La commission entend une communication de M. Jean Arthuis sur les conclusions de la mission, que lui a confiée le Premier ministre, sur l'avenir de la zone euro.
Merci à Jean Arthuis de nous réserver la primeur des conclusions de son rapport sur l'avenir de l'Europe dont le sous-titre, « l'intégration politique ou le chaos », annonce d'emblée la couleur et promet d'ouvrir bien des pistes. D'autant que, pas plus tard qu'hier au soir, les compteurs ont recommencé de s'agiter sur les marchés, comme si l'initiative d'une BCE enfin capable d'imagination n'avait pourtant encore apporté qu'une fausse accalmie.
Merci à vous de me permettre de vous présenter les conclusions du rapport que j'ai remis hier à François Fillon, dont la lettre de mission qui m'engageait à une réflexion sur l'avenir de la zone euro portait deux questions. Quelle gouvernance ? Quelles institutions pour assurer une stabilité durable de la zone ?
La situation est paradoxale : l'euro se porte bien, mais la zone euro est en crise. C'est peu dire que l'euro n'a pas répondu à toutes les espérances qui poussaient à hâter le passage à la monnaie unique et prédisaient qu'avec l'euro, l'Europe était appelée à devenir l'espace économique le plus compétitif du monde. Quelle déception aujourd'hui !
Certes, la monnaie unique a mis fin au jeu des dévaluations compétitives entre les pays de la zone. Dès lors que l'on s'engagea, la voie de l'approfondissement politique restant fermée, vers l'approfondissement du marché unique, l'instabilité des monnaies posait, de fait, problème. La monnaie unique fut la parade. Mais, en l'absence de gouvernance, l'attelage de départ resta fort léger : on se dota d'un simple règlement de copropriété de l'euro.
Pour des États qui acquittaient des taux d'intérêts très élevés, comme la Grèce, ce fut un desserrement. S'ouvrit alors une époque d'euphorie qui a masqué, sous une apparence d'équilibre d'ensemble de la balance courante européenne, de fortes disparités entre Etats. Une époque où l'on n'hésita pas - à commencer par l'Allemagne et la France - à faire fi du pacte de stabilité et de croissance ; une époque où tel président de la Commission n'hésitait pas à qualifier ce pacte de « stupide », où tel ministre des finances estimait que l'on avait « autre chose à faire » que de s'en préoccuper, où tel ministre de la Défense considérait que les crédits de la défense nationale, ou de la recherche, pourraient bien être retirés du périmètre. Epoque où la Commission européenne se montra fort accommodante, et renonça à la surveillance, sous la pression du Conseil des chefs d'État et de gouvernement, où les marchés eux-mêmes furent pris par l'illusion ambiante. Bref, l'euro faisait office de sédatif.
Et c'est ainsi que les déficits se sont accumulés. Sous l'effet d'une addiction à la dépense, la dette publique s'est envolée. Il est vrai que l'euro fut d'abord un amortisseur à la crise de 2008, mais du même coup, l'illusion s'est prolongée, pour finir par déboucher, en 2009, sur une crise des dettes souveraines. La Grèce maquillait ses comptes publics ? On laissait faire. Peut-être avait-on eu tort de la laisser entrer dans l'euro, mais on a eu plus tort encore de n'assurer, ensuite, aucun contrôle. Les Jeux olympiques, les contrats d'armement ont fait paravent, mais pas pour les marchés qui, prenant conscience de la situation, sont sortis de l'anesthésie.
C'est alors que l'on a inventé, dans l'urgence, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), puis le Mécanisme européen de stabilité (MES). C'est alors que les chefs d'État et de gouvernement ont multiplié les sommets, alors que la Commission a imaginé le six pack, le two pack, l'euro plus, qui ouvrent voie aux réquisits nouveaux du traité. Ce fut aussi l'époque où l'on imagina une troïka pour l'aide à la Grèce, qui associait Commission européenne, FMI et BCE. Mais était-ce le rôle d'une banque centrale indépendante que d'émettre des préconisations dans une opération de redressement ? Et pourquoi en appela-t-on au FMI, sinon par manque d'experts capables de tenir un langage de vérité, quand les ministres des finances de la zone eux-mêmes s'en étaient exonérés ?
