La réunion

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Photo de François Pillet

Nous auditionnons aujourd'hui M. Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Aujean prête serment.

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Merci pour votre invitation. J'ai été le directeur de la politique fiscale de 1998 à 2007, date à laquelle j'ai quitté la Commission après avoir passé une vingtaine d'années dans ce département où j'ai contribué à presque toutes les initiatives de politique fiscale de la commission - notamment pour éliminer les obstacles fiscaux au bon fonctionnement du marché unique, comme le demande le traité, ce qui va de la TVA au projet de directive ACCIS (assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés). J'ai surtout été à l'origine du paquet fiscal du commissaire Monti, qui comprenait le code de conduite et la directive « Épargne », que j'ai négociés de 1996 à 2005.

J'ai toujours essayé d'adopter une position intermédiaire entre les entreprises et les administrations fiscales, avec pour objectif de réaliser un véritable marché unique reposant sur un système fiscal simple, efficace et stable. Cela n'a pas été sans désaccords, en particulier avec les entreprises, lorsque nous avons imposé des solutions parfois radicales. Mais j'ai toujours indiqué que le passage par ce code de conduite contre la concurrence fiscale dommageable était une étape indispensable pour éliminer les obstacles fiscaux et espérer passer à un autre système, l'ACCIS, conçu dans l'intérêt des entreprises.

La concurrence fiscale a changé de nature depuis qu'au milieu des années 1990 nous avons adopté et mis en oeuvre le code de conduite, ce qui a conduit à éliminer une centaine de mesures fiscales dommageables. Les États membres ont adapté leurs systèmes fiscaux pour tenir compte des nouveaux critères, se positionnant souvent à la frontière extrême de ce que le code accepte - tendance à laquelle nous avons essayé de remédier. La concurrence fiscale ne se fait plus guère par les mesures dommageables mais par la baisse du taux d'imposition, associée à des instruments traditionnels, comme les prix de transfert et la déductibilité des intérêts, ou nouveaux : les situations hybrides, les divergences de législation, dites mismatches, les différences de traitement des revenus passifs - notamment pour les brevets - et l'exploitation des faiblesses de textes comme tels les directives visant l'élimination de la double imposition (mères-filiales, intérêts et redevances), qui permet à certains de s'exonérer de toute imposition.

Entre 2005 et 2007, les petits pays ont commencé à entrer en rébellion, rompant le consensus au sein du groupe « code de conduite » car ils s'estimaient trop systématiquement désignés comme les coupables des situations de concurrence fiscale dommageable. Le code lui-même n'a pas été révisé, en dépit de réflexions engagées dès 2004 ou 2005 en ce sens, faute de soutien politique de la part des États membres, de la Commission et de la présidence du groupe « code de conduite ». Le code n'est plus adapté. Les intérêts notionnels belges, qui permettent de déduire la rémunération normale du capital, ne constituent ni une mesure dommageable, ni une aide d'État, et sont donc parfaitement licites. Pourtant, selon Le soir du 28 janvier dernier, Arcelor-Mittal France, qui a généré entre 2008 et 2011 5,8 milliards d'euros de profits, a déduit 5,6 milliards au titre des intérêts notionnels. Or cet impôt éludé ne constitue pas un manque à gagner pour le fisc belge puisqu'il aurait dû être payé sur les bénéfices étrangers. Ce type de situation appelle une analyse différente de la notion de concurrence fiscale et de ses effets sur la concurrence, la croissance et l'emploi.

La fiscalité de l'épargne, deuxième volet du paquet fiscal de 1996, a fait l'objet d'une directive adoptée en 2003 et entrée en vigueur le 1er juillet 2005. Ses effets, d'abord limités, se sont renforcés lorsque les mesures de transition se sont achevées. Cette directive manquait en partie son but car certaines situations n'avaient pas été correctement prises en compte dans la rédaction initiale ou ont été modifiées lors de l'examen au Conseil. Nous avons préparé sa révision en toute transparence, en publiant tous nos documents d'analyse sur le site de la Commission. C'est le meilleur moyen d'être protégé des pressions des lobbies. La révision de la directive a été adoptée en 2008, mais le Luxembourg et l'Autriche bloquent son adoption par le Conseil des ministres. Or les États-membres n'y portent pas un intérêt suffisant pour surmonter ce blocage, et la Commission se montre assez passive. La récente directive d'assistance mutuelle, qui comprend la clause de la nation la plus favorisée, et l'adoption du Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) ont enfin fait bouger les choses, laissant espérer que la directive amendant la directive « Épargne » sera adoptée, que les mandats de négociation avec les cinq pays tiers appartenant au champ de la directive ACCIS seront attribués à la Commission, et que les Pays-Bas et le Royaume-Uni modifieront d'eux-mêmes l'application de la directive dans leurs territoires dépendants et associés.

En conclusion, c'est aux grands pays de faire pression pour réguler la concurrence fiscale et obtenir les modifications nécessaires en matière d'échange d'informations et d'assistance mutuelle.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Merci pour ces informations intéressantes. L'un des ressorts de l'évasion fiscale est la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne. Nous sommes très loin de l'harmonisation, qui devrait être une priorité. Ce chantier est-il engagé ? M. Cameron déclarait récemment que l'impôt sur les sociétés allait encore diminuer au Royaume-Uni, après s'être dit prêt à accueillir les exilés fiscaux... La concurrence est exacerbée. Comment se construit-elle ? Quelles pistes explorer pour arriver à un espace fiscalement harmonisé, supprimant toute velléité d'évasion ? Je crois que l'Union européenne n'a pas pris ce sujet à bras le corps.

La concurrence fiscale semble plus forte à l'intérieur de l'Union que vis-à-vis du reste du monde. Les taux d'imposition des sociétés ont beaucoup plus baissé au cours des vingt dernières années dans notre zone que ce n'est le cas aux États-Unis, au Japon ou dans les autres pays membres de l'OCDE. Je vous transmettrai les graphiques si vous le souhaitez. La concurrence fiscale est avant tout un problème intra-européen. Les pays du Benelux, très actifs dans ce domaine, ont toujours utilisé ce moyen de contrebalancer les difficultés propres aux petits pays : faute de grand marché domestique, ils sont obligés de se lancer dans des activités à l'étranger, ce qui, en l'absence de compensation transfrontalière, génère des pertes fiscales. Pour en limiter les conséquences, il leur faut donc devenir particulièrement attractifs, et attirer soit les activités, soit les assiettes fiscales.

