Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le sommet de Bruxelles s’est conclu par des avancées intéressantes : la recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité, le rachat des dettes d’État par les fonds de sauvetage et le rôle de supervision confié à la BCE constituent des avancées auxquelles on n’osait croire quelques jours auparavant.
L’adoption d’un pacte de croissance, même si, compte tenu de sa taille modeste, il apparaît plus comme un signe, une orientation et la marque d’une volonté que comme une réelle mesure de croissance, est bienvenue.
On pourra aussi noter avec satisfaction la volonté de certains chefs d’État d’appeler à la mise en place de la taxe sur les transactions financières dans le cadre d’une coopération renforcée. La substitution du « quartet » formé par l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie au couple franco-allemand semble avoir donné des marges de négociation plus larges.
Toutefois, si le résultat de ce sommet est satisfaisant, nous aurions tort de penser qu’il permettra de sortir définitivement de la crise et qu’il place l’Europe à l’abri de toute rechute.
Il est indispensable de forger une autre ambition pour l’Europe.
Si nous ne construisons pas une communauté de nations de type fédéral, l’Europe explosera en une poussière d’États qui seront livrés les uns après les autres aux appétits des puissances émergentes en passe de devenir submergeantes.
Notre place et notre influence dans le monde, notre puissance économique, notre niveau de vie, la pérennité de notre modèle social sont irrémédiablement liés à notre capacité à accélérer le mouvement d’intégration de l’Europe. Or le mode intergouvernemental est en train de trouver ses limites.
Il s’agit d’ailleurs d’un problème plus culturel que politique, qui tient d’abord à l’évolution de la façon de gouverner dans nos démocraties modernes occidentales.
Aujourd’hui, le mode de gouvernance est dominé par un « carré tragique » : les sondages, le marketing, la tactique électorale et la communication, si bien que les chefs d’État ont tendance à suivre les opinions publiques plutôt qu’à les précéder, à leur montrer le chemin ou à leur offrir un véritable projet à long terme, qui serait bien sûr adopté ensuite dans le respect des règles de la démocratie.
Où en serions-nous aujourd’hui si le général de Gaulle avait demandé un sondage avant de lancer l’appel du 18 juin ? Où en serions-nous si les Schuman, Monnet, De Gasperi, Adenauer avaient interrogé les sondeurs avant de lancer l’idée de l’Europe ? Nous avons besoin de chefs d’État qui retrouvent une vision de long terme, une ambition, un courage à la hauteur des enjeux géostratégiques d’aujourd’hui, de chefs d’État redevenus hommes d’État qui ne se laissent pas prendre au petit jeu des sommets et ne craignent pas d’abandonner une part de leur pouvoir pour le transférer à l’échelon communautaire lorsque c’est l’intérêt de tous.
Il nous faut aussi entreprendre une réflexion sur la notion de souveraineté au XXIe siècle.
Que signifie la souveraineté de la Grèce lorsqu’on lui interdit d’organiser un référendum ? Que signifie la souveraineté de l’Italie lorsqu’on lui impose le FMI ? Que signifie la souveraineté de chacun de nos pays face aux agences de notation et aux marchés financiers ? Cessons de nous payer de mots et constatons que, trop souvent, sous l’alibi de la souveraineté, c’est le nationalisme qui prolifère.