Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

Réunion du 23 février 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • espérance
  • pénibilité
  • soixante

La réunion

Source

La mission a procédé à l'audition de M. Jean-Michel Charpin, inspecteur général des finances, dans le cadre du rendez-vous 2010 pour les retraites.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Charpin

a d'abord dressé un panorama d'ensemble des réformes des retraites menées depuis 1999, date à laquelle il avait présenté un rapport sur les retraites au Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin. En 1999 en effet, la France était en retard sur les autres pays ; depuis, la situation s'est beaucoup améliorée.

Trois séries d'éléments favorables sont intervenus même s'il reste encore un certain nombre de problèmes à régler. Tout d'abord, la loi Fillon de 2003 a mis en place une réforme bien construite, intelligente et puissante. Elle a énoncé un principe robuste et subtil selon lequel il doit y avoir une proportionnalité entre la durée d'assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein et l'espérance de vie moyenne de la population au moment du départ en retraite. C'est ainsi qu'a été fixé l'objectif d'une durée de cotisation de quarante et un ans en 2012, durée qui devra encore augmenter au cours des années suivantes. Dans le rapport de 1999, une durée de cotisation de quarante-deux années et demie avait de la même façon été envisagée à l'horizon 2020 ; il ne s'agissait alors pas de chercher à équilibrer les régimes mais simplement de tenir compte du recul de l'âge moyen d'entrée en activité. Celui-ci est d'environ vingt-deux ans et demi aujourd'hui ; il rend légitime un âge moyen de soixante-cinq ans pour le départ en retraite. Le principe posé par la loi Fillon a donc permis de placer les régimes de retraite sur une bonne trajectoire.

Le deuxième élément favorable est le rapprochement intervenu entre les régimes des secteurs public et privé, grâce à la loi de 2003 et à la réforme des régimes spéciaux de 2008. La réforme Balladur de 1993 avait considérablement accru les écarts ; au cours des dernières années, on a, à l'inverse, cherché à réduire la principale différence, à savoir la durée de cotisation, ce qui est une très bonne chose.

Enfin, le caractère absurde des nombreux barèmes, mis en exergue dans le rapport de 1999, a été corrigé avec la création de la surcote et la modification des décotes. Désormais, les barèmes sont quasiment alignés sur le principe de la neutralité actuarielle à la marge, ce qui permet une vraie liberté de choix pour les individus.

Au total, s'il y a donc eu une véritable évolution des régimes de retraite depuis 1999, la question est de savoir pourquoi on souhaite faire une nouvelle réforme en 2010. En effet, la loi Fillon a prévu un dispositif très perfectionné de rendez-vous d'ici 2020, horizon final de la loi, en 2008, 2012 et 2016. Le rendez-vous de 2008 s'est certes révélé décevant mais il a au moins parfaitement confirmé la trajectoire définie en 2003. L'anticipation de deux ans du rendez-vous suivant, de 2012, s'explique sans doute par la très forte dégradation des équilibres financiers des régimes de retraite. Or, cette dégradation est entièrement due au jeu des stabilisateurs automatiques puisque aucune décision n'est venue aggraver les dépenses ; seule la baisse des assiettes a entraîné une chute des recettes. Le Gouvernement souhaite donc, par un effet d'annonce, commencer à redresser les comptes, même si l'essentiel des décisions ne pourra avoir qu'un effet à long terme sur l'amélioration des comptes publics.

A la demande du Sénat, le conseil d'orientation des retraites (Cor) a réalisé un travail très remarquable et complet sur le système des comptes notionnels. Ce système était connu depuis plusieurs années, en particulier depuis les lois suédoises de 1994 et 1998 et la loi italienne de 1995, mais il n'avait jamais encore été aussi bien analysé. Ses avantages sont certains : il offre plus de transparence, une meilleure visibilité, il est plus facile à comprendre, il « endogénéise » le facteur de l'espérance de vie et établit un lien direct entre la période travaillée et le montant de la retraite. Il a toutefois un défaut majeur, celui d'être très éloigné du système actuel et donc de rendre obligatoire, s'il était choisi, la programmation d'une longue période de transition. En outre, une telle réforme systémique ne résoudrait en rien le problème de l'équilibrage financier des comptes, ce qui est pourtant le principal problème aujourd'hui.

