sommes rendu compte récemment, dont, grâce à votre intervention, celles que vous mentionnez. C'est en effet dans l'article relatif au mode d'élection des conseillers communautaires à compter de 2014, qui, par définition, ne s'appliquera qu'au moment du prochain renouvellement général, que figurent les dispositions relatives aux suppléants, tandis qu'une partie des dispositions sur la composition des conseils communautaires sont contenues dans un autre article dont l'application est échelonnée dans le temps et en partie applicables dès à présent. Il en résulte que les communautés de communes ou les communautés d'agglomération qui ont fusionné au 1er janvier 2012 sont tenues par cette limitation du nombre de vice-présidents, alors même qu'elles ne peuvent pas bénéficier du régime des suppléants. C'est un des enjeux de la proposition de loi de M. Pélissard que de corriger ces erreurs légistiques.
Le calendrier parlementaire, et plus précisément la suspension des travaux qui s'annonce, nous impose d'aller assez vite dans l'adoption de cette proposition de loi. Cet impératif de rapidité nous imposera, nous parlementaires, mais aussi vous, représentants du Gouvernement, une vigilance redoublée, indispensable compte tenu de la complexité technique du sujet.
Tout à fait. Heureusement, la proposition de loi de M. Pélissard ne comporte que six articles sur des questions bien identifiées depuis un an, ce qui devrait éviter toute nouvelle erreur légistique.
Il y a effectivement eu plusieurs anomalies dans le texte qui a été promulgué, que ce soit sur les points que vous venez d'évoquer mais également, par exemple, sur la question du transfert des pouvoirs de police spéciaux aux président des EPCI au 1er décembre : dans la phase où nous sommes actuellement, le président de l'EPCI n'a pas le pouvoir de refuser ce pouvoir de police quand bien même un nombre élevé de maires ne voudraient pas le lui transmettre. En tout état de cause, allons-nous réussir, matériellement, à voter cette proposition de loi avant la fin de la session parlementaire, compte tenu du calendrier que vous nous avez présenté ? Sommes-nous en effet certains d'une adoption début février à l'Assemblée nationale et d'une inscription rapide à l'ordre du jour du Sénat ?
Ne siégeant pas à la Conférence des présidents, vous comprendrez qu'il m'est difficile de répondre à cette question.
D'après les informations dont je dispose, le président de la commission des lois, notre collègue Jean-Pierre Sueur, va tout mettre en oeuvre pour qu'elle soit examinée au Sénat avant la fin de la session, pour répondre aux nombreuses attentes des élus locaux.
Le respect de ce calendrier est tout à fait possible à la condition que les deux assemblées n'apportent que très peu de modifications au texte, mais cela réduit d'autant les possibilités de se rattraper sur d'autres dispositions.
Pour revenir à la question des suppléances, n'est-il pas possible, dans le cadre du règlement intérieur d'une communauté de communes, d'instaurer le principe des suppléants ?
Malheureusement, cela n'est pas possible, car de telles dispositions sont de niveau législatif et nous n'avons pas de marges de manoeuvre en la matière.
Il s'agit effectivement de dispositions relevant de la compétence du législateur.
Permettez-moi de revenir sur les travaux menés au sein des CDCI pendant la période où les élus ont eu pour mission d'examiner les projets initiaux des préfets avant que s'ouvre la nouvelle phase dans laquelle nous entrons désormais. Il y a, je crois, un malentendu pour de nombreux élus au sujet des pouvoirs d'amendements à ces schémas. Je vous rappelle d'ailleurs que sous l'empire de la loi Chevènement, les avis de la CDCI, même adoptés à l'unanimité, n'avaient qu'un caractère consultatif. Dans le cadre de la réforme territoriale, il en va différemment : le législateur a voulu renforcer le pouvoir des élus puisque les amendements adoptés à la majorité des deux tiers des membres inscrits de la CDCI s'imposent désormais au préfet. Or, cette disposition a été mise en oeuvre de façon rigide lorsque cette majorité n'était pas atteinte, c'est-à-dire lorsque les amendements étaient formulés à la majorité simple ou à la majorité des deux tiers des voix exprimées - et non des inscrits : ceux-ci n'étaient pas repris, alors même qu'ils ne contrevenaient pas à la loi et qu'ils faisaient, de surcroît, l'objet d'un soutien de la part du préfet. Nous étions alors dans des situations où, même si le préfet convenait du caractère imparfait de son texte, il ne pouvait pas l'amender. Dès lors, dans de nombreux cas, des schémas ont été adoptés alors même que l'on savait pertinemment qu'ils ne seraient pas appliqués dans la phase suivante. L'esprit de la loi, c'était quand même de renforcer le pouvoir des élus, donc sans exclure toute possibilité d'amendements qui auraient été adoptés à une majorité simple seulement. Dès lors, je m'interroge sur le sens des dispositions que nous avons votées et qui vont conduire l'administration à mettre en oeuvre des schémas qui, en réalité, n'étaient pas exactement ceux qui étaient retenus pas les élus.
