Ce déplacement s'est inscrit dans le cadre des déplacements annuels à l'étranger d'une délégation de la commission des finances. En 2012, elle s'est rendue en Egypte, en Libye et en Tunisie du 18 au 24 mars, pour faire le point sur la situation économique et politique un an après les « printemps arabes ».
La délégation de la commission des finances, dont je faisais partie, a été conduite par son président Philippe Marini. Elle était composée de quatre autres sénateurs, représentant les différentes sensibilités politiques du Sénat, Yvon Collin et Aymeri de Montesquiou, vice-présidents, ainsi que Jean-Vincent Placé et Michel Berson.
Malgré leur proximité géographique et culturelle, l'Egypte, la Libye et la Tunisie présentent chacune des spécificités. C'est pourquoi je vais vous présenter successivement chacun de ces Etats.
S'agissant de l'Egypte, son avenir institutionnel reste suspendu au transfert effectif du pouvoir aux autorités civiles démocratiquement élues.
Le 11 février 2011, à l'issue d'une révolution de dix-huit jours, le Président Hosni Moubarak a quitté le pouvoir qu'il exerçait depuis 1981. La direction politique est transitoirement exercée par le Conseil supérieur des forces armées (CSFA).
Les élections aux deux chambres se sont déroulées en plusieurs phases : du 28 novembre au 11 janvier 2012 pour les élections à l'Assemblée du peuple, et du 29 janvier au 6 février 2012 pour les élections à la chambre haute, la Choura.
Notre visite a été marquée, le 17 mars 2012, par la disparition du pape Chenouda III, primat de l'Eglise copte orthodoxe, laquelle représente 90 % de la minorité copte, soit 10 % de la population égyptienne. La délégation a tenu à lui rendre hommage.
La désignation des candidats à l'élection présidentielle a eu lieu en avril 2012. Le premier tour du scrutin s'est déroulé les 23 et 24 mai 2012, et le second tour les 16 et 17 juin, avant l'investiture officielle du nouveau président le 1er juillet.
La délégation de la commission des finances a été reçue au plus haut niveau à la Choura, par son Président, M. Ahmed Fahmy, et six présidents de commission.
Après ce rappel du calendrier électoral, j'en viens aux résultats du scrutin.
Les élections à l'Assemblée du peuple ont vu le succès de la Coalition démocratique, animée par le Parti liberté et justice (PLJ) proche des Frères musulmans, qui a recueilli 37 % des voix et obtenu 45 % des sièges. Une percée inattendue a été réalisée par les salafistes du parti Al Nour, avec 28 % des voix et 25 % des sièges. Les formations laïques ont été minoritaires : 9 % des voix et 8 % des sièges pour le Néo-Wafd, formation historique d'opposition, d'inspiration libérale ; 9 % des voix, ayant conduit à l'attribution de 7 % des sièges, pour le Bloc égyptien, coalition libérale et de partis de gauche.
La phase de l'élection présidentielle a ensuite commencé par la désignation des candidats en avril 2012. La commission suprême de l'élection présidentielle a disqualifié dix candidats sur vingt-trois, dont Ahmed Chafik, qui avait été le dernier Premier ministre de Hosni Moubarak, finalement autorisé à se présenter après un recours.
Sur les treize candidats qui se sont présentés, cinq se sont détachés dans les sondages :
- le laïc Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, qui a reçu la délégation du Sénat à son domicile ;
- Abdel Moneim Aboul Fotouh, ancien dirigeant des Frères musulmans, exclu de la confrérie pour avoir décidé de se présenter, partisan d'un Islam modéré, et que la délégation a également rencontré ;
- Mohamed Morsi, investi par le PLJ ;
- Ahmed Chafik ;
- Hamdine Sabahi, dirigeant d'une petite formation socialiste de sensibilité nassérienne.
Les 23 et 24 mai 2012, le premier tour de l'élection présidentielle a été marqué par une surprise, puisque sont arrivés en tête Mohamed Morsi (qui a recueilli 24,8 % des voix) et Ahmed Chafik (23,7 %), alors qu'ont été éliminés Hamdine Sabahi (20,7 %), Abdel Moneim Aboul Foutouh (17,5 %) et Amr Moussa (11,1 %). Ces deux derniers étaient pourtant les favoris des sondages.
Des tensions et des coups de théâtre ont émaillé la campagne de l'entre-deux-tours.
Le 2 juin, de vives protestations ont suivi la condamnation à perpétuité d'Hosni Moubarak, alors que la peine de mort était requise, pour son rôle dans la répression de la révolution de janvier-février 2011 qui a causé 850 morts.
