Intervention de Jean Arthuis

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 mars 2012 : 1ère réunion
Avenir de la zone euro — Communication

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis :

Merci à vous de me permettre de vous présenter les conclusions du rapport que j'ai remis hier à François Fillon, dont la lettre de mission qui m'engageait à une réflexion sur l'avenir de la zone euro portait deux questions. Quelle gouvernance ? Quelles institutions pour assurer une stabilité durable de la zone ?

La situation est paradoxale : l'euro se porte bien, mais la zone euro est en crise. C'est peu dire que l'euro n'a pas répondu à toutes les espérances qui poussaient à hâter le passage à la monnaie unique et prédisaient qu'avec l'euro, l'Europe était appelée à devenir l'espace économique le plus compétitif du monde. Quelle déception aujourd'hui !

Certes, la monnaie unique a mis fin au jeu des dévaluations compétitives entre les pays de la zone. Dès lors que l'on s'engagea, la voie de l'approfondissement politique restant fermée, vers l'approfondissement du marché unique, l'instabilité des monnaies posait, de fait, problème. La monnaie unique fut la parade. Mais, en l'absence de gouvernance, l'attelage de départ resta fort léger : on se dota d'un simple règlement de copropriété de l'euro.

Pour des États qui acquittaient des taux d'intérêts très élevés, comme la Grèce, ce fut un desserrement. S'ouvrit alors une époque d'euphorie qui a masqué, sous une apparence d'équilibre d'ensemble de la balance courante européenne, de fortes disparités entre Etats. Une époque où l'on n'hésita pas - à commencer par l'Allemagne et la France - à faire fi du pacte de stabilité et de croissance ; une époque où tel président de la Commission n'hésitait pas à qualifier ce pacte de « stupide », où tel ministre des finances estimait que l'on avait « autre chose à faire » que de s'en préoccuper, où tel ministre de la Défense considérait que les crédits de la défense nationale, ou de la recherche, pourraient bien être retirés du périmètre. Epoque où la Commission européenne se montra fort accommodante, et renonça à la surveillance, sous la pression du Conseil des chefs d'État et de gouvernement, où les marchés eux-mêmes furent pris par l'illusion ambiante. Bref, l'euro faisait office de sédatif.

Et c'est ainsi que les déficits se sont accumulés. Sous l'effet d'une addiction à la dépense, la dette publique s'est envolée. Il est vrai que l'euro fut d'abord un amortisseur à la crise de 2008, mais du même coup, l'illusion s'est prolongée, pour finir par déboucher, en 2009, sur une crise des dettes souveraines. La Grèce maquillait ses comptes publics ? On laissait faire. Peut-être avait-on eu tort de la laisser entrer dans l'euro, mais on a eu plus tort encore de n'assurer, ensuite, aucun contrôle. Les Jeux olympiques, les contrats d'armement ont fait paravent, mais pas pour les marchés qui, prenant conscience de la situation, sont sortis de l'anesthésie.

C'est alors que l'on a inventé, dans l'urgence, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), puis le Mécanisme européen de stabilité (MES). C'est alors que les chefs d'État et de gouvernement ont multiplié les sommets, alors que la Commission a imaginé le six pack, le two pack, l'euro plus, qui ouvrent voie aux réquisits nouveaux du traité. Ce fut aussi l'époque où l'on imagina une troïka pour l'aide à la Grèce, qui associait Commission européenne, FMI et BCE. Mais était-ce le rôle d'une banque centrale indépendante que d'émettre des préconisations dans une opération de redressement ? Et pourquoi en appela-t-on au FMI, sinon par manque d'experts capables de tenir un langage de vérité, quand les ministres des finances de la zone eux-mêmes s'en étaient exonérés ?

Le six pack, en 2009, marqua le début de la sagesse, un début de réponse au surendettement. Jusque là, rien ne se passait pour le pays qui franchissait le seuil des 60 % d'endettement. Mais il reste à réduire les écarts de compétitivité entre ceux qui avancent de plus en plus vite et ceux qui creusent l'écart dans l'autre sens. Se serait-on attelé à la correction des déséquilibres macroéconomiques que l'on n'aurait pas laissé sans réagir l'Espagne s'engouffrer dans une bulle immobilière, ni l'Irlande se passer d'un contrôle systémique sur ses banques.

Au six pack, alors en cours de discussion, se sont ajoutés, au premier semestre 2011, l'euro plus et le semestre européen. Autant d'instruments de remise en ordre de marche, dont l'ensemble doit être consacré par le traité - dont certains États membres restent cependant à l'écart - qui prévoit que le déficit structurel ne doit pas dépasser, hors mesures temporaires, 0,5 % du PIB, une règle sévère. Sont également prévues des mesures d'encadrement en matière d'excédents et de déficits commerciaux. Un instrument de gestion des crises est créé, le Mécanisme européen de stabilité, le MES, assorti d'une « task force » qui mêle fonctionnaires de la Commission, de Bercy, et du ministère allemand des finances.

L'idée de gouvernance émerge alors que les chefs d'État et de gouvernement se réunissent, pour la première fois à la veille d'un G20, en octobre 2008, en pleine crise mondiale. Puis elle fait son chemin, on crée un président du conseil européen, mais l'idée d'une « commission de la zone euro » échoue devant le Parlement européen. On engage des initiatives, on imagine un Livre vert, conçu par la Commission, sur les obligations de stabilité, on réfléchit à une taxe à l'échelle de l'Europe sur les transactions financières, à des initiatives en faveur des PME, au rapprochement des assiettes et des taux de l'impôt sur les sociétés, on se demande quelles dispositions seraient propres à accélérer non seulement l'intégration des marchés et la mobilité, mais aussi la régulation - c'est le rapport Larosière.

Plusieurs États membres engagent des efforts structurels. L'Allemagne s'oblige constitutionnellement à ramener son déficit structurel en dessous de 0,35 % du PIB en 2016, et prévoit un retour à l'équilibre des Länder pour 2020. L'Italie, État en difficulté, lance un « salve Italia » pour le retour à l'équilibre budgétaire en 2013 et le plan Monti de janvier 2012 entreprend de lutter, pour la croissance, contre l'insuffisance de la concurrence et l'inadéquation des infrastructures - une application du rapport Attali, en quelque sorte... La France légifère pour définir des procédures d'encadrement budgétaire, l'Espagne adapte ses règles d'équilibre. Bref, les pays de la zone s'engagent dans un effort de maîtrise de la dépense et d'amélioration de leur compétitivité.

Il faut aller plus loin dans cette direction, vers une gouvernance lisible, compréhensible, effective, vers un niveau d'obligation et de solidarité mutuelle entre États membres de la zone euro sans commune mesure avec celle du marché intérieur à vingt-sept. L'Europe se décline en deux cercles, celui des vingt-sept, celui des dix-sept. Dans l'Eurogroupe, il n'est pas de possibilité d'ajustement monétaire et l'on ne peut se désintéresser de ce qui se passe chez les voisins : les dix-sept sont solidairement responsables. Y compris la Grèce.

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