Nous nous sommes posé un certain nombre de questions sur ce texte, au moment du vote et lors de son application. Le législateur a pleinement assumé l'exigence de la majorité des deux tiers des membres de la CDCI. D'ailleurs, les chiffres montrent que cette majorité n'a pas été un facteur de blocage.
Notre interprétation du texte est que les amendements, y compris ceux présentés par le préfet, doivent recueillir une majorité des deux tiers des inscrits. Il est vrai que cela a pu entraîner des rigidités, même lorsqu'un consensus existait. Comme vous le mentionnez, à juste titre, nous sommes désormais dans une phase de mise en oeuvre, dans laquelle le préfet peut proposer des arrêtés de périmètre différents de ceux retenus dans le schéma. Pour cela, il suffit qu'il les soumette à la CDCI. Cette dernière peut alors décider de les modifier à la majorité des deux tiers des présents. Cette procédure a pour effet d'inverser la charge de la majorité : il suffit qu'un tiers de la CDCI soit en accord avec la proposition du préfet, pour que cette dernière soit retenue. Je suis conscient que l'interprétation que nous avons faite de la loi a pu être source de rigidité. Mais il n'était pas concevable de mettre sur un plan différent les amendements du préfet et ceux de la CDCI, pour des questions juridiques, mais également d'équilibre entre le préfet et la CDCI. Vous l'avez d'ailleurs noté vous-même : l'avis de la CDCI n'a pas la même portée que sous l'empire des régimes précédents.
J'appartiens à la catégorie des 33 départements qui n'ont pas de schéma. J'aimerais savoir si les travaux de la CDCI ne pourront redémarrer qu'après l'adoption de la proposition de loi Pélissard. Je pose cette question car nous avons un nouveau préfet, ce qui risque de décaler dans le temps l'adoption du schéma. Pouvez-vous nous éclairer sur la situation de ces 33 départements, sachant que, dans quelques semaines, les préfets vont être soumis à une période de grande réserve politique, qui sera relativement longue du fait des élections présidentielle et législatives ?
Nous essayons, nous aussi, d'avoir une approche pratique, en apportant des réponses sur la base de nombreux échanges avec les préfets concernés. L'interaction entre l'administration centrale et les préfectures fonctionne bien, de ce point de vue.
En ce qui concerne le calendrier, l'examen de la proposition de loi Pélissard n'est pas juridiquement nécessaire à la poursuite de nos travaux. Les articles 60 et 61 permettent, en effet, de travailler en l'absence de schémas. Ce que la proposition de loi Pélissard pourrait apporter, si elle est amendée en ce sens, c'est, d'une part, l'obligation formelle de consulter les CDCI - pour l'instant, cette obligation n'existe que par simple circulaire aux préfets - et, d'autre part, la capacité des CDCI de retrouver un pouvoir d'amendement.
Cependant, je tiens à souligner que si les préfets rencontrent un consensus sur certaines parties du schéma, ils peuvent, dès à présent, prendre les arrêtés de périmètre concernés.
Et, fort heureusement, dans les 33 départements concernés, on observe souvent un fort consensus. Dès lors, les situations de blocage dans l'aboutissement du schéma restent résiduelles. Aussi, pour les communes dans lesquelles un accord a été trouvé, le travail préparatoire mené en 2011 autour des projets de schéma est toujours d'actualité et peut donc être réutilisé. Cette question avait d'ailleurs déjà été évoquée à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de M. Sueur, dont M. Alain Richard était le rapporteur.
Vous posez ensuite la question de la période de réserve. Juridiquement, celle-ci empêche les préfets de prendre part à des manifestations publiques susceptibles d'avoir un impact sur la campagne électorale. La CDCI est une réunion administrative, qui, je vous l'accorde, est en effet publique. Mais je ne doute pas que les préfets soient suffisamment avisés pour présenter à la CDCI les dossiers les plus consensuels et attendre la fin des échéances électorales pour envisager les dossiers les plus « politiques ». J'ai la conviction que nous pouvons leur faire confiance.
Monsieur le directeur, vous nous indiquiez que le préfet n'aurait pas le pouvoir de modifier le schéma avant son passage devant la CDCI. Or, une circulaire du mois d'avril prévoit l'inverse. Je cite de mémoire : « les préfets ont naturellement la possibilité de revoir le schéma ». Pour ma part, ce pouvoir d'amendement du préfet me semble logique, dans la mesure où les collectivités territoriales ont justement été consultées et qu'il faut bien qu'il puisse prendre leurs avis en considération.
En ce qui concerne le deuxième point que vous évoquez, il me paraît peu envisageable de voir un préfet réunir la CDCI en pleine campagne électorale alors même qu'il n'était pas parvenu ces derniers mois à un accord avec elle.
Vous faites effectivement référence à la circulaire du 22 avril 2011. Il y a une phrase qui a suscité des interprétations divergentes, je vous l'accorde. Mais nous avons opéré, depuis, les clarifications nécessaires.
J'appartiens à ces départements « rebelles » auxquels vous faites référence. La raison principale tient au manque d'informations sur les répercussions de certaines fusions pour les collectivités, ou à l'inverse de certains départs de collectivités de communautés de communes pour en rejoindre d'autres. En l'absence de ces éléments d'information, la CDCI de mon département n'a pas souhaité se prononcer définitivement et a demandé aux services de l'Etat de bien vouloir lui fournir les informations nécessaires.