Que faire ? La seule solution, à mes yeux, passe par l'adoption de l'ACCIS. J'y ai travaillé pendant dix ans. Ce projet associe assiette unique et consolidation, ce qui attirera les entreprises, en leur apportant une vraie simplification et l'assurance de n'être taxées que sur le profit net. BusinessEurope a soutenu cette approche depuis le début. En mettant en place une répartition de l'assiette par une formule à trois facteurs, l'ACCIS répond à la plupart des critiques sérieuses sur le besoin de changer de système fiscal. Le projet Base Erosion and Profit Shifting (Beps) de l'OCDE dénonçait le découplage croissant entre le lieu où les entreprises exercent leurs activités et investissent et celui où les bénéfices sont déclarés à des fins fiscales. Avec l'ACCIS, la répartition de l'assiette ne passe plus par les prix de transfert et le traitement indépendant de chaque entité mais par la considération du groupe d'entreprises qui a, dans une assiette unique commune, une formule pour répartir son activité et ses profits sur les différents territoires. Malheureusement, ce projet n'avance pas. Pis, le groupe des questions fiscales du Conseil aurait décidé de limiter les discussions à l'harmonisation de l'assiette, la consolidation et la répartition étant mises de côté, alors que ce sont les parties essentielles !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Si ce projet fait l'objet d'un accord, comment expliquez-vous qu'il soit si difficile à mettre en oeuvre ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

C'est une révolution, qui change complètement la façon d'aborder l'activité des groupes et leur contrôle. Cela va très loin, et n'est pas sans poser de problèmes. Pour les analyser à fond, il nous faut la coopération des États membres : sans accès aux recettes et aux profits déclarés, impossible de réaliser des simulations et d'évaluer toutes les conséquences de l'ACCIS. La formule de répartition suscite encore des difficultés, notamment dans la partie « capital », puisque qu'elle ne retient que les actifs corporels, et en ce qui concerne les ventes : idéalement, les ventes de Google en France seraient saisies dans la formule de répartition, puisque Google a un établissement stable en France, par lequel les ventes à destinations de clients sur le territoire français seraient recensées et donc incluses dans la répartition, ce qui changerait considérablement l'assiette de la taxe payée par Google en France - à condition que l'on accepte ce critère de vente à destination, et que Google conserve cet établissement stable en France... Les incertitudes et les réticences face à cette révolution expliquent le peu d'entrain des États membres pour faire avancer le projet.

La Commission vient de publier trois communications sur la lutte contre l'évasion fiscale qui relèvent plus d'une « shopping list » de mesures que d'une stratégie fiscale d'ensemble, et dont l'ACCIS semble avoir presque totalement disparu. C'est pourtant la solution à plus de la moitié des problèmes posés par l'évasion fiscale.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Quelle est la position officielle de la France sur l'ACCIS ? Est-elle maximaliste, ou favorable à un compromis ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

J'ai été déçu par l'attitude française. Je pensais que nous avions fait suffisamment de progrès dans la compréhension du projet pour que le soutien de la France soit fort. En 2008, la présidence française avait l'intention de faire avancer l'ACCIS, mais la Commission n'a pas été capable de présenter une proposition. Depuis, nous stagnons, et le projet n'avance pas. Il ne verra le jour que si la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, qui représentent 60% du PIB de l'Union, s'allient, comme elles l'ont fait pour l'échange automatique d'informations, afin de faire pression.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Avez-vous une idée des flux et du niveau d'imposition que représenteraient les incorporels ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Non. On dit habituellement que le commerce intragroupe représente environ 70 % du commerce intracommunautaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Notre commission s'intéresse au rôle des banques et des acteurs financiers. Quel est le rôle des opérations financières dans les pratiques d'optimisation fiscale des entreprises et des individus, et celui des financements intragroupe dans les schémas fiscaux agressifs ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Je n'ai guère d'éléments à vous donner. J'ai peu travaillé avec les opérateurs bancaires et financiers, si ce n'est sur la fiscalité de l'épargne ou la TVA.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Vous avez évoqué les produits hybrides et les revenus passifs. Quelles sont les techniques utilisées ? Comment les opérateurs utilisent-ils les conventions fiscales pour éliminer ou réduire la charge fiscale ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Je crains de devoir vous décevoir à nouveau : économiste de formation, je n'ai guère de pratique de ces questions. On recense une soixantaine de situations hybrides à l'intérieur de l'Union : par exemple, d'un côté de la frontière on est imposable à l'impôt sur les sociétés, de l'autre à l'impôt sur le revenu des personnes physiques. En jouant habilement sur cette différence, on peut n'être imposé nulle part.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Quand on a en charge, dans un grand cabinet d'avocats, un pôle « prospective fiscale et stratégie d'entreprise », quelle ingénierie vend-on à ses clients ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Pour ma part, je ne vends rien. Je suis arrivé chez TAJ en 2008 avec pour projet de créer un centre de recherche fiscale en France : nous n'avons rien de tel aujourd'hui, quand le Royaume-Uni possède deux grands instituts : l'Institute for Fiscal Studies et l'Oxford Center for Business Taxation. Chez TAJ, je fournis un support aux avocats du cabinet, qui sont mes seuls clients, sur les questions économiques et européennes, par exemple sur la manière dont la Cour de justice de l'Union européenne a abordé la question des exit tax. Je dirige également un blog qui publie des articles sur la politique fiscale pour nourrir la réflexion des décideurs publics comme privés. Je représente enfin TAJ dans toutes les organisations, associations, institutions, confédérations traitant de fiscalité, si possible européenne. Mes activités ne sont donc guère orientées vers la pratique du conseil.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Pour une personne physique au patrimoine important, qui ne serait pas très attachée à son lieu de résidence, souhaitant optimiser ses revenus et sa retraite en restant en Europe, quelle serait la meilleure destination ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Avec ces seuls éléments, je suis incapable de vous répondre.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Imaginons une personne qui n'aurait pas la terre attachée à ses souliers. Ira-t-elle à Londres ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Chez la plupart de nos voisins, l'activité est beaucoup plus fortement taxée qu'en France. En Belgique, où je réside depuis 37 ans, le taux marginal d'imposition est de 50 %, et est atteint dès 30 000 euros de revenu annuel ! Dans la perspective de la retraite, la Belgique peut en revanche être une destination intéressante : les plus-values n'y sont pas imposées. Mais les droits de succession y sont beaucoup plus élevés qu'en France si l'on n'a pas pris la précaution de structurer son capital. Il n'y a donc pas de réponse évidente à votre question.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Plus que de l'optimisation, il faut faire de l'orfèvrerie fiscale.

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Nous parlons de solutions légales. Comment faire la différence entre optimisation et évasion fiscale ? L'évasion est légale. Je ne crois pas que l'on puisse marquer une limite précise entre les deux.

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Je ne crois pas non plus aux dispositifs anti-abus.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Les Britanniques ont travaillé sur cette notion, pourtant.

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

En effet, notamment en mettant en place une obligation de révéler les montages. Personnellement, je n'y crois pas.

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Oui. De même, les Britanniques terminent une consultation sur une mesure générale anti-abus qu'ils souhaitent mettre en place. Je n'y crois pas non plus : ces mesures anti-abus sont inapplicables au cas par cas dans la plupart des situations.

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Je parle d'une clause anti-abus fiscal générale. Le risque est grand de faire obstacle à l'activité légitime des opérateurs économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Ne pourrait-on généraliser l'obligation de passer par le rescrit ?

M. Michel Aujean. - Je suis en faveur de ce que l'OCDE a appelé la cooperative compliance : il s'agit de passer à une autre approche de la relation entre les contribuables et l'administration, fondée sur la confiance. L'administration fiscale française s'y met, avec retard. Cette démarche est plus convaincante : une présence continue auprès de l'entreprise permet d'être mieux informé de ses pratiques et de ses stratégies, et de mieux les comprendre. L'intervention fiscale, avec l'appui de rescrits qui seraient publiés, gagnerait en solidité.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

La question des revenus différés a-t-elle fait l'objet d'une attention particulière ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Nous nous sommes penchés sur le cas des pensions complémentaires obligatoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Je pensais à la dénonciation, par le Danemark, de la convention fiscale.