Le six pack, en 2009, marqua le début de la sagesse, un début de réponse au surendettement. Jusque là, rien ne se passait pour le pays qui franchissait le seuil des 60 % d'endettement. Mais il reste à réduire les écarts de compétitivité entre ceux qui avancent de plus en plus vite et ceux qui creusent l'écart dans l'autre sens. Se serait-on attelé à la correction des déséquilibres macroéconomiques que l'on n'aurait pas laissé sans réagir l'Espagne s'engouffrer dans une bulle immobilière, ni l'Irlande se passer d'un contrôle systémique sur ses banques.
Au six pack, alors en cours de discussion, se sont ajoutés, au premier semestre 2011, l'euro plus et le semestre européen. Autant d'instruments de remise en ordre de marche, dont l'ensemble doit être consacré par le traité - dont certains États membres restent cependant à l'écart - qui prévoit que le déficit structurel ne doit pas dépasser, hors mesures temporaires, 0,5 % du PIB, une règle sévère. Sont également prévues des mesures d'encadrement en matière d'excédents et de déficits commerciaux. Un instrument de gestion des crises est créé, le Mécanisme européen de stabilité, le MES, assorti d'une « task force » qui mêle fonctionnaires de la Commission, de Bercy, et du ministère allemand des finances.
L'idée de gouvernance émerge alors que les chefs d'État et de gouvernement se réunissent, pour la première fois à la veille d'un G20, en octobre 2008, en pleine crise mondiale. Puis elle fait son chemin, on crée un président du conseil européen, mais l'idée d'une « commission de la zone euro » échoue devant le Parlement européen. On engage des initiatives, on imagine un Livre vert, conçu par la Commission, sur les obligations de stabilité, on réfléchit à une taxe à l'échelle de l'Europe sur les transactions financières, à des initiatives en faveur des PME, au rapprochement des assiettes et des taux de l'impôt sur les sociétés, on se demande quelles dispositions seraient propres à accélérer non seulement l'intégration des marchés et la mobilité, mais aussi la régulation - c'est le rapport Larosière.
Plusieurs États membres engagent des efforts structurels. L'Allemagne s'oblige constitutionnellement à ramener son déficit structurel en dessous de 0,35 % du PIB en 2016, et prévoit un retour à l'équilibre des Länder pour 2020. L'Italie, État en difficulté, lance un « salve Italia » pour le retour à l'équilibre budgétaire en 2013 et le plan Monti de janvier 2012 entreprend de lutter, pour la croissance, contre l'insuffisance de la concurrence et l'inadéquation des infrastructures - une application du rapport Attali, en quelque sorte... La France légifère pour définir des procédures d'encadrement budgétaire, l'Espagne adapte ses règles d'équilibre. Bref, les pays de la zone s'engagent dans un effort de maîtrise de la dépense et d'amélioration de leur compétitivité.
Il faut aller plus loin dans cette direction, vers une gouvernance lisible, compréhensible, effective, vers un niveau d'obligation et de solidarité mutuelle entre États membres de la zone euro sans commune mesure avec celle du marché intérieur à vingt-sept. L'Europe se décline en deux cercles, celui des vingt-sept, celui des dix-sept. Dans l'Eurogroupe, il n'est pas de possibilité d'ajustement monétaire et l'on ne peut se désintéresser de ce qui se passe chez les voisins : les dix-sept sont solidairement responsables. Y compris la Grèce.
On n'a jamais demandé au Parlement français son avis chaque fois que la France a pris des engagements financiers vis-à-vis des Etats en difficulté.
La nécessité n'en est que plus grande du contrôle. L'entrée dans l'euro est un billet à sens unique. L'erreur n'est pas tant d'avoir ouvert l'entrée dans l'euro à la Grèce, que de l'avoir laissée, sans se préoccuper des obligations qui y étaient attachées, creuser ses déficits.