Cependant, certaines communes s'inquiètent : puisque nous sommes désormais en dehors du cadre législatif qui nous était imparti, ne tombons-nous pas dans le droit commun, en vertu duquel une communauté de communes ne peut pas s'opposer au départ d'un de ses membres ? Certains maires sont très inquiets de l'absence de prolongation de la possibilité de délibérer en CDCI.
La procédure est encadrée par l'article 60 de la loi de 2010, en vertu duquel le préfet peut présenter un arrêté de périmètre avec une majorité qualifiée allégée. Si le projet ne recueille pas l'accord de la moitié au moins des conseils municipaux, représentant au moins la moitié de la population (y compris le conseil municipal de la commune la plus nombreuse si elle représente plus du tiers de la population totale), le préfet est tenu de saisir la CDCI, qui dispose donc d'un pouvoir d'amendement. Ce qui peut être amélioré, et c'est l'objet de la proposition de loi de M. Pélissard, c'est la possibilité de consulter la CDCI lorsqu'un schéma n'a pas pu être arrêté.
Quel que soit le volontarisme des collectivités territoriales, leurs initiatives doivent quand même être conclues par un arrêté préfectoral. Donc, le préfet garde la possibilité de ne pas accepter des propositions, même largement partagées par les collectivités, ce qui n'est pas une situation très simple.
La question à laquelle il nous faut donc encore réfléchir est celle de savoir s'il faut ou non rouvrir un délai de discussion, dans les cas où un schéma n'a pas pu être arrêté. Compte tenu du calendrier, cela paraît peu probable. En effet, il me semble difficile, en pleine période électorale, d'aboutir à un accord alors que cela n'a pas été possible entre mai et décembre. La question est donc de savoir comment nous allons poursuivre le dialogue pendant la phase suivante, à savoir celle de la définition des projets de périmètre zone par zone. La proposition de loi de M. Sueur avait ouvert une alternative qui n'est plus d'actualité du fait des échéances électorales, sauf pour ceux qui ne veulent pas que le processus soit achevé pour mars 2014. Les communes qui souhaitent que les nouvelles équipes élues en avril 2014 sachent à quelles intercommunalités elles appartiennent, sont conscientes qu'elles doivent passer en 2012 à la procédure des arrêtés de périmètre. Si l'on souhaite y parvenir, en l'absence de schéma, l'adoption des projets d'arrêtés de périmètre par la CDCI ne peut se faire que par un avis simple. Si, au contraire, on redonne à la CDCI, qui n'a pas été en mesure de trouver un accord, un pouvoir de blocage ce sera contre-productif. C'est pourquoi, seule l'exigence d'un avis simple dans un délai encadré mérite d'être conservée.
Je partage l'essentiel de votre analyse sauf la dernière partie. Il nous paraît important, en l'absence de schéma et dès lors que l'on souhaite réengager une procédure de dialogue, certes, d'encadrer cette dernière dans le temps, mais surtout, de faire en sorte que les pouvoirs de la CDCI ne soient pas moindres que ceux dont elle disposait dans la phase précédente et de ceux dont elle disposera dans la phase suivante si les communes refusaient le projet. Dans le cas contraire, il y aurait une espèce de trou d'air dans le dispositif. Est-ce que cela va favoriser le maintien de blocages comme vous semblez le craindre ? Je ne le crois pas.
Quand un accord n'a pas été trouvé dans le cadre des discussions qui se sont tenues l'année dernière, il me paraît difficile de l'envisager alors que la procédure n'aura pas été modifiée.
J'ai du mal à saisir l'équilibre que vous recherchez car, d'un côté, l'avis simple de la CDCI dont le préfet peut s'affranchir ne vous paraît pas assez protecteur, mais le l'autre côté, la procédure de l'avis conforme vous paraît aller trop loin.
Si l'on met en place une procédure d'avis conforme, cela signifie que la CDCI pourra accepter ou refuser un arrêté de périmètre. Ce n'est pas le choix qui a été retenu par le législateur, qui n'a pas souhaité, dans la loi du 16 décembre 2010, conférer un pouvoir d'opposition à la CDCI. Ce qui lui a été reconnu, en revanche, c'est un pouvoir « d'opposition constructive », c'est-à-dire de contre-proposition. C'est ce que nous avons expliqué aux préfets : lorsque la CDCI adopte un amendement à une majorité des deux tiers, il doit être intégré au schéma, sauf s'il est manifestement contraire à la loi ; en revanche, l'avis final est rendu à une majorité simple et celui-ci est seulement consultatif.
Dans les faits, pour certains départements, la CDCI a rendu un avis négatif, et le ministre a considéré, pour des raisons d'ordre pragmatique et d'opportunité, qu'il valait mieux que le préfet n'arrête pas le schéma. Dans ce sens, nous avons donné de fait à la CDCI un pouvoir de blocage. Mais si on le retranscrit tel quel dans le droit, périmètre par périmètre, on risque de multiplier les blocages, et je crains que les objectifs rendus obligatoires par la loi, à savoir l'intégration de toutes les communes isolées à une intercommunalité et la résorption des enclaves et des discontinuités, ne soient pas atteints. J'en reviens donc à un projet d'arrêté de périmètre qui, s'il n'est pas modifié à la majorité des deux tiers par la CDCI, sera bien signé en l'état par le préfet.
