Intervention de Jacqueline Gourault

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 février 2012 : 1ère réunion
Simplification des normes applicables aux collectivités locales — Examen du rapport

Photo de Jacqueline GouraultJacqueline Gourault, rapporteur :

En 2000, la mission commune d'information du Sénat sur la décentralisation estimait que les administrations de l'État avaient pris l'habitude d'intervenir sous forme de règlements limitant de façon significative les pouvoirs des autorités locales ; en 2007, le groupe de travail portant sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales, présidé par notre ancien collègue Alain Lambert, avait imputé l'accroissement des charges pesant sur les collectivités à l'inflation des textes normatifs et à la complexité des procédures à respecter.

Aucune étude exhaustive n'ayant évalué le coût total de ces normes pour les budgets locaux, nous ne disposons que d'études sectorielles réalisées par les associations nationales d'élus. Ainsi, l'Association des maires de France estime que les collectivités territoriales doivent appliquer quotidiennement 400 000 normes ! D'autres données confortent cette analyse : en 2009 et 2010, l'incidence budgétaire de 339 « projets de normes » émanant de l'État était estimée à plus d'un milliard d'euros de dépenses supplémentaires pour les collectivités territoriales.

Ce coût est accentué par l'instabilité des normes : en dix ans, 80 % des articles législatifs et 55 % des articles réglementaires du code général des collectivités territoriales ont été modifiés, outre les centaines de dispositions issues des nouveaux textes législatifs ou réglementaires.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer le foisonnement des normes.

Vient d'abord la croyance inconditionnelle dans les vertus de la norme. Ce zèle normatif des administrations de l'État, centrales ou déconcentrées, se traduit par l'extrême précision réglementaire des décrets, arrêtés et circulaires. En outre, certaines normes professionnelles de type AFNOR ou ISO sont devenues obligatoires en raison des secteurs concernés ou parce que les assurances en exigent le respect.

Un second facteur réside dans la gouvernance multiple et insuffisamment partagée de la norme. La responsabilité de l'exécutif est régulièrement pointée, mais il partage cette responsabilité avec le législateur, auquel s'ajoutent les autorités communautaires, les organismes de droit privé investis d'un pouvoir réglementaire - comme les fédérations sportives - et même les collectivités territoriales, qui peuvent subordonner certaines subventions au respect d'exigences techniques. Cette parcellisation est néfaste pour les relations entre l'État et les collectivités territoriales, puisque la gouvernance normative actuelle ne repose pas suffisamment sur une culture partagée.

De surcroît, cette incontinence normative nuit à la compétitivité des territoires, car l'application uniforme et rigide de certaines normes, conjuguée à la lourdeur de certaines procédures, entrave la mise en place de politiques publiques locales adaptées.

Ce maquis normatif concerne l'ensemble des politiques publiques locales. Sur saisine du Président de la République et du Premier ministre, les commissions permanentes du Sénat et les associations nationales d'élus ont identifié les secteurs faisant l'objet d'une production réglementaire particulièrement intense. Leurs contributions ont été analysées par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sous la houlette de notre collègue M. Belot. L'accent a été mis sur l'accessibilité - tout en reconnaissant la nécessité de cet objectif - l'urbanisme et l'environnement. Le sport et les règles de sécurité suscitent également des inquiétudes.

Face à ce constat, diverses réponses ont été apportées.

Tout d'abord, la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) a été créée en décembre 2007 ; elle a permis d'instaurer un contrôle approfondi et exigeant des normes réglementaires, créant ainsi une nouvelle culture de l'évaluation au sein des administrations centrales. Au titre des sept premiers mois de l'année 2011, la CCEN a examiné 160 projets de textes réglementaires générant pour les collectivités un coût avoisinant 393 millions d'euros, des économies s'élevant à près de 13 millions d'euros et des recettes potentielles évaluées à 114 millions d'euros.

En second lieu, un moratoire sur l'édiction des normes réglementaires a été instauré le 6 juillet 2010 par une circulaire du Premier ministre. Il s'applique à l'ensemble des mesures réglementaires dont l'adoption n'est commandée ni par des engagements internationaux de la France, ni par l'application de lois. Parallèlement, une commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs a été créée, un commissaire à la simplification a été nommé.

Dans ce contexte, le Président de la République a confié à notre collègue M. Doligé une mission destinée à desserrer l'étau normatif qui enserre les collectivités territoriales. Sa proposition de loi répond à une véritable demande des acteurs locaux, qui avaient d'ailleurs inspiré les propositions de son rapport. Nous ne pouvons qu'approuver cette initiative.