En 1999 déjà, il avait été estimé trop difficile de mener de front les deux réformes ; il avait donc été préconisé de commencer par un rééquilibrage des comptes, ce qu'a fait la loi Fillon, puis d'envisager, le cas échéant, une réforme de plus grande envergure, à caractère structurel. La question se pose pratiquement dans les mêmes termes aujourd'hui ; la mise en place d'une réforme telle que celle des comptes notionnels nécessiterait le déploiement d'une énergie considérable.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

a souhaité savoir quel levier devrait être privilégié dans le cadre de la réforme de 2010.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

est revenu sur le constat fait par Jean-Michel Charpin selon lequel la situation s'est considérablement améliorée depuis une dizaine d'années. Il a demandé si la durée de cotisation de quarante-deux ans en 2020 était désormais officiellement confirmée et si le rendez-vous de 2010 n'avait pas d'abord pour objet de remettre en cause les statuts des trois fonctions publiques ainsi que les statuts particuliers. En voulant revenir sur le critère du calcul des pensions à partir des six derniers mois, les promoteurs actuels de la réforme vont au-delà de ce que prévoit la loi de 2003.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Charpin

a fait valoir que le principal levier est celui de la durée d'activité. Tout dépend en effet de la possibilité de décaler l'âge de la cessation d'activité, ce qui a une logique puisque, avec l'allongement de l'espérance de vie, tous les âges de la vie ont progressivement été repoussés : âge de la fin des études, âge de l'entrée dans un logement indépendant, âge du premier enfant, etc. Il serait donc absurde que l'âge de la cessation d'activité soit le seul à ne pas bouger. La particularité de la situation des taux d'emploi et d'activité en France rend cependant le sujet complexe. Par rapport aux autres pays, la France connait un taux d'activité élevé pour les 25-55 ans, plus faible pour les 55-60 ans et extrêmement bas au-delà de 60 ans. Pour la tranche d'âge 60-65 ans, le taux d'emploi s'apparente plus à ce que l'on constate ailleurs pour les 70-75 ans, même si, dernièrement, le taux a sensiblement augmenté dans notre pays, passant de 7-8 % à 15-16 %. Dans ce contexte, le seul sens que peut avoir le rendez-vous de 2010 est celui d'une modification du seuil des soixante ans. En effet, pour tous les autres aspects de la réforme, les décisions ont été prises, que ce soit pour la durée de cotisation, les barèmes, la création du Cor, la procédure de suivi. Quant à un éventuel développement de la capitalisation, le moment n'est certainement pas le plus opportun.

Les deux sujets sur lesquels les discussions devraient porter sont donc l'âge légal de soixante ans et la pénibilité. Modifier le seuil de soixante ans, qui n'existe dans aucun autre pays, est certainement très difficile car il guide largement aujourd'hui les comportements sociaux : plus de la moitié des assurés liquident actuellement leur retraite à soixante ans. Cela étant, si des contreparties sont prévues, le sujet pourra évoluer. L'une des idées actuellement avancées a cependant l'inconvénient d'être très complexe ; elle consisterait à instaurer un double système de décotes et surcotes, l'un autour de la durée de cotisation, l'autre autour de l'âge de départ en retraite.

Une autre difficulté de la réforme en cours est liée à la mise en oeuvre de la procédure technique préparatoire avec la réalisation de projections qui doivent être lancées très en amont, ce qui sera difficile cette année. Maintiendra-t-on par ailleurs le rendez-vous de 2012 ?

Sur la question de l'alignement des régimes, il est certain que, dans un système par répartition, l'existence de régimes différents n'a pas de justification. Dans le cas de la France, la situation résulte d'un héritage de l'histoire qu'il est difficile d'effacer. Par comparaison, il existe aux Etats-Unis un régime par répartition unique qui fonctionne mieux, notamment parce qu'il n'a pas nécessité la mise en place de modalités spécifiques de compensation liées à la situation démographique des différentes corporations qui, dans notre pays, disposent de régimes différents. La question la plus importante est néanmoins celle d'une durée de cotisation qui soit identique quel que soit le régime.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