Je plaide donc pour une pleine gouvernance de la zone euro. Pour qu'Eurostat devienne une agence statistique pleinement indépendante - et ma conviction ne date pas d'hier ; pour que les services statistiques des États membres jouissent d'une indépendance qui les place au-dessus de tout soupçon - est-il admissible que le directeur de l'équivalent grec de notre Insee soit poursuivi devant les juridictions pénales au motif qu'il a publié des chiffres qui ne siéent pas aux parlementaires ? Je plaide pour que les États, dès lors qu'ils entrent dans la zone euro, s'obligent à une présentation normalisée de leurs chiffres - recettes, dette, engagements hors bilan... - et usent d'une même procédure de certification. C'est à cette seule condition que l'on pourra agréger les comptes publics nationaux pour disposer d'un budget global de la zone euro afin que les ministres des finances puissent pétrir la pâte budgétaire. Pour que l'on puisse observer, ligne par ligne, si de vraies synergies se dessinent - en matière de recherche et développement, par exemple.
Pour les États récalcitrants, je ne crois pas tant aux vertus des contraintes financières du six pack - veut-on en venir à cette absurdité qu'il leur faudrait, pour les payer, se tourner vers le MES ? - qu'à celles de sanctions allant de restrictions d'accès aux fonds structurels jusqu'à la privation du droit de vote au sein de l'Eurogroupe. Je crois moins aux sanctions financières qu'à la transparence, à la publicité donnée aux actes répréhensibles.
Je plaide pour que les directeurs nationaux du budget soient associés aux conseils Ecofin : ce fut une erreur de les écarter au profit des gouverneurs des banques centrales nationales et des directeurs du Trésor. Je plaide pour que même rang de priorité soit donné aux mesures d'assainissement et de croissance, pour que les parlementaires nationaux s'engagent dans un agenda de réformes structurelles - retraites, flexibilité du marché du travail...
Je plaide pour que soient stabilisés les mécanismes de gestion de crise, afin de n'être plus pris, comme ce fut le cas pour la Grèce, au dépourvu. Pour un MES et une force d'intervention rapide qui exemptent du recours au FMI, lequel ne peut que compliquer l'exercice européen dès lors que le Fonds doit répondre aux préoccupations d'autres États, comme la Chine. Alors, le temps sera venu de parler d'eurobonds. Mais seulement quand la zone euro sera dotée d'une vraie gouvernance : ne mettons pas la charrue avant les boeufs.
Je plaide, enfin, pour une simplification de l'architecture institutionnelle. Unité, cohérence, pour nous mettre à l'abri de préjudiciables cacophonies. Au-delà, se pose la question d'un leadership identifié : une même personnalité pour présider la Commission et le Conseil européen, voire le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro. A la conférence interparlementaire où M. Marini et moi-même nous sommes rendus la semaine dernière à Bruxelles, nous avons entendu M. van Rompuy et M. Barroso parler d'une même voix. A quoi bon perpétuer cette dyarchie ?
De même, sans ministre des finances de la zone, pas de policy mix possible. Ce devrait être le président de l'Eurogroupe. On ne peut se satisfaire de confier cette présidence, comme on l'a fait jusqu'à présent, à l'un des ministres des finances de la zone. M. Juncker cumule les fonctions de Premier ministre et de ministre des finances du Luxembourg avec la présidence de l'Eurogroupe : comment serait-il pleinement disponible ? Sans parler du problème de conflit d'intérêt. Cela suppose d'officialiser l'Eurogroupe et de doter son ministre des finances, qui serait le vice-président de la Commission européenne chargé de l'euro, de services capables de mettre en oeuvre les dispositions du MES et de la task force. Voyez les moyens dont dispose Mme Ashton.
La différence, c'est que pour l'Eurogroupe, les objectifs sont clairs : stabilité financière et croissance. Le ministre des finances devrait pouvoir s'appuyer sur une sorte de secrétariat général au Trésor de la zone. Mme Ashton, encore une fois, peut compter sur 2 500 collaborateurs...
S'il s'agit d'enclencher un cercle vertueux, le jeu en vaut la chandelle. A l'heure actuelle, M. Juncker n'a pour secrétariat que son directeur du Trésor... Il ne serait pas inutile que chacun des États membres apporte son tribut de fonctionnaires. Car il est urgent de constituer un Trésor européen, ne serait-ce que pour coordonner les émissions de dette publique.
Je plaide pour une gouvernance effective dotée d'une légitimité démocratique. Et je ne parle pas d'une Cosac, d'une conférence interparlementaire ou des réunions des présidents des commissions des finances, faux alibis de démocratie, quand il faut une vraie surveillance à la zone. D'où l'idée d'une commission de surveillance de la zone, composée d'une centaine de représentants du Parlement européen et des parlements nationaux, capables d'assurer une mission permanente. Elle aurait aujourd'hui à mesurer, par exemple, si les remèdes proposés à la Grèce par la troïka sont soutenables dans la durée.
