Les matières premières (historiquement le coton, et aujourd'hui les hydrocarbures) constituent la plus grande part des importations françaises d'Egypte.
J'en viens maintenant à la présentation de notre déplacement en Libye.
Le soulèvement contre le régime du colonel Kadhafi, apparu en février 2011 à Benghazi, l'a emporté en octobre. Officiellement constitué le 5 mars 2011, le Conseil national de transition (CNT) présidé par Mohamed Abdeljalil a exercé les fonctions exécutives jusqu'à la formation d'un gouvernement de transition, et reste l'organe législatif dans l'attente des élections à l'Assemblée constituante libyenne.
La France ayant été le premier pays à avoir reconnu le CNT, elle jouit d'un grand prestige, ce dont ont témoigné les entretiens de haut niveau de la délégation, notamment avec le Premier ministre Abderrahim Al-Kib. Les membres du gouvernement sont des interlocuteurs de qualité, souvent formés en Occident et attachés aux droits de l'homme, pleinement conscients des défis à relever.
Le processus électoral est en cours. L'inscription des électeurs et des candidats s'est achevée mais a pris du retard, nécessitant de reporter du 19 juin au 7 juillet les élections au Congrès national. Celui-ci aura un double rôle d'assemblée nationale et constituante.
Le mode de scrutin, mixte, combine les systèmes proportionnel et majoritaire. Dans un pays qui n'avait plus de partis politiques, la loi sur les partis représente un progrès. Elle suscite toutefois des interrogations, en interdisant les partis fondés sur une base régionale, religieuse, qui seraient le prolongement de partis à l'étranger et ceux qui seraient financés par des gouvernements ou des organisations de l'étranger. D'ores et déjà, les Frères musulmans ont formé le Parti de la justice et du développement (PJD), tandis qu'une formation laïque, le Parti démocratique, soutient le CNT.
La situation politique reste toujours instable. Le 6 mars 2012, la Cyrénaïque a proclamé son autonomie, à l'initiative d'Ahmed Al-Senoussi, cousin de l'ancien roi Idriss Senoussi. Même si ce mouvement se défend d'être indépendantiste, le CNT a déclaré être prêt à s'opposer à toute velléité séparatiste par tous les moyens, y compris militaires.
L'ordre public est toujours assuré par les 500 brigades révolutionnaires, et des cas de violation des droits de l'homme sont rapportés. Pour y remédier, le ministère de l'intérieur a constitué un Comité suprême de sécurité (CSS), mais les méthodes du CSS sont également critiquées.
Si les autorités libyennes sont conscientes de la situation, disposent-elles de tous les moyens d'agir ?
Par ailleurs, le gouvernement libyen est confronté à la réintégration de quelque 160 000 anciens combattants, nécessaire pour des raisons d'équilibre social et politique, alors que les divers trafics à la frontière Sud posent toujours un défi majeur de sécurité.
En ce qui concerne l'économie libyenne, celle-ci reste fondée sur les hydrocarbures, qui constituent 95 % des exportations. Mi-mars 2012, la production pétrolière avait atteint 1,35 million de barils par jour, soit 80 % de son niveau d'avant-guerre. En juin, elle a atteint 90 % du niveau de production de 2010. Le PIB a reculé de 60 % en 2011, et le FMI prévoit une croissance de 70 % en 2012. Sur le long terme, la production libyenne de pétrole et de gaz restait inférieure, en 2010, à son niveau de 1970, malgré des réserves importantes, ce qui témoigne des sous-investissements dans ce secteur.
Le 12 mars 2012, le CNT a adopté un budget de 68,5 milliards de dinars libyens (soit 42,9 milliards d'euros), dont les principaux postes sont le paiement des fonctionnaires et les subventions aux hydrocarbures et aux produits de première nécessité.
Pour l'avenir, plusieurs enjeux sont posés. Tout d'abord, le gouvernement éprouve des difficultés à honorer ses promesses, en particulier le versement d'une indemnité de 1 200 euros à chaque famille de révolutionnaires et de martyrs. Ensuite, l'économie libyenne, longtemps planifiée, doit être diversifiée et libéralisée, comme l'ont souligné les interlocuteurs économiques privés libyens rencontrés à Tripoli, le Conseil des hommes d'affaires et l'Union des chambres d'économie. S'agissant du financement de l'économie, le secteur bancaire souffre d'un manque de confiance des épargnants. Enfin, le système fiscal reste à construire, alors que le produit des impôts ne constitue que 5 % des ressources budgétaires.
