Nous accueillons aujourd'hui Jean Arthuis, ardent défenseur de la TVA sociale.
Vous êtes depuis longtemps un fervent partisan de la TVA sociale. Pouvez-vous nous présenter rapidement les arguments qui vous conduisent à soutenir une telle réforme ?
Que pensez-vous de la mesure proposée par le Gouvernement dans le collectif budgétaire ?
Croyez-vous vraiment que l'on peut écarter le risque inflationniste pourtant envisagé par beaucoup d'experts ? La possibilité de créer, grâce à la mesure, cent mille emplois vous paraît-elle crédible ?
Comment, selon vous, devrait-on financer, de manière optimale, la protection sociale ?
Pensez-vous que notre modèle de protection sociale peut être maintenu dans les conditions actuelles dès lors que l'on parvient à augmenter les recettes qui le financent, ou bien faudra-t-il revenir sur certaines de ses modalités ?
Je vous remercie de m'associer à votre réflexion sur le financement de la protection sociale. Je mesure le risque que vous prenez à soumettre la question à un fidèle partisan, non de la TVA sociale, mais de l'allègement des charges sociales !
On présente à tort la TVA sociale comme le point central du projet de loi de finances rectificative. Le vrai sujet est l'allègement des charges sociales, destiné à lutter contre le chômage. Dans un rapport de juin 1993, j'avais voulu, en tant que rapporteur général de la commission des finances, sonner l'alarme sur les enjeux de la mondialisation. J'y pressentais la connivence, sinon le complot, entre les acteurs économiques du marché, qui contraindrait les producteurs à la délocalisation. Comme si les consommateurs et les producteurs étaient opposés ! Comme si le pouvoir d'achat ne provenait pas du travail ! Le niveau d'endettement public est lié au déficit commercial, qui a atteint 70 milliards d'euros en 2011. L'indépendance commerciale de notre pays est en jeu.
A l'époque à la fois expert-comptable et maire, je souffrais de schizophrénie en conseillant aux entreprises de délocaliser leurs activités, tout en travaillant à la création d'emplois et au renforcement du pouvoir d'achat dans ma commune. Dès 1993, mon rapport soulignait que, si la mondialisation était une chance, elle mettait aussi en danger la cohésion sociale.
La TVA sociale ne réglera pas à elle seule le problème de l'emploi mais constituera un outil. Alors que le taux de prélèvements obligatoires en France est un des plus élevés de l'OCDE et que la monnaie unique interdit la dévaluation, se pose la question de la compétitivité des entreprises et des cotisations pesant sur le travail. Est-il logique d'asseoir le financement de la politique familiale et de l'assurance maladie sur les salaires ? Je ne le crois pas. En revanche, il est logique d'assurer le financement des retraites, de l'assurance chômage et des risques professionnels sur les salaires. De nouveaux modes de financement des branches famille et maladie doivent être trouvés. J'entends qu'on pourrait mettre en place un impôt payé par les entreprises. Mais n'y a-t-il pas une part d'impôt dans le prix payé actuellement par le consommateur ? On a discuté en son temps des parts respectives à mettre à la charge de l'entreprise et du consommateur pour le financement de la taxe carbone. C'est une vue de l'esprit : le consommateur aurait in fine payé la partie dévolue à l'entreprise.
Je me réjouis de ce débat, après avoir vécu comme un drame la condamnation de la TVA sociale au soir du premier tour des élections législatives de 2007. A l'époque, la polémique l'avait emporté. Si l'on admet que seuls les Français doivent financer la protection sociale, quel impôt choisir ? Le produit supplémentaire de l'impôt sur le revenu sera nécessaire à la réduction de l'endettement. L'impôt sur le patrimoine ne bénéficie pas de marge d'augmentation suffisante pour fournir les dizaines de milliards d'euros nécessaires au financement de la protection sociale. Le troisième impôt possible est donc l'impôt sur la consommation. On objecte qu'il est injuste car il pèse sur les plus faibles. Mais y a-t-il plus grande justice que de permettre à tous de reprendre le chemin de l'emploi ? La taxe sur les salaires, équivalent d'un droit de douane intérieur, accélère les délocalisations. Au contraire, ce sont les importations que l'on taxerait avec la TVA sociale. C'est cette solution que l'on doit privilégier.
