Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission examine, en nouvelle lecture, le rapport de M. Jacques Grosperrin et élabore le texte de la commission sur le projet de loi n° 463 (2014-2015) portant transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur.
EXAMEN DU RAPPORT
Réunie le 11 mars 2015, la commission mixte paritaire (CMP) n'est pas parvenue à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles. Le désaccord a porté sur une seule disposition, introduite par le Sénat à l'unanimité - moins l'abstention de nos collègues du groupe CRC - à l'article 1er du projet de loi, et supprimée par l'Assemblée nationale en première lecture à l'issue d'un revirement de situation plutôt navrant. Il s'agissait de la mise en place d'un « ticket » de trois candidats pour la désignation par le conseil d'administration de l'université du président de l'université et des deux vice-présidents de pôle.
Je vous rappelle brièvement les péripéties qui ont ponctué l'examen de ce texte. Dans le sillage du consensus responsable que nous avions construit, Dominique Gillot et moi-même, entre la majorité et l'opposition au Sénat, autour de l'intérêt supérieur de l'université des Antilles, nous avons entretenu un dialogue constructif avec le rapporteur initial de l'Assemblée nationale, Christophe Premat.
La commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale avait ainsi adopté sans aucune modification le texte qui lui avait été transmis, en identifiant le ticket comme une garantie solide de préservation de l'unité du futur établissement, déjà confronté à une forte instabilité interne. La position de cette même commission avait été constante jusqu'en séance, puisqu'elle avait décidé de donner un avis négatif aux amendements du Gouvernement et de Victorin Lurel tendant à modifier l'article 1er sur la prise en compte des surfaces dans la répartition des dotations entre pôles et la suppression du ticket.
Au terme de débats nerveux, le deuxième amendement a été malgré tout adopté et le ticket supprimé dans la version de l'Assemblée nationale. Certains députés, poussés davantage par des considérations politiques locales que par l'intérêt supérieur de l'université, sont parvenus à faire plier le Gouvernement qui s'est senti lié et, par suite, à entraîner la majorité à l'Assemblée nationale, dans une certaine confusion.
Écoeuré - et on peut le comprendre -, le rapporteur de l'Assemblée nationale a démissionné et a été remplacé par un député jugé plus accommodant, Yves Durand. Cette pression, quelque peu malsaine a perduré jusqu'en commission mixte paritaire.
Clairement, les conditions d'un débat serein et impartial, dans le seul souci de préserver l'intérêt des étudiants et de la communauté universitaire dans les Antilles, n'ont pas été respectées. Je dois vous avouer que certains passages du dernier rapport de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale me restent en travers de la gorge. Quand je lis que, « lors de la commission mixte paritaire [...], cette volonté, dans un souci d'apaisement, de réalisme et d'unité, de revenir aux équilibres de l'ordonnance du 17 juillet 2014 s'est heurtée au souhait de la majorité des sénateurs de rétablir le projet de loi dans la version qu'ils avaient retenue en première lecture », j'y vois une mauvaise foi navrante : certains n'ont pas peur de réécrire l'histoire pour se donner le beau rôle.
Nous disposions, en CMP, d'une majorité confortable en faveur de la rédaction initiale du Sénat. Malgré cela, nous avons fait l'effort de proposer une rédaction de compromis qui a été rejetée d'un revers de main par Victorin Lurel, sans aucun argument crédible. Nous aurions pu passer en force mais certains collègues députés ont alors promis de faire échouer le texte de la CMP en séance et nous ont menacés de mauvaises relations futures entre nos deux commissions si nous n'acceptions pas de constater l'échec auquel ils travaillaient d'arrache-pied. J'ai du mal à comprendre comment on peut accepter qu'un accord politique entre le Gouvernement et quelques élus locaux, dont la position n'est du reste absolument pas majoritaire au sein de la communauté étudiante et universitaire, puisse être placé au-dessus de l'appréciation souveraine du Parlement.
Je vous propose de rester cohérents, de réaffirmer clairement la position que nous avons défendue jusqu'ici, de ne pas céder aux intimidations et de démontrer que nous continuerons d'agir dans l'intérêt supérieur de l'université des Antilles. Il reviendra à l'Assemblée nationale d'assumer ses responsabilités si les soubresauts de l'édifice universitaire venaient à perdurer aux Antilles.
C'est pourquoi je vous propose d'adopter un amendement tendant à rétablir la version que le Sénat avait adoptée à l'unanimité en première lecture, afin de réintroduire la formule du ticket.