Le second tour de l'élection présidentielle, qui s'est tenu les 16 et 17 juin, a eu lieu dans un contexte politique nouveau. D'une part, la Cour constitutionnelle a invalidé le Parlement en raison d'irrégularités supposées dans l'attribution d'un tiers des sièges de la chambre basse ; d'autre part, le CSFA a décidé de s'arroger le pouvoir législatif et de désigner les membres du comité chargé de rédiger la Constitution, qui sera soumise à un référendum, mais sur laquelle le CSFA aura un droit de veto. D'importantes manifestations ont eu lieu place Tahrir contre ce que les participants ont qualifié de « coup d'Etat » militaire.
L'islamiste Mohamed Morsi a remporté l'élection et été déclaré vainqueur le 24 juin, mais dans un contexte politique radicalement différent de celui de l'avant-premier tour.
Il est apparu que les militaires n'ont jamais quitté la scène politique, même s'ils déclarent s'engager à poursuivre le processus de transfert du pouvoir aux nouvelles autorités civiles élues. Par ailleurs, les oppositions islamistes et laïques sont affaiblies par leurs divisions, tout en ayant fait preuve d'un grand pragmatisme face à l'urgence économique et sociale lors de leurs entretiens avec les membres de la délégation.
Les tribunaux, proches de l'ancien régime, ont fait irruption sur le devant de la scène politique par l'invalidation de candidats à l'élection présidentielle, puis des membres du Parlement élu.
Dans ce contexte, les chancelleries occidentales appellent au respect des échéances politiques.
Malgré ces incertitudes politiques, la situation économique est caractérisée par un retour progressif à la normale.
Pendant la révolution, l'Egypte a connu la fermeture pendant plusieurs semaines des usines, des banques, de la Bourse du Caire, ainsi qu'une forte chute du tourisme et un tarissement des flux d'investissements directs étrangers.
Une amélioration est perceptible en début d'année 2012. Sur l'année fiscale qui couvre la période juillet 2010 - juin 2011, la croissance économique a atteint 1,8 % et les perspectives pour l'année fiscale 2011-2012 sont comprises entre 2,2 %, selon le FMI et 3,2 %, suivant l'hypothèse retenue par le gouvernement pour l'élaboration du budget 2011-2012.
Le nouveau budget pour 2011-2012 prévoit un déficit de 8,6 % du PIB et des hausses d'impôts, ainsi qu'un taux d'endettement de 76 % du PIB. Les déficits prévisionnels s'établissent à 6 milliards de dollars pour le compte courant, 14 milliards de dollars pour la balance des paiements.
Pour l'avenir, un des premiers enjeux est de répondre à l'urgence sociale, alors que le taux de chômage réel est proche de 20 %. Des hausses de salaires sont intervenues sous l'effet d'un rehaussement du salaire minimum à hauteur de 75 % en octobre 2011, en vue d'un quintuplement sur cinq ans : son montant doit être réévalué de 400 à 2 000 livres égyptiennes (soit de 50 à 250 euros).
Les responsables politiques égyptiens ont également insisté sur la nécessité de lutter contre la corruption et de réduire la part de l'économie relevant du secteur informel, aujourd'hui estimée à 40 %.
Les réformes de structure ont également vocation à réduire, à terme, les subventions aux hydrocarbures et aux produits alimentaires, qui représentent 23,3 % des dépenses budgétaires et tendent à abaisser le taux d'inflation, lequel atteint néanmoins 10 % en rythme annuel.
S'agissant des équilibres économiques et financiers, le montant des réserves de change a chuté à 15 milliards de dollars au printemps 2012, soit seulement trois mois d'importations, tandis qu'une restructuration du secteur bancaire reste à engager.
Dans ce contexte, il pourrait être recouru à des financements extérieurs de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Si des discussions sont en cours, des décisions ne devraient intervenir qu'après la stabilisation de la situation politique.
Compte tenu du potentiel économique du pays, qui permet d'envisager le retour à un taux de croissance annuel au moins égal à 5 % permettant d'assurer le décollage économique, 120 entreprises françaises sont déjà présentes en Egypte. Elles emploient 50 000 personnes et représentent un stock d'investissements directs étrangers (IDE) de 4,5 milliards de dollars. Les échanges commerciaux bilatéraux entre la France et l'Egypte s'élèvent en 2011 à 1,82 milliard d'euros d'exportations françaises et 1,34 milliard d'euros d'importations.