Sans ajustement monétaire possible dans la zone euro, la TVA sociale est la seule dévaluation envisageable. J'entends que les salaires ne correspondent souvent qu'à 15 % des dépenses d'exploitation des entreprises. Mais ces frais de personnel ont un impact sur toutes les autres dépenses, qu'il s'agisse de l'achat de matières premières ou de prestations de services.
Les chefs d'entreprises vont-ils profiter de l'allègement des cotisations sociales pour augmenter leurs marges bénéficiaires ? Si la concurrence ou le souci de la cohésion sociale ne les en dissuadent pas, il reviendra à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de mener des actions pour le faire.
On estime que l'allègement des cotisations sociales et la hausse de la TVA conduiront à une diminution des coûts de production de 5 % en France, sans augmentation du prix de vente. En revanche, l'augmentation de la TVA sera répercutée sur les produits importés.
J'ignore si la mesure proposée créera des emplois. On dit que les écarts de coût du travail sont trop élevés entre la France et les pays émergents. Mais ne rien faire, c'est accepter la dévitalisation du système de production comme une fatalité. Je suis engagé dans une croisade en faveur non pas de la TVA sociale, mais de l'allègement des charges sociales.
Les normes qui pèsent sur les entreprises, tant au niveau national qu'européen, se multiplient et sont une autre forme de contrainte. Le préfet de Mayenne me demandait ainsi récemment de lui transmettre la carte du bruit du département, en application d'une directive européenne de 2002 ! Veillons à ne pas ériger des règles qui activeraient des dépenses publiques ou freineraient la compétitivité des entreprises.
Nous devons également orienter le dialogue social vers les voies et moyens nécessaires à la création d'emplois plutôt que vers le traitement du chômage. C'est en renforçant la compétitivité que les acteurs économiques retrouveront de la confiance.
Je regrette néanmoins que ces mesures soient examinées en fin de législature, à la veille des élections présidentielles. Chaque année, au moment du débat d'orientation des finances publiques et de l'examen de la loi de finances initiale, je soulève la question du financement de la protection sociale et propose de substituer un supplément de TVA aux cotisations sociales. Le texte arrive trop tard dans la législature. Je plaide également pour une mesure plus lisible que la hausse annoncée de 1,6 point. Pourquoi ne pas choisir un chiffre simple et rond et fixer le taux de TVA à 21 % ou 22 % ?
Tout l'intérêt est néanmoins dans le débat, même s'il ne se déroule pas dans des conditions optimales. Pourquoi, en effet, voter maintenant des mesures qui ne seront appliquées qu'à l'automne ? Cela dit, il faut souligner la volonté d'alléger les cotisations sociales. Dès 1987, les Danois ont supprimé les cotisations sociales et porté la TVA à 25 % dans un consensus social total. En 2007, les Allemands ont à leur tour allégé les cotisations sociales et instauré un supplément de TVA de trois points - deux points pour financer le déficit et un point pour compenser les allégements.
Une meilleure régulation des dépenses sociales est également nécessaire. Si l'on veut bien admettre que la dépendance sera un grand sujet des prochaines années, la révision des droits de succession constituera une solution. La régulation des hôpitaux, quant à elle, suppose des systèmes d'information plus fiables : certaines modalités de pilotage datées doivent être modernisées pour que les arbitrages soient rendus avec plus de lucidité.
Vous avez évoqué deux aspects de la TVA sociale : la compétitivité et le financement de la protection sociale. Vous avez cité l'impôt sur le revenu, l'impôt sur le patrimoine et l'impôt sur la consommation. Mais vous avez omis la CSG, dont l'assiette large et le taux faible en font un impôt efficace. Quel peut être, selon vous, le rôle de la CSG dans le financement de la protection sociale ?
La fiscalisation de la protection sociale progresse chaque année. Les cotisations sociales ne suffisent plus. Nous l'avons vu avec la CSG : sa dénomination n'était qu'une convention de langage destinée à respecter le souhait des partenaires sociaux. Elle était en fait un impôt sur le revenu. C'est un bon impôt, qu'il va falloir articuler avec l'impôt progressif.
Pourquoi un impôt sur la consommation ? Je ne crois pas à la démondialisation. Adaptons-nous à la mondialisation pour éviter la fuite du travail. Avec la TVA sociale, il sera possible de récupérer de la compétitivité et d'exporter à des prix inférieurs. Doit-on inclure le coût de la protection sociale dans les exportations ? Non, nous devons la financer à hauteur du revenu que nous créons.