De la coordination dépend l'efficacité politique et, partant, la capacité à retrouver la croissance. Cette commission de surveillance pourrait être le lieu privilégié pour s'interroger sur la compatibilité entre les priorités du marché intérieur et les efforts pour accélérer la croissance. Car le fait est que ces priorités, où chacun y va de son coup de clairon - protection du consommateur, de l'environnement -, se traduisent souvent en un surcroît de dépenses publiques ou en freins à la compétitivité. C'est ainsi que le préfet de la Mayenne en est conduit à me demander de dresser une carte du bruit dans mon département, pour répondre à une ancienne directive de Bruxelles ! Un peu de cohérence ne ferait pas de mal !
Les dix premières années de l'euro, qui furent ses « années folles » - addiction à la dépense, excès de déficit s'y donnèrent libre cours - font, rétrospectivement, un peu honte. Comme si l'on n'avait pas compris qu'entrer dans la zone euro, c'était entrer dans un mécanisme de nature fédérale, appelant une vraie gouvernance. D'autant que la souveraineté, dans un monde globalisé, ne peut être qu'une souveraineté partagée, dont la première échelle est la zone euro. Nous ne pouvons faire marche arrière, au risque du chaos. N'oublions pas que les pères de l'Europe ont voulu y entrer pour assurer la paix.
Le nouveau traité doit être mis en oeuvre le plus vite possible. A qui parle de renégocier, je suis tenté de rappeler la campagne législative de 1997, où certains parlaient de renégocier le pacte de stabilité. Dominique Strauss-Kahn a vite fait, pourtant, de rejoindre les positions de Théo Waigel et cela a donné... la ratification du traité d'Amsterdam.
Ne demandons pas à l'Europe de régler nos problèmes à notre place. Elle a besoin d'une organisation institutionnelle lisible. Les gesticulations qui laissent croire que la souveraineté peut encore être nationale ne sont plus de mise : notre souveraineté ne peut plus être qu'européenne.
Je rappelle que les détenteurs de dette grecque ont jusqu'à demain pour dire s'ils acceptent l'échange proposé au secteur privé. Hier, le gouvernement grec a indiqué qu'il pourrait faire défaut à l'égard de ceux qui le refusent, ce qui pourrait activer les credit-default swaps (CDS). Par ailleurs, si les créanciers privés étaient trop peu nombreux à accepter le plan, celui-ci pourrait être abandonné. Même si un tel scenario de rupture est peu vraisemblable, le pays connaîtrait un défaut massif et désordonné - ce qui n'est pas le cas dans l'hypothèse d'un échange.
Votre analyse est, à bien des égards, plus que convaincante. La BCE a récemment, par un détour intelligent, calmé les marchés, mais ne peut-on craindre qu'en franchissant ainsi une limite, elle ne jette le doute sur les objectifs qu'elle poursuit ? En ce qui concerne les perspectives de sortie de crise, doit-on avoir une vision « optimiste », ou « mécaniste », selon laquelle il suffirait de quelques aménagements ou détours ? Ou faut-il avoir une vision, que certains diraient « pessimiste », et que l'on peut dire « structurelle » ? Il faut en effet s'imaginer outre-Atlantique : l'Europe inspire-t-elle confiance ? Le contrat implicite selon lequel l'Allemagne et la BCE acceptent d'aider certains Etats, en échange d'une discipline budgétaire qu'ils semblent de plus en plus réticents à respecter, est-il encore tenable ?
La Commission a, à la fin de l'année 2011, froncé le sourcil et conduit le gouvernement belge, enfin constitué, à annoncer début 2012 des mesures supplémentaires de réduction du déficit. En Espagne, cependant, le nouveau Premier ministre, fraichement revêtu de la légitimité des urnes, a annoncé qu'après que son pays n'avait pas respecté son objectif de solde public en 2011, il ne tiendrait pas non plus celui de 2012, en jurant qu'il y parviendrait en 2013. Voilà qui pose la question des sanctions. Emprunter pour payer des pénalités financières ? C'est là, je vous rejoins, une politique de Gribouille. Si l'on entre dans les considérations politiques, ce sont bien les institutions qu'il faut revoir. Nous sommes largement d'accord là-dessus, même si vous comprendrez que certains mots me heurtent...