Permettez-moi de revenir sur un sujet central : le bilan de la décentralisation abordé par le rapport réalisé par M. Edmond Hervé. Quelle est, aujourd'hui, la position du Gouvernement sur la décentralisation ? Si je puis me permettre une interprétation personnelle, l'utilisation du mot « décentralisation » n'est pas toujours dépourvue d'ambiguïté.
Quand le Président de la République et les ministres ont présenté la réforme à Saint-Dizier, en Haute-Marne, ils ont été sans ambiguïté à ce sujet. La décentralisation fait partie de notre patrimoine commun. Le principe d'une « République décentralisée » a été inscrit dans la Constitution en 2003, à l'époque où le Président de la République était alors ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
Certes, des débats ont pu naître. Nous en avions très longuement discuté lors des travaux préparatoires au rapport de M. Antoine Lefèvre sur les compétences des collectivités territoriales, auxquels M. Edmond Hervé avait bien voulu participer. Nous avons eu un débat très juridique et technique sur les problématiques relatives aux compétences : notion de bloc de compétences, compétences exclusives ou non, etc., que le rapport de M. Antoine Lefèvre restitue d'ailleurs très objectivement. Il y a eu une volonté d'ancrer la décentralisation, d'en corriger peut-être quelques défauts de jeunesse et de donner aux collectivités territoriales la capacité d'adapter leur organisation aux spécificités de leurs territoires. Cette volonté a été soulignée dans le rapport de M. Antoine Lefèvre, mais aussi dans celui de M. Jean-Jacques de Peretti. Elle se manifeste au sujet des intercommunalités, avec les métropoles et les pôles métropolitains, mais aussi avec la coopération entre régions et départements. A ma connaissance, c'est la première fois qu'a été inscrite dans une loi la possibilité pour une région et les départements de son territoire d'organiser, à cadre constitutionnel constant (ce qui suppose évidemment que certaines conditions soient remplies), leurs compétences et leurs services dès lors qu'ils trouvent un accord. L'idée sous-tendue est qu'on ne peut pas décider à Paris de la répartition des compétences entre régions et départements, ni imposer un modèle uniforme : le choix retenu en Ile-de-France n'est pas nécessairement pertinent en Alsace ou en Midi-Pyrénées. C'est une idée nouvelle qui a été inscrite dans la loi de réforme des collectivités territoriales de décembre 2010. Si les régions et les départements peuvent s'en saisir, elle est porteuse de beaucoup de modernité et de possibilités pour ces collectivités.
A propos du rapport de M. Edmond Hervé sur le bilan de la décentralisation, il s'agit d'une véritable étude approfondie d'une grande densité, davantage qu'un simple rapport : il doit être abordé avec beaucoup d'attention et de respect. Il est évident que dans les 21 propositions qui ont été formulées à cette occasion, toutes ne peuvent recueillir un accord dans l'immédiat. Nous partageons les interrogations qui y sont soulevées dans une très grande majorité, mais chacune des réponses proposées mériterait un débat en soi. C'est la raison pour laquelle je me garderai bien d'apporter une réponse globale en quelques minutes.
Puisque vous venez de rappeler l'attachement du Gouvernement à la décentralisation, je souhaiterais aborder le débat sur la réforme des finances des collectivités territoriales et le principe de leur autonomie financière. Une certaine ambiguïté caractérise en effet l'interprétation de ce terme par les uns et les autres. Alors que nous entrons dans une période de débats avant l'élection présidentielle, nous entendons des avis contrastés sur les collectivités territoriales et leur manière de gérer leurs finances. J'ai réalisé un rapport, ici-même, avec mon collègue M. Didier Guillaume, aujourd'hui vice-président du Sénat, sur le dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales. La décentralisation est en effet liée à la qualité de leurs relations. Or, un certain nombre d'éléments mériteraient d'être clarifiés. Si le concept de décentralisation est très fort dans notre pays, il existe aussi un attachement à la notion d'Etat central. Quand pourrons-nous enfin trouver un apaisement sur ce sujet ? Il s'agit à mon sens d'une grande préoccupation.
Les débats sur l'autonomie fiscale et le rôle des pouvoirs centraux par rapport aux pouvoirs locaux existent depuis longtemps, comme en témoigne notre Histoire. Permettez-moi de revenir sur des éléments de droit et de fait.
Les éléments de droit sont ceux que le constituant a déterminés, lorsqu'il a défini l'autonomie financière des collectivités territoriales. Il y a une différence entre l'autonomie financière, telle qu'elle figure dans la Constitution et la loi organique, et l'autonomie fiscale, qui n'a pas d'existence juridique propre, même si, bien sûr, elle correspond à une réalité politique pour les élus que vous êtes. Je ne peux que redire que l'autonomie financière a été respectée par le gouvernement et le législateur, y compris à l'occasion de la réforme de la taxe professionnelle. Le Conseil constitutionnel l'a d'ailleurs confirmé, lorsqu'il a considéré que le dispositif retenu en loi de finances pour 2010, portant notamment suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, ne laissait pas craindre une atteinte au respect de l'autonomie financière.