La présence économique de la France est traditionnellement forte. En 2010, les importations françaises de la Libye s'élevaient à 4,8 milliards d'euros, tandis que les exportations françaises atteignaient 3,8 milliards d'euros.
Le stock d'IDE français en 2009 a été évalué à 1,33 milliard d'euros, dont 1,1 milliard d'euros pour Total. Si l'on observe à présent une reprise des grands contrats français en Libye, la réactivation des anciens projets est soumise à l'appréciation d'un comité spécial d'examen des contrats suspendus, lequel doit réévaluer les contrats signés sous l'ancien régime selon deux critères : leur pertinence économique et l'absence de corruption.
Lors de leur rencontre avec la délégation de la commission des finances, les investisseurs français en Libye ont insisté sur la nécessité d'actualiser le site du ministère des affaires étrangères, qui reflète une situation ancienne ne tenant pas compte, selon eux, des améliorations récentes de la sécurité des personnes et des biens, ainsi que sur le besoin de renforcer les liaisons maritimes et aériennes entre la France et la Libye.
J'en viens à présent à la troisième et dernière étape de notre séjour, en Tunisie.
Le 17 décembre 2010, l'immolation de Mohamed Bouazizi marquait le déclenchement de la révolution tunisienne jusqu'au départ du Président Zine El Abidine Ben Ali, qui s'était emparé du pouvoir le 7 novembre 1987. Le 27 février 2011 un nouveau gouvernement transitoire était mis en place, dirigé par Caïd Essebsi. Enfin, le 3 mars 2011, le Président par intérim Fouad Mebazza a annoncé la tenue d'élections législatives qui ont eu lieu du 20 au 23 octobre suivant.
Elles se sont déroulées au scrutin proportionnel à un tour, du 20 au 23 octobre 2011, dans le cadre de 33 circonscriptions. Pour la première fois de l'histoire de la Tunisie, une instance indépendante a été chargée du bon déroulement du scrutin.
Les élections ont été remportées par le mouvement islamique Ennahda (Renaissance), lié aux Frères musulmans, avec 37 % des voix et 89 sièges sur 217. Celui-ci a formé une coalition pour gouverner la Tunisie avec le Congrès pour la République (gauche nationaliste ; 8,71 % et 29 sièges) et le Front démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol, social-démocrate ; 6,74 % et 20 sièges).
Le 10 décembre 2011, l'Assemblée constituante a adopté une loi d'organisation des pouvoirs qui fait reposer le fonctionnement institutionnel sur une troïka, dans l'attente de l'adoption de la nouvelle Constitution. Le Président de la République, Moncef Marzouki (CPR), a été élu par la Constituante ; chef des armées, représentant l'Etat tunisien, il exerce des responsabilités partagées avec le chef du gouvernement et l'Assemblée nationale. Le Président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaafar (Ettakatol) conduit les travaux de l'Assemblée nationale. Enfin, le Premier ministre Hamadi Jebali (Ennahda) dirige le gouvernement et exerce le pouvoir exécutif.
La délégation a rencontré deux des trois responsables de la troïka, des raisons de calendrier ayant empêché l'entretien prévu avec le Premier ministre Hamadi Jebali, ancien opposant qui a passé dix années de prison en isolement total. De fait, les anciens prisonniers politiques jouissent d'un grand prestige dans la Tunisie actuelle, et occupent souvent des fonctions ministérielles dévolues dans d'autres pays à des personnalités ayant davantage un profil de technicien.
L'élaboration de la Constitution domine actuellement l'agenda politique. Six des dix-huit commissions de l'Assemblée nationale constituante sont ainsi chargées de la rédaction de la nouvelle Constitution, dans le délai d'un an d'ici octobre 2012, laquelle sera soumise à référendum. Comme l'avaient déjà fait apparaître les entretiens conduits par la délégation de la commission des finances, un consensus se dégage sur l'absence de référence à la Charia et la possibilité d'un régime semi-présidentiel qui pourrait s'inspirer du modèle français.
Malgré la vigueur du débat parlementaire, des contestations sont vivement exprimées par les salafistes et l'extrême-gauche. Des pressions politiques sur les Frères musulmans sont exercées par les salafistes, qui souhaitent l'application de la Charia et sont à l'origine d'émeutes les 11 et 12 juin contre une exposition artistique jugée blasphématoire. Par ailleurs, une agitation sociale et politique, vivement déplorée par les chefs d'entreprise tunisiens, est entretenue par l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), sans perspective aujourd'hui d'une cogestion à l'allemande.