Cela étant, je ne crois guère aux vertus d'un ministère des finances européen, qui serait confié à une personnalité correspondant au plus petit commun dénominateur. Quant au traité intergouvernemental signé le 2 mars, il faudrait déjà qu'il soit ratifié, et savoir combien d'Etats le feront.
La conversion des titres grecs ne doit pas trop nous inquiéter : les pressions sont fortes sur le privé. Je crois que le cap sera franchi, même si de nombreux procès doivent suivre, qui feront le bonheur des avocats internationaux.
Calmera-t-on pour autant les marchés ? J'en doute. Notre organisation reste trop complexe. Les remarques qui m'ont été livrées par une agence de notation sont justes : elle constate que la BCE n'est pas la Fed et que le risque systémique est assumé par les Etats-nations qui, peu vertueux sur leurs titres, ne sont guère crédibles à prétendre contrôler leurs homologues.
Cessons de nous raconter des histoires. Il faut à l'Europe des institutions compréhensibles par le monde, et par ses propres citoyens. Sinon, nous nous condamnons à jouer un théâtre d'ombres qui ne fait que masquer notre impuissance politique.
Les propos de M. Rajoy ? Ils ne me choquent pas, s'il tient un discours de vérité. Le fait est que l'Espagne a un problème avec ses régions, qui sont allées trop loin dans les déficits... Alors que nos politiques publiques ont été un tissu de combines, qui convaincra-t-on en clamant que l'on va user du bâton ? Ce qu'il faut désormais, c'est mettre en place de vraies procédures et accompagner les Espagnols s'ils vont dans le bon sens.
Tout cela suppose, faut-il le préciser, que nos prévisions macroéconomiques à tous cessent d'être suspectes.
M. Barroso n'affirme-t-il pas que les services de la Commission sont là pour y veiller...
Nous sommes requis d'être lucides. Mais M. Rajoy n'est au pouvoir que depuis deux mois, dans un pays où le taux de chômage atteint plus de 22 % ; on ne peut pas, d'emblée, lui jeter la pierre. Quelle est l'urgence ? Le AAA ? Mais la situation n'est pas la même que dans notre pays, riche d'une épargne dont on peut espérer que les institutions bancaires qui la collectent préfèreront, en cas de difficulté, la prêter à la France qu'aux Grecs. Les déficits des collectivités ? Mais si l'on me demande, demain, de réduire mon budget de fonctionnement de 10 %, je sais faire.
L'urgence, à la vérité, c'est l'emploi. Or, on ne parviendra à rien avec un euro à 1,30 dollar. Face à nous, les Chinois, avec le yuan, n'y vont pas par quatre chemins. Et les Anglais, les Américains, n'hésitent pas à laisser filer la livre et le dollar au nom de l'emploi. La vraie valeur d'une monnaie, c'est sa capacité exportatrice. Le problème de l'emploi nous guette, surtout au sud de l'Europe. Les Allemands l'ont résolu, mais leur excellence est telle, dans de tels domaines - machines outils, automobiles - qu'ils jouissent d'un quasi monopole sur le marché mondial. Imaginez-vous qu'en France, ce n'est pas M. Arnault qui se plaint du cours de l'euro pour LVMH, mais tous les secteurs qui souffrent.
La situation des pays de la zone ? Elle n'est pas si catastrophique, y compris celle de l'Italie. Le patrimoine des Français représente huit à douze fois le PIB. Une dette à 86 %, ce n'est pas une somme si colossale au regard de l'encours, à condition qu'elle vienne alimenter des investissements sains, comme le rail, et non du fonctionnement. Mais notre système de comptabilisation de la dette est pervers. On ne compte que l'intérêt dû, sans s'attacher au stock. Dès que les taux d'intérêt baissent, on considère que l'on peut emprunter beaucoup, sans incidence sur la charge financière. Mais la vertu se retourne alors contre nous : on accumule un stock de dette, et que se passe-t-il si les taux montent ? Prenons garde que si nous ne savons pas traiter le sujet, c'est la rue qui s'en saisira.