Pour autant, dans les faits, comme je le disais à l'instant devant la mission commune d'information sur « les conséquences pour les collectivités territoriales, l'Etat et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale », présidée Mme Anne-Marie Escoffier, il est vrai que la proportion des recettes sur lesquelles les collectivités territoriales disposent d'un pouvoir de détermination des taux a diminué. C'est la conséquence d'un choix réalisé et assumé, pour des raisons économiques et de compétitivité industrielle : celui de remplacer la taxe professionnelle par un impôt à taux national unique, pour la partie cotisation, sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Mécaniquement, la part d'impôts modulables au sein des recettes des collectivités territoriales s'en est trouvée diminuée. D'après les chiffres du rapport Carrez-Thénault, qu'il faudra réactualiser, la proportion de ressources modulables est de 41 % pour le bloc communal, 16 % pour les départements et 14 % pour les régions.
Je profite de la référence à ce rapport pour vous indiquer, comme j'en avais déjà eu l'occasion lors du rapport sur le dialogue entre l'Etat et les collectivités, que je considère que ce dialogue doit reposer sur des bases objectives. Le travail qui a été réalisé à l'occasion de la conférence des déficits, dans le cadre du rapport Carrez-Thénault sur l'évolution de la dépense publique locale de mai 2010, a été conduit avec les associations d'élus. Etaient présents à tous nos travaux, des représentants de l'Association des maires de France (AMF), de l'Assemblée des départements de France (ADF) et de l'Association des régions de France (ARF), sans que ces représentants soient tous nécessairement de la majorité gouvernementale. Sur la base d'un travail objectif de données sur lesquelles les élus nous ont demandé des contre-expertises, des éclaircissements et des explications de périmètre, nous avons abouti à un constat qui n'est pas contesté.
Ce constat est le suivant : depuis les lois de décentralisation, les dépenses des collectivités territoriales ont augmenté à un rythme supérieur à celui de la croissance. Si la moitié de cette augmentation s'explique par le transfert de compétences lié aux différentes lois de décentralisation, une partie n'est pas explicable par ce facteur-là. La plus grande partie de cette augmentation a eu lieu entre les années 1980 et le début des années 1990. Ensuite, la croissance de la dépense des collectivités territoriales, hors décentralisation, a été proche de celle du PIB. Les deux tiers de cette croissance proviennent des communes et des intercommunalités, sans qu'il y ait lieu de s'en étonner, puisque cette proportion correspond au poids qu'elles représentent dans la dépense publique locale. Ce constat mérite d'être actualisé, et il le sera sans doute dans les prochaines semaines, mais il existe, et nous sommes attachés à ce qu'il soit objectif et partagé.
Comme vous le savez, puisque nous avons eu l'occasion d'en discuter, nous sommes également tous très attachés au dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, en particulier au sein de ce ministère. A mon sens, ce dialogue repose, du point de vue administratif, en tout cas, sur trois paramètres, comme je l'avais souligné lorsque vous m'aviez auditionné avec M. Didier Guillaume.
Le premier paramètre est celui de la contrainte. Nous constatons qu'un dialogue existe au sein du comité des finances locales (CFL), en particulier au sein de la commission consultative d'évaluation des charges (CCEC) et de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), en raison de l'obligation juridique de procéder ainsi, puisque pour certains textes, leur avis est en effet obligatoire.
Le deuxième paramètre est celui de la constance. Le CFL, la CCEC et la CCEN ont des ordres du jour conséquents et se réunissent régulièrement. L'ordre du jour de la CCEN est d'ailleurs peut-être un peu trop chargé, mais cette situation résulte du travail réglementaire qui découle de l'application des lois votées.
Le troisième élément est celui de la confiance. Je crois pouvoir dire que nous avons su établir, dans chacune de ces instances, des relations de confiance avec les élus, en exigeant des différentes administrations qu'elles fassent preuve de transparence.
Ce dialogue existe toujours parce qu'il est balisé, organisé et objectivé. En 2011, nous l'avons poursuivi, de façon plus ou moins formalisée. Vous pouvez, je pense, en témoigner, madame la présidente, au titre de vos fonctions et de vos responsabilités au sein de l'AMF. L'échange que nous venons d'avoir sur la proposition de loi Pélissard en est une autre manifestation. Nous avons échangé en continu avec l'AMF et avec d'autres associations, comme l'Assemblée des communautés de France, sur la mise en oeuvre de la réforme et sur son pilotage. Ce dialogue a concerné aussi bien les services que le ministre et son cabinet. Nous avons dialogué sans discontinuer également au sein du CFL, avec les commissions des finances de l'Assemblée et du Sénat puis avec le Parlement dans son ensemble, comme il est naturel, sur la mise en place de la péréquation.