La situation politique de l'an passé a fortement affecté l'économie tunisienne, qui a enregistré une croissance économique de - 1,8 % en 2011, sous l'effet notamment d'une chute de 34 % des revenus du tourisme et de la diminution de 25 % des flux d'investissements directs étrangers. Nos interlocuteurs tunisiens ont d'ailleurs déploré la réticence des touristes occidentaux à revenir en Tunisie, alors qu'il s'agit d'un des moteurs d'une reprise économique.
La politique économique donne la priorité au soutien à la croissance. Alors que la loi de finances initiale pour 2012 prévoyait un déficit budgétaire prévisionnel de 3,9 % du PIB, la loi de finances complémentaire (LFC) pour 2012, adoptée le 10 mai 2012, a porté le déficit budgétaire prévisionnel à 6,6 % du PIB. Le taux d'endettement public atteindrait ainsi 45,9 % du PIB fin 2012.
La LFC pour 2012 se fonde sur une hypothèse de croissance volontariste (3,5 %), en écartant notamment l'hypothèse d'une dégradation économique dans la zone euro qui affecterait fortement l'économie tunisienne.
A l'issue de l'adoption de la LFC, les dépenses budgétaires prévues en 2012 s'élèvent à 25,401 milliards de dinars (soit près de 12,5 milliards d'euros), pour des ressources évaluées à 19,644 milliards de dinars, soit un déficit de 5,757 milliards de dinars.
S'agissant des ressources supplémentaires, celles-ci se répartissent entre une augmentation des ressources fiscales, des recettes provenant de la vente de sociétés confisquées et du déblocage de fonds gelés après la privatisation de Tunisie Télécom en 2006, une contribution volontaire exceptionnelle, dont le principe répond aux règles de l'Islam, et enfin de nouvelles ressources extérieures apportées par les bailleurs multilatéraux.
La hausse des dépenses se répartit, à part quasi-égales, en dépenses de gestion supplémentaires et nouveaux investissements publics, à hauteur d'un milliard de dinars. Il est prévu des aides à l'emploi à destination des entreprises, la création de 25 000 emplois publics, ainsi qu'un développement des programmes de lutte contre la précarité sociale et la pauvreté. Parmi ces mesures figure la reconduction du programme AMAL pour les jeunes diplômés chômeurs, en l'absence de dispositif d'assurance chômage.
Dans ce contexte, l'aide internationale est fortement sollicitée par la Tunisie pour limiter le déficit budgétaire et financer la croissance. A cet égard, le sommet du G8 à Deauville en mai 2011 avait confirmé l'engagement de la France, qui fournit 68 % des flux bilatéraux d'aide publique au développement à ce pays.
La loi de finances complémentaire pour 2012 a prévu des ressources extérieures à hauteur de 4 milliards de dinars, soit un cinquième du budget, comportant notamment :
- 1 milliard d'euros de la Banque mondiale ;
- des interventions de la Banque africaine de développement et de l'Union européenne, pour des montants respectivement de 350 millions et 100 millions d'euros ;
- 100 millions d'euros de la deuxième tranche d'aide budgétaire de l'Agence française de développement ;
- un emprunt déjà décaissé auprès du Qatar ;
- une enveloppe de prêts du Fonds saoudien de développement ;
- un apport en garantie d'émissions obligataires et un don des Etats-Unis.
A ce stade, une possibilité d'intervention du FMI n'a pas les faveurs des responsables politiques tunisiens, même si les discussions se poursuivent. L'aide du FMI serait combinée à des réformes structurelles, dont la mise en oeuvre est renvoyée après la transition politique : la diminution des subventions alimentaires et aux hydrocarbures, la révision des lois sur l'investissement étranger, la lutte contre la corruption, la mise en place d'une autonomie des collectivités locales et un élargissement de l'assiette fiscale.
En ce qui concerne les relations économiques extérieures, l'année 2011 a marqué une poursuite de la hausse des échanges, mais à un rythme ralenti : les exportations ont augmenté de 6,7 % et les importations de 5,9 %. En 2011, la France a été le premier fournisseur de la Tunisie (à hauteur de 18,4 %) et son premier client (ayant reçu 30,7 % des importations tunisiennes).
Le secteur « off-shore » explique ce dynamisme : il représente les deux tiers des exportations. Bénéficiant d'un régime fiscal favorable, les exportations off-shore se concentrent sur quelques secteurs : industries mécaniques et électriques, textile, habillement et cuir.
La France est le premier investisseur étranger en Tunisie en termes de stock (hors énergie) avec un investissement total de 880 millions d'euros, correspondant à 1 270 entreprises françaises et 114 000 emplois.
Telles sont, mes chers collègues, les principaux enseignements d'une mission riche et dense.