L'Italie en est à 120 % de son PIB, en matière de dette publique. Les mesures annoncées par M. Monti vous semblent-elles de nature à diminuer durablement ce taux ?
Il est essentiel de se doter d'un système compréhensible, pour le monde, mais aussi pour les citoyens européens, chez qui toute confusion entame la confiance dans l'euro.
Vous avez rappelé que le Parlement européen n'a pas voulu d'une commission de la zone euro. Mais est-il normal que les dix pays qui n'y ont pas part soient invités à opiner sur le sujet ?
Il devrait exister une clause de sortie de l'euro, un mode d'emploi : si la Grèce en avait eu un il y a un ou deux ans, on aurait évité bien des dépenses.
Je suis pro-européen, comme la formation à laquelle j'appartiens, mais certains points de votre exposé m'ont fait tiquer. Je vois ainsi quelque contradiction entre votre titre, « l'intégration politique ou le chaos », et la référence finale à Jean Monnet, qui disait, en somme, que l'Europe n'avance que dans le chaos.
Mais n'est-il pas des mesures pour sortir de la crise sans passer par le chaos institutionnel ?
D'où ma deuxième question : un système fonctionnant avec un marché unique intégré plus large que la zone euro est-il viable ? Car il conduit à définir une politique commerciale plus large que la zone monétaire dans laquelle, pour se protéger, il faudrait d'autres règles vis à vis de la concurrence. Car ce problème de concurrence ne se pose pas seulement à l'égard des Etats-Unis ou de la Chine, mais des Etats membres hors zone euro.
Dans les lignes de force, vous placez la stabilité financière, la croissance, la paix. Raisonnement très humaniste, mais dont on peut se demander s'il est compatible avec ce que ressentent les citoyens en Grèce, en Espagne bientôt peut-être... Et puisque certains en viennent à pousser dans la campagne l'argument du référendum, il faut bien avoir présent à l'esprit qu'appliqué à l'Europe, le résultat, aussi, en serait certain : plutôt le chaos que le traité...
Me vient de là une certaine nostalgie de l'après-guerre, où les vues politiques avaient plus d'élévation. Et si l'on remonte même à la Première Guerre mondiale, il me semble que le discours d'un Jaurès, d'un Clemenceau, avait une autre tenue sur la scène du monde.
Je regrette que les considérations sur l'Europe restent très technocratiques. Chacun comprend les enjeux, mais les solutions institutionnelles proposées sortent toujours du cadre démocratique. Je ne me risquerai pas même à parler de souveraineté : on n'ose plus prononcer le mot...
L'euro a suscité bien des espérances, y compris dans l'opinion publique, que le cortège des crises, dramatisées par les médias, est venu, depuis, inquiéter, au risque de déboucher, aujourd'hui, sur l'euroscepticisme. Il est vrai que les sujets sont si techniques qu'il est difficile de les rendre audibles à chacun, tandis qu'il est aisé aux démagogues d'instrumentaliser la crise. Un grand quotidien presque national, dont M. Arthuis est comme moi lecteur assidu, titrait récemment sur le coût d'une défaillance de la Grèce : 1 000 milliards. Nos pays peuvent-ils faire face à une telle défaillance ? Et porter à bout de bras certaines économies de la zone ? Une zone dans laquelle on peut se demander si tous les pays y ont bien leur place. Le débat est ouvert sur les disparités concurrentielles - réglementation du travail, agriculture... Faut-il aller plus loin dans l'intégration pour faire de l'Europe une vraie communauté, là est la question.
Je salue la qualité du travail de Jean Arthuis, qui mériterait d'être traduit dans les langues de l'Europe, pour fédérer les réflexions.
Vous faites le constat d'un fédéralisme de fait, lié au partage d'une monnaie. D'où vos propositions en matière d'institutions. Je vous rejoins sur l'idée d'une assemblée de parlementaires nationaux chargée d'assurer l'interface entre des décisions éloignées et le lieu démocratique de la représentation.