Il est évident que nous aurions aimé aller beaucoup plus loin, et jeter les bases d'une connaissance partagée et approfondie des principales politiques locales. Comme je l'avais exprimé devant vous, il s'agit d'un chantier essentiel : si nous avons des éléments objectifs sur les dépenses locales, nous n'avons pas, collectivement, de connaissance suffisante des politiques menées par les collectivités territoriales. La Cour des comptes joue parfois un rôle en ce sens, comme l'a montré son constat récent sur la gestion des ordures ménagères par les collectivités territoriales. Mais sur beaucoup de sujets, qu'il s'agisse par exemple du domaine social ou des transports, nous sommes encore très loin d'avoir une vision partagée de ce que fait l'Etat et de ce que font les collectivités territoriales.
Je ne voudrais pas que subsiste l'impression d'un dialogue dégradé ou d'une absence de dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, parce que la réalité de ce que nous avons pu faire, sur l'intercommunalité et sur la péréquation notamment, est la preuve que ce dialogue existe, qu'il est mené avec constance et objectivité par les ministères, et qu'il permet d'aboutir.
Loin de moi l'idée qu'il n'y a pas de dialogue, notamment avec votre administration et d'une manière générale avec la haute administration de l'Etat.
Le positionnement de l'Etat, depuis la révision constitutionnelle de 2003, est complètement contradictoire : d'une part, on inscrit dans la Constitution que la République est décentralisée et, d'autre part, le législateur intègre dans les ressources propres des collectivités les compensations fiscales. On aboutit alors à la situation que nous connaissons aujourd'hui. Lorsque s'y ajoute la réforme de la taxe professionnelle, on aboutit à la situation que vous avez décrite pour le département que je connais le mieux : 16 % de ressources fiscales, cela veut dire que 84 % ne le sont pas. Dès lors, il est difficile de dire que l'on n'a pas évolué vers une diminution de l'autonomie, de fait, fiscale - mais pas seulement fiscale - des collectivités, et en particulier des départements. Cela me semble absolument évident. Je ne dis pas que le fait d'avoir une autonomie, une liberté de fixation de l'impôt est une liberté théorique ; mais après, il y a surtout la possibilité politique de faire. Il est évident que de passer de 60 à 84 % aboutit à une diminution de la liberté d'intervention des collectivités. En conséquence, il est difficile de dire que la décentralisation a progressé ; je crois, au contraire, qu'elle a diminué.
Sur les dépenses mêmes des collectivités, c'est vrai, qu'elles ont progressé, mais il faut voir pourquoi. Les collectivités ont beaucoup oeuvré dans le domaine du bien-être de nos concitoyens, notamment les communautés de communes ; beaucoup de services ont été mis en place par ces dernières, particulièrement en milieu rural, ce qui n'est pas assez mis en avant. Faut-il dire qu'il ne faut plus s'occuper du confort de nos concitoyens ? Je crains qu'en faisant cela, nous allions en face de déboires graves et d'une diminution du confort, de la capacité de vivre de nos concitoyens, notamment en milieu rural.
L'année 2003, année de la révision constitutionnelle, est le point de référence retenu pour le ratio d'autonomie financière : nous étions, à cette époque, à la fin du processus de suppression de la part salaires de la taxe professionnelle, intégralement compensée par des dotations, et avant la phase du transfert de compétence compensé fiscalement pour garantir toute baisse. Je propose de ne pas revenir au débat sur la compensation du RMI devenu RSA, ni à celui sur la TIPP, mais il reste que cette dernière a été attribuée aux départements par la loi de finances. Le Conseil constitutionnel nous a d'ailleurs immédiatement mis en garde sur le fait que cette compensation ne pouvait pas descendre en dessous du niveau d'origine, ce qui a conduit l'Etat - parce que la TIPP n'avait pas le dynamisme qu'on attendait - à opérer des transferts financiers au bénéfice des collectivités territoriales, chaque année.
Je comprends bien que l'autonomie financière n'est pas l'autonomie fiscale, mais je veux vous rappeler aussi que la compensation des transferts de compétences ou la compensation des remplacements de recettes de fiscalité locale par des transferts de fiscalité, même non modulable, est toujours mieux que la compensation par des dotations qui, elles, peuvent être soumises à des rabots ou à des redéploiements.
Il faut garder à l'esprit ce contexte dans lequel s'est opérée la réforme de la taxe professionnelle, pour laquelle nous avons dû mobiliser beaucoup de ressources fiscales, achever complètement le transfert de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances, transférer la TASCOM ou encore diminuer lourdement les frais d'assiette et de recouvrement. Et cela, parce que l'exigence d'autonomie financière des collectivités locales nous imposait de limiter le montant de la fameuse dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP), qui est bien une dotation. Cette exigence du principe d'autonomie financière nous imposait également de ne pas compenser la suppression de la taxe professionnelle uniquement par des dotations. J'ai bien conscience que nombre d'élus préfèreraient l'autonomie fiscale à l'autonomie financière, mais je rappelle que l'autonomie financière a constitué un progrès notable par rapport à des pratiques passées.
