Par le même souci de cohérence, le groupe La République en marche s'abstient.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 10 h 20.
La réunion est ouverte à 14 h 20.
Notre commission est réunie pour examiner la solution proposée à un problème vieux de plus de soixante ans : la fiscalité de l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Cet aéroport constitue un cas unique en son genre d'aéroport binational. La France et la Suisse se sont entendues pour le construire sur le territoire français au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, car l'aérodrome de la ville de Bâle ne parvenait plus à faire face à la hausse du trafic aérien. Un aéroport provisoire a été inauguré dès 1946 sur le territoire de la commune de Saint-Louis dans le département du Haut-Rhin, puis une convention bilatérale a été signée en 1949 pour définir les règles relatives à la construction et à l'exploitation de l'aéroport.
Cette convention a créé un établissement public franco-suisse, administré de façon paritaire par les deux pays. Celui-ci est divisé en un secteur douanier français et un secteur douanier suisse ; dans ce dernier, la douane suisse contrôle personnes et marchandises, et la Suisse dispose de la compétence souveraine d'accorder des droits de trafic aux compagnies aériennes.
L'aéroport de Bâle-Mulhouse est situé dans une région prospère et densément peuplée, au carrefour de la France, de la Suisse et de l'Allemagne. Le nombre de passagers accueillis par l'aéroport a connu une croissance de 71 % ces dix dernières années et devrait représenter 7,7 millions de personnes en 2017, ce qui en fait le troisième aéroport de Suisse et le cinquième de France, hors aéroports parisiens. 90 % des vols au départ de l'aéroport se font sous droits de trafic suisse.
Quelque 126 entreprises sont implantées dans l'enceinte de l'aéroport, dont 75 % dans le secteur douanier suisse. Leur activité génère 6 400 emplois directs sur la plateforme et autant d'emplois indirects. Les activités industrielles de maintenance aéronautique - en particulier pour l'aviation privée et d'affaires - représentent 2 000 emplois, les compagnies aériennes 600 emplois et les activités de fret et de sûreté/sécurité 500 emplois chacune. Les deux tiers des rémunérations versées par des entreprises présentes sur le site de l'aéroport le sont à des salariés français.
Si le dynamisme économique et l'attractivité de cet aéroport ne sont plus à démontrer, la question de la fiscalité applicable dans son enceinte est devenue un problème de plus en plus prégnant, au point de retarder certains programmes d'investissement nécessaires à sa modernisation et à son agrandissement.
En effet, l'article 14 de l'annexe II à la convention de 1949 prévoit que les conditions d'application des impôts et taxes fiscales françaises au sein de l'aéroport font l'objet d'un accord entre les deux gouvernements. Seulement, cet accord n'a jamais été signé.
Invoquant cette absence d'accord, l'établissement public exploitant l'aéroport, ainsi que les sociétés établies dans le secteur douanier suisse, ne s'estimaient tout simplement pas redevables des impôts en France. Plus précisément, l'établissement public EuroAirport n'a pas payé l'impôt sur les sociétés entre 1949 et 2015, les compagnies aériennes n'étaient pas soumises à la taxe de l'aviation civile et la DGAC ne bénéficiait d'aucun financement pour les missions d'intérêt général qu'elle effectuait. Enfin, la plupart des entreprises établies dans le secteur douanier suisse ne payaient pas non plus d'impôt sur les sociétés, ni de TVA, ni de CFE ni de CVAE. Seul un petit nombre d'entre elles s'acquittaient des impôts en question, de façon hétérogène.
En réalité, cette exonération de fait n'avait pas de véritable fondement juridique : en l'absence de l'accord bilatéral prévu, c'est bien le droit commun qui aurait dû s'appliquer, et celui-ci repose sur le principe de territorialité : les entreprises sont imposables dans l'État où sont réalisées les activités, c'est-à-dire là où elles disposent d'un « établissement stable ». Or l'aéroport est intégralement situé sur le territoire français. Le droit interne, tout comme la convention fiscale franco-suisse « générale » de 1966, sont sans ambiguïtés sur ce point.
En réalité, ce sont sans doute bien plus des raisons politiques - la bonne entente entre la France et la Suisse - que des raisons juridiques qui ont permis à cette situation de perdurer pendant des décennies.
Je précise que ce problème concerne le seul secteur douanier suisse de l'aéroport, l'application pleine et entière du droit commun dans le secteur français n'ayant jamais été contestée - mais il est vrai que peu d'entreprises l'ont choisi.