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

À partir de 2001, la Commission s'est efforcée de faire éliminer par les États membres les discriminations qui interdisaient, par exemple, à un Danois contribuant à un fonds de pension finlandais de bénéficier de la déductibilité des cotisations. Certains contribuables cotisaient - et déduisaient - dans les pays nordiques et allaient ensuite jouir de leur pension en Espagne, où elle était imposée. Cela constituait un véritable transfert au profit des pays du Sud. Nous avons suggéré d'instaurer des échanges d'information et de répartir différemment l'imposition des pensions, mais les États membres ne l'ont pas souhaité. La seule suite a été cette procédure d'infraction contre les États membres qui n'acceptaient pas la déductibilité transfrontalière des cotisations.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Quel est le rôle des banques dans l'évasion fiscale ? Font-elles du conseil ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Comment accompagnent-elles leurs clients dans ces démarches ? Est-ce à cette fin qu'elles créent de nombreuses filiales à l'étranger ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Lors de la modification de la loi de modernisation de l'économie, j'avais déposé plusieurs amendements pour créer un pôle d'excellence en matière fiscale et internationale. L'université de Paris-Dauphine me semblait l'endroit idoine pour un troisième cycle en fiscalité internationale. Pouvez-vous nous donner, en exclusivité, votre vision d'un tel pôle d'excellence ? Si nous ne formons pas des fiscalistes d'excellence, ce sont les banques qui recruteront les meilleurs, et notre administration fiscale restera à la traîne.

Le Qatar bénéficie d'une convention qui fait de la France, pour ce pays, un paradis fiscal. Comment revoir cette convention fiscale ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Je n'ai aucune expérience de la banque : je n'ai côtoyé le système bancaire que dans le cadre des discussions autour de la directive « Épargne ». J'ai découvert des choses étonnantes à cette occasion : lorsqu'une retenue à la source de 15% a été évoquée, j'ai appris que cela correspondait à peu près aux frais de gestion de patrimoine réclamés aux épargnants par les banques des pays à secret bancaire ! Je ne sais absolument pas si les banques conseillent ou accompagnent leurs clients dans l'évasion fiscale.

J'ai été en contact avec Paris-Dauphine, car nous avions envisagé de créer une chaire de fiscalité. Ce projet semble en sommeil, mais je le reprendrais volontiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Faites confiance à notre commission, cela va prospérer !

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Le centre d'Oxford me paraît un excellent modèle. Il est né d'une initiative conjointe du club des cent plus grosses entreprises britanniques, du Trésor et des milieux universitaires. Un appel d'offre a été publié, Oxford l'a emporté. Ce centre n'a plus besoin du financement tripartite initial, il vole désormais de ses propres ailes et produit une excellente littérature.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Vous avez parlé d'échanges entre l'administration fiscale et les entreprises. Serait-il utile que les schémas proposés par les fiscalistes, au-delà d'un certain niveau, soient automatiquement communiqués à l'administration, afin de garantir qu'il ne s'agit bien que d'optimisation ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Quels sont les moyens et l'autorité du législateur fiscal en France ? Le système fiscal français est à la fois complexe, inefficace - taux nominaux élevés, recettes modestes -, décourageant, instable, et difficile à administrer. La stabilité du cadre fiscal, la sécurité juridique, la non-rétroactivité sont les premiers critères de l'attractivité. Comment rendre de l'efficacité à ce système ? Certains pays ont choisi de fonder leur attractivité sur une assiette étroite, des niches et un taux effectif faible, mais ce n'est pas ce que la sagesse conventionnelle recommande. Une divulgation des montages n'aurait de sens que si elle s'inscrivait dans une relation de cooperative compliance, dans laquelle l'entreprise a besoin d'échanges avec l'administration fiscale pour acquérir la certitude juridique. Dans le cadre administratif actuel, c'est impossible.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Nous voulons nous hâter de rendre la fiscalité populaire, comme Diderot voulait rendre la philosophie populaire. C'est un sujet éminemment politique, citoyen, qui nous concerne tous. La fiscalité est l'arme de la République pour construire une société meilleure. Vous avez dit que les intérêts notionnels en Belgique ne sont pas une aide d'État. Cela a-t-il été jugé ?

Oui, ce régime a été notifié à la Commission au titre des aides d'État, et la Commission a indiqué qu'il s'agissait d'une mesure générale. Il a aussi été notifié au groupe « code de conduite », qui a conclu qu'il ne s'agissait pas d'une mesure dommageable.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Les conclusions du G8 qui s'est tenu hier en Irlande du Nord sont truffées du verbe modal should : on reste dans le domaine des recommandations et des déclarations d'intention. Quelle appréciation portez-vous sur les conclusions de ce sommet ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

C'est un grand progrès que d'avoir une intention ferme de mettre en oeuvre un échange automatique d'informations. Je me suis battu pendant des années pour y parvenir, dans le cadre de la directive « Épargne ». La difficulté tient aux sociétés-écrans ou trusts qui rendent ces échanges automatiques inutiles en dissimulant l'identité réelle du contribuable. À ce stade, je reste donc sur ma faim.

La directive « Épargne » a défini la catégorie de revenus - les intérêts, au sens large - faisant l'objet d'échange d'informations. Sans pareille définition internationale, il sera difficile d'échanger des informations, car on ne saura pas ce que l'on échange. L'administration belge, qui ne taxe pas les plus-values, a ainsi communiqué au fisc français le montant du capital d'une Sicav, que ce dernier a pris pour la plus-value... Il faudra harmoniser les définitions du champ de l'échange d'information avant de le rendre opérationnel. L'OCDE a l'intention d'y travailler, je lui souhaite bonne chance.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Vous avez évoqué le code de conduite : qui en était l'initiateur ? De quand date-t-il ? Quel en est le contenu ? Est-ce une arme efficace ?

Debut de section - Permalien
Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne

Le code de conduite résulte d'un paquet de mesures adopté en 1997 par les quinze ministres des finances et étendu par la suite aux douze nouveaux États membres. Il définit une concurrence fiscale dommageable comme une mesure qui procure un taux effectif d'imposition inférieur au taux normal applicable - les centres de coordination belges parvenaient à réduire le taux effectif de 34 % à 7 % - et passe les mesures fiscales au crible de cinq critères : est-elle réservée aux non-résidents ? Cantonnée ? Correspond-elle à une activité économique réelle ? Applique-t-on des prix de transfert conformes aux principes de l'OCDE ? La mesure est-elle transparente ?

La Commission, chargée par le Conseil de conduire un premier examen, a produit une liste d'une cinquantaine de mesures jugées dommageables, chiffre porté à 283 grâce aux dénonciations réciproques des États membres. Nous avons dressé une fiche technique sur chacune de ces mesures et le Conseil a créé un groupe de haut niveau pour les passer en revue. Dans une première phase, 66 mesures ont été déclarées dommageables, dont le régime des brevets en France. En général, elles ont été soit amendées, soit supprimées ; pour toutes une solution a été trouvée. Les douze nouveaux entrants ont été soumis au même exercice, et 38 mesures dommageables ont été éliminées.

Depuis 2005, le groupe se consacre à l'examen des nouvelles mesures, qui doivent être notifiées par les États membres. L'examen se fait toutefois a posteriori, après leur adoption, ce qui me parait être de mauvaise méthode. Le groupe examine également les situations de mismatch, qui se traduisent par exemple par une double non-imposition.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Monsieur le Ministre, le déroulement d'une Commission d'enquête oblige à prêter serment. Je vais donc recevoir le vôtre. Dans la mesure où vos conseillers pourraient intervenir, je vais leur demander de prêter serment également. Je vous demanderai de nous donner votre nom et votre qualité après l'énoncé du serment.

Monsieur le Ministre Bernard Cazeneuve, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « Je le jure ».

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Je le jure

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Je vous en remercie. M. Bastien Llorca, Prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».