a souhaité savoir si le rapport du Cor, qui sera publié préalablement à la négociation avec les partenaires sociaux, contiendra des éléments nouveaux ou s'il consistera en une simple actualisation du rapport de 2007. Il s'est demandé si le système actuel pourra tenir jusqu'en 2020-2050 sans réforme plus substantielle et si l'adoption d'un système par comptes notionnels ne permettrait pas de mettre en place des garanties, notamment en termes de rééquilibrage financier, que le système actuel n'apporte pas. Peut-on par ailleurs espérer une forme de consensus sur la réforme à venir et sur quels leviers est-il raisonnable de penser que pourrait intervenir un accord ? Est-il exact que si l'on prend des bases de calcul comparables, il n'y a pas tant de différences dans les pensions servies entre les régimes de la fonction publique et les régimes du secteur privé ? Le principe posé par la loi Fillon conduit-il à un automatisme dans l'augmentation de la durée de cotisation si l'on constate un accroissement de l'espérance de vie ou bien donne-t-il une liberté d'action au Gouvernement ? Enfin, doit-on considérer l'âge de soixante ans comme un levier essentiel dès lors que l'augmentation de la durée de cotisation va peu à peu le rendre moins effectif ?

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Charpin

a estimé que le prochain rapport du Cor procédera avant tout à une actualisation du rapport de l'automne 2007, élaboré avant la crise. Ces ajustements sont indispensables compte tenu de la modification des assiettes de masse salariale intervenues au cours des derniers mois. Il ne devrait cependant pas comporter de grands bouleversements, en raison notamment de la brièveté des délais dans lesquels il doit être élaboré. L'adoption d'un système par comptes notionnels présente à l'évidence de très nombreux avantages, en particulier du fait de son mécanisme stabilisateur lié à l'espérance de vie. Il serait aussi pédagogique et incitatif dès lors que le lien entre la retraite et le travail est directement établi. Toutefois, dans le contexte actuel où de nombreuses réformes sont en cours, il nécessiterait une très grande énergie pour sa mise en oeuvre. Si cette voie n'est pas choisie, il faudra néanmoins veiller à ne pas apporter plus de complexité au système actuel. L'obtention d'un consensus sur la réforme des retraites n'est pas forcément la bonne approche car l'enregistrement d'accords explicites des différentes parties prenantes n'apparait pas possible à ce stade ; en revanche, l'objectif doit plutôt être d'obtenir une forme de consentement. En tout état de cause, la décision finale appartiendra au Parlement et non aux partenaires sociaux, ni même au Gouvernement. Certaines marges existent, notamment autour de la pénibilité qui est une piste à explorer même si, dans la pratique, elle s'avère éminemment complexe.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

a souhaité savoir si l'on peut imaginer que la pénibilité devienne le seul critère d'obtention d'une retraite à taux plein à soixante ans.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Charpin

a estimé que cette hypothèse mériterait d'être instruite, et donc la possibilité de décaler progressivement l'âge minimal de liquidation des retraites en contrepartie de dérogations ou d'ajustements liés à des situations particulières.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

a considéré que le facteur de l'espérance de vie est un élément déterminant et qu'il justifie que soit prise en compte la pénibilité dans l'équilibre à rechercher.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Charpin

a fait valoir que, dans le mécanisme des comptes notionnels, aucune différence n'est établie entre les diverses catégories socioprofessionnelles pour le calcul de l'espérance de vie qui s'effectue par génération, toutes professions ou métiers confondus. La prise en compte de la pénibilité serait une grande nouveauté ; elle devrait être définie de manière objective par la loi et renvoyée aux négociations pour sa mise en application. Sur la question du rapprochement du mode de calcul des pensions entre le secteur public et le secteur privé, il conviendrait au préalable de réaliser une étude précise sur les écarts de revenus, de primes et autres éléments spécifiques de rémunération en les ventilant par catégories. Une telle étude est sans doute très complexe à mener à bien. Par ailleurs, si les primes étaient intégrées dans le calcul des retraites, on créerait des droits à la retraite sur des sommes n'ayant pas supporté de cotisations, ce qui est évidemment contraire aux principes fondateurs du système de retraite français selon lesquels les retraites sont liées aux cotisations versées. Le débat sur le seuil de soixante ans est important et délicat. Certes, avec l'augmentation de la durée de cotisation, il viendra un jour où personne ne pourra partir en retraite à soixante ans avec un taux plein et les effets de seuil constatés actuellement se retrouveront à l'âge de soixante-cinq ans. Il est donc souhaitable qu'à moyen terme, le seuil de soixante ans, comme celui de soixante-cinq ans, soient repoussés, ce qui est bien l'esprit de la loi Fillon. Dans l'immédiat, il est certain qu'une modification de l'âge légal de soixante ans, en le portant, par exemple, de trimestre en trimestre, à soixante et un ans, pourrait avoir un effet financier puissant mais ce serait une mesure relativement brutale compte tenu du nombre de personnes qui partent en retraite aujourd'hui à soixante ans.