Nommée rapporteur il y a 15 jours, j'ai entendu les associations d'élus - que j'avais sollicitées - ainsi que les représentants des notaires - qui l'ont demandé. Certains d'entre nous ont fait campagne cette année : ils ont certainement entendu, comme moi, beaucoup parler de ce sujet. Mais cette proposition de loi soulève un ensemble de questions justifiant une réflexion poussée.

Ainsi, la proportionnalité des normes, évoquée dès le début du texte, est un sujet important qui mérite réflexion. Les petites communes rencontrent des difficultés financières pour satisfaire aux normes d'accessibilité dans les lieux publics, mais il y a aussi des aberrations, comme cette église ancienne dont il a fallu reprendre les marches desservant l'entrée principale, alors que la porte latérale était parfaitement utilisable par des personnes handicapées.

Nous avons reçu longuement l'AMF ; elle nous a fait part de ses inquiétudes devant certains articles de cette proposition : en matière d'urbanisme, par exemple, l'article 20 crée les « secteurs de projets ». Le principe est intéressant, mais il faut de réelles garanties. Que penser de la possibilité ouverte aux préfets d'accorder des dérogations « lorsque les caractéristiques de l'opération projetée le nécessitent » ? Le critère est imprécis. En outre, accorder un tel pouvoir au représentant de l'État n'est pas nécessairement conforme à la Constitution.

N'est-il pas un peu risqué pour les maires que soit autorisée, par l'article 24, la signature de promesses de vente ou de location avant la délivrance du permis d'aménager un lotissement ? J'y vois un risque de complications substantielles.

Est-il opportun d'instituer à l'article 23 la caducité du cahier des charges d'un lotissement s'il n'est pas publié dans les cinq ans au bureau des hypothèques?

La rationalisation des moyens est indispensable dans un contexte de restriction budgétaire. L'article 18 semble aller dans ce sens, puisqu'il tend à rendre facultatifs les centres communaux d'action sociale (CCAS) et à simplifier le régime des centres intercommunaux d'action sociale. Pourtant, sa rédaction doit être clarifiée. J'ai reçu la vice-présidente de l'association nationale des CCAS. Certaines communes n'ont pas de CCAS, d'autres ne disposent que d'une coquille vide. Il m'a fallu attendre 20 minutes et poser à la représentante des CCAS une question sur le financement de ces structures pour qu'elle veuille bien parler des collectivités territoriales. Le sujet abordé par cet article est réel, mais faut-il systématiquement rendre facultative la création d'un CCAS ? Lorsqu'un centre intercommunal d'action sociale est créé, il suffit incontestablement que ses antennes communales conduisent une action sociale de proximité.

L'article 33 met en cause l'anonymat de plein droit dont bénéficient les patients pris en charge au titre des infections sexuellement transmissibles, dans le cadre de la fusion des consultations de dépistage anonyme et gratuit avec les centres d'information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles.

Très logiquement, ce texte porte sur des sujets extrêmement variés, ce qui exige de tout examiner de très près. Nous devons éviter des mesures qui, en pratique, compliqueraient encore les règles et augmenteraient les coûts pour les collectivités territoriales. Ainsi, l'article 32 autoriserait les collectivités à recourir au concours sur titre dans les filières sociale, médico-sociale et médico-technique présentant des difficultés de recrutement. La solution proposée est-elle appropriée ? Ce sujet concerne aussi les centres de gestion. Il faut l'examiner de près.

Les articles 5, 6 et 15 utilisent l'évolution technologique pour simplifier les obligations des autorités locales en matière d'affichage, de publication et de mise à disposition du public des actes de la collectivité. Indéniablement, l'informatique rend obsolètes certaines obligations, mais tout le monde ne l'utilise pas ! Il faut donc maintenir un socle minimum d'informations sur papier.

Le président du comité des finances locales, M. Gilles Carrez, a insisté sur la nécessité d'un travail fondamental de simplification en période de restrictions budgétaires. Il était très remonté contre certaines normes. M. Alain Lambert souhaite que la CCEN soit désormais sollicitée pour donner un avis conforme.

Sachant le peu de temps imparti et qu'un renvoi en commission est proposé, je n'insiste pas, aujourd'hui, sur chaque norme concernée.

Les collectivités territoriales attendent une réponse aux difficultés nombreuses qui entravent leur fonctionnement. Nous devons en être conscients. Les administrés doivent accéder à un service adapté, mais nous sommes également responsables de certaines normes. Hier, M. Arthuis a rappelé qu'il avait refusé l'an dernier de voter une loi agricole compliquant encore les normes applicables aux repas des enfants à la cantine.

Les élus locaux attendent l'intervention du législateur sur ce sujet d'une extrême importance.

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