Debut de section - Permalien
Bastien Lllorca, Direction générale des Finances publiques, Sous-Directeur du contrôle fiscal

Je le jure.

Debut de section - Permalien
Marc Emptaz, Direction générale des Finances publiques, Chef de la mission pilotage au service du contrôle fiscal

Je le jure.

Je vais vous redire le serment, pour garantir le respect des formes. Monsieur, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « Je le jure ».

Je le jure.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Merci beaucoup. M. Frédéric Bredillot. Prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « Je le jure ».

Debut de section - Permalien
Frédéric Bredillot, Conseiller spécial et chargé de la fiscalité au cabinet de Monsieur Bernard Cazeneuve

Je le jure.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Je vous en remercie.

Monsieur le Ministre, je vous propose de procéder, comme nous le faisons depuis le début de cette commission, à un exposé de 10 minutes de ce que vous souhaitez évoquer sur le thème de notre enquête. Je donnerai ensuite la parole à Eric Bocquet, notre Rapporteur, qui vous posera les questions qu'il souhaite. Par la suite, mes collègues animeront le débat qui s'achèvera par les questions du Rapporteur et éventuellement les précisions que vous jugeriez utile de rajouter.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre hospitalité et votre invitation.

Je suis ici à quelques heures de l'ouverture du débat devant le Parlement sur la loi relative à la fraude fiscale et la grande délinquance financière. Je connais la qualité du travail de votre Commission, dont j'ai parfois lu les comptes rendus d'audition sur les sujets les plus sensibles. Le Rapporteur de votre Commission est depuis longtemps impliqué sur ces sujets. Il a formulé un grand nombre de propositions sur des questions liées à la lutte contre la fraude fiscale. Je me réjouis de pouvoir engager l'échange avec vous sur ces propositions et sur celles contenues dans le projet de loi.

Je vais aller à l'essentiel pour prendre le temps du débat et répondre ainsi à vos questions légitimes. Vous m'excuserez à l'avance de ne pas pouvoir répondre aux questions relevant non pas de ma compétence, mais de celle de l'administration de Bercy. Le cas échéant, je vous proposerai de répondre par écrit dans les heures qui viennent aux questions qui requièrent une expertise technique complémentaire

Quelques chiffres permettent de comprendre « l'équation » du sujet. Entre 2011 et 2012, nous avons émis pour 2 milliards supplémentaires de titres de recouvrement et de pénalités à destination de contribuables auteurs de fraude fiscale. Ces titres et pénalités sont passés de 16 à 18 milliards d'euros entre 2011 et 2012. Sur ce montant global, environ 6 milliards d'euros résultent d'actes de fraude fiscale très significatifs. C'est dire l'importance de l'enjeu, de l'équation qui se présente à nous, et l'intérêt que nous avons à nous doter de moyens d'investigation, de contrôle et de recouvrement adaptés. Dans un contexte particulièrement difficile pour les finances publiques, l'effort de redressement des comptes doit obliger ceux qui ont oublié depuis longtemps d'exercer leur devoir de citoyen et de contribuable à régulariser leur situation.

Nous avons déjà pris de nombreuses dispositions pour renforcer les dispositifs de lutte contre la fraude fiscale dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012 et de la loi de finances initiale pour 2013.

D'abord, pour les particuliers qui ont déposé des avoirs à l'étranger et qui ne peuvent rétablir devant l'administration fiscale la traçabilité des fonds, un prélèvement à hauteur de 60 % des montants déposés pourrait intervenir.

Nous avons, de plus, pris des dispositions pour lutter contre les transferts de bénéfices de la part d'entreprises vers des pays fiscalement avantageux. Jusqu'à présent, quand les raisons du transfert suscitaient un doute, l'administration fiscale devait établir la preuve de ses interrogations. Aujourd'hui, c'est au contribuable d'indiquer les raisons de ce transfert lorsque l'administration s'interroge. En particulier, pour éviter une double optimisation fiscale avec les transferts de bénéfices et des déductions de charges en France, il a été décidé de modifier la fiscalité applicable aux intérêts d'emprunts contractés par des entreprises.

Nous sommes allés encore beaucoup plus loin dans le cadre de la loi bancaire, en obligeant les banques et leurs filiales à déclarer de façon très détaillée l'ensemble de leurs activités à l'étranger. Nous devons nous doter d'une meilleure expertise et d'une meilleure visibilité sur ces activités. Les banques qui constatent des mouvements de fonds suspects doivent communiquer à Tracfin toute information relative à ces mouvements.

Par ailleurs le dispositif existant sera renforcé avec la loi présentée à partir de demain au Parlement. Il s'agit d'abord de renforcer les moyens de l'administration fiscale et de la justice en réarticulant leurs rôles, afin de permettre plus grande efficience de la lutte contre la fraude. Quand des contribuables indélicats ont recouru à des sociétés écrans ou à des comptes à l'étranger, la police judiciaire d'enquête fiscale pourra mobiliser des dispositifs de garde à vue, d'infiltration et d'écoutes, dans le respect des règles. Jusqu'à présent, elle ne pouvait pas recourir à ces dispositifs. Nous avons en outre décidé d'inscrire dans la loi des dispositions qui permettront à l'administration fiscale, quand une liste lui a été communiquée de façon licite, de l'exploiter totalement même si son origine, elle, n'est pas licite. Jusqu'à présent, la Cour de Cassation refusait que les éléments communiqués à l'administration de façon licite puissent être exploités dès lors que cette origine n'était pas licite.

Le recouvrement des sommes dues sera plus facile dès lors que les contribuables fraudeurs ont été identifiés et que les pénalités commencent à leur être appliquées. Si une personne morale s'est livrée à des actions de blanchiment de fraude fiscale, elle pourra voir la totalité de ses biens saisis. Quand il s'agira de saisir les biens d'un auteur de fraude fiscale, ce dernier pourra se voir saisir jusqu'à son assurance-vie.

Ces quelques exemples montrent que le renforcement de l'arsenal juridique est considérable. Le dispositif sera plus répressif qu'actuellement, puisque les amendes pourront s'élever jusqu'à 2 millions d'euros, et les peines d'emprisonnement à 7 ans.

Une plus grande coordination est nécessaire sur les plans européen et international, faute de quoi le dispositif français sera inefficace. Nous avons donc décidé de mettre en place des conventions automatiques d'échanges d'informations. L'objectif est qu'elles garantissent à chaque Etat d'obtenir des autres Etats des informations très précises sur les avoirs détenus à l'étranger par des contribuables de son ressort territorial. Cette proposition a été actée durant le G8. Nous voulons la mettre en oeuvre au sein de l'Union européenne (UE), à la faveur de la renégociation des directives Epargne et de la directive Anti-blanchiment n°IV. Il s'agit de s'assurer que des conventions automatiques d'échanges d'informations harmonisées sont établies entre l'ensemble des Etats membres, et que l'UE puisse signer avec des pays tiers des conventions de type FATCA. Il s'agit par ailleurs d'obtenir une liste des Etats et territoires non coopératifs (liste ETNC). La manifestation d'une volonté au niveau de l'UE sera toujours plus forte qu'une initiative nationale. D'autres sujets doivent faire l'objet de travaux, comme l'élaboration des registres des trusts. Nous ne sommes pas allés aussi loin que nous l'aurions souhaité sur ce sujet considérable.