Je vous rappelle les deux principaux arguments en faveur de ce ticket, qui permet, de l'avis de l'ensemble des personnes que nous avions auditionnées, de concilier unité stratégique de l'établissement et autonomie des pôles.
En premier lieu, le mode de désignation prévu par l'ordonnance et que cherche à mettre en place l'Assemblée nationale ne fait que perpétuer un mode de gouvernance déjà à l'oeuvre aujourd'hui et dont le caractère non opérationnel a été mis en lumière par la scission du pôle guyanais. En effet, à l'heure actuelle, les conseils consultatifs de pôle désignent déjà, dans les faits, leurs vice-présidents. Malgré l'ordonnance du 31 janvier 2008, le président de l'université n'a jamais pu faire de réelle proposition pour la désignation des vice-présidents de pôle et le conseil d'administration s'est jusqu'ici contenté de valider le choix des conseils consultatifs de pôle. Ce système a échoué puisque le président n'est jamais parvenu à faire partager par les pôles un projet fédérateur pour mettre en place des mécanismes de solidarité entre composantes et entre pôles. La Guyane, légitimement écoeurée, avait en grande partie choisi de quitter l'UAG en réponse aux égoïsmes polaires et au refus de certains responsables de composantes de se soumettre à une redistribution équitable des ressources.
En second lieu, c'est précisément parce que les pôles se voient reconnaître par l'ordonnance du 17 juillet 2014 des compétences étendues dans le cadre d'une autonomie renforcée qu'il convient de réunir, au sommet de la gouvernance, toutes les conditions nécessaires afin de garantir la stabilité et la pérennité du nouvel établissement. Seule une confiance forte entre le président de l'université et les vice-présidents de pôle permettra d'assurer la mise en oeuvre d'un projet d'établissement ambitieux, sur la base d'une coopération fructueuse et de mécanismes de mutualisation opérationnels.
Il est vrai que la situation de l'université des Antilles est politiquement, administrativement et socialement très difficile. Je ne retire rien à la description faite à l'instant par notre rapporteur du va-et-vient avec l'Assemblée nationale. La solution que nous avions proposée était de nature à en finir avec les désaccords ayant conduit à la sécession de la Guyane. La commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale soutenait pleinement cette proposition. L'opposition est venue de quelques élus locaux, qui ont bien manoeuvré. M. Victorin Lurel, député et président de la région Guadeloupe, a su convaincre ses collègues de l'Assemblée nationale et la ministre que le « ticket » tel que nous le proposions n'était pas respectueux de l'autonomie des pôles. Mais ses arguments, qui visent, en somme, à régionaliser, vont à l'encontre de l'intérêt de l'enseignement supérieur et de la recherche aux Antilles comme de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, qui vise à rassembler les établissements et à élargir leur stratégie à l'ensemble d'un territoire.
Je continue de penser que notre version est plus favorable à la cohérence de l'Université, mais les échos qui nous viennent du terrain laissent penser que la communauté universitaire commence à perdre patience et que la confiance dans notre travail législatif s'érode. L'Université fonctionne avec des statuts provisoires, sous la tutelle du recteur. C'est témoigner bien peu de respect à la présidence de Mme Mencé-Caster, qui lutte depuis des années pour faire renaître loyauté et légalité dans son établissement. Je pense qu'il est temps de nous mettre au diapason et, même si j'estime que nos arguments sont les meilleurs, appelle à ne pas revenir à notre version, qui sera inévitablement combattue par l'Assemblée nationale. Ce serait allonger les délais et réduire les capacités de la présidence, qui a besoin de préparer des statuts propres à assurer une rentrée apaisée. Sans méconnaître les vices du texte retenu par l'Assemblée nationale, je plaide pour que nous nous y rangions, afin d'éviter de perdre encore plusieurs semaines.
Je constate que nous partageons tous le diagnostic et que les divergences ne portent que sur la stratégie. Le but est que l'Université fonctionne, que les enseignants enseignent, que les laboratoires cherchent. C'est parce que le Gouvernement avait été un peu prompt à déclarer l'autonomie de l'université de Guyane que l'on a dû en venir à ce texte. L'université, installée à Cayenne, abrite une École supérieure du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) qui joue son rôle auprès des populations locales. Son président, que je connais bien puisqu'il a été professeur à l'Université de Lille I, estime que le seul obstacle au rapprochement est désormais l'impossibilité de nouer un dialogue avec la Guadeloupe et la Martinique, parce que l'Université n'est pas encore dotée de statuts. Ils ne sont pas en mesure de décider des moyens, d'identifier les ressources humaines et ne peuvent pas même produire de codes informatiques communs. Il faut à présent avancer. Si le Gouvernement et le Parlement avaient regardé avec bienveillance, lors de la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, la proposition des écologistes de laisser la faculté, à côté de la fusion, de créer des fédérations d'universités, nous n'en serions pas là aujourd'hui.