La crise financière, devenue crise de la dette souveraine, nous conduit à réfléchir sur l'euro, mais pose du même coup la question de la gouvernance. Vous avez évoqué les effets des directives européennes : si le préfet de la Mayenne vous demande de dresser une carte du bruit, c'est de fait en application d'une directive votée il y a dix ans. Un bon exemple de la déconnection entre les décisions et ceux qui ont la charge de les mettre en oeuvre. Sait-on que la directive sur les rejets des stations d'épuration représente en France, vingt ans après, une dépense de 20 milliards d'investissement ? Je suis donc persuadée qu'une meilleure articulation avec les parlements nationaux serait fort utile, dans bien des domaines.
Quid de l'Espagne, où la moitié des jeunes sont aujourd'hui au chômage, quand le pays connaissait naguère un boom économique sans précédent ? Comment arrivera-t-elle à négocier un tel virage ?
La commission de surveillance pourrait de fait être l'amorce d'une future chambre haute de l'Europe.
Nous connaissons Jean Arthuis pour ses cinglantes prophéties contre le défaut de gouvernance en Europe. Ce rapport n'y fait pas exception. J'espère qu'il ne connaîtra pas le sort de Cassandre.
Je vous remercie pour vos appréciations. Il est vrai que je suis féroce sur la gouvernance. J'estime souvent que nos initiatives sont pleines de contradictions, y compris au plan national. On légifère trop souvent pour répondre à des sollicitations, sans prendre le temps de la réflexion. Je me demande, par exemple, comment on va pouvoir satisfaire aux dispositions de la loi sur l'accessibilité des handicapés, et à quel coût. Même chose pour l'Europe. On a répondu aux sollicitations de la Turquie, en 1995, par l'union douanière. Résultat, on ne trouve plus un fabricant de téléviseur en France, c'est tellement plus commode de l'autre côté du Bosphore ! Voilà comment on pousse des peuples dans l'impasse. L'environnement ? Même tabac. Doit-on laisser entrer des produits qui ne répondent ni à nos normes environnementales, ni à nos normes sociales, et pousser ainsi aux délocalisations ? C'est suicidaire !
L'action de la BCE a été un soulagement, mais il est vrai, monsieur Marini, qu'elle ne saurait nous exempter de décisions courageuses. Ce n'est pas en mettant des liquidités à disposition des banques que l'on résoudra la question de la gouvernance.
L'épargne des Français, monsieur Belot ? Mais elle a déjà trouvé son affectation. Voyez le grand emprunt : ce fut un « instrument de langage », mais une vraie tartufferie budgétaire !
Certes, il faudra du temps à l'Espagne pour sortir de la crise, mais le temps ne suffit pas à lui seul. Voyez ce qui se passe en Grèce, où les prescriptions de la troïka font furieusement penser aux recettes appliquées au Crédit lyonnais : on achète du temps à crédit...
Oui, l'emploi est la priorité, mais on ne relancera pas la machine sans passer par des décisions structurelles difficiles. Le taux de change entre l'euro et le dollar ne nuit pas, il est vrai, aux exportateurs allemands. Mais les Allemands n'ont nul intérêt à une explosion de la zone : une sortie de l'euro renchérirait le deutschemark de 50 % et appauvrirait d'autant les autres pays européens qui achètent les produits allemands. Une vraie gouvernance européenne est aussi dans leur intérêt. Laisser filer la monnaie, comme le font les Américains ? Mais comment prendre exemple sur ce grand n'importe quoi ! Combien de temps les Etats-Unis tiendront-ils à ce niveau de déficit ? Le dollar inonde le monde, il est devenu un instrument de guerre.
La mesure de la dette ? On progresse dans la pédagogie. On ne manque pas de rappeler qu'au regard de la situation patrimoniale de l'Etat, que l'on dresse désormais, la moindre augmentation des taux serait dramatique pour la France.
Je ne me risquerais pas, comme vous le faites, à comparer la Grèce à l'Italie, où existe encore un Etat - même s'il est vrai qu'il y a une Italie du Nord et une Italie du Sud - et un tissu économique vivace.
Oui, monsieur de Montesquiou, l'Europe a besoin d'institutions lisibles par tous. La France aussi, à certains égards, car on finit par perdre ses petits dans l'enchevêtrement des échelons - communes, communautés de communes... Les fonds européens ne sont pas là pour inaugurer des bergeries, mais servir à ceux qui en ont vraiment besoin.