Debut de section - Permalien
mission d'information

Puis la mission a procédé à l'audition de M. Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines, rapporteur de la mission d'information sur la pénibilité au travail, dans le cadre du rendez-vous 2010 pour les retraites.

Debut de section - Permalien
Jean-Frédéric Poisson

a d'abord rappelé le contexte dans lequel les négociations interprofessionnelles sur la pénibilité ont débuté à la fin de l'année 2004. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites invitait en effet les partenaires sociaux à engager, avant le 22 août 2006, une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité. Les séances de négociation entre les partenaires sociaux ont été axées autour de trois questions : qu'est-ce que la pénibilité ? Comment la prévenir ? Comment la compenser ou la réparer ? Après trois ans et demi de débat, les négociations se sont soldées par un échec en juillet 2008.

L'absence d'accord ne signifie pas que les partenaires sociaux n'ont réussi à s'entendre sur aucun de ces sujets, bien au contraire. Ainsi, sur les questions de la définition et de la prévention, une position unanime a pu être dégagée. Sur la définition de la pénibilité tout d'abord, les partenaires sociaux sont arrivés à la conclusion que la pénibilité résulte de conditions de travail qui laissent des traces durables et irréversibles sur la santé et l'espérance de vie d'un travailleur. Elle ne doit donc pas être confondue avec d'autres notions qui peuvent lui sembler proches comme les accidents du travail, les maladies professionnelles, la violence, le harcèlement ou le stress. Cette définition présente néanmoins trois difficultés :

- elle pose la question de l'appréciation objective de la pénibilité. Autrefois, la pénibilité résultait en effet du constat objectif d'atteintes portées à l'intégrité physique du travailleur. Or, aujourd'hui, se développent de nouvelles formes de pénibilité - comme les atteintes psychiques - qui rendent très complexe son objectivation ;

- elle se heurte aux difficultés de mesure de l'espérance de vie de chaque individu ;

- elle soulève le problème de la responsabilité juridique des entreprises dans la mise en place de conditions de travail difficiles.

Au-delà de la définition de la pénibilité, les partenaires sociaux ont réussi à s'entendre sur l'identification de ses principales causes. Ils en ont identifié quatre : l'existence de contraintes physiques (exigences de posture, port de charges lourdes, bruit intense...) ; le rythme ou la cadence de travail imposés (horaires alternés ou atypiques, travail de nuit, travail à la chaîne...) ; l'exposition à des agents toxiques ; les risques psychosociaux (harcèlement, isolement, absence de solidarité...). Le plus souvent, la pénibilité résulte d'un cumul de ces facteurs.

Sur la prévention ensuite, les partenaires sociaux sont parvenus à formuler plusieurs propositions communes : une meilleure formation des managers aux questions liées à la pénibilité et aux conditions de travail, une refonte du document unique de prévention et d'évaluation des risques professionnels, une réforme de la médecine du travail, une collaboration plus étroite avec l'ensemble des partenaires institutionnels concernés par le sujet. Les négociations sur le volet prévention ont toutefois achoppé sur la question du renforcement du rôle des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il est vrai que ces instances fonctionnent assez mal pour diverses raisons : faible implication des chefs d'entreprise, mode de désignation des membres discutable, mauvaise formation de ces derniers aux questions de santé au travail, etc. Par ailleurs, certaines entreprises sont dépourvues de CHSCT alors que la loi les oblige à en mettre en place. Actuellement, plus de 30 % des entreprises de plus de cinquante salariés n'en sont pas dotées. Sur cette question, deux camps s'affrontent : d'un côté, les organisations syndicales plaident pour une extension des pouvoirs du CHSCT, une meilleure formation de ses membres aux problématiques de santé au travail, un renforcement de son budget ; de l'autre, le patronat se montre réticent à l'idée d'accroître les pouvoirs des représentants de salariés au sein du CHSCT mais approuve la nécessité d'améliorer la formation de ses membres. Depuis peu, on observe néanmoins une évolution de la position du patronat sur ces sujets.

L'échec des négociations résulte avant tout de l'absence d'accord sur le volet compensation ou réparation de la pénibilité qui comporte trois questions : qui a le droit à compensation pour l'exercice d'un travail pénible ? Sous quelles formes la pénibilité doit-elle être compensée ? Comment financer cette compensation ?

