Je vous remercie de m'associer à votre réflexion sur le financement de la protection sociale. Je mesure le risque que vous prenez à soumettre la question à un fidèle partisan, non de la TVA sociale, mais de l'allègement des charges sociales !
On présente à tort la TVA sociale comme le point central du projet de loi de finances rectificative. Le vrai sujet est l'allègement des charges sociales, destiné à lutter contre le chômage. Dans un rapport de juin 1993, j'avais voulu, en tant que rapporteur général de la commission des finances, sonner l'alarme sur les enjeux de la mondialisation. J'y pressentais la connivence, sinon le complot, entre les acteurs économiques du marché, qui contraindrait les producteurs à la délocalisation. Comme si les consommateurs et les producteurs étaient opposés ! Comme si le pouvoir d'achat ne provenait pas du travail ! Le niveau d'endettement public est lié au déficit commercial, qui a atteint 70 milliards d'euros en 2011. L'indépendance commerciale de notre pays est en jeu.
A l'époque à la fois expert-comptable et maire, je souffrais de schizophrénie en conseillant aux entreprises de délocaliser leurs activités, tout en travaillant à la création d'emplois et au renforcement du pouvoir d'achat dans ma commune. Dès 1993, mon rapport soulignait que, si la mondialisation était une chance, elle mettait aussi en danger la cohésion sociale.
La TVA sociale ne réglera pas à elle seule le problème de l'emploi mais constituera un outil. Alors que le taux de prélèvements obligatoires en France est un des plus élevés de l'OCDE et que la monnaie unique interdit la dévaluation, se pose la question de la compétitivité des entreprises et des cotisations pesant sur le travail. Est-il logique d'asseoir le financement de la politique familiale et de l'assurance maladie sur les salaires ? Je ne le crois pas. En revanche, il est logique d'assurer le financement des retraites, de l'assurance chômage et des risques professionnels sur les salaires. De nouveaux modes de financement des branches famille et maladie doivent être trouvés. J'entends qu'on pourrait mettre en place un impôt payé par les entreprises. Mais n'y a-t-il pas une part d'impôt dans le prix payé actuellement par le consommateur ? On a discuté en son temps des parts respectives à mettre à la charge de l'entreprise et du consommateur pour le financement de la taxe carbone. C'est une vue de l'esprit : le consommateur aurait in fine payé la partie dévolue à l'entreprise.
Je me réjouis de ce débat, après avoir vécu comme un drame la condamnation de la TVA sociale au soir du premier tour des élections législatives de 2007. A l'époque, la polémique l'avait emporté. Si l'on admet que seuls les Français doivent financer la protection sociale, quel impôt choisir ? Le produit supplémentaire de l'impôt sur le revenu sera nécessaire à la réduction de l'endettement. L'impôt sur le patrimoine ne bénéficie pas de marge d'augmentation suffisante pour fournir les dizaines de milliards d'euros nécessaires au financement de la protection sociale. Le troisième impôt possible est donc l'impôt sur la consommation. On objecte qu'il est injuste car il pèse sur les plus faibles. Mais y a-t-il plus grande justice que de permettre à tous de reprendre le chemin de l'emploi ? La taxe sur les salaires, équivalent d'un droit de douane intérieur, accélère les délocalisations. Au contraire, ce sont les importations que l'on taxerait avec la TVA sociale. C'est cette solution que l'on doit privilégier.
Sans ajustement monétaire possible dans la zone euro, la TVA sociale est la seule dévaluation envisageable. J'entends que les salaires ne correspondent souvent qu'à 15 % des dépenses d'exploitation des entreprises. Mais ces frais de personnel ont un impact sur toutes les autres dépenses, qu'il s'agisse de l'achat de matières premières ou de prestations de services.
Les chefs d'entreprises vont-ils profiter de l'allègement des cotisations sociales pour augmenter leurs marges bénéficiaires ? Si la concurrence ou le souci de la cohésion sociale ne les en dissuadent pas, il reviendra à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de mener des actions pour le faire.
On estime que l'allègement des cotisations sociales et la hausse de la TVA conduiront à une diminution des coûts de production de 5 % en France, sans augmentation du prix de vente. En revanche, l'augmentation de la TVA sera répercutée sur les produits importés.
J'ignore si la mesure proposée créera des emplois. On dit que les écarts de coût du travail sont trop élevés entre la France et les pays émergents. Mais ne rien faire, c'est accepter la dévitalisation du système de production comme une fatalité. Je suis engagé dans une croisade en faveur non pas de la TVA sociale, mais de l'allègement des charges sociales.
Les normes qui pèsent sur les entreprises, tant au niveau national qu'européen, se multiplient et sont une autre forme de contrainte. Le préfet de Mayenne me demandait ainsi récemment de lui transmettre la carte du bruit du département, en application d'une directive européenne de 2002 ! Veillons à ne pas ériger des règles qui activeraient des dépenses publiques ou freineraient la compétitivité des entreprises.
Nous devons également orienter le dialogue social vers les voies et moyens nécessaires à la création d'emplois plutôt que vers le traitement du chômage. C'est en renforçant la compétitivité que les acteurs économiques retrouveront de la confiance.
Je regrette néanmoins que ces mesures soient examinées en fin de législature, à la veille des élections présidentielles. Chaque année, au moment du débat d'orientation des finances publiques et de l'examen de la loi de finances initiale, je soulève la question du financement de la protection sociale et propose de substituer un supplément de TVA aux cotisations sociales. Le texte arrive trop tard dans la législature. Je plaide également pour une mesure plus lisible que la hausse annoncée de 1,6 point. Pourquoi ne pas choisir un chiffre simple et rond et fixer le taux de TVA à 21 % ou 22 % ?
Tout l'intérêt est néanmoins dans le débat, même s'il ne se déroule pas dans des conditions optimales. Pourquoi, en effet, voter maintenant des mesures qui ne seront appliquées qu'à l'automne ? Cela dit, il faut souligner la volonté d'alléger les cotisations sociales. Dès 1987, les Danois ont supprimé les cotisations sociales et porté la TVA à 25 % dans un consensus social total. En 2007, les Allemands ont à leur tour allégé les cotisations sociales et instauré un supplément de TVA de trois points - deux points pour financer le déficit et un point pour compenser les allégements.
Une meilleure régulation des dépenses sociales est également nécessaire. Si l'on veut bien admettre que la dépendance sera un grand sujet des prochaines années, la révision des droits de succession constituera une solution. La régulation des hôpitaux, quant à elle, suppose des systèmes d'information plus fiables : certaines modalités de pilotage datées doivent être modernisées pour que les arbitrages soient rendus avec plus de lucidité.