Pour ce qui concerne les dépenses, je dirais d'abord que nul ne conteste que les intercommunalités ont participé pleinement à l'amélioration des services rendus à nos concitoyens, en particulier en milieu rural. Si, aujourd'hui, beaucoup de zones rurales se repeuplent, c'est notamment parce que les Français se sont habitués à des standards de vie liés au fait que les couples travaillent et ont donc besoin d'une crèche, d'un accès internet, etc. Beaucoup de ces services peuvent être apportés par l'intercommunalité, ce qui explique une partie des coûts. De même, il faut reconnaître que les intercommunalités ont assumé une grande partie de la mise à niveau de notre pays au regard des normes communautaires en matière d'environnement, notamment pour la politique de l'eau ou des déchets par exemple. Les exigences normatives se sont accrues en la matière, expliquant une partie de ces évolutions.
Néanmoins, il est avéré qu'il existe des doublons entre communes et intercommunalités. Nous n'avons ainsi pas forcément utilisé toutes les capacités de mutualisation et c'est la raison pour laquelle, dans la loi de décembre 2010, nous avons renforcé la boîte à outils juridiques autorisant ces mutualisations.
D'autre part, au-delà de ces explications sur les événements de ces vingt-cinq ou trente dernières années, il ne faut pas aborder le sujet uniquement sous un angle rétrospectif. Il convient de voir si, aujourd'hui et pour les années à venir, les taux d'augmentation de dépenses des collectivités locales, tels que nous les connaissons ou tels que nous les avons connus ces dernières années, sont, ou non, soutenables sur le long terme. Il ne s'agit pas de dire que tout ce qu'on a fait dans le passé était erroné, mais simplement de se poser ensemble la question de la soutenabilité de notre trajectoire à venir.
Permettez-moi de vous répondre sur le troisième enjeu que vous avez abordé, à savoir la confiance. Actuellement, on entend surtout des déclarations de défiance vis-à-vis des collectivités territoriales. Je suis maire depuis 1995 et je connais suffisamment le local pour le vivre quotidiennement. Je rejoins l'analyse de notre collègue Jean-Claude Peyronnet sur la qualité des services de proximité offerts par les collectivités. On ne peut, certes, pas continuer sur cette courbe de créations d'emplois, mais les emplois que l'on a créés ces dernières décennies étaient des emplois nécessaires pour assurer ces services, d'ailleurs liés à des incitations de l'Etat. Je pense à la politique de la petite enfance, pour laquelle la qualité de service aux familles a été considérablement améliorée. Mais, derrière ces politiques, il y a forcément des charges de personnels. Ma commune, de 3 800 habitants, compte 50 agents, à savoir 45 équivalents temps plein (ETP). On a optimisé le travail de ces personnes, qui sont de vrais fonctionnaires, dans toute la noblesse du terme. Et cela me heurte, comme tous les élus locaux, quand j'entends dire que les collectivités territoriales sont excessivement dépensières, et qu'elles doivent réduire leurs charges de personnel, sans que ceux qui tiennent ce discours prennent en compte le fait que 50 % des charges sont des charges de fonctionnement. Evidemment, c'est un choix, mais nous assurons des services à la population et nous les optimisons dans la mesure du possible. Ce constat est largement partagé dans les communes de mon territoire et nous vivons très mal le fait d'être pointés du doigt sur nos dépenses prétendument excessives.
Je vous prie de me pardonner, monsieur le sénateur, si mes propos vous ont paru un tant soit peu polémiques. Entre 1998 et 2008, les collectivités locales, hors décentralisation, ont créé 350 000 emplois. C'est un fait, non contesté, et ce n'est ni polémiquer ni faire preuve de défiance que de rappeler les faits. Le premier président de la Cour des comptes, lui-même, a rappelé, dans sa déclaration de rentrée du 5 janvier dernier, que le mode de financement des collectivités territoriales les avait encouragés à rechercher l'ajustement de leurs recettes à leurs dépenses plutôt que l'inverse.
Mon propos n'est sûrement pas de stigmatiser mais de rappeler les faits nécessaires au débat public. La situation de nos finances publiques doit être abordée collectivement et ne pas opposer l'Etat et les collectivités territoriales.
On dit que les collectivités territoriales sont extrêmement dépensières, que lorsque l'Etat a supprimé 90 000 postes, les collectivités territoriales en ont créé 500 000...
Est-ce que le fait de rappeler simplement les chiffres constitue une marque de défiance ? Je ne le crois pas.
Dire que nous sommes excessivement dépensiers, c'est faire preuve de défiance.