Je voudrais enfin m'exprimer sur la régularisation des fraudeurs. Je lis en la matière des choses très contrastées, comme si nous voulions entretenir la confusion ou la polémique sur ces sujets. Le gouvernement sait très clairement ce qu'il veut faire. Nous n'allons pas tomber dans le travers qui consisterait à indiquer aux fraudeurs qu'au motif qu'un durcissement de l'arsenal répressif et pénal est opéré, nous allons attendre de les confondre pour récupérer les sommes dues. Une approche exclusivement pénale serait absurde, alors que le durcissement peut inciter les fraudeurs à régulariser leur situation de leur propre initiative. Il nous importe ici qu'ils paient leurs impôts et que ce qu'ils doivent au pays puisse être acquitté dans un contexte de redressement des comptes. Ce processus requiert des conditions de droit commun et de transparence, ainsi que la possibilité pour le Parlement de connaître les conditions de régularisation.

Par droit commun, j'entends que les contribuables souhaitant se régulariser doivent pouvoir le faire auprès des services de l'administration fiscale sans qu'une structure particulière ne soit créée pour les accueillir. Les structures adéquates existent déjà, et elles fonctionnent. Je pense notamment à la Direction nationale de vérification des situations fiscales. Le droit commun signifie aussi que les textes votés par le Parlement, et qui définissent le niveau des peines, doivent pouvoir être appliqués à ces contribuables qui viennent se conformer au droit. Je tiens à rappeler que ceux des contribuables qui ne se régularisent pas mais sont confondus au terme des enquêtes se voient appliquer un niveau de pénalités de 80 %. Il est normal que ceux qui se présentent à l'administration fiscale d'eux-mêmes se voient appliquer des pénalités, elles aussi définies par le législateur, moins importantes. Ces pénalités ne peuvent pas être laissées dans le flou, ce qui donnerait le sentiment que des transactions opaques sont opérées. Les règles doivent exister, reprendre ce que le Parlement a voté, et s'appliquer à tous les contribuables dans les mêmes conditions. Le principe d'égalité devant l'impôt doit être respecté. C'est pourquoi j'ai indiqué que le droit commun signifie non seulement le passage devant les structures compétentes, mais aussi l'application des barèmes votés par Parlement, précisés dans leur application par une circulaire que je prendrai, et dont le Parlement aura à connaître annuellement. Je rendrai compte en effet chaque année des conditions dans lesquelles ces procédures ont été appliquées : combien de dossiers, de personnes, de fonds récoltés, quelles conditions de traitement des dossiers. Tout sera fait en toute transparence. Aucune remise sur le montant des impôts ne sera opérée. Enfin l'anonymat ne sera pas de mise. Ceux qui viendront devant l'administration viendront eux-mêmes, sans le truchement d'un conseil.

Je me tiens maintenant à votre entière disposition pour répondre à vos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Merci Monsieur le Ministre. Je passe la parole à notre rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Merci Monsieur le Président.

Monsieur le Ministre, je reviens sur le retour des « repentis ». Un quotidien national évoquait ce week-end le chiffre de 5 000 évadés qui auraient pris contact avec vos services pour régulariser leur situation. Confirmez-vous ? En cas de réponse positive, et j'imagine qu'elle l'est, comment les choses se passent-elles

Ma deuxième question a trait à la liste des Etats non coopératifs. Elle n'a à ma connaissance pas encore été publiée par la France. Pourquoi ? Est-ce un signe de faiblesse, de difficulté supplémentaire dans l'appréhension de ce sujet difficile ?

Vous avez fait référence au sommet du G8 qui s'est tenu hier en Irlande du Nord. J'ai sous les yeux la déclaration finale. J'ai le sentiment, et vous me direz si vous le partagez, que nous sommes encore trop dans la déclaration d'intentions. Il ne me semble pas qu'aient été actées des décisions engageant la mise en oeuvre de procédures précises à partir d'aujourd'hui. S'agit-il d'une déclaration de compromis, les intérêts entre ces huit Etats pouvant être divergents, voire antagoniques ? Quels ont été les Etats les plus réticents à la rédaction de ce texte - je pense notamment à l'échec de l'enregistrement des trusts ? Y a-t-il front uni au sein de l'UE et du G8 ?

Enfin nous venons d'entendre Monsieur Michel Aujean, ancien Directeur des analyses et des politiques fiscales à la Direction générale de la fiscalité de l'UE. Il nous a cité le cas d'une entreprise qui « gagnait » 5,6 milliards d'euros grâce au régime des intérêts notionnels, tel qu'il existe en Belgique et en Italie. Avez-vous une estimation du coût de ce régime particulier pour nos finances publiques ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Merci Monsieur le Rapporteur pour ces questions.

Concernant l'impact des dispositifs d'intérêts notionnels belge et italien, cette question a été évoquée à plusieurs reprises dans vos travaux. Elle implique pour nous des éléments de retraitement assez complexes qui ne garantissent pas que ce calcul puisse être effectué et la réponse apportée de façon précise. Mes services sont en train de se pencher sur ce sujet. Je vous propose de vous adresser dans les meilleurs délais une réponse écrite. Vous pourrez ensuite faire des demandes complémentaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Vous mesurez bien l'importance de l'enjeu compte tenu des montants cités.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

L'enjeu est important, la mesure est complexe et ne peut donc être aléatoire. C'est pourquoi je propose de prendre le temps d'apporter une réponse précise à cette question qui nous préoccupe autant que vous.

Concernant les 5 000 noms, si nous avions une idée précise du nombre de personnes susceptibles de se présenter à nous et du montant que nous pouvons récupérer de leur part, cela signifierait que nous savons qui fraude et combien chaque fraudeur détient. Ce n'est pas le cas. Il s'agirait, sinon, d'une défaillance de nos services. Or je sais l'exigence qu'ils se fixent dans leur mission. Nous ne pouvons donc répondre à votre question qu'année après année, en fonction des données récupérées grâce aux dispositifs que nous avons mobilisés.

Nous sommes dans une nouvelle étape législative. Nous procédons à un renforcement des sanctions contre les personnes morales ou physiques qui fraudent, seules ou en bande organisée. Par ailleurs ce projet de loi renforce également les moyens alloués à l'administration et la Justice. Dans ce sens, nous créons un parquet spécialisé. Cette organisation va réarticuler le rôle entre les juridictions régionales et le parquet spécialis. Il s'agit de garantir la couverture la plus large du territoire et le traitement du plus grand nombre de cas. Cette nouvelle organisation est un élément déterminant porté par le dispositif législatif. Nous saurons au terme de cette mobilisation le nombre de cas concernés. Nous en rendrons compte annuellement, ainsi que des sommes prélevées, des conditions de traitement et des pénalités et amendes appliquées à chaque cas.

Concernant la liste ETNC, il serait efficace qu'elle soit publiée par l'UE elle-même. Une telle liste aurait en effet beaucoup plus de force qu'une liste nationale. Nous y travaillons. Si nous n'y parvenons pas, nous prendrons nos responsabilités pour publier cette liste en France dans les meilleurs délais, dans les semaines qui viennent. Le principe est simple : il ne suffit pas d'être dans une convention d'échange d'informations avec la France pour ne pas figurer dans la liste ETNC. Si être signataire d'une convention est un préalable, il faut également la respecter.

Au niveau du G8, vous avez raison, Monsieur le Rapporteur : des choses ont été faites, mais il reste beaucoup à faire. Si la signature de conventions automatiques d'échanges d'informations, grâce notamment aux initiatives américaines, a permis de changer la donne, il est évident que sur les trusts, les registres, les déclarations pays par pays, les avancées ne peuvent être que progressives. Le Président français a affirmé que les avancées étaient réelles, mais que la France aurait espéré aller plus loin.