Comme le rapporteur général, je pense que nous devons réduire le nombre des impôts. Quant au taux de TVA, il faut aussi veiller à l'établir à un niveau permettant d'éviter le développement d'une économie informelle. Prenons exemple sur les pays nordiques, d'inspiration sociale-démocrate, qui ont déjà des taux élevés d'impôt sur la consommation.
Enfin, nous avons besoin d'une présentation consolidée des prélèvements obligatoires. Par exemple, le débat sur l'assurance vie est actuellement dispersé entre le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances. Une vision cohérente est nécessaire à la prise de décision.
Adepte de la TVA sociale, je souscris à votre analyse. Vous regrettez sa mise en oeuvre tardive mais, vous l'avez rappelé, la polémique de 2007 a interdit de réengager le débat en dehors d'une période de crise.
Dans quelle mesure pouvons-nous prendre le temps nécessaire pour améliorer le système ? Peut-être aurions-nous intérêt à nous en tenir à trois taux de TVA. Le premier à 6,5 % serait la moyenne des taux actuels de 5,5 % et 7 %, son produit supplémentaire compensant les allègements de charges ; le deuxième constituerait un taux intermédiaire ; le dernier, s'élevant à 25 % par exemple, concernerait les produits de luxe et les nouveaux produits importés. La taxation de la consommation serait proportionnelle aux revenus de chacun, ce qui serait plus facile à expliquer à la population.
Je ne suis pas convaincu par vos arguments. En augmentant la TVA, nous soumettons la consommation à un impôt injuste. L'opération, compensée par un allègement des charges sociales, serait indolore. Or, l'impôt le plus juste porte sur le revenu, y compris la CSG, qui permet de moduler les charges en fonction des ressources. Nous avons besoin de davantage de précisions pour nous forger une opinion.
Qu'en est-il de la CSG sur les revenus immobiliers modestes qui ampute la retraite des petits commerçants ?
Nous devons nous interroger sur la pertinence des termes que nous employons. La protection sociale est-elle une charge ou un investissement ? La difficulté résulte du fait que nous essayons de trouver un équilibre entre deux notions opposées : des prescriptions libérales et des prises en charge socialisées. Avons-nous tout tenté pour responsabiliser les acteurs ? La modification des comportements est-elle possible ?
Votre politique est claire : elle est fondée sur l'exonération des cotisations sociales pour créer de l'emploi. Malheureusement, l'expérience, notamment en période de crise, prouve le contraire.
Les mots ont de l'importance : la TVA est antisociale, puisqu'elle touche les populations les plus fragilisées. Comment justifier, en période de crise, de taxer une consommation que l'on veut dynamique ? C'est illogique !
Des solutions alternatives existent. Beaucoup d'entreprises bénéficient de subventions publiques. Elles doivent être suspendues en cas de licenciements. Il faut aussi mettre fin aux exonérations de cotisations sociales. La protection sociale doit être financée par les salaires et les revenus financiers. Si la proposition de loi relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, que nous venons d'examiner, était appliquée, la pénalité versée par les entreprises réduirait de moitié le déficit de la sécurité sociale !
Vous semblez frileux sur les mesures annoncées, déçu par le taux de 1,6 point et sceptique sur leur application en octobre prochain. Vous vous dites défavorable à une hausse des cotisations sociales. Mais il nous faut plus d'éclairages sur le financement de la protection sociale.
Peu d'entre nous croyons à la démondialisation. Vous avez parlé d'adaptation : doit-elle signifier un alignement vers le bas ? Jusqu'à quand serons-nous de simples spectateurs, alors que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et le Bureau international du travail (BIT) pourraient imposer des normes sociales ? Nous nous éloignons du débat en évoquant la compétitivité. Nous devons oeuvrer pour une mondialisation à visage humain et ne pas nous résoudre à un alignement vers le bas !
Après le réquisitoire de Thomas Piketty qui estime la TVA sociale inflationniste et aveugle, nous entendons votre analyse sur la baisse du coût du travail. Mais je note un point commun à vos discours : la TVA sociale semble favoriser la compétitivité.
D'autres schémas de financement de la protection sociale existent : la cotisation patronale généralisée et la prise en charge des charges sociales par les entreprises dans leurs frais généraux. Quelle est votre approche de ces deux systèmes ?