Même si je reconnais la pertinence de notre position de fond sur ce texte, j'ai tendance, vous l'aurez compris, à me ranger derrière la position de Mme Gillot.
Je salue l'honnêteté intellectuelle de Mme Gillot, mais je n'oublie pas les malversations dont a souffert l'Université et que l'on risque de favoriser si l'on ne retient pas le ticket à trois. Toutes les personnes que j'ai rencontrées m'ont clairement dit que c'était le sésame pour préserver l'unité. Nous savons bien que sinon, ce sera, à terme, la scission entre Martinique et Guadeloupe. Alors que l'on veut rassembler, créer des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), il faut donner un signal fort. Nous savons comment les choses se sont passées. Nous savons que c'est le Président de la République qui a donné satisfaction à Victorin Lurel, pour apporter des gages aux Antilles en période préélectorale. Notre devoir est de sortir de ces considérations politiques pour revenir à l'intérêt général. Alors que nous étions d'accord, Sénat et Assemblée nationale, c'est le Gouvernement qui a modifié la donne. Le Sénat, s'il veut rester crédible, ne doit pas revenir en arrière. Il y va de l'intérêt des étudiants ultramarins.
Il est important d'aller au bout de cette discussion, pour définir une stratégie qui serve l'Université, ses enseignants et ses étudiants. Je partage votre indignation sur la manière de faire de l'Assemblée nationale, mais nous savons que si nous rétablissons notre texte, elle reviendra dessus. Nous en sommes désolés, mais il faut se rendre au principe de réalité. Allonger la discussion sur ce texte aura pour seul effet d'entraîner des désordres sur place. Or, ceux qui ont réussi à imposer leurs vues à l'Assemblée nationale ont de plus en plus de mal à le faire face à la communauté universitaire, qui s'est peu à peu émancipée et qui commence à prendre la parole et dénonce les malversations qui gangrènent l'Université depuis des années. Quand le chef de laboratoire mis en cause du fait de son incapacité à justifier l'utilisation de plusieurs millions d'euros est revenu prendre ses fonctions, il s'est heurté à une protestation des étudiants.
Il est urgent de donner à la communauté universitaire les moyens de mettre en place les statuts de la nouvelle université. Elle pourrait décider elle-même de la mise en oeuvre de ce ticket à trois que le Parlement, compte tenu du rapport de force, ne parvient pas à imposer. L'administration se dote de son règlement intérieur ; si celui-ci prévoit que les présidents de pôle doivent s'engager au sein du conseil d'administration, c'est gagné. Les départements d'outre-mer ont besoin d'une université qui rayonne.
J'entends l'argument de l'urgence, mais le Sénat doit jouer son rôle, et laisser le Gouvernement prendre ses responsabilités. Il sera comptable, à terme, de la scission.
La CMP a eu lieu le 11 mars, et nous n'avons été à nouveau saisis que le 21 mai. Le Gouvernement aurait pu être plus diligent.
Le débat démocratique a toute légitimité à se poursuivre. Nous sommes tous ici d'accord sur l'objectif, la divergence d'appréciation ne porte que sur la méthode.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT
Mon unique amendement vise à revenir à la version que nous avions retenue pour assurer la gouvernance de l'Université.
Le groupe CRC continuera de s'abstenir. Nous nous en sommes expliqués, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, nous sommes hostiles à ce dispositif de l'ordonnance. La situation de crise que traverse l'Université est due, pour une bonne part, à la loi sur les responsabilités des universités (LRU), à laquelle nous étions vivement opposés. Nous ne contestons pas l'amendement, mais en restons à notre abstention de principe.
J'ai assisté à cette curieuse CMP et j'estime que chacun doit prendre ses responsabilités, en particulier l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Le groupe RDSE s'abstiendra.
Le groupe UDI-UC votera l'amendement. Le Sénat doit faire son travail jusqu'au bout.
L'amendement n° 1 est adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Je remercie les sénateurs qui ont, dans leur majorité, gardé le cap et les sénateurs de l'opposition de leur abstention constructive. Nous oeuvrons dans l'intérêt des étudiants ultramarins.
Je remercie le rapporteur et Mme Gillot, qui ont beaucoup travaillé et vous rappelle que ce texte sera examiné en séance le 10 juin à 17 h 40.
La réunion est levée à 10 heures.