L'idée est donc de poursuivre ce combat en profitant de la dynamique au sein de l'UE pour aller au bout de la transparence et du démantèlement des trusts.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

J'ai deux questions à titre personnel.

D'abord sur la transparence des poursuites, un parquet spécialisé va être créé. Pour autant, en matière de fraude fiscale, les poursuites sont impossibles tant que l'administration n'a pas saisi la Commission des infractions fiscales (CIF). Cela peut amener à penser que l'administration peut choisir ses cibles ou ses victimes - ma formule est forte. Ne pensez-vous pas qu'il est temps de supprimer cette procédure ?

Ma deuxième question est plus générale : Certaines auditions, dont celle particulièrement claire de Monsieur Peyrelevade, ont attiré notre attention sur le fait que l'harmonisation fiscale est peu évoquée. Si celle-ci était plus étendue, de nombreux problèmes seraient réglés. Le gouvernement envisage-t-il d'inciter les Etats membres de l'UE à parvenir à une harmonisation fiscale acceptable dans un délai bref ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Merci Monsieur le Président pour ces deux questions.

Je veux revenir, si vous le permettez, sur la question des trusts, pour apporter des compléments d'informations. D'abord, la notion de trust n'existe pas en droit français. Elle existe essentiellement en droit anglo-saxon. Son usage n'est pas nécessairement opaque ou destiné à accompagner des actions de fraude fiscale, mais peut viser des fins caritatives. Le G8, malgré les difficultés posées par le positionnement de certains pays sur la publication des registres, a prévu des plans internationaux pour identifier les propriétaires des trusts. C'est un premier pas, qui mérite d'être souligné. Je rappelle par ailleurs que le sujet de la transparence des structures opaques n'est à l'ordre du jour de la communauté internationale que depuis le G20 de Washington en avril dernier. Nous avons donc avancé très vite sur des sujets n'ayant émergé que récemment, et la France a décidé d'être offensive.

Pour en venir à vos deux questions, nous pensons qu'il ne faut laisser aucun interstice au fraudeur. L'articulation entre l'administration fiscale et la Justice doit être optimisée, afin que leur action conjuguée fasse peser une pression dissuasive sur le fraudeur. Je tiens à cette articulation, car le temps d'action de l'administration fiscale est court : entre le moment où elle constate la fraude et celui où elle demande au contribuable de payer les sommes dues, il s'écoule moins de temps que lorsque la Justice est mise en mouvement. Nous devons avoir cette rapidité d'intervention, qui garantit que le fraudeur ne pourra pas prendre le temps de nous faire oublier ce qu'il doit, et que les éventuelles amendes et pénalités seront appliquées rapidement. Le montant le plus élevé des amendes et pénalités appliqué ces dernières années était de 65 millions d'euros, ce qui n'est pas rien. La moyenne des peines sous forme d'amendes et de pénalités est par ailleurs très significative. Nous avons donc intérêt à ce temps court et à cette rapidité des peines. En même temps, dès lors que l'administration fiscale constate qu'une action judiciaire est nécessaire, nous devons avoir la garantie de la fluidité et de la transparence de cette transition. C'est pourquoi je suis extrêmement favorable à ce qu'il soit rendu compte devant le Parlement, dans des conditions à préciser, de la manière dont la CIF examine les dossiers qui lui sont transmis et dont elle décide ou non de les transmettre à la Justice. L'administration fiscale transmet un peu plus d'un millier de dossiers par an à la CIF, qui décide de ne pas donner suite à environ 10 % d'entre eux. L'administration fiscale est donc très sévère au regard de ce qu'apprécient les magistrats de la Cour des comptes ou du Conseil d'Etat membres de la CIF. Je comprends qu'il serait légitime de rendre compte des raisons pour lesquelles une partie des dossiers a échappé à la transmission au juge judiciaire.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Certes, mais une saisine de la CIF est très rare au regard du nombre de contrôles. Le procureur qui assiste aux audiences du Tribunal de commerce peut être témoin de faits qui posent problème au niveau fiscal. Il serait intéressant que lui aussi puisse déclencher les poursuites

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Monsieur le Président, je voudrais faire deux remarques.

D'abord pour ce qui concerne les chiffres précis, 1 126 dossiers ont été fournis à la CIF, qui en a transmis 987 au juge. Un grand nombre des dossiers contrôlés et non transmis à la Justice a fait l'objet de la part de l'administration fiscale d'une sanction à caractère pénal, sous forme d'amendes et de pénalités parfois extrêmement lourdes. Je trouve donc absurde la discussion sur une immunité pénale du fraudeur, car le fraudeur qui se déclare de sa propre initiative et qui se voit appliquer une peine et une amende fait déjà l'objet d'une sanction pénale de fait.

La question est donc de savoir si le fraudeur échappe à la procédure judiciaire ou non. La gradation entre la faute commise et la sanction appliquée est une préoccupation permanente. La Justice s'exposerait à une embolisation si la proportion était évitée et si la pénalisation était systématique.

Les 1 000 dossiers transmis à la CIF ne sont donc pas les seuls à faire l'objet d'une sanction pénale. Les dossiers qui ne lui sont pas transmis sont aussi parfois très lourdement sanctionnés. Parmi le millier de dossiers faisant l'objet de poursuites pénales, ceux qui aboutissent à des peines de privation de libertés sont peu nombreux. Il n'y a donc pas nécessairement de corrélation entre la sévérité de la peine et la nature de la procédure dans laquelle elle est décidée.

Il importe à notre sens que l'administration fiscale soit réactive, qu'elle pénalise financièrement au bon niveau - donc sévèrement - et que tout ce qui relève de la compétence de la Justice ne lui échappe pas. Les juges doivent avoir les moyens de travailler de façon indépendante, d'où la création du parquet spécialisé. Les conditions de fonctionnement de la CIF doivent être transparentes.

Concernant la composition de la CIF, les critères à partir desquels elle agit et le rendu de son activité, le Parlement peut en être informé si les parlementaires le souhaitent. En tant que Ministre du Budget, je ferai toujours en sorte que ce soit possible.

J'ajoute que selon l'article L-101 du Livre des procédures fiscales, une autorité judiciaire qui soupçonne une fraude doit immédiatement saisir l'administration fiscale pour que celle-ci puisse diligenter les procédures adaptées. Les liens entre l'administration et le pouvoir judiciaire sont donc réels. Par ailleurs depuis un arrêt de la Cour de cassation, le juge judiciaire peut se saisir et instruire toute infraction relevant du blanchiment de fraude fiscale sans que l'administration fiscale n'ait eu à agir préalablement.

La question de l'harmonisation fiscale est essentielle. Nous sommes mobilisés dans le cadre des réflexions conduites par le commissaire Semeta, notamment autour de l'impôt des sociétés.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le Ministre, merci pour vos propos. Vous savez combien le Sénat et la première Commission avaient déjà travaillé sur ces sujets. Voir arriver un texte que nous allons voter bientôt est une très bonne nouvelle.

Ma première question porte sur l'Etat actionnaire. L'Agence pour les participations de l'Etat regroupe environ 134 milliards d'euros dans des sociétés multiples et variées. Nous avons auditionné son responsable, et il semblerait que l'Etat soit parfois un peu schizophrène : actionnaire d'un côté, il a parallèlement un autre rôle en matière fiscale. Nous avions donc proposé lors de la précédente Commission d'enquête que cette agence puisse établir un rapport au Parlement, notamment au regard de l'utilisation de schémas d'optimisation fiscale par les sociétés dont l'Etat est actionnaire. Il me semble important que le Parlement soit bien informé sur l'Etat actionnaire, en dehors du jaune budgétaire.