Tout cela a changé en 2009 : le Conseil d'État, saisi par une compagnie suisse réalisant des activités de maintenance au sein du secteur suisse, a estimé que la fiscalité française s'appliquait dans l'ensemble de l'aéroport. À partir de cette date, les inconvénients de l'incertitude l'ont emporté sur les avantages du non-dit fiscal, entravant par exemple des projets d'investissement. Les négociations ont véritablement repris en 2015, avec une série de déclarations conjointes successives, dans un contexte où la Suisse était sous forte pression internationale en matière de fiscalité et de transparence.
J'ai présenté de manière détaillée la situation antérieure pour mieux faire apparaître l'avancée que représente l'accord du 23 mars 2017 - qui est donc celui prévu par l'article 14 de l'annexe II à la convention de 1949. Celui-ci permet de régler de façon équilibrée le problème tout en préservant l'intérêt des parties et la compétitivité de l'aéroport, vital pour la région.
Ainsi, les revenus de l'établissement public EuroAirport seront soumis à l'impôt sur les sociétés français, dans les conditions de droit commun. Son produit sera en revanche partagé à égalité entre la Suisse et la France, ce qui n'apparaît pas anormal compte tenu de la détention paritaire du capital. En pratique, l'établissement public se conforme déjà à cette règle depuis 2015.
Une contribution spécifique payée par les compagnies aériennes, assise sur le nombre de passagers au départ de l'aéroport, a été créée dans le cadre de la loi de finances pour 2016. Cette contribution, dont le tarif est inférieur à celui de la taxe de l'aviation civile, couvrira strictement le coût des missions d'intérêt général assurées par la DGAC au profit de l'aéroport. Son produit représentera une ressource annuelle supplémentaire de 6 millions pour la DGAC.
Les entreprises établies dans le secteur douanier suisse paieront l'impôt sur les sociétés en France, en application du droit commun. Plus des deux tiers ont déjà régularisé leur situation, les autres, qui jusqu'à présent ne payent rien, suivront ces prochains mois.
En revanche, c'est la TVA suisse qui s'appliquera dans le secteur douanier suisse. La France a pour cela demandé une dérogation au Conseil de l'Union européenne, qui lui a été accordée le 21 février 2017.
C'est le cas des impôts locaux - CFE et CVAE - qui est le plus dérogatoire au droit commun. L'accord prévoit que les entreprises du secteur suisse en seront exonérées, mais qu'elles seront à la place soumises à l'impôt sur le capital en Suisse, dans le canton de Bâle-Ville. La perte de recettes potentielles pour les collectivités locales concernées - la région, le département et les communes de Saint-Louis, Blotzheim et Hésingue - sera compensée par un versement de 3,2 millions par an, prélevé sur l'impôt sur les sociétés payé par l'aéroport lui-même, avant partage de son produit entre la France et la Suisse. Ce montant correspond à ce qu'elles touchent aujourd'hui.
La solution retenue est originale. Elle n'est certes pas exempte de critiques, notamment parce que le montant de 3,2 millions, plafonné, ne tient pas compte du dynamisme attendu des bases fiscales. Mais il s'agit d'un compromis acceptable, et ce sont les collectivités elles-mêmes qui ont poussé pour qu'une solution soit trouvée et elles ont approuvé cet accord. De fait, mieux vaut un montant garanti que des recettes qui n'étaient jusque-là que théoriques, d'autant que le développement de l'aéroport aura des retombées qui profiteront indirectement aux collectivités - ce dont elles sont pleinement conscientes.
Si un mot pouvait résumer le sens de cet accord, ce serait donc celui de pragmatisme. Si la France n'y gagne pas autant qu'avec une stricte application de son droit interne, elle y gagne beaucoup par rapport à la situation antérieure, et c'est là l'essentiel. Cet accord permet d'assujettir les entreprises concernées à l'impôt sur les sociétés, tout en préservant l'intérêt de chacune des parties et la compétitivité du site, dont l'importance économique est vitale pour toute la région.
Fondamentalement, même si l'aéroport est situé en territoire français pour des raisons physiques, il s'agit d'un aéroport en grande partie construit pour la Suisse, financé à parité par les deux pays, et sur lesquels les deux pays disposent de prérogatives souveraines. Il n'est donc pas anormal que cette spécificité, unique en son genre, se traduise par des adaptations de la fiscalité, conformément à la lettre mais aussi à l'esprit de l'accord de 1949.
Il s'agit d'une bonne convention qui comble un vide juridique important. Pour avoir travaillé avec Éric Bocquet sur la fraude et l'évasion fiscales, j'ai constaté des dysfonctionnements à l'aéroport de Genève, notamment avec les Ports-francs. En va-t-il de même pour celui de Bâle-Mulhouse ?
Dans sa partie douanière suisse, l'aéroport était pour ainsi dire une vaste zone franche. Une fois que la convention entrera en vigueur, tel ne sera plus le cas.
Le projet de loi est adopté sans modification.