La sortie de l'euro comme solution ? Mais diriez-vous pour l'Allemagne ce que vous dites pour la Grèce ? Le jour où c'est eux qui voudront sortir, ce sera moins simple... Nous sommes tous dans le même bateau : on ne peut pas se contenter de jeter à l'eau ceux qui alourdissent la barque.
Ce qui aurait coûté moins cher, c'eût été de régler le problème dès son apparition, en 2009. Si on ne l'a pas fait, c'est que les instruments nous manquaient : une gouvernance calamiteuse. Croyez-vous que la Grèce serait revenue à la surface comme l'Argentine ? Mais leurs situations ne sont pas comparables ! L'Argentine est un pays émergent, riche de potentialités !
En politique, monsieur Germain, on ne ressent jamais mieux les nécessités que lorsque l'on est confronté à une situation de crise : Jean Monnet ne disait pas autre chose. Je ne confonds pas la crise et le chaos, car je crains le chaos. Vous évoquez 1914 ? C'est quand on laisse les choses aller jusqu'à l'inextricable qu'il faut craindre le spectre de la guerre.
Vous avez raison de souligner la différence entre marché intérieur et zone euro. La divergence n'est d'ailleurs pas seulement dans les préoccupations, mais dans les modes de décision. Que peut l'Euroland quand le marché intérieur avance dans la codécision à coups de directives et de règlements dont les conséquences financières ne sont pas toujours bien mesurées ?
Au milieu de tout cela, les citoyens sont dans l'épreuve, et le vivent d'autant plus mal que les discours politiques, vous avez raison, mélangent tout. L'élection présidentielle devrait pourtant être l'occasion de prendre la mesure des vrais enjeux, plutôt que d'attiser les passions. C'est aussi pourquoi il serait bon qu'émergent une opinion publique européenne, et des partis européens.
Il est vrai, monsieur Botrel, que l'euro a fait naître beaucoup d'espérances, mais il n'est qu'un instrument, en aucun cas une politique économique, comme on l'a laissé croire. C'est ainsi qu'on a laissé filer les déficits, par un effet d'anesthésie. On le paiera cher : la crise appelle des réparations onéreuses.
Le vrai sujet, ce sont les disparités entre Etats. Le pilotage de la zone euro ne peut en faire l'économie. Je l'ai dit : si le commerce de la zone est globalement équilibré, les écarts sont criants. Y compris entre la France et l'Allemagne. Et c'est ainsi que se creusent des déficits qu'on ne pourra pas toujours combler en injectant de l'argent public.
L'Europe est une cause passionnante, elle mérite un meilleur traitement. Je vous remercie de m'avoir entendu.
Merci à vous de nous avoir ouvert ces pistes, qui ne manqueront pas d'alimenter notre réflexion à venir.
Vous avez vous-même bifurqué vers l'idée d'une deuxième chambre européenne. Mais au vrai, l'Europe des Vingt-sept a déjà, en quelque sorte, ses deux chambres : nous sommes sous l'emprise de la codécision entre Conseil et Parlement.
Le Conseil est composé des exécutifs, cela n'en fait pas une seconde chambre.
Cela étant, je partage l'idée que la commission de surveillance dont je préconise la création puisse, au fil des ans, clarifier l'instance gouvernementale de l'Europe des Vingt-sept, car tous les Etats ont vocation à entrer dans l'euro...
Vous évoquez aussi l'idée, apparemment technique, d'un secrétariat général. J'y crois plus qu'au ministre. Les débats de ces derniers mois ont montré, avant chaque conseil, les difficultés de notre communication avec l'Allemagne. Nous ne raisonnons pas de la même façon. Les Français sont plus agiles, plus innovants et les mécanismes intellectuels allemands sont différents. Il faudrait un vrai dialogue.
Sans doute, mais un secrétariat général favoriserait la réflexion commune en amont, selon un rythme commun, ce qui éviterait que chaque technostructure ne prenne en otage ses politiques et que l'on n'arrive à une entente qu'après de longs débats, très coûteux...
Il faut que nous soyons un peu plus Allemands et les Allemands un peu moins Allemands. En d'autres termes, il faut que nous soyons un peu moins Français et nos partenaires un peu plus Français...
Bien au contraire, on peut craindre que, sans gouvernance, ce ne soit la commission budgétaire du Bundestag qui en vienne à devenir l'instance de décision européenne...