La deuxième question est directement liée à l'audition que nous venons d'avoir. Elle rejoint une proposition faite notamment dans le projet de loi sur la modernisation de l'économie, à savoir la création d'un pôle universitaire de recherche sur la fiscalité internationale. Dans l'ensemble des auditions que nous avons eues, les difficultés de cerner et d'appréhender la fraude ont été évoquées, notamment pour les prix de transfert. Nous avons abordé ce point lorsque nous avons évoqué l'efficacité des conventions fiscales. Le problème de la formation des personnels qui vont devoir appréhender la fraude fiscale est donc extrêmement important, surtout face à l'internationalisation de cette fraude. Pourrez-vous soutenir ce projet de centre scientifique sur la fiscalité internationale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

M. le Ministre, je voudrais connaître votre sentiment sur le rôle des banques françaises. C'est un secteur qui préoccupe tous les gouvernements depuis 2008 et la crise financière. Nous avons déjà procédé à un certain nombre d'auditions. Ces banques entretiennent très souvent des liens étroits avec l'Etat, ce qui est naturel. Quel est le rôle des banques nationales et votre appréciation du secteur bancaire national dans l'éventuelle évasion de capitaux ? Je pose la même question pour les banques étrangères sur le territoire national. Nous avons eu connaissance, s'agissant de ces dernières, d'un certain nombre d'exemples à l'occasion de la dernière Commission d'enquête, mais il semblerait que des éléments nouveaux soient apparus.

Le titre de la commission a trait aux acteurs financiers. A côté des banques, des secteurs financiers adoptent-ils des comportements peu citoyens au regard des impôts qu'ils doivent à l'Etat ? En ciblez-vous certains en particulier ?

Enfin, vous avez donné votre sentiment sur l'efficacité de votre administration. Estimez-vous que la France dispose d'un dispositif et d'une administration assez performants pour lutter contre l'évasion fiscale ? Cette préoccupation a fait partie des sujets de notre dernière Commission. Je pense qu'une dynamique a été établie depuis 2008. Considérez-vous que vous vous inscrivez dans la continuité de cette dynamique ou avez-vous constaté des lacunes qui vous amèneraient à envisager une rupture et d'autres propositions ?

J'ai noté qu'à l'occasion du sommet du G8 le Président de la République s'est vu reprocher l'existence de nos propres paradis fiscaux. Est-ce à tort ou à raison ? Envisagez-vous une action particulière ? Certains chefs d'Etat nous ont demandé de revoir la situation d'Andorre ou de Monaco.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Vos services vont-ils mener une action forte à partir des connaissances dont ils disposeront sur le milieu bancaire dans les mois qui viennent ? Les relations entre l'administration fiscale et les banques françaises vont-elles permettre de déterminer comment elles ont pu accompagner l'optimisation, puis l'évasion, puis la fraude fiscale ? Nos propres manques ont-ils pu accompagner ces dérives ? Quels moyens les banques ont-elles utilisés le cas échéant ? Nous avons récemment été surpris de constater qu'une banque ne peut pas demander à sa propre filiale comment sont gérés les comptes de citoyens français qui ont transféré des fonds dans le pays accueillant cette filiale. C'est notamment le cas en Suisse. En va-t-il de même dans les Etats de l'UE dont la fiscalité est avantageuse ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Je répondrai tout d'abord aux questions de Madame Goulet relatives à la situation des entreprises publiques au regard des entreprises privées. Pour nous, la loi fiscale est la même pour toutes les entreprises, publiques ou privées. Les entreprises publiques ont même un devoir supplémentaire de se conformer au droit. L'Etat étant garant, avec les juges, de l'application du droit, il serait paradoxal que des entreprises ayant l'Etat comme actionnaire soient moins vertueuses, alors que l'Etat a les capacités d'exercer un droit de regard très précis sur leur fonctionnement. Par ailleurs les entreprises publiques bénéficient comme les autres d'un certain nombre de règles, notamment le secret fiscal.

Nous sommes dans une situation nouvelle, avec une évolution des esprits, et des exigences exprimées par des Etats, dont la France, au sein d'organisations internationales et européennes. Je pense notamment au reporting pays par pays, qui a été inscrit dans la loi bancaire sous la condition que l'UE en accepte le principe. Nous sommes très favorables à un avancement progressif sur ce sujet, et en même temps très attachés à faire en sorte que la France ne soit pas seule à agir ainsi. Si tel devait être le cas, nous exposerions nos entreprises à des conséquences préjudiciables, au prétexte que nous souhaitons être à l'avant-garde. Nous devons faire « bouger les lignes », sous réserve que nos initiatives ne portent pas atteinte aux intérêts de notre économie et de nos entreprises.

Concernant nos intentions au regard de nos propres paradis fiscaux, je tiens à souligner la différence entre ceux situés près de la France et ceux qui font partie intégrante d'un Etat. Andorre et Monaco sont des Etats souverains, contrairement à certains paradis fiscaux qui dépendent de la Couronne britannique. Nous pensons pourtant que tous les paradis fiscaux doivent être l'objet de notre action. C'est pourquoi une liste ETNC à l'échelle de l'UE témoignerait de sa volonté d'éradiquer partout les paradis fiscaux qui dépendent d'elle, entraînant ainsi une évolution au niveau international. La volonté de la France est de durcir la liste. La convention d'échanges d'informations ne suffit pas, mais elle doit être effective.

Par ailleurs, les relations fiscales entre la France et Monaco garantissent depuis 1963 l'absence d'optimisation. En outre, Monaco a été récemment évalué de façon plutôt satisfaisante par le Forum mondial. Il faut être précis dans la terminologie : certains paradis fiscaux méritent d'être appelés comme tels, mais qualifier ainsi Andorre et Monaco relève de la simplification. Compte tenu des évolutions que j'ai mentionnées et des conventions signées avec Andorre, ces deux Etats ne peuvent plus être qualifiées de paradis fiscaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Quelle est la situation de ces deux territoires au regard du GAFI et sa liste des Etats non coopératifs ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Je ne dispose pas de cette information. En revanche, le GAFI utilise des critères de blanchiment et non des critères fiscaux à proprement parler.

Vous me posez ensuite la question des banques, de la finance et de l'efficacité de l'administration.

En ce qui concerne les banques et la finance, les choses ont beaucoup évolué au cours des derniers mois. Vous avez voté une loi qui change considérablement la relation de l'Etat, des organismes de contrôle et de l'administration fiscale avec les banques sur les sujets qui nous intéressent aujourd'hui. Avant le vote de la loi bancaire, les banques n'avaient pas l'obligation de déclarer à Tracfin les mouvements suspects ayant transité par elles. Nous sommes très vigilants à ce qu'aucun de ces mouvements n'échappe à l'obligation de signalisation. L'efficacité de Tracfin monte en puissance. La loi bancaire oblige par ailleurs l'ensemble des filiales des banques à déclarer leurs activités à l'étranger. Enfin, nous complétons les dispositions de la loi bancaire par celles contenues dans la loi dont vous aurez à débattre dans les prochaines semaines. La future loi condamnera les conseils ou les banques qui franchissent la ligne entre l'optimisation fiscale et la fraude fiscale. Les banques elles-mêmes doivent donc être vigilantes dans les conseils qu'elles donnent à leurs clients.