Trop pour certains, trop peu pour d'autres ! Pour tous, la proposition du Gouvernement n'est pas à la hauteur des enjeux. Thomas Piketty nous a indiqué que 230 milliards d'euros seraient nécessaires pour alléger les entreprises des cotisations d'assurance maladie et de la famille. Les mesures proposées sont infinitésimales et n'auront aucun impact sur la compétitivité.
Comme Michel Vergoz, je me demande pourquoi les règles environnementales et sociales ne sont pas appliquées par l'OMC. Les règles de l'Organisation internationale du travail (OIT) seront-elles un jour sanctionnées, grâce à une coopération entre l'OMC et l'OIT ?
La TVA sociale telle qu'elle est proposée aujourd'hui est, selon moi, un galop d'essai. La tentation d'agiter les peurs m'atterre. Si nous ne faisons rien, nous entamerons une trajectoire de déclin. Je ne suis pas élu pour ça.
S'agissant de l'allègement des cotisations salariales, on a déjà supprimé huit points de cotisations maladie pour créer six points de CSG, étendue aux revenus du patrimoine, du capital et aux revenus fonciers. Dix ans après l'élargissement de l'assiette, il reste 0,75 point à faire disparaître des cotisations salariales. Quant aux deux points de CSG supplémentaires pour les petits commerçants, ils devront être intégralement payés.
Je ne suis pas favorable à la coexistence de trois taux, à 5,5 %, 7 % et 25 %. A l'avenir, il faudra envisager un taux intermédiaire de 12 % pour les activités de proximité - réparation automobile ou restauration - afin d'éviter le développement d'une économie parallèle.
Monsieur Jeannerot, la TVA n'est, selon vous, pas un bon impôt. Mais les cotisations sociales pèsent sur tous, y compris les bénéficiaires de minima sociaux. Au contraire, la TVA sociale est d'abord à la charge des importations et elle allège les exportations. Ceux qui gagnent le plus d'argent sont ceux qui distribuent des produits importés. Renforcer la compétitivité est fondamental. La production au sein des ateliers des prisons françaises n'est-elle pas une forme de délocalisation interne ?
Monsieur Teulade, qu'il s'agisse d'une charge ou d'un investissement, la protection sociale a un coût dont il faut assurer le financement. Les prestations sociales peuvent constituer un filet de sécurité minimal assorti d'un système assurantiel. Elles peuvent aussi être un système de protection générale. J'attends de votre commission qu'elle définisse les parts respectives du système assurantiel et de la protection générale. A mon sens, une partie devra être étatisée, les partenaires sociaux ne pilotant actuellement pas le système.
Sur les réserves de Mme Cohen, je préférerais qu'il soit mis fin aux subventions publiques et que les impôts sur les entreprises soient allégés, d'autant qu'à mon sens, les subventions financent le plus souvent des surcoûts qui leur sont imposés et faussent les prix. En outre, les banques et les assurances ne sont pas soumises à la TVA mais à la taxe sur les salaires atteignant 14 %. Il faut prendre garde à la délocalisation de ces activités, c'est déjà le cas à la City de Londres notamment.
Monsieur Vergoz, il n'est pas question que la mondialisation nous tire vers le bas. Deux types d'Etats coexistent. Les premiers perdent leur activité productive mais maintiennent leur niveau de consommation : ils sont donc caractérisés par leur dette souveraine. Les seconds, dits émergents, produisent plus qu'ils ne consomment : ils accumulent les fonds souverains. A tort, nous avons longtemps cru que l'endettement souverain était infini : il suffit de voir la situation de la Grèce pour comprendre que le souverain est le créancier. En tant que ministre, j'ai été amené à présenter, en G7, notre modèle social : on m'opposait déjà les limites de son financement. Les règles de l'OMC et de l'OIT constituent des gages, mais gardons-nous de tout angélisme. Certaines activités ne peuvent plus être accomplies sur le territoire national. Le G20 peut faire des déclarations, mais n'attendons pas que les grandes organisations règlent nos problèmes !
L'impôt sur la marge bénéficiaire est en fait une taxe sur la valeur ajoutée, c'est-à-dire sur les salaires, les charges sociales et les bénéfices. Faut-il courir le risque de son optimisation par les grands groupes ?
Monsieur Vanlerenberghe, une partie des charges sociales est actuellement payée par la puissance publique, une partie des charges des entreprises est déjà exonérée. Le basculement des charges vers la TVA devrait être, à mon sens, de 50 milliards, soit cinq points de TVA.