Pour aller dans le sens de ce qui a été dit par M. Eric Jalon, nous avons, effectivement, dans le cadre de la mission d'évaluation de la taxe professionnelle, pu bénéficier du concours de la DGCL et des autres services du ministère. Toutefois, nous ne disposerons des premières observations que fin février. Le bilan auquel nous procédons devrait nous permettre de voir très clairement où nous en sommes en matière d'autonomie financière et fiscale, tout en abordant des problèmes très lourds comme celui de la péréquation, dont on a pu mesurer l'impact dans le cadre du dernier débat budgétaire. Je voudrais également rappeler que la RGPP s'impose bien aux collectivités locales depuis 2005, alors même que personne ne semble s'en préoccuper. La RGPP, qui ne signifie absolument pas le non-remplacement systématique d'un emploi sur deux, a été dévoyée de ses objectifs. Initialement, elle devait permettre une réorganisation des services de l'Etat et des collectivités locales, afin d'apporter le meilleur service aux administrations et aux citoyens. C'est sur la base de cette rationalisation que des économies devaient être générées. Or, aujourd'hui, c'est un raisonnement inverse que nous menons et on assiste à une « reconcentration » des services de l'Etat du niveau départemental vers la région... au point que les collectivités locales n'ont plus d'interlocuteur au niveau du département. Nous en sommes réduits à nous adresser au niveau régional, dans des conditions qui sont aujourd'hui loin d'être aisées. Et cela fait bientôt deux ans que je formule ce constat, qui ne s'est pas démenti depuis.
En ce qui concerne la défiance, j'interrogeais, récemment, un des proches du Président de la République pour lui demander comment on pouvait justifier ce chiffre de 500 000 emplois créés par les collectivités. En cela je vous remercie, monsieur le directeur, de ne pas avoir donné le chiffre de 500 000 mais celui de 350 000. Vous avez bien déduit les emplois qui provenaient du transfert des parcs de l'équipement et des TOS et qui ne sauraient nous être imputés. Dès lors, la charge propre des collectivités locales n'est en réalité que de 350 000, et je crois qu'il faut le souligner. Cela correspond à une évolution de la société, dont les besoins nouveaux ont crû, qu'il s'agisse des particuliers ou des administrations.
Je ne veux pas prolonger les débats, mais je ne partage absolument pas le diagnostic qui est fait, même si je veux bien reconnaître que la réorganisation de l'Etat au niveau départemental et au niveau régional provoque, comme toutes les réformes, des difficultés d'adaptation sur lesquelles il faut que nous nous penchions collectivement. Il est évident que nous avons toujours des besoins à satisfaire. Toutefois, la responsabilité impose de ne pas vouloir satisfaire nos besoins actuels par un financement supporté par les générations futures. Et, pour les collectivités territoriales en particulier, même si les budgets de fonctionnement sont équilibrés, force est de constater que les concours financiers de l'Etat aux collectivités territoriales (par le biais de la DGF, de la compensation des dégrèvements, des exonérations) ont très fortement augmenté. C'est pourquoi le sort de l'Etat et des collectivités locales est complètement lié et il serait artificiel aussi bien de les opposer que de vouloir les exonérer de leurs responsabilités respectives.
Si je partage votre analyse sur le fond, permettez-moi, toutefois, d'indiquer, que sur la forme, on ne peut pas reprocher aux élus d'avoir une vision propre, basée sur leur expérience dans leurs territoires respectifs. Certes, certaines collectivités sont plus dépensières que d'autres, mais les élus sont dévoués et ne ménagent pas leurs efforts pour leur collectivité. Il est donc regrettable de les accuser abruptement d'être, sur les plans macro-économique et politique, trop dépensiers - ce que, je vous en donne acte, n'est pas votre façon de faire. Je pense que la méthode est au moins aussi importante que le constat, même si celui-ci est partagé. Il faut que la coresponsabilité des faits soit bien actée. Les élus locaux ont bien conscience de la situation et savent que des efforts devront être fournis. Je pense qu'une invitation collective à cette prise de conscience par une sensibilisation quant à la période de crise aurait été préférable à une stigmatisation de la responsabilité des collectivités. Celles-ci veulent bien assumer leur part de responsabilité, mais cela ne doit pas pour autant exonérer celle de l'Etat. Il est primordial que les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales soient apaisées, car quelle que soit leur tendance politique, les élus locaux se mobilisent sur le terrain pour répondre aux besoins et à la demande de services publics de nos concitoyens. Nous sommes, effectivement, dans une situation particulière dont il faut avoir pleinement conscience et chacun de nous devra prendre ses responsabilités, certes, mais je le répète, en étant attentif à la manière d'aborder le sujet.
Ma préoccupation des générations futures est aussi importante et je souligne à cet égard que nous avons été la première commune de Bretagne à s'engager dans un Agenda 21 dès 2006. Les élus locaux, auxquels j'appartiens, quelle que soit leur appartenance politique, ont le sentiment de faire le nécessaire pour mettre en place des services de proximité qui jouent leurs rôles auprès de nos concitoyens. Notre priorité, j'insiste, n'est donc pas de participer à l'inflation des dépenses, mais au contraire de maintenir la qualité du service auprès des usagers tout en contenant nos finances, ce qui est un exercice extrêmement difficile vous en conviendrez. Nous savons tous pertinemment que nous sommes entrés dans des temps difficiles, et que cela ne va pas aller en s'améliorant.
Il ne s'agit pas de pointer la responsabilité de tel ou tel acteur, mais au contraire, et sans faire preuve d'esprit partisan, de dire que la question de la dépense publique mérite d'être posée à l'ensemble des acteurs qu'il s'agisse de l'État, de la sécurité sociale ou des collectivités territoriales. Je n'ai pas d'autre souhait que celui d'arriver à se donner les moyens d'y répondre collectivement.