Sur ce point aussi, deux thèses s'opposent : d'une part, les syndicats de salariés plaident pour un modèle de compensation collective qui n'est pas accepté par le patronat au motif qu'il ignore les facteurs personnels entraînant une réduction de l'espérance de vie ou un accroissement de la morbidité ; d'autre part, le patronat défend un modèle de compensation individualisée que les syndicats considèrent comme injuste car il dédouane l'entreprise de ses responsabilités dans l'organisation du travail pénible. Sur la question du financement de la compensation et des formes que celle-ci pourrait prendre, force est de constater que le patronat n'a pratiquement rien proposé lors des négociations. Quant aux syndicats de salariés, ils soutiennent l'idée d'un départ anticipé à la retraite en restant cependant très flous sur les sources de financement de cette mesure. Il semble toutefois que, dans leur esprit, les entreprises devront être les principaux financeurs puisqu'elles sont responsables de l'organisation du travail.

Après avoir dressé ce panorama des négociations interprofessionnelles, M. Jean-Frédéric Poisson a estimé que les avancées obtenues sur la définition de la pénibilité, l'identification de ses causes et les moyens de la prévenir doivent utilement servir aux négociations sur les retraites qui vont s'ouvrir dans les prochaines semaines. Assurément, la prise en compte de la pénibilité constitue, pour les organisations syndicales, une contrepartie à une nouvelle réforme du système de retraite qui pourrait se traduire par un allongement de la durée de cotisation et/ou par un report de l'âge légal de départ à la retraite.

A l'heure où l'on tend à mettre progressivement fin aux régimes spéciaux, il faut veiller à ce que le dossier de la pénibilité n'aboutisse pas à la création d'un nouveau régime spécial. Ce risque semble pour l'instant écarté dans la mesure où le Premier ministre en a rejeté catégoriquement l'éventualité. Ceci ne résout pas pour autant le problème de la prise en compte de la pénibilité auquel il est indispensable d'apporter des solutions. L'une d'entre elles pourrait consister en l'ouverture d'une possibilité de réduction de temps de travail en fin de carrière ou de départ anticipé à la retraite, mesures qui seraient financées à la fois par les entreprises et la collectivité. Recourir à un système de compensation purement collectif n'est pas souhaitable car cela reviendrait à nier l'influence des facteurs individuels. En outre, le coût financier serait très lourd puisqu'il faudrait indemniser tous les salariés exposés à au moins un facteur de pénibilité, soit entre 20 et 28,6 millions de personnes. Seule une prise en compte individuelle de la pénibilité est donc envisageable. Celle-ci suppose toutefois que les circonstances professionnelles à l'origine de la pénibilité au travail soient appréciées de manière pluridisciplinaire et paritaire. Une telle procédure n'est pas évidente à mettre en place.

a enfin mis en garde contre un argument régulièrement utilisé dans le débat sur la pénibilité qui consiste à dénoncer les écarts d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles, notamment entre les ouvriers et les cadres. Même si cet argument est fondé, il donne à croire que l'objectif est de tendre vers une égalisation des espérances de vie de l'ensemble des travailleurs, ce qui est impossible. En outre, il accrédite la thèse selon laquelle seul un modèle de prise en charge collective permettrait de compenser ce type d'inégalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

Soulevant le problème du choix d'un bon niveau intermédiaire entre une prise en compte trop globale ou trop fine de la pénibilité, Mme Christiane Demontès, rapporteure, a souhaité savoir si des mesures individuelles négociées collectivement sont envisageables. Elle a également demandé s'il est possible de progresser sur la mesure des espérances de vie individuelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

a estimé que les résultats des négociations interprofessionnelles sont relativement maigres. Depuis juillet 2008, date à laquelle celles-ci ont échoué, y a-t-il eu la volonté de la part du patronat et des syndicats de renouer le dialogue ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

a fait observer que les négociations à venir s'annoncent très difficiles dans la mesure où chacun campe sur ses positions. Force est notamment de constater que les entreprises ont de plus en plus tendance à ne pas assumer leurs responsabilités en matière de pénibilité au travail. Par ailleurs, certains syndicats se sont prononcés pour une disjonction du dossier de la pénibilité de celui des retraites ; en sait-on davantage sur leurs intentions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Le Menn

Evoquant l'hypothèse d'un ralliement des syndicats de salariés à une prise en compte individuelle de la pénibilité, M. Jacky Le Menn a demandé si, dans ce cas, le patronat pourrait faire évoluer sa position sur le financement de la compensation. Il a également souhaité avoir des précisions sur les écarts d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles.