S'agissant de l'efficacité de l'administration fiscale, une caractéristique de cette dernière, au-delà des critiques qui lui sont faites, tient au fait qu'elle a un haut sens de l'intérêt général et un sens du droit qu'elle applique de façon très rigoureuse. L'administration fiscale est plus critiquée pour des excès de rigueur et de contrôle que pour des excès de laxisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le Ministre, nous avons auditionné à votre place la semaine dernière Monsieur Condamin-Gerbier. Vous avez entendu parler des propos qu'il a pu tenir devant la Commission. Ces déclarations vous ont-elles amené à prendre des dispositions au niveau de votre Ministère ? Je fais référence aux déclarations relatives à une liste de personnalités politiques de premier plan qui détiendraient des comptes en Suisse. Allez-vous prendre des initiatives ? Par ailleurs la presse bruisse d'échos selon lesquels l'entourage du Président de la République était informé dès le mois de décembre de la situation de votre prédécesseur. Ce dernier a-t-il pu avoir un contact avec quiconque au Ministère de l'Economie et des Finances sur ce sujet ? Approuvez-vous les conditions dans lesquelles l'échange d'informations avec la Suisse a été conduit ? Il s'est en effet avéré que des questions restaient en suspens. Pouvez-vous nous indiquer si Tracfin a été consulté pour vérifier l'existence de signalements portant sur des comptes de votre prédécesseur ? Cette précaution a-t-elle été prise pour les Ministres actuellement en exercice ?

Je voudrais revenir sur l'enquête OffshoreLeaks du mois d'avril. Constatez-vous un afflux de déclarations d'avoirs à l'étranger ? Quelles dispositions avez-vous prises pour répondre fiscalement à cette éventuelle situation ? Pourriez-vous nous préciser la nature et les enjeux de ces déclarations tardives ?

Quel est le montant des redressements fiscaux appliqués aux contribuables dits à fort enjeu et aux personnes sensibles ? Quelle est l'évolution des transactions conclues avec ces deux catégories de contribuables ?

Enfin un projet de réforme de la Direction générale des Finances publiques est-il en cours pour garantir son absolue indépendance.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Je vais commencer par la première question, relative aux déclarations de Monsieur Condamin-Gerbier devant votre commission - des propos qu'il a aussi pu exprimer dans d'autres cadres. J'ai invité ce matin Monsieur Condamin-Gerbier à se rendre au 139 rue de Bercy pour qu'il communique cette liste. S'il en a une, qu'il la communique. Nous sommes dans un Etat de droit et non de délation. Le droit doit passer quand l'infraction est commise. Nous ne sommes pas dans un Etat de rumeurs, dans lequel la réputation d'un tiers pourrait être jetée en pâture sans preuves.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

J'ai demandé publiquement à Monsieur Condamin-Gerbier de bien vouloir déposer cette liste à Bercy. Je dois toutefois agir dans le respect scrupuleux du droit car il a été auditionné par un juge. J'ai cru comprendre qu'il doit l'être de nouveau. Nous devons tout faire pour que les initiatives éventuellement prises par Bercy respectent les prérogatives de la Justice, dont nous n'avons pas à entraver les enquêtes. Par ailleurs, nous devons pouvoir enquêter sur ces sujets dès lors que nous avons les éléments. Je n'ai pas à connaître ces éléments ; en revanche, l'administration de Bercy doit pouvoir en disposer. Elle procédera à l'ensemble des investigations relevant de ses compétences. On ne peut pas reprocher à notre administration de ne pas détenir des informations qui ne lui ont pas été transmises malgré ses demandes.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Est-ce à dire qu'aujourd'hui Bercy ne dispose d'aucune information corroborant ces déclarations ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

J'ai invité moi-même ce matin Monsieur Condamin-Gerbier à venir transmettre cette liste à l'administration de Bercy, de manière à ce que l'administration compétente puisse procéder aux investigations qui relèvent de ses prérogatives conformément au droit. L'Etat de droit n'est encore une fois pas un Etat de rumeur ou de délation. Je m'engage solennellement devant votre Commission à ce que l'administration compétente procède à toutes les investigations qui doivent être conduites si des éléments et des preuves lui sont communiqués.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

A ma connaissance, il ne s'est pas présenté devant nos services. S'il l'avait fait, je n'aurais pas à en connaître. Lorsque les services disposent de ce type d'élément, ils travaillent en toute indépendance et sans recevoir de ma part d'instruction. Je tiens à cet élément aussi, et je dois m'y conformer rigoureusement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur Condamin-Gerbier dispose-t-il de mesures de protection particulières ? Il a fait état d'un climat particulier autour de sa personne, voire de menaces.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

L'expérience avec Monsieur Falciani montre que lorsque la protection d'une personne est nécessaire pour assurer le bon déroulement d'une enquête sensible, nous prenons toutes les dispositions requises. Monsieur Condamin-Gerbier peut donc transmettre ses éléments à l'administration fiscale. S'il se sent menacé en raison des éléments à sa disposition, sa demande de protection sera prise en compte.

Vous m'interrogez ensuite sur les demandes d'échanges d'informations auxquelles il a été procédé dans le cadre de l'affaire dite Cahuzac. Un bilan annuel des échanges d'informations dans le cadre de notre réseau conventionnel est transmis au Parlement, à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances initial, sous la forme d'une annexe jaune au projet de loi de finances. Cette annexe comprend des données chiffrées et actualisées qui répondent précisément à votre demande. Concernant la demande adressée à la Suisse, comme toute information couverte par le secret professionnel ou fiscal, je m'engage à ce que tous les éléments qui vous sont communicables en votre qualité de Rapporteur de la Commission d'enquête puissent vous être transmis. Vous avez un pouvoir de contrôle sur pièces et sur place. J'ai déjà parfois pris les devants pour que ce contrôle puisse s'exercer dans des conditions de transparence absolue. Je vous confirme ici que si vous souhaitez exercer ce pouvoir de contrôle sur pièces et sur place, je m'engage à ce que la tâche vous soit grandement facilitée.

L'information judiciaire sur ce sujet est en cours. Elle nous permettra de déterminer dans quelle mesure la réponse de l'administration fiscale suisse a pu donner de la situation de Jérôme Cahuzac une image erronée ou non. Par ailleurs, les auditions parlementaires en cours ont déjà permis à M Pierre Moscovici de rappeler que les questions que l'administration fiscale a adressées aux autorités suisses étaient les plus larges possibles, aussi bien dans leur objet que dans la période et dans l'espace.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Tracfin a-t-il vérifié les informations évoquées ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Je peux vous répondre de façon générale. Je vous confirme que Tracfin et la Direction générale des Finances publiques échangent efficacement les informations dont ils disposent.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Qu'en est-il du cas particulier de Monsieur Cahuzac ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Je ne peux pas vous répondre sans enfreindre le secret fiscal. Je comprends qu'il soit dans la nature de cet exercice de me pousser à cette faute, mais je ne la commettrai pas. Un Ministre doit s'appliquer les règles que vous élaborez vous-mêmes pour garantir la protection du contribuable dans le contradictoire. Je peux donc évoquer devant vous toutes les questions, sauf celles que, par le vote de la loi, vous m'avez interdit d'évoquer devant la représentation nationale. Mais je prends l'engagement que vous pouvez obtenir la réponse à cette question si vous exercez votre pouvoir de contrôle sur pièces et sur place.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Pour être très clair, ma question ne portait pas sur la situation particulière d'un contribuable, mais sur le fonctionnement de l'organisme Tracfin.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget

Je vous confirme que l'échange régulier qui a lieu avec la Direction générale des Finances publiques permet d'optimiser, renforcer et conforter l'efficacité