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

a dit craindre que la compensation de la pénibilité par le système de retraite ne dédouane les entreprises de leurs responsabilités en matière d'amélioration des conditions de travail et ne reporte la charge sur la collectivité.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

S'interrogeant sur la pertinence du lien entre réparation de la pénibilité et départ anticipé à la retraite, M. Alain Vasselle, président, a demandé si d'autres voies sont à l'étude. Ne peut-on pas envisager de prendre en compte la pénibilité au cours de la carrière professionnelle via, par exemple, l'octroi de primes ? Par ailleurs, ne serait-il pas opportun d'utiliser le dossier de la pénibilité pour activer le paramètre de l'âge minimal légal de départ à la retraite ?

Debut de section - Permalien
Jean-Frédéric Poisson

a tout d'abord insisté sur la distinction entre la pénibilité réductible et la pénibilité irréductible. Certaines formes de pénibilité ne pourront en effet ni être éliminées, ni même atténuées, sauf à supprimer l'activité professionnelle en cause. Ainsi, le travail de nuit ne pourra pas être effectué dans une ambiance diurne, le travail en sous-sol s'effectuera toujours dans un espace confiné, certains services publics comme les hôpitaux ou les services de police devront toujours fonctionner 24 heures sur 24, etc. Aucune organisation du travail, quelle qu'elle soit, n'est en mesure d'éradiquer totalement la pénibilité. Au regard de cette distinction, il appartient donc aux pouvoirs publics d'intervenir prioritairement pour prévenir et compenser la pénibilité irréductible. Cela peut passer, conformément aux propositions de certains syndicats, par la mise en place d'un « curriculum laboris » ou d'un carnet de santé individuel qui permette d'effectuer la traçabilité dans le temps de l'exposition aux facteurs de pénibilité subis par chaque travailleur. Il est également impératif que les entreprises s'impliquent directement dans la politique de prévention de la pénibilité. Trop de patrons se montrent encore aujourd'hui réticents à l'idée d'oeuvrer pour une meilleure organisation du travail. D'où la volonté des syndicats de salariés de mettre en place un système de compensation collective financé par les entreprises.

Le départ anticipé à la retraite comme solution à la compensation de la pénibilité présente le risque de décharger les entreprises de leurs responsabilités en matière d'amélioration des conditions de travail. A partir du moment où les salariés pourront partir plus tôt à la retraite, plus rien n'incitera les entreprises à faire des efforts en ce sens. Le meilleur système consisterait en une prise en charge individuelle négociée dans le cadre collectif que sont les branches professionnelles. A un moment où à un autre, il faudra en effet que les branches se saisissent du problème de la pénibilité afin que soient définis en leur sein les métiers concernés par d'éventuelles mesures de réparation.

a ensuite précisé que les discussions entre les partenaires sociaux sont au point mort, bien que ces derniers aient été encouragés à revenir à la table des négociations en octobre 2008 par le ministre du travail de l'époque, Xavier Bertrand. Tout semble aujourd'hui indiquer que le dialogue ne se renouera pas. La stratégie de syndicats comme la CFDT, consistant à découpler le dossier de la pénibilité de celui des retraites, est habile : ce qu'ils obtiendront sur la pénibilité ne pourra pas être remis en cause dans le cadre d'une réforme des retraites. Un seul scénario permettrait sans doute de débloquer la situation : mise en place d'un système de compensation individuelle défini au niveau des branches professionnelles, engagement direct des entreprises dans la politique de prévention de la pénibilité en veillant à ne pas les tenir pour seules responsables des problèmes actuels. Dans l'hypothèse où les partenaires sociaux n'aboutiraient pas à un accord, il conviendrait que le législateur reprenne la main, non seulement pour définir la pénibilité et préciser les sources de financement de sa prise en charge, mais aussi pour enjoindre les partenaires sociaux à négocier à partir d'un cadre donné. S'agissant enfin de la prise en compte des écarts d'espérance de vie, peu de solutions sont pour l'instant avancées mais l'implication des branches professionnelles permettrait sans doute d'en dégager de nouvelles.